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Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 14-06-2013 à 09:30:37

Pieveth, Chapitre 5

 

 

 

L'heure du déjeuner est largement dépassée, mais il sait que personne, en cuisine, ne rechignera à le servir. L'esclave est parti, sans un bruit, laissant Calith a ses réflexions. Moins d'un quart d'heure plus tard, un coup discrètement donné à la porte le tire de ses pensées. L'esclave est de retour. A ses côté trottine Voinon, le responsable des esclaves. L'homme est petit, au moins une tête de moins que Calith, et replet. Ses habits simples sont tendus autour de son imposante bedaine. Son visage est très banal, inspirant la sympathie au premier abord. Mais Calith ne l'apprécie guère. Peut-être à cause de la badine qui pend contre sa hanche et dont il ne se sépare jamais. Pourtant, il n'a rien à lui reprocher. Voinon est le responsable des esclaves depuis de nombreuses années : il s'occupe de les placer dans différentes parties du château, pour seconder les serviteurs, de les vêtir et les loger dans des dortoirs propres et relativement spacieux. Il se charge également de gérer la nourriture pour eux, une ration pour les humains, deux pour les loups-garous. Et grâce aux Dieux, il a assez de capacités magiques pour retirer les anneaux aux esclaves. Il fait régner la discipline avec justesse, d'après ce qu'en sait Calith. Mais le roi ne l'apprécie guère, peut-être à cause du regard un peu fourbe du bonhomme. Pour l'heure, Voinon se tient, mal à l'aise, devant son souverain et ose :

 

- Vous avez eu un problème avec le simplet ?

- Le simplet ?

- L'esclave... de tout à l'heure.

 

L'homme vient de jeter un regard à l'esclave habituel du roi qui installe, sur la table devant la cheminée, le plateau qu'il a remonté des cuisine. Calith l'observe puis lui demande de quitter les appartements le temps qu'il discute avec Voinon. C'est qu'il ne tient pas à ébruiter les récents évènements. Se levant, il va s'installer devant son déjeuner tardif, partageant une chope de bière avec le responsable des esclaves. Ce n'est qu'à ce moment là qu'il lui répond :

 

- Non. Pas du tout. Pourquoi tu l'appelles comme ça ?

- Pourquoi je l'appelle ''le simplet'' ? Et bien, parce que je ne connais pas son nom, ni personne d'autre, d'ailleurs.

- Il ne te l'a pas donné ?

- Non. Il ne parle pas. Il ne se mêle pas aux autres, ne s'intéresse à rien. L'est un peu simple d'esprit, si vous voulez mon avis.

 

Calith, occupé à manger, l'écoute pourtant attentivement. D'un geste, il lui fait signe de continuer.

 

- Mais il travaille bien, il faut tout ce qu'on lui dit de faire sans se plaindre. Je l'ai mis aux couloirs, vous savez, pour changer les torches, nettoyer les tapis et tout ça. C'est qu'il y en a, des couloirs, dans ce château. Mais il travaille bien. Personne ne s'est jamais plaint de lui.

- Quand tu dis qu'il ne parle pas, tu veux dire qu'il est muet ou qu'il n'a rien à dire ?

- L'est muet, Votre Majesté.

- En es-tu certain ?

 

Voinon lui jette un regard d'incompréhension. Calith se contente de lui sourire très légèrement en retour, attendant une réponse. S'il est rassuré par le fait que l'épisode, plus tôt, ne sera pas répété dans les dortoirs des esclaves, savoir que l'asservi est muet lui permettrait de mettre son idée en place.

 

- Vous allez voir.

 

Voinon se lève et trottine jusqu'à la porte qu'il ouvre brusquement. Il s'avance à peine dans le couloir et dit :

 

- Lanen, va chercher de la bière. Mais laisse-la sur le seuil de la porte et n'entre pas ici. Toi, le simplet, rentre.

