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Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 29-06-2013 à 11:18:19

Pieveth, Chapitre 17

 

 

 

La stupéfaction cloue le bec du conseiller. Calith, lui, tente de garder un air impassible alors que son cœur bondit follement dans sa poitrine. Se marier avec cette inconnue ? Parfaitement consciente du séisme qu'elle vient de déclencher, la jeune femme poursuit :

 

- Je sais que cette proposition peut vous paraître bien inconvenante. Mais elle est mûrement réfléchie et peut, j'en suis persuadée, satisfaire les deux parties. Vous allez être assailli de prétendantes, Calith de Pieveth, et la plupart seront un moins bon parti que moi. Épouser une princesse de Brevont vous permettra d'enterrer définitivement la hache de guerre avec mon père et de vous assurer, pour des décennies, que mon royaume n'attaquera pas le vôtre. Je vous rassure immédiatement : ce n'est pas un chantage. Si vous refusez cette proposition, je n'en toucherai pas un mot à mon père et nulle attaque ne sera perpétrée en représailles.

 

Calith ouvre la bouche, prêt à intervenir. D'un geste de la main, elle l'interrompt et argumente :

 

- Laissez-moi terminer, je vous en prie. Je sais que nous sommes deux inconnus l'un pour l'autre et qu'aucun sentiment me concernant ne vous anime. Mais je suppose que votre conseiller vous a martelé les mêmes conseils que le mien : faire un mariage de raison et les sentiments viendront plus tard.

 

Calith acquiesce, récoltant un regard noir de la part d'Elihus. Mais la jeune femme continue, faisant comme si elle n'avait rien remarqué :

 

- Je n'y crois pas. J'ignore quelle est votre opinion à ce sujet, aussi m'avance-je un peu, mais j'ose espérer que vous partagez la mienne. Évidemment, si vous êtes épris d'une noble pouvant faire un mariage acceptable, cette proposition n'a pas lieu d'être. Mais si ce n'est pas le cas, notre mariage vous satisferait. Je vous ferai des enfants et je serai parfaitement protocolaire et distinguée dans les apparitions devant la cour. Mais je n'interfèrerai jamais dans vos relations hors du lit marital, tout comme je souhaite que vous n'interfériez jamais dans les miennes. Nous donnerons le change face à la cour et aux autres royaumes, tout en étant parfaitement libres de nos amours respectifs.

 

Calith s'est redressé sur son fauteuil et l'écoute avec beaucoup d'attention. Il s'imagine déjà rejoindre occasionnellement le lit de son épouse et passer le reste de ses nuits avec son esclave. Enfin... Non, son esclave ne désire sans doute pas partager sa couche et Calith ne le forcera pas. Mais au moins, il pourrait aller avec qui il souhaite, sans provoquer d'esclandre. Cependant, si cette relation peut lui convenir, il s'interroge :

 

- Et qu'avez-vous à y gagner ?

- Je ne vais pas vous mentir. J'ai beaucoup à y gagner, sans doute plus que vous. Mon noble visage, comme l'a si galamment formulé votre conseiller, n'attire guère les prétendants. Mon père désespère de me marier un jour et semble prêt à me livrer au premier homme qui voudrait de moi. Je ne me plains pas, je suis consciente de cela depuis des années. Mais je refuse d'être séparée de celui que j'aime réellement et qui, aux yeux de mon père, ne pourrait en aucun cas faire un époux convenable. Il est grand temps, pour moi, de me défaire de l'autorité de mon père. Et quitte à retomber sous l'autorité d'un autre homme, autant que ce soit d'un commun accord, avec des conditions qui satisfont les deux parties.

- Mais si vous quittez Brevont, vous serez fatalement séparée de l'être aimé, n'est-ce pas ?

- Non. Brocepan m'accompagnera. C'est une condition sine qua non.

 

Calith regarde d'un nouvel oeil cet homme à l'apparence si peu avenante. Un serviteur qui est parvenu à séduire la princesse. A vrai dire, le roi n'est pas vraiment surpris, il sait, pour être dans le même cas, que l'amour ne s'embarrasse pas des classes sociales. Il ne peut s'empêcher de sourire en imaginant l'étrange union qu'ils formeraient : mariés et parents, parfaitement convenables aux yeux de tous, mais chacun forniquant avec son serviteur attitré.

Bien que très tenté par cette proposition, Calith sait qu'il ne peut pas accepter immédiatement. Aussi, sous le regard menaçant d'Elihus, il déclare :

 

- Je ne vous cache pas que cette proposition m'intéresse. Ce serait un excellent compromis pour nous deux. Mais votre père acceptera-t-il un mariage avec Pieveth ?

