Un silence pesant s'abat sur la salle d'eau, le temps qu'ils digèrent ce qu'ils viennent d'apprendre. Puis Loundor reprend :
- Ainsi, c'est donc lui avait déposé ces objets. Je dois avouer que ça m'étonnait, que ce soit le tueur qui nous envoie ça.
- Mais en quoi c'étaient des indices ? Comment aurait-on pu comprendre qu'il voulait nous mettre sur la piste de l'assassin ?
- Je ne comprends pas non plus, Calith. Mais je crois que dans sa panique, il a pensé que ça serait évident. Et puis, comme il savait à quoi il faisait allusion, ça a dû lui paraître clair et logique.
- Qu'importe... Il est mort, maintenant, on n'en saura pas plus. Par contre, il devait également savoir qui était le tueur : l'un des deux esclaves du manuscrit.
Le regard intrigué de Calith parle pour lui. Iezahel, lui, gronde sourdement, sans doute sans même s'en rendre compte. Mais sa poitrine et sa gorge vibrent, produisant un grondement sourd particulièrement menaçant. Loundor s'explique alors, un sourire rassurant sur le visage :
- Je m'en doutais. Tu étais l'un d'eux, n'est-ce pas, Iezahel ? Alors c'est pour ça que Jeus a dit « prenez garde à votre ombre ». Il savait que Iezahel était à ton service, Calith, et il était convaincu qu'il était le tueur. Sauf que nous savons que tu n'y es pour rien, Iezahel.
- Nous le savons, Iezahel.
Cette conviction, répétée par Calith, apaise les grondements et l'esclave semble se détendre un peu. Un petit peu, seulement, car il devine le tour que va prendre la conversation. Et ça n'y manque pas.
- Le tueur est donc l'autre esclave.
La déclaration du Général plonge la pièce dans le silence. Il s'en doutait, Calith, sans pour autant vouloir partager ces doutes. Mais Loundor n'a pas cette délicatesse et assène :
- Dis-nous qui est le second esclave, Iezahel. Nous devons parler avec lui.
- Non.
Le refus catégorique laisse Loundor sans voix. Et le roi, lui, se rappelle un refus identique, quelques minutes plus tôt, pour un autre prétexte. La voix du Général devient grondement quand il répète :
- Dis-nous qui c'est Iezahel !
- Non. Et vous pouvez me torturer si ça vous chante, mais je ne le dénoncerai pas.
Ses propos, évidemment, calment immédiatement le loup-garou. Il sait qu'il a trop souffert pour subir encore ça. Et peut-être bien qu'il comprend les motivations de l'esclave.
- Depuis quand connais-tu son identité ?
- Depuis la lecture du manuscrit. Je ne connaissais pas le nom des morts, mais j'ai compris que tout était lié.
Mais Calith bondit hors de la baignoire et se précipite vers une serviette. Il vient d'avoir une intuition. Il se sèche rapidement, enfile ses vêtements sous le regard surpris du Général. Iezahel l'imite, évidemment, il n'a pas le droit de rester dans la baignoire royale si le roi n'y est plus. Et il le suit encore, quand le roi traverse ses appartements. Jusqu'à ce qu'il croise un Jérémias au nez rougit et aux yeux gonflés de larmes. Un peu sèchement, Calith lui demande :
- Qu'est ce qu'il t'arrive ?
- Je... je... ce n'est rien, Sire.
Calith laisse éclater l'un des jurons préféré de Loundor, avant de poursuivre sa route. Si le garde ne veut rien dire, qu'il se taise. Lui, il a plus important à faire qu'écouter les lamentations du petit personnel. Il s'engouffre dans son bureau, faisant sursauter Elihus. Le conseiller laisse tomber le dossier qu'il tenait entre ses mains et fixe son souverain, l'air incrédule.
- Trouve-moi toutes les archives personnelles de Lombeth. Tout ce qui pourrait se rapporter à sa vie. Vite.
Mais Elihus n'a pas le temps de s'exécuter. Loundor entre à son tour dans la bibliothèque, suivi par un Voinon tout fier, qui brandit une page noircie. Iezahel, un peu en retrait, blêmit. Arrachant le document des mains du responsable des esclave, il parcourt du regard la liste des noms. Et un léger sourire naît sur ses lèvres. Il suffit d'une seule question, très courte, pour que ce léger sourire devient un rictus.
