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Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 28-06-2013 à 14:28:06

Pieveth, Chapitre 16

 

 

 

 

Ce fils de catin utilisait l'esclave pour assouvir les plaisirs des prisonniers ! Il a de la chance d'être mort, celui-là ! Calith comprend soudain pourquoi les condamnés chahutaient de la sorte l'asservi, lorsqu'il nettoyait les couloirs des geôles. Il imagine sans peine les remarques graveleuses qu'ils lui balançaient à la figure. Et lui, qui ne pouvait rien répondre, qui se devait d'être là, tous les jours, sous peine de correction.

La bouteille se vide peu à peu. Calith ressasse le peu qu'il sait. Dire qu'il s'extasiait du savoir-faire de son esclave. Voilà d'où lui venait cette adresse. Et dire qu'il l'a pris sans aucune douceur, uniquement pour se prouver qu'il pouvait être maître de la situation. Il l'a utilisé, tout comme le bourreau le faisait. Peut-être sans le faire souffrir autant, du moins physiquement. Mais les intentions n'étaient-elles pas les mêmes : dominer ?

 

La bouteille roule, vide, sur le tapis richement brodé. Il voit si précisément son esclave, un masque de souffrance sur le visage, son corps brisé, avili, souillé. Il aimerait qu'il soit là, pour le prendre dans ses bras, pour lui offrir de la douceur et des caresses. Mais le mal est fait. N'a-t-il pas laissé des cicatrices indélébiles ?

D'un geste rageur, le roi jette loin de lui ces écrits insoutenables. Comment peut-on prendre du plaisir à faire souffrir à ce point ? Comment ce fils de chienne pouvait-il sourire en le torturant ?

 

Des larmes amères tracent un sillon sur ses joues. Il ne prête pas attention aux coups frappés à la porte. Aucune importance. Les images du corps torturé qu'il a appris à apprécier dansent devant ses yeux, comme pour le narguer. Ces grands yeux noirs, noyés de larmes. Ces bras, si maigres et pourtant si musclés, étirés à l'extrême dans une suspension insupportable. Son ventre, creusé par les privations, distendu par les quantités d'eau qu'on lui faisait avaler, par les objets qu'on insérait en lui. Son …

 

La porte des passages secrets s'ouvre silencieusement, mouvement capté du coin de l'oeil et qui attire son attention. Il reste affalé dans son fauteuil, faisant vaguement signe à son visiteur d'approcher. Visiteur dont il ignore tout de l'identité. L'alcool, comme voulu, a jeté un voile obscur sur sa conscience. Tout semble moins important, soudain.

 

La silhouette massive du Général se dresse devant la fenêtre, masquant le peu de luminosité que le ciel sinistre daignait offrir. Il ne faut qu'une poignée de seconde et un regard observateur pour que Loundor comprenne la raison de la douce hébétude de son roi. Et de l'odeur d'alcool qu'il dégage. Il se baisse pour récupérer les rouleaux au sol et lis rapidement les premières lignes.

 

- C'est le simplet ?

 

Calith acquiesce d'un mouvement de la tête, incapable de prononcer une parole. Loundor jure à mi-voix alors qu'il parcourt rapidement les différentes pages. S'il repose les rouleaux sur la table au lieu de les jeter à terre, son geste n'est pourtant pas dépourvu de violence. Son visage buriné par le soleil est bien pâle, aujourd'hui. D'un geste un peu brusque, il tend un mouchoir à Calith, avant le rabrouer gentiment :

 

- Allez, tu ne vas pas rester là. On doit parler de l'enquête.

 

Rendu obéissant par la quantité d'alcool qu'il a ingurgité, Calith se lève. Du moins, il essaie. Car il ne boit quasiment jamais et les effets de l'eau de vie sont encore plus visibles. A peine a-t-il réussi à soulever son derrière de l'assise confortable du fauteuil qu'il perd l'équilibre et s'écroule sur le siège.

 

- Bon, j'ai compris.

 

De sa force surnaturelle, Loundor prend son roi dans les bras et le porte jusqu'au lit. Là, avec tout l'amour d'une mère, il borde soigneusement un Calith sanglotant. Puis, gêné par cette effusion de sentiments, lui qui ne montre jamais les siens, il s'éloigne. Et bougonne :

 

- Jérémias va te tenir compagnie. Je vais m'occuper du reste avec Elihus.

 

Mais Calith n'est déjà plus en état de comprendre ce que lui raconte le Général. Il réalise à peine son départ, tout comme il ne se rend que très vaguement compte de l'arrivée du garde. Mais le garde, tout nerveux qu'il peut être quand son roi est en pleine possession de ses moyens, se monte très assuré dans cette nouvelle affectation. Avec patience, il éponge le front luisant de sueur de Calith, lui parle doucement de petits rien qui apaisent l'inconscience agitée de son souverain.

