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Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 20-06-2013 à 15:47:21

Pieveth, Chapitre 11

 

 

 

 

 

Le simplet se fige et le dévisage. Il croise le regard du roi une fraction de seconde, avant de se ressaisir et de détourner les yeux. Juste assez longtemps pour que Calith ait l'impression de se noyer dans un lac au beau milieu de la nuit.

 

Mais l'esclave, s'il a arrêté de faire les cents pas, n'obéit pas pour autant. Il semble indécis et nerveux. La situation, trop étrange, le perturbe. Alors Calith répète, d'une voix toujours aussi douce :

 

- Tu as bien compris. Viens t'asseoir en face de moi.

 

Le simplet regarde autour de lui, comme s'il s'attendait à ce que quelqu'un jaillisse de derrière les rideaux ou de derrière un fauteuil et s'esclaffe, déclarant que c'était une bien bonne blague. Ou peut-être qu'il cherche la personne à qui s'adresse le roi.

 

- Ne me fais pas répéter une troisième fois.

 

Le ton légèrement menaçant du roi le fait enfin réagir. Il s'approche pourtant lentement de la chaise, qu'il tire avec précaution. Et s'assoit, du bout des fesses, sur l'assise confortable. Mais il garde les yeux rivés sur le plateau de la table, les mains sur les genoux. Patiemment, Calith prend l'une des écuelles fumantes qui sent bon le ragoût de porc aux épices, et la dépose devant l'esclave. Ce dernier ferme les yeux, comme s'il résistait à la tentation, et reste immobile. Alors, toujours de sa voix la plus douce, le roi lui dit :

 

- Ce n'est pas un test. C'est pour toi. Mange.

 

Pour la toute première fois, l'esclave croise le regard du roi. Et il sonde, sans retenue, son âme. Il cherche à déceler la moquerie, la cruauté, le revirement de situation qui viendra à un moment ou à un autre, il en est persuadé. Quand l'écuelle s'éloignera de lui dans un éclat de rire méchant. Mais il ne lit, dans ce regard, que de la gentillesse. Alors lentement, comme pour lui laisser le temps de changer d'avis, il prend la cuillère en bois, à l'affut de la réaction de son souverain. Il prend un morceau de viande, souffle dessus pour le refroidir. Calith ne le quitte pas des yeux, lui non plus, et l'encourage d'un sourire. Il l'observe goûter une première bouchée, fermer les yeux d'extase, le regarder, une dernière fois, pour s'assurer que ce n'est pas un traquenard. Puis dévorer son plat, comme si on allait lui enlever d'une minute à l'autre.

 

- Doucement ! On a toute la soirée.

 

L'esclave fait un effort visible pour se refréner. Il semble alors savourer chaque morceau de viande. Calith mange en même temps que lui, dans le silence le plus complet. Seule la cheminée crépite joyeusement, apportant une douce chaleur. L'absence de paroles est apaisante et voir l'esclave se régaler est un plaisir pour Calith.

Les portions royales sont toujours plus que généreuses, le cuisinier estimant, sans doute, qu'il vaut mieux des restes dans l'assiette qu'un roi qui n'a pas suffisamment mangé. Et si Calith peine à finir sa part, rassasié, l'esclave, lui n'en laisse pas une miette et prend un morceau de pain pour saucer la moindre parcelle de jus qui pourrait rester. Souriant, Calith lui demande :

 

- Tu as aimé ?

 

Un mouvement de tête véhément lui répond par l'affirmative. Calith se lève et va se rincer les mains et la bouche, suivi comme son ombre par le simplet, qui l'imite dès que la place devant la bassine est libre. Ils se retrouvent, sans que le roi n'ait rien eu à dire, devant le lit imposant. D'un geste doux, le roi défait le pagne qui enserre les hanches de son esclave. Délicatement, il se saisit de son sexe et murmure l'incantation qui le délivre. D'un geste de la main il lui désigne le lit. Servile, le simplet s'exécute et va s'allonger sur le ventre, comme la veille.

 

- Non, mets-toi sur le dos.

