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Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 19-06-2013 à 09:57:42

Pieveth, Chapitre 10

 

 

Personne ne le réveille en sursaut, le lendemain matin. Il ne sort de sa léthargie que lorsque les rayons du soleil viennent se poser sur ses paupières closes. La matinée est déjà bien avancée. Ses appartements sont déserts. Il passe à la salle d'eau pour un rapide débarbouillage matinal, puis s'habille seul, sobrement. Sans hésiter, il quitte sa chambre pour rejoindre les cuisines, en pleine effervescence. Et leur demande, simplement, une miche de pain, un peu de beurre, et des pommes. Emportant son précieux butin, il quitte le château par la grande porte nord. Face à lui, derrière quelques champs, la forêt des loups-garous, cernée par son imposante clôture. Une enceinte qui préserve le territoire des loups tout en garantissant la sécurité des habitants du château.

 

Il esquisse un sourire, savourant le calme matinal. Et d'un pas décidé, se rend non loin de là, le long de la falaise. Un étroit sentier descend le long de la paroi rocheuse, abrupt. Dix mètres plus loin, un renfoncement, presque semblable à une grotte, offre un abri idéal. Et une vue à couper le souffle.

Face à lui s'étendent les immenses territoires Fargues et Mevraux. Deux royaumes qu'il connait, depuis sa plus tendre enfance, pour les voir côtoyer ses frontières, sur les cartes. Deux royaumes où il n'a jamais mis les pieds, où il ne connaît même pas le nom du roi. Car la falaise est haute d'une demie-lieue. Les arbres qui bordent la paroi escarpée, là-bas, tout en bas, sont si petits qu'on les distingue à peine. Et aucune route, aucun sentier, rien ne permet de rejoindre l'autre royaume. Il faut donc longer la falaise sur des centaines de lieues avant que le relief ne s'adoucisse. Rendre une visite de courtoisie à ses voisin lui prendrait, au bas mot, deux ans.

 

Mais la vue est si dégagée, de cette petite grotte, qu'il peut voir à une distance faramineuse. Le bout du monde est le seul horizon. Et peu de personnes connaissent l'existence d'un tel renfoncement. Encore moins s'y risquent pour profiter du paysage.

Mais quand on est hanté par ses actions, traqué par un échec, terrifié à l'idée d'assumer des responsabilités si lourdes qu'elles font tituber, on y vient. Et avec plaisir encore.

Calith prend son petit-déjeuner déjeuner éloigné de tout être humain, admirant le vol des rapaces. Profitant du calme surnaturel qui règne.

 

Il va devoir parler à Voinon, pour que le simplet n'ait plus à balayer les couloirs des geôles. C'est cruel, de l'envoyer là-bas, où il a passé tant de temps dans des conditions inimaginables. Le simplet, qui n'a de simplet que le surnom. Qui a tant été malmené, hier au soir. Et depuis qu'il est rentré à son service, Calith ne l'a jamais libéré de son anneau. Il ne le réalise que maintenant, mais son comportement était d'un égoïsme honteux. Ce soir, il ne lui fera pas d'excuses, bien sûr que non, il ne peut pas se le permettre. Mais il le libèrera de cet anneau. Et fera preuve de douceur. Il pensera au plaisir de l'esclave avant le sien. Un moyen pour se faire pardonner.

 

Un autre moyen de se faire pardonner sera d'aller voir Elihus et de trancher sur toutes les problématiques qu'il lui soumettra. Il ne peut pas le laisser plus longtemps dans cette situation.

Enfin, il ira voir Loundor, voir s'il en a appris plus sur les meurtres. Et ils s'entraîneront ensemble.

Le froid est vivifiant, les lourds nuages gris menaçants. Une journée parfaite pour se reprendre et repartir sur de bonnes bases. Satisfait de ses nouvelles résolutions, il s'extirpe de la grotte et regagne le plateau. Où un garde l'attend, visiblement frigorifié.

 

C'est un tout jeune homme, qui tape des pieds sur le sol pour se réchauffer. Et qui se fige, intimidé, en voyant son roi surgir du vide. Il lui adresse un sourire crispé avant de le saluer. Salut que lui renvoie, d'une voix douce et d'un sourire rassurant, Calith. Puis, comme son regard se fait interrogateur, le garde lui explique :

 

- On vous cherchait, dans le château. Mais le Général savait que vous seriez ici, il m'a ordonné d'attendre que vous ayez terminé et de vous escorter jusqu'à votre bureau.

- Il a peur que je m'enfuie ?

 

Le garde esquisse un sourire amusé avant de se reprendre. Il cherche visiblement une réponse adaptée et ne peut que bredouiller des morceaux de phrases incompréhensibles. Donnant une tape amicale sur l'épaule du jeune homme, Calith lui dit :

 

- Allons-y alors. Je te suis.

 

Le silence se fait pesant quand ils empruntent le sentier qui traverse les champs nus. Alors Calith se charge de la conversation.