 

 

 

 

Lorsque Calith émerge enfin, la nuit est tombée. Il reste de longues minutes recroquevillé dans son lit, un mal de crâne lancinant cognant sans répit, la bouche pâteuse. Les souvenirs de cet après-midi honteux lui reviennent trop rapidement à la mémoire et le font grogner.

Pendant ces quelques minutes, l'idée même de quitter son lit le rebute. Puis, se rabrouant mentalement, il s'extirpe péniblement de la douce chaleur de l'édredon et vacille jusqu'à la salle d'eau.

 

Son arrivée dérange visiblement. Jérémias et Lanen, enlacés, se séparent brusquement. Calith, d'un geste de la main vague, essaie de leur signifier qu'ils ne le dérangent pas, qu'ils peuvent continuer. Mais ce geste est si vague qu'ils ne le comprennent pas et se mettent immédiatement à l'ouvrage. Lanen lui apporte une bassine d'eau tiède, pour qu'il chasse les dernières vapeurs d'alcool dans une rapide toilette. Jérémias, spécialiste des gueules de bois carabinées pour côtoyer quotidiennement des soldats, lui apporte une tisane fumante, aux odeurs de camomille et de sauge. Rien de tel pour faire passer ce mal de crâne.

Le psyché aux reflets vacillants lui renvoie l'image d'un homme blafard, éteint, de lourds cernes noirs sous les yeux. Il est beau, le roi, tiens. Secouant doucement la tête, il s'écarte. Et ordonne, d'une voix basse, que Lanen l'aide à enfiler ses vêtements.

 

Il peine un peu pour défaire le sort qui scelle la porte d'entrée. Et se demande bien à quoi il peut servir, puisque Loundor, Jérémias et Lanen ont fait des allers-retours chez lui, sans être gênés par le sortilège.

C'est d'humeur peu aimable qu'il se rend dans son bureau, désert. La soirée doit être bien avancée, déjà, et il est parfaitement logique qu'Elihus soit absent. Il profite donc de cette solitude pour lire le compte-rendu de l'enquête, travailler un peu sur les divers dossiers et pour feuilleter quelques ouvrages sur les rayonnages. Tout pour oublier ce comportement indigne d'un roi et surtout, ce qui l'a amené à boire autant.

Finalement, c'est au beau milieu de la nuit qu'il regagne son lit, content d'avoir esquivé Gracilia.

 

 

 

 

 

Le lendemain, c'est avec l'aube qu'il se lève. Une toilette rapide, Lanen qui l'aide à mettre ses vêtements, et il se dirige d'un bon pas avec son bureau. Oubliée, la gueule de bois. Oubliée, la douce hébétude de l'alcool. Il doit agir, il en est parfaitement conscient. Devant un petit-déjeuner frugal, il valide les décisions suggérées par Elihus. Puis, c'est dans le compte-rendu de l'enquête qu'il se plonge pour de bon.

 

De la liste des fidèles du temple de Sevaerith vivants au château, seuls deux n'ont pas pu fournir d'alibis fiables pour les nuits des meurtres. Une frêle jeune fille de bonne famille, qui passe ses soirées seules à broder sa dot. Calith grimace. Cependant, l'assassin maîtrise ses victimes, les ligote, et les torture avec un rasoir. Ce qu'une frêle jeune fille, amatrice de broderie ou non, ne peut pas réaliser sans aide. Et elle n'est entourée que d'autres femmes, bienséance oblige. Loundor préconise de la garder sous surveillance, au cas où, mais sans trop s'attarder sur son cas. La seconde personne est un vieil homme, veuf depuis peu, qui, d'après ses déclarations, noie son chagrin dans l'alcool, dès la nuit tombée. Et seul. Cette fois encore, impossible de vérifier s'il dit la vérité, bien que sa gêne, au moment d'expliquer ce qu'il fait de ses soirée, plaide en faveur de sa sincérité. Cette fois encore, Loundor conseille de se contenter d'une surveillance, sans pour autant le considérer comme un coupable potentiel.

 

C'est dans la liste des félons que des éléments se montrent plus prometteurs. Plusieurs d'entre eux ont un comportement étrange et il est impossible de retracer exactement leurs emplois du temps. Les espions de Nala, souvent infiltrés dans les cercles qu'ils fréquentent, ne les quittent pas d'une semelle. Calith acquiesce en voyant la note manuscrite de Loundor : ne pas leur mettre la puce à l'oreille tant qu'on ne sait pas ce qu'ils trafiquent. Et si des éléments plus probants sont découverts, il faudra les interroger.

 

Il parcourt les rapports du médecin lorsque la porte s'ouvre sur Elihus. Le conseiller pénètre dans la bibliothèque en saluant son roi. Si son visage montre la désapprobation qu'il ressent quant au comportement de Calith la veille, il n'en souffle pas un mot.