- Je ne pense pas qu'il le fasse spontanément. Cela dit, il sera sans doute intéressé par les avantages d'avoir une fille reine. Et soulagé d'être débarrassé de l'épineuse question de mon mariage. Enfin, s'il reste très méfiant à votre égard, il sait que vous êtes le fils de votre père et non de la trempe de Lombeth. Vous devrez faire la demande de manière protocolaire et, de mon côté, je ferai en sorte qu'il accepte.

- Vous vous doutez que je ne peux m'engager dès aujourd'hui. J'ai matière à réflexion et je ne souhaite pas prendre une décision si importante sans peser avant le pour et le contre.

- Bien entendu.

- Si vous vous êtes déplacée en personne, je suppose que c'est parce que vous estimez les messages trop peu fiables ?

- En effet.

- Très bien. Dans ce cas, je vous ferai parvenir ma réponse, d'ici un mois au plus tard, par un autre biais. Tant que je n'aurai pas pris ma décision, il est évident que je ne m'engagerai auprès de personne.

- Il en va de même pour moi, Sire.

 

Calith lui adresse un sourire chaleureux. Cette femme est intelligente et il sait qu'il pourrait s'entendre avec elle, suffisamment pour donner le change face à la cour. Elihus reprend tout en douceur les rênes de la conversation pour les derniers détails. Puis, avec la même douceur, propose aux invités de rejoindre la chambre qu'on leur a préparé.

Lorsqu'ils quittent la bibliothèque, Calith réalise que l'après-midi est bien avancé. Avec Elihus, ils conviennent qu'il serait plus sage de parler de cette conversation le lendemain, après une bonne nuit de sommeil, afin d'y voir plus clair. Et pour l'heure, le conseiller lui suggère d'aller s'entraîner un peu. Proposition que le roi s'empresse d'accepter.

 

 

 

 

La soirée, qu'il comptait passer tranquillement dans ses appartements, est en réalité un long dîner avec la princesse de Brevont et son serviteur, Brocepan. Ils dînent tous les trois, à l'écart de la cour, servis par Alima en personne. De ce fait, les masques tombent et la relation entre la jeune femme et son amant est clairement visible. Calith, malgré sa maigre expérience en la matière, peut voir les visages de Zélina et de son amant sublimés par le bonheur. La conversation est très détendue, sans la lourdeur de la bienséance. Lorsqu'ils se séparent après le repas, Calith réalise qu'il a passé une excellente soirée en leur compagnie.

 

 

 

 

 

Une certaine fébrilité pousse Calith hors de son lit le lendemain. Le détachement de soldats envoyé par Loundor à Rocnoir devrait revenir dans la journée. Et il a terriblement hâte de revoir l'esclave.

Bien sûr, il est aussi impatient de revoir ses alliés, ceux qui ont lutté dans l'ombre pour le faire revenir au pouvoir. La matinée est pourtant consacrée à l'étude de la proposition de Zélina de Brevont. Elihus, bien que peu satisfait par l'idée que Calith n'aime pas d'amour sa reine, trouve que c'est une excellente chance de faire la paix avec Brevont et de s'assurer d'un mariage réussi et intéressant. Lui aussi est tombé sous le charme de la princesse. C'est en toute discrétion mais avec sincérité qu'ils vont souhaiter un excellent voyage de retour aux deux amoureux, qui doivent regagner leur royaume au plus vite pour éviter que leur absence ne se remarque.

 

Contre toute attente, la matinée passe relativement rapidement et, après déjeuner, Calith va retrouver le Général. Il sait combien son comportement peut sembler puéril, mais il n'arrive pas à travailler sachant que les troupes seront bientôt de retour.

Loundor l'accueille avec plaisir, laissant même entrevoir son impatience. Il l'entraîne dans son bureau, bien décidé à parler en toute discrétion, loin des oreilles qui traînent. A peine sont-ils seuls que Calith partage l'une de ses préoccupations :

 

- J'ai reçu une proposition de mariage, hier.

- Tiens donc. Une manigance d'Elihus ?

- Je ne pense pas, non. Il s'agit d'une fille de Brevont.

 

Calith n'en dit pas plus et se laisse tomber sur un fauteuil. Il sait bien que Loundor aura compris qu'il ne s'agit pas d'une fille de ferme. Et parmi les enfants du roi de Brevont, une seule n'est pas mariée. Loundor incline légèrement la tête, signe qu'il a compris la discrétion indispensable à ce sujet. Et Loundor, s'il n'aime pas spécialement la cour et tout ce qui en découle, se tient suffisamment informé pour savoir que la présence d'une princesse de Brevont sur le sol de Pieveth n'est pas de très bon augure.