 

Calith le rejoint alors sur le matelas, s'allonge à ses côtés. D'une main légère, il lui dessine des arabesques sur le ventre, avant de s'approcher, lentement, de son sexe. Et tout en douceur, il le caresse. Mais l'esclave semble mal à l'aise et ne réagit pas au frôlement. Les yeux rivés sur la tenture du lit à baldaquin, il semble lutter pour empêcher ses membres de trembler. Calith lui murmure des paroles apaisantes sans cesser ses gestes, jusqu'à ce que l'esclave réagisse enfin. Sa respiration se fait plus courte, plus bruyante. Un sourire nait sur les lèvres de Calith, qui poursuit ses gestes. La douceur de la peau, à cet endroit, ressemble à s'y méprendre à de la soie, et il se verrait bien laisser ses mains là toute la nuit. Mais le souffle saccadé de l'asservi se fait de plus en plus rapide, signe d'une jouissance proche. Il a fermé les yeux et ses doigts agrippent les draps de soie comme s'il craignait de s'envoler. Et c'est finalement en silence qu'il jouit, arc-bouté sur le lit, les yeux quasiment révulsés. Il se laisse lourdement retomber sur le lit et Calith en profite pour se rapprocher encore de lui, jusqu'à ce que leurs deux corps se touchent de toute part. Et il cale sa tête dans le creux de son cou, savourant cette proximité.

Après quelques minutes de bien-être, il refuse la caresse de son esclave. Après tout, c'était sa soirée, il mérite un peu de repos. Il lui remet l'anneau en place et le renvoie sans un mot au dortoir des asservis.

 

 

 

 

La journée du lendemain est tout simplement harassante : pas de combats ni de course interminable, mais des dossiers, des interrogatoires, des annonces à la cour et un mal de crâne à en avoir de nausées. La nuit est déjà tombée depuis de longues heures lorsqu'il rejoint ses appartements, espérant la présence du simplet pour souffler un peu et se changer les idées. Mais le simplet n'est pas là. Après tout, Calith a dîné avec Elihus, entre deux dossiers. La présence de son esclave pour lui apporter le repas n'est pas, officiellement, indispensable.

 

Et cette absence, malgré ce qui lui en coûte, ne l'empêche pas de s'endormir dans son bain. Bain que Lanen maintient tiède, en versant régulièrement des seaux d'eau chaude.

Lorsqu'il se réveille enfin, la mi-nuit est passée depuis longtemps. Aidé par l'esclave, il s'habille pour la nuit et va se coucher, seul, sans le moindre plaisir. Un manque, après ces soirées en si agréable compagnie.

 

 

 

 

Le jour suivant s'annonce tout aussi morose. Les espions de Nala lui font des rapports réguliers sur ce qu'ils apprennent dans les cercles les plus puristes des nobles de longue lignée, sans trouver, pour le moment, le moindre élément permettant d'imaginer l'un d'eux comme étant le meurtrier. De même, les intendants, les artisans, et toute personne manipulant des cordes affirme avoir son stock intact. A croire que l'assassin a créé lui-même ces fichues cordes. La cour est bien entendu affolée : savoir qu'un tueur se promène dans les couloirs du château devient un sujet de conversation récurrent et la peur s'amplifie à mesure que les spéculations les plus folles jaillissent.

 

Après une journée à régler difficulté après difficulté, problème après problème, il s'accorde une promenade le long des murailles et rencontre les gardes qui y patrouillent. Ils l'accueillent avec joie. Tous veulent lui serrer la main, échanger quelques mots avec lui. Et Calith se prête bien volontiers au jeu, apprenant à connaître, ne serait-ce qu'un peu, les hommes qui surveillent les murailles et s'assurent de la sécurité du château. Il se laisse même convaincre de partager un broc de bière avec eux, ravi de converser avec des personnes qui ne lui demandent pas de rendre des comptes, ni de faire ses preuves, ni de s'expliquer sur l'échec de l'enquête.

L'ambiance est détendue et les heures filent sans qu'ils ne s'en aperçoivent. Lorsqu'ils s'en rendent compte, la nuit est déjà tombée depuis longtemps. Alors, escorté par un des gardes qui a terminé sa journée, Calith regagne la chaleur de ses appartements. Lanen est là, prêt à remplir la baignoire d'eau brûlante. Mais le simplet n'est visible nulle part et, d'après son condisciple, n'est pas venu apporter le dîner. Toute trace de bonne humeur disparaît chez Calith. Il a déjà manqué à tous ses devoirs, la veille, en ne se présentant pas. Et il recommence ce soir. Est-ce à cause de la gentillesse dont a fait preuve Calith, l'autre soir ? Est-ce qu'il se sent le droit de ne plus venir, tout simplement parce que son roi lui a permis certaines libertés ?