- Va me le chercher, Voinon. Immédiatement.
Il tourne et vire dans son bureau, Calith, en attendant le retour de Voinon. Et personne n'ose l'interrompre, même s'ils ne saisissent pas ce qu'il se passe exactement. Ils ont compris que l'heure était grave et ça leur suffit pour patienter en silence. Et lorsque le responsable des esclaves revient dans la pièce, il n'est pas seulement suivi par l'esclave réclamé, mais également par Jérémias. Jérémias qui implore aussitôt son roi :
- Sire, dites-lui que je ne vous ai rien raconté !
- Serait-ce un ordre que tu me donnes, là, Jérémias ?
- Non, Sire, bien sûr que non. Mais je...
- Alors silence. Lanen, tu étais l'esclave personnel de Lombeth, n'est-ce pas ?
- Oui Sire.
- Et tu n'étais donc pas sous la responsabilité de Voinon ?
- Non Sire.
Dans le bureau, la tension est palpable. Jérémias, en larmes, dévisage son amant avec fascination. Iezahel et Lanen s'échangent des regards lourds de sens.
- Je suppose que tout à l'heure, quand vous prépariez mon bain, Iezahel t'a mis au courant de la mort de Jeus et de nos découvertes quant à ces Soirées particulières.
A nouveau, les deux esclaves entament du regard un long discours. Mais Calith les interrompt :
- Ça suffit. Dois-je te faire sortir d'ici, Iezahel ?
- Non Sire.
- Bien, alors arrête ça. Lanen, réponds-moi. Et nous avons les moyens de savoir si tu mens.
- Je suis au courant, oui, Sire.
- Et tu étais le second esclave, n'est-ce pas ?
- Oui Sire.
Les iris d'un marron lumineux ont viré au sombre. Et du défi irradie de tout son être. De la fierté, peut-être bien aussi. Mais Calith ne se laisse pas intimider.
- C'est toi qui les as tués, n'est-ce pas ?
- Oui Sire.
Il n'hésite pas une seconde, Lanen, avant d'avouer ses crimes. Jérémias sanglote, désormais, ce colosse au cœur tendre. Elihus et Voinon retiennent une exclamation étouffée. Iezahel, lui, bien droit, pince les lèvres. Et Calith, très calme, annonce :
- Nous allons nous rendre dans la salle d'interrogatoire. Sans faire d'histoires. Jérémias, si tu veux nous accompagner, tu peux le faire, mais j'exige que tu te comportes correctement. Et c'est valable pour toi aussi, Iezahel. Ne faites pas de vagues sinon vous allez au cachot avec Lanen. C'est bien compris ?
- Oui Sire.
- Lanen, mets les mains dans le dos.
Et l'esclave obéit immédiatement. Sans le brusquer, Calith lui place les avant-bras l'un contre l'autre, à l'horizontal, au milieu du dos. Et dans un murmure, il lance une invocation. Il explique alors à l'esclave, d'une voix rassurante :
- Je t'ai immobilisé des hanches au cou, pour te passer l'envie de t'enfuir. Ce n'est pas douloureux et ça ne le sera pas. Mais si tu t'avises, malgré tout, de nous fausser compagnie, j'aurais le temps de t'immobiliser complètement. C'est compris ?
- Oui Sire.
- Allons-y alors.
C'est une étrange procession, qui se dirige jusqu'aux cellules. Voinon ouvre la marche, pâle comme un linceul mais fier de participer à l'arrestation du meurtrier. Viens ensuite Iezahel, muré dans un silence lourd de reproches. Elihus, ensuite, la tête haute bien que remplie de questions. Puis c'est Lanen, à moitié paralysé, qui avance dignement, la tête haute, tandis qu'à ses côtes trottine un Jérémias éploré. Marchant de front, Calith et Loundor gardent le silence.
Ils avancent directement vers la salle d'interrogatoire du bourreau et Calith fait asseoir Lanen, lui immobilise les jambes autour des pieds de la chaise puis défait le sortilège. Il passe alors des sangles autour des poignets et des accoudoirs. Ils ont arrêté le meurtrier, il est hors de question qu'il leur fausse compagnie. Iezahel est blême, de retour dans la salle des supplices. Mais Calith n'a pas de pitié. Il lui a menti, il lui a caché des choses. Adossé à un mur, Jérémias pleure toujours en détournant le regard, comme s'il refusait de voir la séance de torture qui s'annonce. Qui ne s'annonce pas, en réalité, car le roi n'a aucunement l'intention de recourir à de tels procédés.
