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Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 17-06-2013 à 09:17:52

Pieveth, Chapitre 8

 

 

 

 

Calith se redresse brusquement, tous les sens en alerte. Le Général a déjà attrapé un simple pantalon et une chemise en lin, qu'il jette à son roi.

 

- Habille-toi et suis-moi.

 

Calith ne se le fait pas répéter deux fois. Ses vêtements enfilés, il passe une ceinture où il fixe sa dague, au cas où, malgré le regard dédaigneux du Général. Calith se sait en sécurité avec lui, mais la présence de son arme le rassure. Sans échanger un seul mot supplémentaire, ils quittent les appartements royaux et s'engagent dans les couloirs. Les domestiques et les esclaves commencent tout juste à s'affairer. Loundor ne lâche pas un mot, peu désireux d'aborder le sujet qui les préoccupe au beau milieu des corridors. Calith, lui, est plongé dans ses pensées : ce nouveau meurtre va jeter de l'huile sur le feu. Et convaincre Elihus de ne pas trouver un coupable monté de toutes pièces va s'avérer être une véritable gageure.

 

Croisant sans le voir le simplet, il avance à la suite du Général jusqu'aux appartements privés du Duc de Peliel. Calith les connaît bien, car il venait, tout jeune, jouer avec Evan, le fils du Duc, un garçon à peine plus âgé que lui. Evan a changé de vie, parti à l'autre bout du continent pour suivre une horde de bandits de grands chemins qui sèment la terreur partout où ils passent. Nul n'ose plus prononcer ce prénom, depuis. Son père souffre bien trop de cette trahison. Les lourdes tentures masquent les premières lueurs du jour, donnant au lieu une atmosphère confinée, oppressante. L'odeur du sang, omniprésente, écœurante prend à la gorge. Et le cadavre pose la touche finale de ce tableau sordide.

 

Le Duc de Péliel était plutôt bel homme et prenait soin de sa personne. Mince, bien conservé malgré la cinquantaine vieillissante, il avait encore beaucoup de succès auprès des femmes de la cour. Désormais, il repose, les poignets solidement ligotés aux accoudoirs d'un fauteuil, la gorge béante. De son vivant, semble-t-il, il a passé ses jambes au dessus de ses avant-bras, de sorte que la pliure de ses genoux repose sur les entraves des poignets. Là encore, une solide corde l'a empêché de se débattre quand l'assassin l'a castré. Son entrejambe, mis en évidence par la posture du corps, n'est plus qu'une plaie sanglante. Du sang a coulé, en très grande quantité. Détournant les yeux de ce spectacle insoutenable, Calith reporte son attention sur le visage du mort. Ses yeux, grands ouverts, reflètent une terreur et une douleur indicibles. Dans la bouche, une serviette en tissu a empêché la victime de crier.

 

Déglutissant bruyamment, Calith observe le reste des appartements. Et remarque, enfin, la présence discrète d'un Elihus au teint blafard. Ils se saluent d'un rapide geste de la tête puis reportent leur attention sur Loundor, qui leur explique :

 

- C'est l'esclave chargée d'allumer la cheminée qui l'a trouvé. Elle a tout de suite été prévenir l'un des gardes du château. Je ne peux pas trop m'avancer, c'est pas ma spécialité, mais il semble qu'il est mort au milieu de la nuit. Ce dont je suis sûr, par contre, c'est que l'assassin est resté longtemps dans la pièce. Une partie du sang, à l'entrejambe, a commencé à sécher. A la gorge, le sang est plus frais. Je pense que l'assassin l'a forcé à prendre cette position humiliante, l'a castré, puis a patiemment attendu en regardant souffrir sa victime. Il lui a peut-être soutiré des informations, mais ça me paraît improbable, à cause du bâillon. Puis le meurtrier s'est lassé, ou a entendu un bruit dans les couloirs, ou devait partir, ou que-sais-je encore. Alors il l'a achevé en l'égorgeant.

 

La voix de Loundor est calme et posée. Les visages d'Elihus et Calith se décomposent à mesure que l'horreur leur ait dessinée. Et c'est d'une voix peu assurée que le roi demande :

 

- Si l'assassin est resté longtemps, tu devrais sentir son odeur, non ?

- Non. Le duc faisait brûler beaucoup d'encens, ici, ne supportant pas les odeurs. Et ça brouille mon odorat. J'arrive à percevoir qu'une femme est venue ici, sans doute l'esclave de ce matin, mais pas grand chose d'autre.