 

Calith n'a guère le temps de prendre note de l'information : l'esclave qui s'occupe de son bain et ses habits depuis son arrivée s'appelle Lanen. C'est l'entrée du simplet, suivant de peu Voinon, qui accapare toute son attention. Dans la clarté des appartements royaux et à côté de son responsable, l'esclave semble grand, soudain, et particulièrement maigre. Dans l'attente de la preuve promise par Voinon, Calith continue son repas, observant l'homme défaire le pagne de l'esclave et lui ordonner de fermer les yeux, d'écarter les jambes et de ne plus bouger. Puis, d'un mouvement incroyablement rapide, Voinon s'empare de sa badine et assène un coup puissant sur l'entrejambe du simplet. La badine frappe l'endroit le plus sensible d'entre tous et résonne contre l'anneau en métal. Les yeux de l'esclave s'ouvrent brusquement, comme s'ils voulaient jaillir hors de leurs orbites, et ses lèvres se tordent dans un cri qui reste muet. D'un geste réflexe, le simplet porte ses mains à l'entrejambe avant de s'effondrer au sol.

 

- Je t'ai dit de ne pas bouger.

 

Calith avale de travers devant cette scène pour le moins inattendue. Mais Voinon n'est pas satisfait et abat sa badine, encore et encore, sur l'esclave qui se tort de douleur sur le luxueux tapis royal.

 

- Relève-toi, esclave !

- Arrête !

 

L'ordre du roi a claqué, sec comme un coup de fouet. Voinon se redresse enfin, s'éloigne de sa victime, les yeux brillants. Calith le toise, furieux d'avoir cautionné, sans le vouloir, cette débauche de violence. Prétendre être muet est un excellent alibi pour un espion, qui parvient ainsi à se faire oublier de tous. Mais aucun homme, même le plus endurant, ne pourrait supporter un tel coup dans laisser échapper ne serait-ce qu'un gémissement. Calith, rivé sur sa chaise, serre instinctivement les jambes, imaginant la douleur que subit l'esclave, piètre solidarité masculine. Et il s'en veut de ne pas avoir anticipé, de ne pas avoir vu venir Voinon et ses idées tordues. Ce dernier a le bon sens de paraître contrit, même si Calith n'est pas dupe. Voinon aime son travail et il aime faire régner la discipline dans ses rangs.

 

- Bien. C'était inutile d'employer de telles méthodes sur lui. Mais je suis convaincu. Il va rester ici jusqu'au dîner. Et à partir de ce jour, je veux qu'il m'apporte, tous les soirs, mon dîner. Il continuera dans la journée ses tâches ménagères. Fais le nécessaire pour prévenir qui de droit.

- A vos ordres, Votre Majesté.

- Tu peux y aller maintenant.

 

Voinon quitte la pièce, après une courbette, sans un regard pour l'esclave, resté prostré sur le sol, recroquevillé en position fœtale. Le roi reporte son attention sur son repas, mais toute faim l'a quitté. Repoussant son assiette, il s'approche de l'esclave, sans se baisser pour autant. Les plaies qu'il avait vu, lorsqu'ils l'ont sorti de sa cage dans la salle du bourreau, sont en train de cicatriser. Il n'y en a pas de récentes, à part celles, fraîches, de la badine, signe que Voinon ne le bat pas régulièrement. Calith enrage d'être la source de cette correction. Mais ce n'est qu'un excès de zèle du responsable des esclaves, soucieux d'apporter une preuve irréfutable à son souverain. Et Calith ne pouvait pas le réprimander devant l'esclave, au risque de lui faire perdre toute autorité.

 

- Tu restes ici jusqu'au dîner, que tu apporteras ici-même. Et tu débarrasseras le déjeuner.

 

Le roi, laissant l'esclave toujours prostré, se rend dans la salle d'eau pour se rincer les mains et le visage. Puis, mal à l'aise, laisse le simplet dans ses appartements et se rend dans son bureau.