 

- Ça fait longtemps que tu es dans la garde ?

- Deux ans, Votre Maltes... Euh... Votre Altjesté...

 

Un éclat de rire salue ce bafouillage. Le garde s'empourpre et n'ose plus rien dire. Alors le roi reprend :

 

- J'ai compris l'idée, ne t'inquiète pas. Alors tu t'es engagé sous le règne de Lombeth ?

- Oui mais c'était pas pour lui. J'ai jamais voulu le servir, lui. Mais on n'avait pas le choix, fallait s'enrôler. Et puis, j'étais sûr d'avoir une solde. Pour ma famille, vous voyez, Votre Maltej...

- Je vois, je vois. Ne sois pas si nerveux, va.

- C'est-à-dire que le Général ne m'avait pas prévenu qu'on parlerait.

- C'est si terrible que ça ?

- Oh non non ! Bien sûr que non ! C'est juste qu'il ne m'avait pas prévenu.

- Ta famille vit dans l'enceinte de la muraille ?

 

Le visage du garde se ferme soudainement. Il n'y a plus de nervosité quand il répond, juste de la colère.

 

- Ma solde n'a pas suffit, l'hiver dernier. Avec la famine, les prix sont montés en flèche. J'ai rien pu faire pour les sauver.

- J'en suis désolé.

 

Ils ont traversé rapidement les champs et les couloirs. C'est au tour du roi, d'être gêné. Alors quand ils arrivent devant la porte de son bureau, il arrête le garde d'une main sur le bras et lui demande :

 

- Comment tu t'appelles ?

- Jérémias, Votre Majesté.

- Bien. Merci pour cette conversation, Jérémias.

 

Le rose aux joues, le garde hoche simplement la tête en guise de remerciement. Et regarde le roi entrer dans son bureau, un sourire béat aux lèvres.

 

 

 

 

Calith va s'asseoir dans son fauteuil, sous le regard sévère d'Elihus. Il se contente d'une simple salutation avant de rentrer dans le vif du sujet :

 

- Où en sont les affaires courantes ?

 

Les lèvres pincées du conseiller, signe de sa contrariété à voir disparaître son roi, se détendent dans un sourire. Il incline légèrement la tête et entreprend de résumer les dossiers qu'il a traité la veille et sans doute pendant une partie de la nuit. Calith se fie complètement à son jugement et va dans son sens au moment d'apposer le sceau royal sur les décrets et sur les annonces publiques.

 

Un grondement sourd de son estomac lui annonce qu'il est l'heure de déjeuner. Les dossiers en cours sont réglés. Elihus le remercie avant de l'autoriser à aller manger. Sans trop de culpabilité, sachant tout l'amour que porte Elihus au tas de papiers noircis d'encre, Calith quitte le bureau. Direction les cuisines. Mais il s'arrête avant.

 

Il entre dans le réfectoire des esclaves, trop petit pour la soixantaine qu'ils sont, déclenchant un mouvement de panique. Tous les asservis de lèvent, laissant retomber leurs couverts dans un fracas infernal, pour saluer comme il se doit le roi. Seul, tout au fond et un peu à l'écart, le simplet prend le temps de d'avaler une cuillerée supplémentaire avant d'imiter ses condisciples. Comme si sa pitance allait disparaître. D'un geste de la main, le roi les invite à reprendre leur repas. Il suit du regard le simplet, qui se rue sur son écuelle et dévore comme s'il était affamé. Détournant les yeux de ce spectacle qui lui noue le ventre, Calith concentre son attention sur Alima et Voinon, figés debout, dans un angle de la pièce. Par leur présence, ils veillent à ce que la collation se déroule bien, qu'il n'y ait ni bagarres, ni vols de nourriture. C'est aussi l'occasion de faire le point sur le travail effectué dans la matinée. Voinon effectue une petite courbette avant de saluer le roi. Puis il lâche :

 

- Je n'avais pas été prévenu de votre visite, Votre Majesté.

- Personne n'était au courant.

- Nous sommes honorés de votre présence ici.

- Hum. J'ai vu le simplet, hier, nettoyer les couloirs des geôles. Je ne veux plus qu'il travaille là-bas. D'ailleurs, pourquoi lui avoir confié ces lieux ?

- Ces couloirs sont à entretenir également, Votre Altesse. Et c'est son rôle.

- Mais il n'est pas le seul à le faire. Après ce qu'il a vécu là-bas, c'est inutile de le faire revenir.

- Sauf votre respect, Sire, ce n'est qu'un esclave. Il doit s'adapter.

- Je ne veux plus qu'il travaille là-bas. Et c'est un ordre.

- A vos ordre, Votre Majesté.

 

Puis, se tournant vers Alima, il lui ordonne :

 

- Pour ce soir, je veux que le simplet monte deux dîners dans mes appartements.

- A vos ordres, Votre Majesté.

 

La jeune femme, bien plus maline, ne cherche pas discuter ni à faire preuve de curiosité. Elle se contente d'une courbette. Satisfait, Calith se détourne d'eux, leur souhaitant une bonne fin de journée, et va chercher son repas en cuisine.