- Et elle n'a rien vu ?

- Rien d'autre que le corps.

- Bien. Qu'on enlève le corps et qu'on le rapatrie aux temples. On va poursuivre cette conversation dans mon bureau.

 

Les bruits d'agitation, dans le couloir, forcent les trois hommes à quitter les lieux rapidement. Essayant d'empêcher la foule de serviteurs rassemblée derrière la porte de se ruer dans la pièce, ils referment la porte à clef. S'adressant discrètement au garde posté non loin, Loundor lui ordonne de veiller à ce que personne d'autres que deux esclaves, chargés d'emmener le corps, ne rentre dans la pièce.

 

 

 

 

Arrivés dans le bureau royal, ils s'installent en silence. Loundor demande à Alima de faire apporter le petit-déjeuner, même si ni Elihus ni Calith ne semblent avoir le moindre appétit. C'est le conseiller qui parle en premier des questions qui le hantent :

 

- Pourquoi les avoir tué ? Et où cela va-t-il s'arrêter ?

 

Un silence maussade lui répond. Ils sont parfaitement conscients que la donne vient de changer. Calith, sans s'aventurer à répondre à Elihus, poursuit ses pensées à voix haute.

 

- Il va falloir l'annoncer à la cour. Les esclaves ont déjà tout raconté à qui veut l'entendre. Mais cette fois, les nobles ne se contenteront pas d'un ''l'enquête est en cours''. Ils vont s'affoler pour de bon.

- Je vais faire doubler la garde dans le château. Je peux mettre mes soldats en poste dans l'aile ouest, c'est là qu'il y a le plus de nobles.

- Merci Loundor. Et fais interroger tous les gens qui gravitaient autour du duc.

- Bien sûr. On doit absolument comprendre pourquoi on les a tué.

 

Un esclave frappe doucement à la porte, avant d'entrer, porteur d'un lourd plateau surchargé de nourriture. Sans surprise, seul le loup-garou fait honneur au repas et mange avec appétit les trois portions. Le cœur a bord des lèvres, Calith le regarde puis déclare :

 

- Je veux être informé à chaque nouvel élément, Loundor. Elihus, je ne m'occuperai d'aucun dossier ce matin. Je vais aller faire un tour, je serai de retour pour le déjeuner. Je m'occuperai de l'annonce.

- Où tu veux aller ?

- Aucune idée. Je veux juste aller prendre l'air.

- Je t'envoie quelqu'un pour t'accompagner.

- Non.

 

Le ton est ferme, la réponse, définitive. Calith se lève sous le regard perplexe de ses conseillers et quitte son bureau. Il étouffe, entre ces murs qu'il n'a quasiment pas quitté depuis dix jours. Il passe dans ses appartements pour enfiler des vêtements plus chauds mais toujours décontractés, qui siéent fort peu à un roi, il traverse les couloirs d'un pas énergique, comme s'il savait où il allait. Ces même pas, qui le conduisent directement aux écuries. A sa demande, un palefrenier selle un magnifique cheval d'un blanc immaculé.

Il sait bien qu'il aurait dû rester et affronter la tempête mais il ne se sentait tout simplement pas capable de rester assis, dans son bureau, à attendre qu'on lui apprenne quelque chose. Il n'a pas la tête à s'occuper des dossiers. Et être suspendu au moindre rapport de garde l'aurait rendu fou. Ça ne peut pas être une coïncidence. Deux meurtres, à trois jours d'intervalle, c'est forcément le même coupable. D'autant que la manière de procéder est étrange ressemblante. Alors qui en veut aux nobles ? Pourquoi les a-t-on tué dans ces conditions ?

 

Quelques minutes plus tard, sa monture sellée, le roi a quitté l'enceinte du château et galope le long des champs endormis. Un vent glacial lui fouette le visage et ses doigts s'engourdissent autour des rênes. L'hiver ne fait que commencer, mais il est déjà offensif.

La vitesse lui donne l'impression de laisser tous ces soucis derrière lui, comme s'il les semait aux quatre vents. Toute son attention se porte sur la cadence des sabots qui frappent violemment le sol, sur l'enivrante sensation de liberté. Il ne fait plus qu'un avec le cheval. Plus rien d'autre n'existe.

 

 

 

 

 

Il se sent mieux, lorsqu'il revient au château, une paire d'heures plus tard. Comme si les problèmes qu'il a semé au vent, plus tôt, avaient laissé place à des idées nouvelles, plusieurs théories ont vu le jour dans son esprit. Il sent fort le cheval, quand il pénètre dans son bureau, et fait grimacer Loundor. Loundor, toujours présent en compagnie d'Elihus. Et ils semblent avoir de bonnes nouvelles.