 

Son sang ne fait qu'un tour. Hors de question que le simplet se permette de ne plus venir et de désobéir à un ordre royal. Alors il quitte précipitamment ses appartements et part à la recherche de Voinon, qu'il compte bien mettre au courant de la situation. Quitte à ce que le simplet soit fouetté. Tant pis. Il n'avait qu'à obéir.

Traversant les couloirs, déserts à cette heure, à grandes enjambées, il atteint rapidement les quartiers des esclaves, où il sait pouvoir trouver Voinon. Mais il s'arrête bien avant le bureau du responsable des asservis. Là, juste devant la salle d'ablutions, un regroupement l'empêche d'avancer. Jouant des coudes pour découvrir la raison de cet attroupement, il s'avance dans la foule compacte.

 

- Arrête ça ! Relève-toi !

 

La scène qui se déroule sous ses yeux est bien loin de tout ce qu'il pouvait avoir imaginé. Voinon est hirsute, en sueur et arrose copieusement de coups le corps qui se débat au sol. Les injures fusent, sous le regard ravi des esclaves qui assistent, avec un plaisir évident, à l'évènement qui distrait leur soirée.

 

- Suffit !

 

L'ordre claque, sèchement. Voinon se fige, badine relevée au-dessus de la tête, prête à s'abattre à nouveau. Puis il s'incline très bas dès qu'il reconnaît son roi et bafouille :

 

- C'est le simplet, Votre Majesté. Il refait sa crise de démence, comme hier. Si vous voulez mon avis, faudrait l'achever, ce serait rendre...

- Je ne veux pas ton avis. Écartez-vous tous et retournez à vos occupations.

 

A mesure que les témoins s'écartent, Calith découvre le corps de l'esclave qui se tord de douleur. Sa peau est striée de marques rouges, dues aux coups de badine. Mais ce n'est visiblement pas ça qui le fait souffrir. Car il souffre, c'est indubitable. La bouche ouverte dans un cri muet, le visage baigné de larmes, il semble à l'agonie. Ce beau visage, ce corps si désirable, cet esclave qu'il commence à bien connaître est là, à même les dalles en pierres, en proie aux pires souffrances. Des ondes magiques sont à l'œuvre sur lui, si fortes que Calith peut les percevoir. Mais ce n'est pas une magie qui lui est familière. Et pour qu'il puisse la ressentir, alors qu'il se tient à plusieurs mètres du corps agonisant, c'est qu'elle est très puissante. Qui déploierait une telle énergie pour faire souffrir de la sorte un insignifiant esclave muet ? Voinon marmonne encore après ce bon à rien qui simule des crises de folie pour tirer au flanc, attisant la colère du souverain.

 

- Silence.

 

Aussitôt, le silence se fait. Dans la salle d'eau, simpliste au possible, il ne reste que Voinon, Calith, et l'esclave souffrant le martyre. Le regard du simplet, rendu dément par la douleur insoutenable, se fixe un instant dans celui du roi. Mais il semble ne pas le reconnaître. Puisant un peu de magie en lui, Calith lance un sort apaisant, espérant calmer les mouvements désordonnés. En vain. La vague de magie blanche semble engloutie par un raz-de-marée destructeur. Le visage crispé par l'inquiétude et l'incompréhension, le roi lance un nouveau sort, plus puissant. Qui s'avère être aussi peu efficace que le premier.

 

Ce n'est pas normal. Quelle magie pourrait ainsi réduire à néant les sorts qu'il lance ? Et qui pourrait vouloir lancer un tel sortilège à un esclave ? Ce dernier hoquète, les yeux révulsés, dans un silence oppressant, uniquement troublé par le bruit de ses membres qui se débattent et cognent contre les dalles froides. Calith ne peut pas le laisser comme ça. Alors il s'agenouille près du corps pris de convulsions et pose une main douce sur son épaule.

 

- Par les Dieux !

 

Ce simple contact lui a permit de voir la magie à l'œuvre. Il se redresse vivement et se retourne vers Voinon, qui tente de masquer sa désapprobation derrière un masque impassible. Sans beaucoup de succès d'ailleurs.

 

- Va me chercher Loundor immédiatement. Et rapporte une civière à ton retour.