 

 

 

 

 

Mais le bureau n'est pas désert et il surprend Elihus et Loundor dans une discussion passionnée. Les deux conseillers remarquent la mine contrariée du roi, mais n'en disent pas mot. S'il veut en parler, il le fera. Sinon... eh bien, ils ne lui tireront pas les vers du nez. S'installant derrière la large table qui fait office de bureau, Calith leur demande :

 

- Vous en avez appris plus sur le meurtre du baron ?

- Rien, rien du tout ! On ne peut même pas aller pisser en pleine tranquillement sans croiser quelqu'un, mais on peut aller assassiner un baron et rester invisible !

- Loundor !

- Fais pas ta mijaurée, Elihus. Calith a déjà entendu ce mot. Et même pire, il pisse, lui aussi. Laisse tomber la bienséance, on est entre nous.

 

Calith ne peut réprimer un sourire en voyant la mine déconfite d'Elihus, le sage Elihus qui n'emploie jamais ce genre de vocabulaire. Et Loundor d'afficher un sourire, toutes dents sorties, pour bien montrer à quel point il apprécie de bousculer ainsi son ami. Lequel, après un regard noir en direction du loup-garou, précise :

 

- Mes hommes n'ont pas encore interrogé tout le monde. Enfin, nous avons tout de même appris que l'arme utilisée est un rasoir. D'après le médecin, seul une lame de rasoir peur trancher si finement dans les chairs. Il m'a certifié qu'une dague aurait provoqué des blessures bien plus larges.

- Ce qui augmente le nombre de suspects.

 

L'affirmation de Loundor ne surprend personne, mais n'améliore pas l'atmosphère déjà tendue. Seuls les membres de la cour, les soldats et les conseillers possèdent des dagues. Les serviteurs et les esclaves n'en ont nul besoin, puisqu'ils n'ont pas à se défendre. Tandis qu'un rasoir... tous les hommes en ont un, et de ce fait, une femme peut y avoir accès. Les esclaves, eux, ont plusieurs rasoirs en commun, sous clef, qu'ils n'utilisent qu'à l'heure des ablutions. Il serait trop dangereux de les laisser avec un rasoir personnel à disposition.

 

- Quant à l'annonce, elle a été prise plutôt sereinement. Bien sûr, la cour est effondrée par la perte de leur cher baron, mais ils nous font confiance pour retrouver le coupable.

 

L'annonce ! Calith bondit hors de son fauteuil, se rappelant soudain qu'il avait dit à Elihus qu'il ferait une annonce, au déjeuner, pour informer les nobles de la mort de l'un des leurs. La voix d'Elihus, teintée de paternalisme, l'apaise :

 

- Rassieds-toi, mon grand. Quand j'ai vu que tu ne venais pas au déjeuner, j'ai envoyé Alima te chercher à la bibliothèque. Mais tu n'y étais pas, ni dans tes appartements d'ailleurs, alors j'ai pris l'initiative de faire moi-même l'annonce.

- Tu as bien fait, merci Elihus.

- Je t'en prie, c'est normal. J'ai pensé que tu étais absorbé par les dossiers.

 

Calith plonge son regard dans celui, amusé, de Loundor. Si le loup n'a rien dit à ce sujet, il n'en demeure pas moins attentif. Et digne de confiance. Quant à Elihus, il mérite parfaitement de connaître la vérité, d'autant qu'il sait parfaitement que Calith n'était pas absorbé par les dossiers. Ces deux hommes étaient les conseillers de son père, ont risqué leur vie pour le faire monter sur le trône. Ils méritent amplement de savoir.

 

- J'ai réglé l'histoire du bois, comme tu as dû le voir. Après, j'étais avec un esclave.

 

Devant leurs airs surpris, le roi hausse les épaules et poursuit :

 

- Autant que vous soyez au courant, si ça vient à se savoir. C'est l'asservi que nous avons retrouvé dans la salle du bourreau. Ça s'est passé dans la pièce spéciale des esclaves et il se trouve présentement dans mes appartements. J'ai demandé à Voinon que ce soit le simplet qui m'apporte désormais mes dîners.

