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Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 23-06-2013 à 10:13:04

Pieveth, Chapitre 14

 

 

 

 

Il ne se fait pas prier, Calith, pour quitter la salle des officiers et enfiler une tenue plus décontractée. Nombreux sont les soldats qui souhaitent l'accompagner dans cette joute. Calith leur réserve pourtant une petite surprise. Il a enchanté le bâton d'entraînement, lui permettant ainsi de le manier plus rapidement et plus puissamment. Et les soldats ne tardent guère à s'en apercevoir. Dès lors, ils ne retiennent plus leurs coups et ce sont de véritables combats acharnés qui s'engagent.

Une paire d'heure plus tard, c'est le corps fourbu et contusionné qu'ils s'arrêtent enfin et vont se changer, non sans s'être rafraîchis avant.

 

Loundor n'est nulle part en vue et Calith n'est guère enthousiasmé à l'idée de rejoindre Elihus et ses sempiternels dossiers. Alors il s'emmitoufle dans une cape de Loundor et va profiter des derniers rayons du soleil. Un vent glacial s'est levé mais il lui fait du bien.

Ces meurtres... Serait-ce l'œuvre d'un traître, qui veut déstabiliser le tout nouveau souverain et son pouvoir encore précaire ? Ce serait bien possible. Mais dans ce cas, trouver un point commun entre les victimes ne serait guère utile. Il tue peut-être au hasard, dans le seul but de semer la terreur. Mais alors, pourquoi castrer ses victimes ? Pour marquer les esprits ? Pour rendre plus horrible encore ses crimes ? Et que diable peut-il bien faire des parties qu'il prélève sur ses victimes ?

 

Sa conscience le rappelle à la réalité alors qu'il arrive devant la grille de la forêt. Les sourcils froncés, il réalise enfin que ses pas l'ont conduit jusque-là, sans qu'il ne s'en rende compte. Et il a beau scruter l'orée de la forêt, il ne voit aucun loup. Loundor l'aurait prévenu, sans aucun doute, s'il y avait du nouveau concernant le simplet. Où peut-il bien se terrer ?

Il fait les cent pas devant la grille, sous le regard impassible des gardiens, avant de s'immobiliser, face à la grille. Devant, l'obscure forêt bruisse légèrement au rythme du vent. Le soleil a presque terminé sa course quotidienne et se laisse paresseusement glisser derrière l'horizon.

 

- Tu l'as vu ?

 

L'arrivée, tout en silence, de Loundor le surprend. Mais, trop fier, il ne le montre pas et se contente de secouer doucement la tête en signe de négation. Et puis, enfin, il ose murmurer la peur qui lui broie le ventre :

 

- Est-ce qu'il va revenir ?

 

La question du roi n'est qu'un murmure parmi ceux de la brise. Mais le garou l'entend, et répond en toute honnêteté :

 

- Je l'ignore. Le loup a pris le contrôle. Il parviendra peut-être à reprendre forme humaine. Sinon...

 

Loundor ne poursuit pas, c'est inutile. Calith sait parfaitement que les garous qui ont perdu le contrôle sont abattus par les leurs. Même s'il s'agit d'un être aimé. Trop dangereux.

Les deux hommes ne se regardent pas. Ils fixent chacun un point de la forêt. Puis, à nouveau, un murmure du roi :

 

- Est-ce qu'il a pu tomber dans le vide ?

- Non. Seules les proies peuvent être suffisamment terrorisées pour ne pas redouter un tel précipice.

 

Il s'interrompt, laissant retomber le silence autour d'eux tel un voile de brume. Et il reprend, en réponse à la question que Calith n'ose poser :

 

- Les animaux sauvages ne se suicident pas, Majesté. Instinct de survie.

 

Presque rassuré, le roi hoche doucement la tête. Puis, comme pour achever de le convaincre, un hurlement lugubre, vibrant de colère, perce le silence.

 

- Il sait que nous sommes là, Loundor ?

- Sans aucun doute.

 

Alors, se fichant royalement des gardes, de son ami, et de quiconque pourrait l'entendre, il hurle à la forêt :

 

- Approche-toi ! Viens nous voir !