 

- Un mariage de raison, donc ?

- Complètement.

- Intéressant ?

- Plutôt oui. On fait des héritiers, on donne le change, et ensuite, chacun fait ce qu'il veut avec qui il veut.

 

Loundor dévisage Calith, le visage grave. Et d'une voix tout aussi sérieuse, il lui demande :

 

- Tu es sûr que c'est ce que tu veux ? Un mariage avec une femme qui en aime un autre ? Ne peux-tu pas espérer te marier avec celle que tu aimes ?

 

Le roi jette un regard désespéré à son ami. Il a parfaitement conscience qu'un mariage, c'est pour la vie. Et ce béguin pour l'esclave, ce n'est sans doute que temporaire. Peut-être bien que dans un mois, il croisera la route d'une charmante demoiselle, qu'il aimera passionnément, qui lui fera de magnifiques enfants...

 

- Je n'en sais rien. Je ne peux pas prédire l'avenir. Mais aujourd'hui, mon cœur ne bat pour personne.

- Pour personne, vraiment ?

 

Une main royale s'envole pour ébouriffer les cheveux châtains. Les joues, légèrement rosées, et la tête basse sont autant d'aveux de la gêne de Calith. Et du bout des lèvres, il murmure :

 

- A quoi bon ? C'est un homme, asservi, et loup-garou de surcroît. Nos quelques jours ensemble ont été très plaisants mais ça s'arrête là. Il va reprendre sa vie de soldat, et moi, je dois me trouver une épouse.

Loundor, le fier Loundor qui ne laisse jamais apercevoir le moindre sentiment, regarde son roi avec de la peine dans les yeux. Et il reste muet, car il sait que ses paroles de réconfort seraient un mensonge. L'esclave ne voudra pas de cette relation. Et Calith ne le forcera pas. Ils ne vivront jamais heureux tous les deux. C'est impossible. Alors, finement, il conseille :

 

- Laisse-toi un peu de temps. Tu as dû demander un délai de réflexion, non ?

- Oui, un mois.

- Parfait. Ça te laissera le temps d'y réfléchir à tête reposée. Ne précipite pas ta décision, Calith.

 

Cette voix, chaude et douce à la fois, lui fait monter les larmes aux yeux. Il se sent redevenir petit garçon, quand il allait sur les genoux du jeune loup-garou, et qu'il lui demandait telle ou telle chose. Et Loundor s'arrangeait toujours pour lui procurer cette chose en question. Et aujourd'hui, il ne souhaite qu'une seule chose, une seule personne pour partager sa couche. Et il ne peut pas l'avoir. Elle est là, pourtant, toute proche, presque saisissable. Mais comme pour une ombre, sa main se referme sur du vent. Et il ne reste plus que le vide, un vide si douloureux qu'il en est insupportable. Il aura beau demander à ses amis, à ses conseillers ou aux Dieux eux-mêmes, il n'obtiendra jamais gain de cause. Jamais.

 

Le Général s'est levé et est venu poser sa grosse main puissante sur l'épaule de Calith. Il est à court de mots, le guerrier, pris au dépourvu par la détresse de son protégé.

Une agitation intense le tire de son désarroi. Il s'éloigne rapidement de son roi pour aller voir à la fenêtre ce qu'il se passe. Et ne peut retenir une exclamation enjouée :

 

- Ils sont de retour !

 

Sans attendre la réaction de Calith, Loundor, drapé dans sa retenue et sa dignité, sort dans la cour d'entraînement. A grands renforts de cris et d'acclamations, la troupe pénètre dans la cour. Aux visages fiers des soldats se mêlent ceux, familiers, des proches. Et nombreux sont les habitants du château a avoir bravé le froid pour accueillir qui un ami, qui un collègue, qui un parent.

Loundor reste très réservé quant à l'accueil qu'il fait à sa femme et à ses enfants. Iris, son épouse depuis plus de dix ans, ne s'en formalise pas. Elle sait pertinemment qu'une fois dans ses appartements, son mari se montrera affectueux, câlin et même causant. Il leur dira à quel point ils lui ont manqué. Il les couvrira de présent pour rattraper le temps perdu. Alors cette femme, grande et élancée, avec de longs cheveux châtains qui frôlent ses reins, cette femme reste bien droite et aussi réservée que son homme. Et attend, sans montrer d'impatience, qu'il félicite ses soldats pour la mission accomplie et qu'il les entraîne dans leur nouveau chez-eux.