- Est-il digne de confiance ?

 

La question d'Elihus est la seule remarque que les deux hommes se permettent. Leur roi est adulte, libre de faire ce qu'il veut avec qui il veut. Seule sa sécurité et son bonheur comptent à leurs yeux. Et pas forcément dans cet ordre.

 

- Il est muet.

- Vraiment ?

- Oui, vraiment. Voinon m'en a apporté la preuve en le frappant d'un coup de badine dans les parties. Et il n'a pas poussé un seul gémissement.

 

Les trois hommes gémissent de concert. Mais ils ont la preuve que l'esclave est bien muet et, après tout, ce n'est pas le premier, ni le dernier coup qu'il reçoit. Elihus poursuit ses questions :

 

- Il ne parlera pas de ce qu'il a vu ou entendu, certes, mais par écrit ?

- Elihus, pitié, c'est un esclave ! Il ne sait ni lire, ni écrire. Voinon m'a affirmé qu'il était très à l'écart des autres et qu'il ne partageait rien avec eux.

- Bien. De toute façon, tu seras marié à l'été, alors le problème sera vite résolu.

 

Elihus lui adresse un de ces sourires dont il a le secret, sourire impertinent qui signifie qu'il sait parfaitement que Calith n'apprécie pas cette idée mais qu'il n'aura pas le choix. Loundor, voyant les éclairs dans les yeux de son roi, coupe court à la discussion animée qui se profile.

 

- J'en étais sûr. Dès que je l'ai vu, à moitié crevé à tes pieds dans cette salle, j'ai su que tu allais t'intéresser à lui. Depuis gamin, tu adores t'occuper des chatons abandonnés et des oiseaux blessés. Mais c'est pas un animal, Calith, c'est un esclave. Ne t'attache pas trop à lui, il repartira de ta vie aussi vite qu'il y est rentré.

 

Le silence buté de Calith leur répond. Il déteste quand ils se liguent, tous les deux, pour lui dire ce qu'il doit faire et ce qu'il doit penser. Tout roi qu'il soit, il est libre. Alors il redresse la tête, une lueur de défi dans les yeux, et leur assène :

 

- Je prendrais du plaisir avec lui si j'en ai envie. Et vous n'avez pas votre mot à dire.

 

Aussitôt, Elihus et Loundor lèvent les mains en signe de reddition : ils connaissent bien trop leur souverain pour insister, ils savent que sa décision est prise.

 

 

 

 

 

Prudemment, Elihus revient sur des sujets moins sensibles : les dossiers qui s'empilent sur le bureau. Et dans la minute qui suit, Loundor leur annonce qu'il doit partir rejoindre ses soldats. Ce n'est pas une surprise, il déteste la paperasse.

 

Une paire d'heure se passe, rythmée par les résumés d'Elihus et les décisions de Calith. Jusqu'à ce que, enfin, les couloirs résonnent des pas des dîneurs et qu'une odeur alléchante s'infiltre jusque dans le bureau. Calith jaillit d'un bond hors de son siège, laissant Elihus pantois. Et sur le visage du conseiller se dessine un sourire amusé. Il a compris, l'esclave qui attend dans les appartements requiert bien plus l'attention du roi que les dossiers urgents. Comment lui en vouloir ?

 

D'un signe de la tête, Elihus approuve le départ de Calith, qui ne se prive pas pour disparaître aussitôt. Direction ses appartements. C'est aussitôt le branlebas de combat, pour les deux esclaves présents : Lanen se précipite pour préparer le bain tandis que le simplet disparaît pour aller chercher le dîner. Et ils sont efficaces : Calith a tout juste le temps de s'asseoir dans son fauteuil pour regarder le soleil glisser derrière l'horizon et se perdre dans ses pensées que son bain est prêt et le dîner monté.