- Lanen, tu reconnais donc avoir mutilé et égorgé le baron de Beoan, le duc de Peliel, le prêtre Hélion et le comte de Dascien ?
- Oui Sire.
- Pourquoi ?
- Pour leur faire payer ce qu'ils nous ont fait, évidemment. Les Soirées se sont arrêtées, après votre arrivée au pouvoir. Ils continuaient leurs petites vies comme si de rien n'était. Je ne pouvais pas supporter qu'ils s'en sortent comme ça.
- Pourquoi ne pas les avoir dénoncés aux personnes compétentes ?
Lanen, le visage dur, ricane. Il a compris qu'il était découvert et qu'il ne servait à rien de nier. Conscient qu'il sera puni pour ses crimes, il sait qu'il n'a plus rien à perdre. Alors d'une voix froide comme la glace, les yeux brillants de colère et de défi, il parle. Il crache sa haine pour les coupables. Et son impuissance à se faire entendre :
- Et qui m'aurait cru ? Je savais que Iezahel n'était pas muet mais je n'avais aucun moyen de le rallier à ma cause. Et la parole d'un esclave face à un prêtre, quatre nobles et un archiviste ne vaut rien. Rien du tout. Nous ne sommes que des objets à votre disposition, à peine des hommes. Vous ne nous regardez pas, vous n'avez aucun intérêt pour nous. Sauf quand il s'agit de nous faire écarter les cuisses, évidemment. Alors qui ça aurait intéressé, hein ? Personne !
Et Calith prend ces accusations de plein fouet. Car il sait que l'esclave a raison. Sans les manuscrits trouvés chez Tathyn et chez Jeus, il n'aurait jamais cru les esclaves. Il n'aurait jamais pensé que de telles horreurs soient possible. Alors il accepte la tirade sans broncher et poursuit son interrogatoire :
- Comment as-tu pu les approcher de si près sans qu'ils se défendent ?
- Ça a été facile, pour Beoan. Il continuait à réclamer ma présence auprès de lui, même sans utiliser autant de jouets que d'habitude. Pour Peliel, je l'ai surpris juste après ses ébats avec Azhel. Il était encore à moitié dans les vapes. Hélion était en train de prier pour le salut de son âme, il n'a rien vu venir. Et Dascien...
La haine défigure le visage déjà sauvage de l'esclave. Il crache le nom du comte avec une haine si violente qu'elle fait sursauter Elihus. Calith reste silencieux. Il a bien compris que Lanen souhaite parler.
- Dascien, il s'est fait dessus quand il m'a vu rentrer dans ses appartements. La trouille l'a empêché de prononcer un mot. Il n'a pas fuit. Il était pétrifié. Je les ai tous bâillonnés et immobilisés. Je ne manquais pas d'exemples, après les Soirées. Et je me suis régalé de leur panique quand j'ai approché le rasoir de leurs précieuses parties. Comme eux se régalaient de ma panique quand ils nous torturaient. Et ces parties finissaient dans une auge à cochons. Je leur disais, bien sûr. Ils pleuraient et suppliaient du regard, mais ça ne m'a pas arrêté. Ça ne les a jamais arrêté, eux, alors je ne vois pas pourquoi moi, j'aurais dû le faire.
- Les cordes et les bourses, tu les trouvais où ?
- Une réserve en est pleine. Personne ne se soucie de ce que récupère un esclave.
- Qu'as-tu dit à Jérémias, pour le mettre dans un état pareil ?
Pour la première fois, Lanen regarde son amant et tout son visage s'adoucit. La haine a déserté sa voix quand il répond :
- Je voulais fuir. Et je lui ai proposé de venir avec moi. Mais il avait peur que je me fasse arrêter. Et il avait peur de déserter son poste. Il ne vous l'a pas dit ?
- Non, il n'a rien voulu me dire.
Le regard de l'amant revient sur le garde prostré contre le mur. La haine a fait place à un amour dévorant. Dans un murmure, l'esclave supplie Jérémias de le pardonner d'avoir douté.