 

Un reniflement presque méprisant, venant de Loundor, est la seule réponse qu'il obtient. Puis la voix, douce, du Général, qui lui dit :

 

- C'est inutile. Il ne viendra pas, Calith. Il est puissant, libre, loup. Tu lui demandes de venir s'asservir à nouveau.

 

Et comme si l'esclave avait pris cette remarque comme un défi, il émerge de la forêt, ombre grise parmi les arbres majestueux. Il reste à bonne distance des grilles mais ses yeux dorés se fixent dans le vert si particulier des iris du roi.

 

- Allez, viens, approche encore un peu. On ne te fera aucun mal.

 

Mais le loup s'assoit, jette un regard à Loundor, puis au poste de garde. Le Général n'a pas besoin d'explications et murmure à Calith qu'il l'attend dans la salle des officiers. Pour les deux soldats chargés de surveiller la grille, par contre, Calith doit leur demander de rentrer dans le poste de garde et ne plus en sortir jusqu'à nouvel ordre. Ce n'est qu'une fois que les deux hommes se sont exécutés que le loup s'approche de la grille, restant tout de même à trois bons mètres de son roi.

Il est toujours aussi efflanqué, mais il semble en meilleure forme que la dernière fois. Les barreaux, entre les mains de Calith, sont si froids qu'ils lui brûlent la peau. Mais il se concentre sur sa voix, qu'il rend aussi douce que possible, et se met à lui parler :

 

- Ces grilles ne sont là que pour préserver votre territoire. Tu es libre de revenir parmi nous quand tu le souhaites. Et tu pourras revenir quand tu le voudras dans la forêt.

 

Les oreilles du loup s'agitent, comme agacées par le vent. A moins que ce ne soit le signe, pour lui, qui montre qu'il a entendu les paroles du roi. Calith, le cœur battant la chamade, débite :

 

- Les gardes te remettront ton collier, mais j'ai détruit le sort. Tu n'auras plus à travailler sous les ordres de Voinon. Le Général Loundor te veut dans ses troupes. Avec les autres loups-garous. Il t'accordera la permission de revenir ici aussi souvent que tu le veux. Et tu n'auras plus à me servir, non plus.

 

Le loup s'allonge de tout son long et pose la tête sur ses pattes avant. Son regard doré ne quitte pas un seul instant celui du roi, mais il ne manifeste aucune réaction. En désespoir de cause, Calith poursuit :

 

- Tu ne peux pas rester ici éternellement. Tu n'es pas seulement un loup, mais aussi un homme. Et je...

 

Les mots suivants, Calith est tout simplement incapable de les prononcer : ils meurent sur ses lèvres. Dire qu'il allait lui avouer qu'il tient à lui, qu'il se fait du souci... Le roi secoue doucement la tête et s'écarte des grilles. A quoi bon ? Même si l'esclave redevient humain, Calith n'aura plus de liens avec lui. Alors pourquoi vouloir le convaincre de retrouver sa vie d'asservi ?

 

Il se détourne, il ne supporte plus ce qui ressemble à une supplication. A quoi bon ? Sans un regard derrière lui, il s'éloigne de la grille. Le plus important, c'est d'avoir délivré l'esclave du sort. Au moins, maintenant, il ne souffre plus. Et s'il est plus heureux sous sa forme de loup... eh bien, qu'il reste sous forme de loup.

 

- Majesté !

 

Calith se retourne d'un bloc, le cœur battant à ses tempes. Ce sont les gardes qui l'ont retenu. Dans l'étrange lueur du crépuscule, un homme se tient debout, nu, de l'autre côté de la grille. Le simplet. A grands pas, la gorge nouée par l'émotion, le roi se rapproche. Sans un mot, il observe les gardes remettre le collier de métal autour du cou de l'asservi et l'anneau autour de son sexe. Et lui tendre son pagne. Il frissonne, le simplet, dans le vent glacial, même s'il est plus résistant au froid qu'un humain ordinaire. Il se dépêche de nouer le tissu autour de ses hanches. Calith l'attend en essayant de masquer son impatience. Lorsque la grille laisse passer son esclave, il sourit, heureux. Et passe sur les épaules nues la cape de son Général.

 

- Bon retour parmi nous.

 

L'esclave fuit son regard et ne le remercie pas. La nervosité et la timidité ne sont pas passées. Soudain inquiet, Calith lui demande :

 

- Tu peux parler, maintenant ?