 

- On avance, Majesté, on avance !

- Dites-moi tout.

- Les serviteurs et esclaves n'ont rien vu, ni rien entendu d'inhabituel cette nuit. Le duc a l'habitude de les renvoyer pour la nuit. Et pas forcément pour rester seul. Il a fait mandé une esclave, pour la soirée.

- Tu l'as interrogée, Loundor ?

- Non, pas encore. Elle est introuvable.

 

Un sourire effleure les lèvres du roi. Elihus, silencieux, partage le même soulagement.

 

- Aurait-elle quelque chose à se reprocher ?

- Nous le saurons dès que nous aurons remis la main dessus. Et crois-moi, elle ne nous échappera pas.

- Tu as toute ma confiance. Vous avez appris autre chose ?

- C'est encore un rasoir qui a tué le duc. Et devine !

- C'est le propre rasoir du duc ?

- Exactement ! L'assassin est intelligent. Il sait que c'est trop dangereux de se promener avec ça dans les poches.

- Tu penses que ça pourrait être un professionnel ?

 

Elihus lève de sa paperasse un regard intéressé. Loundor, lui, chargé de répondre, grimace :

 

- C'est quelqu'un qui vit au château, c'est sûr et certain. Les gardes sont très stricts à ce sujet : depuis ton couronnement, il faut montrer patte blanche pour franchir les murs. Et les odeurs qui imprégnaient la chambre du baron de Beoan m'étaient toutes plus ou moins familières. Après, que quelqu'un se soit fait engagé au château comme serviteur, qu'il ait investit les lieux comme représentant de corps de métier ou courtisan, c'est possible. Mais ça signifie que ça a été planifié longtemps à l'avance. Mais les amis proches du duc, ses conseillers ou ses serviteurs le suivent depuis des années, j'ai fait vérifier. Ça m'étonnerait que l'assassin passe des années à rôder autour de ses victimes pour deux meurtres. Et puis, un assassin professionnel tue rapidement et discrètement. Il ne reste pas à regarder sa victime se vider de son sang pendant des heures.

- En parlant de sang, le meurtrier devait en être recouvert, non ?

- Pas forcément. Dans le cas du duc, s'il s'est mis derrière le fauteuil pour l'égorger, il n'a pas dû recevoir beaucoup de sang sur lui.

- Mais il a quand même dû en avoir quelques traces.

- Forcément.

- A-t-on retrouvé des tissus souillés ou des bassines d'eau ayant servi à se débarrasser du sang ?

- Non, rien.

- Alors l'assassin repart tâché de sang ?

- Aucune idée. Faut creuser de ce côté.

 

Calith se frotte doucement les paupières, débordé par ce mystère qui semble insoluble. Un autre détail sordide le trouble alors il demande :

 

- L'entrejambe des deux victimes a été tranché. Mais on n'a pas retrouvé … ahem... les parties manquantes, si ?

- Non, rien du tout. Les appartements ont été fouillés de fond en comble. Rien dans la cheminée, rien dans les latrines, rien de dissimulé.

- L'assassin serait parti avec ?

 

Elihus, pâle comme un mort, quitte précipitamment la pièce, une main sur la bouche. Gêné, Calith passe une main nerveuse dans ses cheveux hirsutes. Loundor lui sourit et répond :

 

- C'est quasiment sûr. Reste à savoir comment il s'y est pris, et ce qu'il en a fait. Ou alors, il les a mangées.

 

C'est au tour de Calith, d'être pris de nausées. Mais Loundor n'en a pas terminé :

 

- A moins qu'il ait forcé les victimes à les manger. Ces deux meurtres semblent être une affaire de vengeance. L'assassin ne les a pas tué pour leur voler quelque chose ni pour hériter. Il prend son temps pour les tuer, pour les faire souffrir. A mon avis, il veut leur faire payer quelque chose. Qu'est ce que tu en penses ?

 

Le roi a toutes les peines du monde pour répondre. Loundor parle de ces actes de manière détachée, habitué qu'il est aux combats et aux blessures. Mais Calith a beaucoup d'imagination, et les quelques mots prononcés lui ont suffit pour qu'il imagine la scène nettement, comme s'il y était. Après quelques minutes, il parvient enfin à marmonner :

 

- Je pense la même chose que toi. Ça n'a pas l'air politique ni intéressé. J'avais pensé, d'ailleurs, à cette histoire de vengeance. Le fils de Peliel a jeté la disgrâce sur la famille, en s'entichant d'une bande de hors-la-loi . N'y avait-il pas eu un scandale, avec le fils de Beoan ?