- Tu vas être jugé, Lanen, et mis hors d'état de nuire. Mais si nous ne t'avions pas découvert, est-ce que tu aurais continué, après la mort de Jeus ?
- Non. Ils auraient tous été morts. Qui d'autre aurais-je pu tuer ? C'est ce que m'a dit Iezahel, tout à l'heure. Il avait compris que c'était moi, bien sûr. Et il m'a dit que je devais m'arrêter, désormais. Mais je comptais le faire, de toute façon.
La raideur de Iezahel, le regard fuyant de Lanen, tout incite Calith à croire que l'esclave omet certaines paroles de Iezahel. Comme les félicitations, sans doute. Le roi se tourne vers ses deux conseillers et leur demande :
- Vous avez d'autres questions ?
- Non.
- Emmenez-le en cellule, alors.
Deux surveillants s'approchent en entendant l'ordre du roi, eux qui étaient restés sur le seuil de la porte, n'osant pas avancer plus. Après un dernier regard à Jérémias, Lanen suit les geôliers, le visage fermé.
- Bien. On le jugera demain, Elihus.
Le conseiller, toujours pâle, hoche mécaniquement de la tête pour signifier son accord. Calith commence déjà à se détourner, l'esprit en ébullition, quand Jérémias l'interrompt :
- Sire ! Je vous en prie !
Très lentement, le roi se place face au garde. Et cette vision lui noue la gorge. Du fier soldat, solide comme un roc, il ne reste rien. Les joues inondées de larmes, la goutte au nez et l'air hagard, Jérémias n'est plus que l'ombre de lui-même. Car personne ne le dit, mais tous savent que les meurtriers sont condamnés à la peine capitale. Il sanglote de plus belle, le garde, quand il bégaie :
- Il va finir pendu ou roué, Sire, je vous en prie, épargnez-le ! Ne me l'enlevez pas !
- Il a tué quatre hommes, Jérémias.
Le regard éperdu de douleur devient deux saphirs étincelants de rage. Et si la voix est toujours vacillante, elle n'en demeure pas moins chargée de colère :
- Ah oui ! Et quels hommes ! Vous savez aussi bien que moi ce qu'ils ont fait ! On n'aurait jamais connu leurs actes si Lanen ne les avait pas tué ! Ils n'auraient eu aucun châtiment, eux ! Il les a tué, oui, mais je l'aurais fait, moi, si j'avais été au courant !
- Il n'avait pas à se substituer à la justice.
- Mais quelle justice ? Ils n'auraient rien eu du tout ! C'est ça, ce que vous appelez justice ? Laisser ces salauds en liberté ! Il n'a fait que leur rendre la monnaie de leur pièce ! Et c'était peu cher payé !
- Ça suffit, Jérémias, reprend toi !
- Je ne vous laisserai pas me l'enlever, Sire !
Le garde perd peu à peu contrôle sur lui-même. Il crie, désormais, menace Calith du poing. Le roi se retrouve rapidement protégé par Loundor et Iezahel, mais il ne reste pas insensible à la détresse du jeune homme. Les cris de Jérémias ont attiré les geôliers qui viennent d'emmener Lanen. Avisant leur présence, Calith ordonne :
- Mettez-le en cellule pour la nuit, ça le calmera. Mettez-le avec l'esclave que vous venez d'emmener.
Il se débat, le soldat, jusqu'à ce qu'il entende qu'il passera la nuit avec son amant. Alors, comme par magie, il se calme et se laisse entraîner docilement. La gorge nouée, Calith se frotte les paupières du bout des doigts avant de murmurer :
- On a besoin de repos. On en reparle demain.
- Très bien. Essaie de te reposer, Calith.
Loundor puis Elihus quittent la salle du bourreau sur quelques salutations. Iezahel, le regard à nouveau fuyant, reste immobile. Et demande dans un chuchotement :
- Il n'y a plus de tueur en liberté. Je regagne le dortoir des soldats ?
La question sous-entendue, Calith la comprend parfaitement. Souhaite-il encore la présence de l'esclave à ses côtés maintenant qu'il sait qu'il lui a menti ? Il hésite quelques secondes avant de marmonner :
- C'est quand même plus sûr si tu restes près de moi. On ne sait jamais.