 

La bouche s'ouvre, les lèvres s'agitent dans une réponse inaudible. A force de persévérance, c'est un son étrange, incongru, qui s'échappe de la gorge. Pas vraiment une réponse, mais la confirmation que le sort est rompu.

 

- C'est normal, après tout ce temps. Ça va revenir, ne t'en fais pas.

 

Sans croiser le regard de son roi, l'esclave lui sourit. Un petit sourire rassuré, qui sert à la fois de remerciement et d'expression de l'espoir. Le plus beau sourire que Calith n'ait jamais vu.

 

- Tu dois avoir faim. Tu auras des rations dignes de ton appétit, désormais. Je t'emmène voir Loundor, ton Alpha. Il te montrera tes quartiers et tes nouveaux compagnons.

 

L'esclave répond par un bruit. Bien malin serait celui qui pourrait en tirer un sens quelconque. Calith s'est habitué au silence du simplet et à ses monologues. Alors il ne s'offusque pas de cette absence de réponse et presse le pas. C'est qu'il a un Général à surprendre !

 

Dans la cour d'entraînement déserte, c'est un vacarme de conversations et de couverts qui s'entrechoquent qui les accueille. La salle à manger des soldats, tout proche, laisse échapper leurs éclats de rire et leurs discussions animées. Plus loin, dans la salle des officiers, seule une torche signale la présence silencieuse d'un homme. La surprise qui se lit sur le visage de Loundor fait plaisir à voir. Calith laisse même échapper un ricanement, avant de se reprendre.

 

- Je te le confie, Loundor. Veille bien sur lui. Ah ! Et il a encore du mal à parler, ça va s'arranger. Sur ce, je vous laisse. Bonne soirée.

 

Sous l'air jovial qu'il affiche, c'est un vrai crève-cœur pour lui de laisser son esclave entre les griffes du Général. Qu'est-ce qu'il ne donnerait pas pour l'emmener directement dans ses appartements ! Mais la donne a changé et le simplet sera plus heureux comme ça. Il s'éloigne vivement, prétextant le froid pour expliquer la soudaine montée de larmes qui mouille ses yeux. Oui, c'est mieux ainsi.

 

Il n'a guère d'appétit, ce soir, alors c'est rapidement qu'il procède à ses ablutions et qu'il regagne son lit. Gracilia vient le rejoindre, sans qu'il ne lui demande quoique ce soit. Et de frustration, il la besogne sans vergogne. Mais sans grand plaisir, non plus. Elle semble apprécier, pourtant, mais elle joue peut-être la comédie. Qu'importe. Soulagé, Calith la renvoie et se blottit sous l'édredon.

 

 

 

 

A son réveil, il découvre un ciel semblable à son humeur : gris et morose. Lanen est présent, lui apporte son petit-déjeuner qu'il avale sans appétit et l'aide à enfiler ses vêtements épais. Malgré le feu crépitant dans la cheminée, le froid s'est insinué entre les pierres du château.

 

D'un pas traînant, le visage sombre, il se rend dans son bureau. Elihus lui a laissé une pile d'annonces et de décrets à valider. Sans grande motivation, il se plonge dans leur lecture et les signe d'un trait vif. Il a quasiment terminé lorsque la porte s'ouvre et laisse passer le conseiller.

 

- Bonjour, Calith. Bien dormi ?

- Bien. Et toi ?

- Très bien, merci. Ah, tu t'es mis au travail. Parfait, je vais pouvoir faire annoncer ces décrets. Je ne sais pas si tu as vu, mais concernant les terres près …

 

La litanie reprend et Calith mobilise toutes ses forces pour écouter attentivement. Mais après ce qu'il lui semble être des heures de palabres, il finit par se lever, tout en assurant son attention au conseiller. Il tourne en rond dans la bibliothèque, poursuivit par les paroles d'Elihus. Malgré lui, il s'approche de la fenêtre. Le ciel est lourd et menaçant. La neige va bientôt s'inviter à la fête. Le regard du roi dérive, trois étages plus bas. En se tordant un peu le cou, il se peut distinguer une partie de la cour d'entraînement des soldats. Le simplet est-il parmi eux ? Comment s'est passée sa première nuit avec ses nouveaux compagnons ? Et comment s'en sort-il, lui, le novice, face à une horde de soldats parfaitement rompus aux exercices ? A-t-il retrouvé l'usage de la parole ? A-t-il livré quelques informations à Loundor ? Ou à un de ses compagnons de dortoir ?