- Personne n'en a parlé à mes hommes.

- Personne ne parle jamais du fils de Peliel. Faudrait demander à Elihus, il se souvient de tout.

- Oui ?

 

Elihus, justement, vient tout juste de revenir dans le bureau, toujours aussi blême. Lui adressant un sourire compatissant, Calith répète sa question et d'une voix vacillante, le conseiller répond :

 

- Il me semble que si. L'un de ses fils, fiancé, a été retrouvé mort dans un bouge innommable, alors qu'il venait de passer du bon temps en galante compagnie. Enfin, si on peut appeler galante compagnie ces bonnes femmes qui ont vu passer la moitié de Pieveth entre leurs jambes.

 

Loundor et Calith se regardent, stupéfiés par la remarque du conseiller, si peu convenable dans sa bouche. Venant de Loundor, elle aurait fait rire le roi. Mais venant d'Elihus...

 

- Bien, il est l'heure d'aller faire l'annonce, Calith. Je ne t'accompagne pas, je préfère rester ici.

- Comme tu voudras, Elihus. Je devrais m'en sortir seul. Loundor, je compte sur toi pour éclaircir cette histoire d'enfants. Punir ceux qu'il estime responsables par l'endroit où ils ont pêché pourrait être une motivation du tueur. Et préviens-moi dès que tu en sais plus sur l'esclave qui a disparu.

- Bien Majesté.

 

Calith se lève d'un mouvement déterminé. Il redoute l'instant où, face à la cour réunie, il devra leur annoncer le meurtre. Mais il sait parfaitement qu'il est impossible de taire une telle affaire. Alors qu'il se dirige vers la porte, Elihus l'interrompt :

 

- Tu ne vas tout de même pas te présenter à eux de cette manière ?

 

Poussant un soupir interminable, Calith hoche la tête en guise de remerciement. Effectivement, il allait se présenter dans sa tenue décontractée, embaumant encore le cheval. Il passe par ses appartements, où Lanen a préparé, sans doute sur ordre d'Alima, une veste noire brodée de fils d'argents et un ample pantalon noir. Quant au bottes poussiéreuses, et pourtant si confortables, Calith se résigne à les laisser dans ses appartements et à chausser d'autres bottes.

 

 

 

 

 

Le brouhaha des conversations résonne entre les hautes colonnes de marbre blanc lorsqu'il fait son entrée. Ces évènements monopolisent toute l'attention de la cour, et Calith est persuadé qu'au milieu de ces respectables personnes se trouvent des gens pour être excités par la situation. Effrayés, certes, mais particulièrement excités à l'idée qu'un tueur rôde entre les murs. Quels potins formidables ils peuvent en tirer !

 

C'est donc le visage fermé, rendu plus dur encore par ses habits noirs, que Calith monte deux des cinq marches de l'escalier menant au trône. Il se tourne vers la foule assemblée tandis que le silence se fait progressivement. Et d'une voix forte, il déclare :

 

- Je vous remercie d'être présents. Comme vous devez le savoir, le Duc de Peliel a été découvert, très tôt ce matin, décédé dans ses appartements. La cause de la mort n'est ni naturelle, ni accidentelle. Nous menons...

 

Les exclamations et les réactions indignés l'empêchent de poursuivre. Il patiente une poignée de secondes avant de reprendre :

 

- Nous menons bien évidement l'enquête pour savoir qui se cache derrière ce meurtre. Nous avons toutes les raisons de croire qu'il s'agit de la même personne que celle qui a tué le baron de Beoan. Votre sécurité est notre priorité : nous avons renforcé le nombre de gardes et nous faisons tout pour retrouver l'assassin. Si vous avez des informations, n'hésitez pas à prendre contact avec l'un des colonels de notre armée. Vous serez écoutés et le Général Loundor me transmettra les éléments. Sauf cas d'urgence, nous vous demandons de rester dans l'enceinte de la muraille. Je vous souhaite une bonne fin de journée.

 

Plusieurs nobles et représentants lui posent, en même temps, différentes questions. Mais l'arrivée de Loundor requiert toute l'attention du roi, qui s'approche de lui, soulagé d'esquiver l'interrogatoire.

 

- Nous avons retrouvé l'esclave.