Là encore, il déclenche une vague de panique, le Chef de cuisine ne voyant pas d'un très bon oeil cette habitude qu'a prise le souverain d'aller se servir directement à la source. Mais il sert son roi copieusement et le laisse repartir les mains chargées.

C'est sur la salle des officiers qu'il jette son dévolu et qu'il s'installe pour déjeuner en paix. Par miracle, la pièce est déserte. Sauf qu'il a à peine le temps de savourer son entrée qu'un grondement lui annonce l'arrivée du Général.

 

- Il me semblait bien, que ça sentait fichtrement bon, par ici.

 

Sans faire plus de manières, Loundor s'installe à côté de son roi et lorgne le plateau chargé de nourriture. D'un geste protecteur, Calith rapproche le plateau de lui. Et demande :

 

- Tu as déjà mangé, non ?

- Oui. Mais si je m'écoutais, je passerais plus de temps à manger qu'à dormir.

- Tu n'as pas l'air famélique, pourtant !

 

Un léger rire secoue le Général, qui se garde bien de répondre. Il y a trop de personnes faméliques, dans l'enceinte des murailles, pour qu'ils plaisantent plus à ce sujet. Alors il change de sujet sans trop de subtilité :

 

- L'enquête sur les meurtres avance un peu.

- Bien ! Qu'as-tu découvert ?

- Bon, pas grand chose. Nous avons fini d'interroger les personnes qui connaissaient le duc de Peliel. Mais ça ne nous a rien appris de plus que ce qu'on savait déjà.

- C'est incroyable. Ils se côtoyaient depuis des années mais, à l'heure de sa mort, aucun d'eux de ne peut rien dire à son sujet.

- Les joies de la cour. Ils se connaissent, se fréquentent, mais au final, ils ne sont pas amis. Le duc, tout comme le baron, étaient finalement très seuls.

- Et du côté des conquêtes ?

- Sans grande surprise, on a appris qu'il était un homme à femme. En dehors d'Azhel, plusieurs jeunes femmes venaient le voir, dans la soirée. Certaines vivent au château, d'autres viennent de l'extérieur.

- Des filles de joie ?

- De luxe, oui.

- Est-ce que ça pourrait être un mobile pour les meurtres ?

- Ça pourrait. Sauf que le baron de Beoan était bien plus calme, à ce sujet.

- Et du côté de leur descendance ?

- Elihus a une excellente mémoire. Le fils de Beoan a bien été retrouvé mort dans un bouge, alors qu'il venait à peine de se fiancer.

- L'assassin voudrait-il les punir pour avoir sali l'image respectable de la noblesse ?

- C'est un peu tiré par les cheveux, si tu veux mon avis. Mais c'est possible.

- Autre chose ?

- Oui. Le médecin qui a préparé le corps a découvert la marque d'une corde à l'entrejambe du duc. Ce qui répondrait à ta question, hier, concernant le sang. Si l'assassin a fait un garrot avant de l'émasculer, il n'a pas dû recevoir beaucoup de sang sur lui.

- Mais il n'avait pas vu ça, quand il a nettoyé le corps du baron ?

- Non. Peut-être que l'assassin ne l'a fait que sur le duc. Qu'il a tiré des leçons de son erreur précédente.

- Mais l'assassin a eu besoin de cordes. Est-ce qu'on t'a signalé des vols ou disparition de corde ?

- Non. Je vais mettre un homme sur le sujet. Mais avec ton arrivée au pouvoir, beaucoup de choses ont été chamboulées. Je ne sais pas si quelques mètres de cordes manquants aurait été remarqués.

- On peut bien essayer. Autre chose ?

- Non.

 

Ils s'échangent un long regard, qui en dit plus que tous les mots sur leur désarroi face à ce mystère. D'un commun accord, ils délaissent le repas pour aller s'entraîner. Et c'est finalement durant tout l'après-midi que Calith échange des passes d'armes avec le Général, mais également avec les soldats, suivant un entraînement quasi similaire au leur.

A bout de force, le corps contusionné de toutes parts, il regagne, chancelant, ses appartements.

 

 

 

 

Lanen a préparé un bain à la bourrache et au thym, sans doute au courant des efforts physiques de son roi. Ces herbes aident à décontracter les muscles et sentent bon. C'est donc avec un plaisir non dissimulé que Calith se glisse dans l'eau chaude et profite des bienfaits des plantes.

 

Lorsqu'il sort de la baignoire, une fois habillé, il renvoie Lanen dans les dortoirs des esclaves. Seul reste le simplet, qui a apporté, comme l'a demandé Calith, deux repas sur le lourd plateau. Il semble d'ailleurs attendre l'invité du roi, tournant et virant entre la porte et la table.

Calith le regarde s'agiter, un léger sourire aux lèvres, avant de lui dire, d'une voix douce :

 

- Allez, viens t'asseoir.