 

Ces scènes de liesse, Calith ne les voit pas. Enfermé dans le bureau du Général, il entend les cris, les exclamations mais il n'y prête pas attention. Inutile de sortir, il dira un mot aux soldats, plus tard. Et saluera les conseillers de retour. S'il franchit cette porte, là, maintenant, il cherchera du regard un certain esclave. Son cœur s'emballera à nouveau, peut-être même plus qu'avant. Et la douleur de le savoir à jamais inaccessible n'en sera que plus forte.

 

Alors il tue le temps en examinant cette carte qu'il connaît par cœur, en déchiffrant les titres des manuscrits qu'il ne lira jamais. Et quand il en a marre de rester entre ces quatre murs, il pique une cape de Loundor, s'emmitoufle dedans et rabat la capuche sur sa tête. Avec le froid, tout le monde porte une cape et a la tête couverte, il n'attirera pas l'attention.

 

Il sort discrètement du bureau de Loundor, les yeux rivés au sol. Dans la cour, il ne cherche plus à être discret, c'est le meilleur moyen pour attirer l'attention. Il marche d'un pas vif, fixant la porte, comme s'il regagnait le château après avoir salué ses amis. Et personne ne le remarque. Personne ne l'arrête d'une salutation ou d'un geste.

 

A peine la porte franchie, il s'engouffre dans les passages dérobés, regagne directement ses appartements. Déposant la cape sur le fauteuil, il ne reste que quelques minutes. Puis rejoint son bureau. Personne n'est présent, évidemment. Même le studieux Elihus a dû rejoindre la cour et saluer ses amis. Sur le bureau, par contre, comme si le conseiller avait deviné que Calith y viendrait, un mot est déposé. Un mot, qui annonce qu'un dîner, en l'honneur des soldats et des proches des séditieux, sera donné dans la soirée. Et, écrit en plus gros et souligné deux fois, il est ajouté que la présence du roi est indispensable. Calith jure à mi-voix. Il n'y échappera pas.

 

Mais il lui reste un peu de temps. Alors il s'installe près des chandelles, un recueil de poésie à la main. C'est son précepteur, un homme charmant, qui lui a fait lire de la poésie. Très vite, Calith s'est rendu compte que les poètes avaient tendance à privilégier les mots pour leur sonorité plus que pour leur sens. Il s'est toujours imaginé un marginal, vivant reclus dans un bureau, à moitié fou, bondir hors de sa chaise, la plume en l'air comme un signe de victoire, crier sa joie d'avoir découvert le mot tordu qui lui permet de faire une jolie rime. Qu'importe si, au final, ce qu'il raconte n'a pas de sens. Le but est que ce soit joli, pas sensé.

Mais aujourd'hui, Calith a précisément besoin de ça. D'être bercé par le rythme langoureux de rimes, par le chant des mots qui le mettra dans une sorte de transe, lui faisant oublier que tout doit avoir un sens, une raison d'être, un but.

 

Comme une douce rengaine, les poèmes l'entraînent dans un monde empli de beauté, aux contours flous. L'enchaînement des phrases le berce et lui fait oublier la liesse, en bas, dans la cour.

Mais forcément, ça ne dure pas. Jérémias, hirsute, à bout de souffle, pénètre en trombe dans la bibliothèque, faisant violemment claquer la porte contre le mur. Son regard fou se pose sur le roi, avachi dans un fauteuil, et une lueur de soulagement l'apaise. Mais les mots se bousculent dans sa bouche :

 

- Ah ! Ici là vous êtes, Votre Masire. C'est hoffreux ! Arrible !

 

Calith sursaute violemment, suite à cette intrusion, à en faire choir son recueil de poésie. Brusquement tiré hors de ce havre de paix, douceur ouatée apaisante, il dévisage Jérémias, les yeux écarquillés, ne comprenant rien à ce qu'il se passe. Et le garde, bien conscient du manque de clarté de sa phrase, répète :

 

- Masire ! C'est atroble ! Ignoce ! C'est évoupen... évenpou... épenva... Venez, Sire, je vous en conprie !

 

Le visage royal se fait plus perplexe encore. Mais Calith a compris, plus ou moins, qu'un événement terrible vient d'avoir lieu. Alors il se lève, se tient bien droit, et d'une voix ferme et autoritaire, ordonne :

 

- Il suffit, Jérémias. Calme-toi, respire, et explique-moi ce qu'il se passe.

- Oh Votre Majesté ! C'est … c'est...

 

L'apaisement du garde n'a été que très temporaire. Calith, comprenant qu'il ne pourra rien en tirer, lui dit d'une voix calme :

 

- Très bien. Tu vas me montrer, d'accord ?

- Oui Votre Siraj...

- Et si tu n'arrives pas à dire Votre Majesté sans le mélanger avec Sire, ne dis rien, d'accord ?

- Oui Sa... Oui.