 

- Calith !

- Hum ?

- Je te parle, Calith.

- Oui, oui. Je t'écoute.

 

Bien obligé, le roi reporte son attention sur le conseiller, qui le dévisage gravement. Il n'est pas dupe un seul instant mais, avec tact, il lui propose :

 

- Je pense que je peux avancer tout seul. Tu pourrais peut-être aller voir Loundor, il doit avoir plus d'informations sur les meurtres.

- D'ailleurs, l'annonce, hier, comment ça s'est passé ?

- Comme tu peux le deviner : cris, protestations et indignation. Mais ils sont rassurés par le couvre-feu. Enfin, il faudrait vraiment qu'on mette la main sur le tueur.

 

Haussement d'épaule de la part de Calith. Cette rengaine, ça fait trop longtemps qu'il l'entend. Alors qu'il s'apprête à prendre congé, Elihus lui pose une nouvelle question :

 

- Gracilia te donne satisfaction ?

- Oui.

 

Le ton manque de conviction. Mais Calith est parfaitement conscient que la jeune femme n'est en rien responsable de son manque d'enthousiasme et qu'il serait injuste de lui faire retomber la faute dessus. Elihus le fixe du regard quelques secondes, comme pour chercher à discerner la vérité. Et conclut :

 

- Je suis en train de m'occuper de la liste de tes prétendantes.

- Bien.

 

Le cœur au bord des lèvres, Calith quitte rapidement la bibliothèque. Il sait bien qu'il n'y coupera pas, que c'est pour le bien du royaume et qu'un héritier est indispensable. Mais il n'a qu'une seule personne en tête, une personne qu'il ne peut avoir.

Dans le couloir, juste devant la porte, un garde patiente tranquillement, fredonnant une rengaine populaire. Il se redresse dès qu'il aperçoit son roi et tente un salut militaire bien maladroit.

 

- Oui Jérémias ?

- Bonjour Votre Majesté.

- Que fais-tu ici ?

- Je dois vous accompagner, Sire.

- Où donc ?

- Ah ! Euh... ben où vous irez, en fait.

 

Les yeux plissés, Calith l'examine. Avec ses cheveux blonds comme les blés mûrs et ses grands yeux aussi bleus que le ciel, il n'est pas désagréable à regarder. Mais sa carrure massive n'enlève rien à son aspect enfantin : son nez en trompette et sa bouille ronde doivent lui valoir bien des moqueries. Ses joues encore rondes ont pris des teintes rosées et il attend nerveusement le verdict du roi en passant d'une jambe sur l'autre.

 

- Tu me sers de garde du corps, en fait ?

- Bon. Le Général n'a pas dit ça, Sire. Il m'a dit « Jérémias, tu suis le roi comme ton ombre. » Alors j'dois vous suivre, Sire.

- Bien. Je devais aller le voir, de toute façon. Mais je dois passer dans mes appartements pour prendre une veste plus chaude.

- Bien Sire.

 

Lanen est en train de s'affairer à nettoyer les appartements royaux lorsque Calith et son escorte y pénètrent. Aussitôt, suite à la demande de son roi, l'esclave lui sort un long manteau en laine tissée épaisse et l'aide à l'enfiler. Il profite de sa présence dans ses appartements pour piquer une pomme sur la table. Mais alors qu'il s'apprête à repartir, il se rend compte que son escorte ne le suit plus. Le garde est figé, la bouche légèrement ouverte. Et l'objet de son attention n'est autre que l'esclave du roi. Ce dernier ne semble pas insensible au garde, à en croire ses gestes nerveux et ses joues rougissantes.

 

Pour la première fois de la journée, Calith sourit. Et tendrement, avec ça. Pourtant, il doit aller voir Loundor et ne peut rester à les regarder se dévorer des yeux. Alors il toussote, pas vraiment discrètement. Voyant qu'il n'obtient pas l'attention du garde, il lâche :

 

- Jérémias ! On y va.

- Oh ! Pardon Sire. Mais... vous n'utilisez pas les passages ?

- Quels passages ?