Ils parlent rapidement de l'enquête, puisqu'il faut encore attendre d'avoir plus d'informations de la part des espions. Puis se concentrent sur les réserves de nourriture que contiennent les greniers de Pieveth. La situation est préoccupante. L'hiver risque de paraître bien long, car le seul moyen de préserver la nourriture jusqu'au printemps, c'est de rationner, dès à présent, les réserves. Reste bien sûr la possibilité de commercer avec Lluse, solution qui sera, à terme, incontournable.

 

Des coups discrètement frappés à la porte les interrompent. Jérémias passe la tête par l'embrasure de la porte et finit par entrer, après en avoir reçu l'ordre. Il se tient gauchement devant le bureau et débite, comme s'il avait répété plusieurs fois cette phrase :

 

- La Duchesse Adélaïde de Peyfils, du royaume de Lluse vous attend dans la salle du trône, Sire.

 

Elihus et Calith échangent un regard surpris. Rares sont les nobles des autres royaumes, surtout à cette saison, qui feraient le déplacement pour rendre visite au roi fraîchement couronné.

 

- J'arrive.

 

Poussé par la curiosité, Calith, suivi de son conseiller, se rendent dans la salle du trône. Mais ils restent sur le seuil de la porte à la recherche de la duchesse. La salle grouille de tant de personnes qu'il règne un brouhaha désagréable. Une jeune femme, accompagnée d'un serviteur, sans doute, se tient timidement devant le trône désert. Elle regarde un peu bêtement la décoration de la salle, comme si elle se demandait ce qu'elle fichait là. C'est Elihus, le premier, qui réagit et murmure avec empressement :

 

- Elle doit venir dans ton bureau, Calith. Tu ne peux pas la recevoir ici.

- Bien. Jérémias, va la voir et demande-lui de te suivre jusqu'à la bibliothèque. Tu la conduiras près de nous et tu resteras dans la pièce. Quoiqu'il se dise pendant cet entretien, tu ne devras le répéter à personne, compris ?

- Oui Sire. A vos ordres, Sire.

 

Calith et Elihus regagnent le bureau, l'esprit en ébullition. A peine la porte refermée derrière eux, Elihus s'agite :

 

- Cette femme est autant duchesse que moi. Mais pourquoi diable s'est-elle déplacée jusqu'ici ? Son père est-il seulement au courant ? Par les Dieux, comment allons-nous gérer cette situation ?

 

Si Calith ne parvient pas à identifier la jeune femme, il sait pertinemment qu'il la connait. Il a déjà vu ce visage quelque part, bien plus jeune. Lorsque la porte s'ouvre sur Jérémias et les deux visiteurs, Elihus a retrouvé son masque impassible. Il s'incline très respectueusement et tient ce discours :

 

- Soyez la bienvenue dans notre château, Votre Altesse. Cette visite nous honore.

 

Le comportement de la jeune femme a complètement changé. Elle se tient bien droite, ce qui la grandit un peu bien qu'elle demeure petite. Disparues, la timidité et la nervosité qu'elle affichait dans la salle du trône. Oublié, l'air stupide qu'elle se donnait. Son regard perçant fixe Elihus et sa voix un peu rauque, pour une femme, déclare :

 

- Ainsi donc vous savez qui je suis. Je vous félicite, rares sont ceux qui connaissent mon visage et mon rang.

- Comment oublier un si noble visage ?

- Point de viles flatteries, je vous prie.

 

Calith esquisse un sourire. Elihus a très justement souligné la noblesse de son visage, car dire qu'elle est belle, ou même jolie, serait un mensonge flagrant. Elle n'est pas laide, pourtant, mais ses yeux sont un peu trop petits, son nez trop fort et sa bouche, trop grande. L'ensemble donne l'étrange impression qu'on a collé ces bouts de visages venant de différentes personnes sur un modèle d'argile pour façonner à la va-vite un nouveau visage. Un sourire amusé se dessine sur les lèvres d'Elihus, qui incline la tête en signe de soumission. Puis, de sa voix la plus officielle, il fait les présentations :

 

- Sa Majesté Calith de Pieveth, permettez-moi de vous présenter Son Altesse Zélina de Brevont, seconde fille du roi de Brevont.

 

Calith, suivant l'étiquette, prend délicatement la main de la princesse pour y faire un baise-main. Et la première question qui lui vient à l'esprit est :

 

- Votre père sait-il que vous êtes ici ?

- J'en doute fort.

 

Une vague de panique s'empare du roi. Le souverain de Brevont a la rancune tenace, comme l'a rapporté Nala dans son message. S'il apprend que sa fille est dans les murs du château, il pourrait bien se servir de ce prétexte pour attaquer Pieveth. Elihus, devinant sans peine le trouble de son roi, reprend le protocole et invite ses hôtes à s'asseoir. Il leur propose des rafraîchissement, avant de s'enquérir :

 

- Avez-vous fait bon voyage, Votre Altesse ?

- Oui, merci Conseiller Elihus. Un voyage fort agréable, malgré la froidure, et parfaitement discret.

 

Elihus ne semble pas particulièrement surpris par le fait qu'elle connaisse son nom. A en croire la rougeur de ses joues, bien visible malgré sa barbe impeccablement taillée, il en est même plutôt flatté. Le voyage devient alors une conversation idéale, faite de petits riens, le temps que Jérémias demande qu'on apporte des rafraîchissements et que son ordre soit exécuté.

Elihus semble prendre un plaisir fou à discuter de la sorte, un badinage parfaitement en adéquation avec la bienséance et le protocole. Quel changement ça doit lui faire, lui qui s'est habité aux rustres manières de Calith ! Le thé servi, Calith profite d'un répit dans la conversation pour lancer :

 

- Nous n'avions pas été prévenus de votre venue.

 

Elihus manque de s'étouffer avec son thé en entendant l'inconvenante déclaration de son souverain. Il tente précipitamment de réparer le tort causé d'un :

 

- Mais cette surprise décuple le plaisir que nous avons de vous recevoir.

 

La princesse sourit, nullement gênée par le manque de courtoisie du roi. Elle leur explique, d'un ton parfaitement serein :

 

- La venue de votre diplomate a déclenché mon envie de vous rendre visite. Nous avions su, par les rumeurs, que le roi Lombeth était tombé et que vous aviez pris sa place. Mais l'apprendre de source officielle fut très apprécié. Du moins, en ce qui me concerne. Vous n'êtes pas sans savoir que mon estimé père demeure peu enclin à vous accorder sa confiance.

- Nous le savons, en effet.

- Mon père ne nous autorise guère, nous ses filles, à nous mêler des affaires du royaume. Ni à se montrer trop souvent à la cour. Il estime qu'il ne nous est pas nécessaire de nous encombrer de telles occupations.

 

Un sourire triste étire les lèvres de la princesse. Elle prend une gorgée de thé avant de poursuivre :

 

- Ce que votre diplomate a révélé à mon père, disais-je, m'a décidé à venir. Bien sûr, mon père n'est pas au courant, lui qui n'accepte qu'à contre cœur que nous sortions de notre château. Mon départ devait se faire de manière discrète, c'est pourquoi je n'ai pris que le strict nécessaire. Et que je n'ai demandé qu'à Brocepan de m'accompagner.

 

Pour la première fois, Calith détaille réellement le jeune homme qui se tient aux côtés de la princesse. Il est grand et massif et son visage n'a rien d'avenant. Ses cheveux noirs comme la suie, ses épais sourcils qui forment une barre au-dessus de ses yeux d'un bleu glacial et sa bouche particulièrement fine ne donnent pas envie de le côtoyer. Mais ce serviteur est sans doute digne de confiance, puisqu'elle lui a demandé, à lui seul, de l'accompagner. Calith aimerait bien savoir si c'est uniquement pour se distraire qu'elle vient les importuner, mais il se doute qu'Elihus n'apprécierait pas qu'il pose cette question. Alors, patiemment, sirotant son thé encore brûlant, il attend qu'elle daigne en venir au fait.

 

- Je suis parfaitement consciente des risques que j'encours, et que je vous fais encourir, s'il venait à apprendre ma présence ici. C'est pourquoi je ne resterais que le temps que nous nous mettions d'accord. Si vous me l'autorisez, je passerai la nuit ici-même avant de repartir dès demain matin.

 

Aussitôt, un Elihus obséquieux lui assure qu'il n'y aurait pas plus grand honneur pour eux que de l'accueillir pour la nuit. La bienséance lui interdit de poser directement la question, alors il attend qu'elle parle plus de ce fameux accord. Jérémias se charge de demander que la plus belle chambre des invités soit préparée. Après avoir remercié Elihus pour sa courtoisie, la princesse en vient au fait, ou presque :

 

- Cette proposition est de mon fait, et uniquement de mon fait, je vous prie de me croire. Si elle venait à vous déplaire, je vous en conjure, n'en soufflez mot à quiconque. Ce qui est dit dans cette pièce doit rester dans cette pièce en cas de désaccord. Promettez-le moi !

 

La curiosité de Calith est attisée par ces déclarations et, après un bref regard à Elihus, il jure solennellement de garder le secret. Alors seulement, Zélina de Brevont annonce :

 

- Je n'ignore pas que cette demande n'est pas protocolaire mais qu'importe. Je suis venue trouver un accord pour qu'on se marie.