Lorsqu'ils traversent les couloirs, côte à côte, Calith s'immobilise devant la cellule de Jérémias et Lanen. Il reste suffisamment en retrait pour qu'à l'intérieur, ils ne le voient pas et il chuchote à Iezahel :
- Demande à Lanen de s'approcher.
Le garde du corps obéit immédiatement et peu de temps après, le visage de Lanen apparaît derrière les barreaux. Et Iezahel murmure :
- Merci.
- Je l'ai fait pour nous deux. Et les autres avant.
- Et je ne peux t'offrir qu'un simple merci...
Calith ne prête pas vraiment attention à la conversation. Normalement, pour défaire un sort, il doit voir l'objet. Mais là, il se concentre et murmure l'incantation pour libérer Lanen de l'anneau qui le force à la chasteté. Iezahel porte soudain la main à son entrejambe, surpris et croise le regard, tout aussi surpris, de Lanen.
- Toi aussi ?
- Oui. La magie doit avoir un problème.
- Aucune importance. Je vais rejoindre Jérémias.
- Bien sûr. Profites-en bien.
Iezahel reste face à la porte, le temps de farfouiller dans son pantalon pour récupérer son anneau, lui aussi défait. Calith marmonne entre ses dents, priant pour ne pas avoir libéré tous les esclaves des lieux à la ronde. Il s'est peut-être un peu trop concentré, en fait. Iezahel, les joues roses, il s'avance vers Calith et murmure :
- Merci pour eux.
Calith ne répond rien, pas certain qu'il mérite vraiment ces remerciements. Les arguments de Jérémias ont fait mouche. Il s'apprête à condamner Lanen pour ces meurtres. Et les deux amants seront séparés à tout jamais. Alors leur permettre une toute dernière nuit ensemble ne mérite aucun « merci ».
Il n'y a pas d'esclave, dans la chambre, pour préparer son bain ce soir-là. Il l'a déjà pris, de toute façon, mais l'absence de Lanen se fait sentir. Épuisé par cette journée interminable et remplie d'informations, Calith se dirige lentement vers son lit.
C'est Iezahel qui, tout en douceur, l'aide à se déshabiller puis à se glisser sous l'édredon. Et il reste immobile à côté du lit, l'esclave, n'osant pas rejoindre son roi. Mais il suffit d'un mot pour qu'il enlève ses vêtements pour ne garder que le strict minimum et qu'il le rejoigne. Blotti tout contre son roi, il murmure :
- Je suis désolé, Sire, je ne pouvais rien vous dire.
- Pourquoi ?
- Je voulais qu'il ait le temps de les tuer tous. Et... j'aurais aimé qu'il ne soit jamais découvert.
- C'est un meurtrier.
- Je sais bien. Mais je rejoins l'avis de Jérémias. Ces hommes n'auraient jamais été inquiétés par la justice. Ne méritaient-ils pas la mort, pour ce qu'ils ont fait ? Je peux vous assurer, Sire, que pendant ces Soirées, je souhaitais qu'ils meurent tous de manière très lente et très douloureuse.
Calith, depuis le début de la conversation, essaie de tenir sa position. Mais le dernier argument de Iezahel lui broie la poitrine. Il s'imagine bien que c'est volontaire, une manière pour l'esclave de jouer de l'affection du roi pour exacerber sa colère. Mais volontaire ou non, ça fait mal. Ces hommes ont martyrisé l'homme qu'il aime. Il ne pleure pas leur mort, pas un seul instant, et se retrouve même content des circonstances de leur mort. Mais tout le château est au courant de la présence d'un assassin entre les murs. Il doit leur donner des résultats.
Iezahel est lové contre lui, le front reposant sur son pectoral. Et il se met à déposer des baisers légers comme des papillons sur la peau tout proche, tout en murmurant :
- Je suis sûr que vous pouvez trouver d'autres solutions, Sire. Ne le condamnez pas à mort, il y a d'autres alternatives.
Calith ferme les yeux et savoure la caresse. Le contact de ses lèvres sur son torse le fait frissonner de plaisir. Mais dans un chuchotement, il ordonne :
- Arrête ça, Iezahel. Ne profite pas de ta présence dans mon lit pour te servir de moi. Lanen sera jugé et condamné pour quatre meurtres.
Penaud, l'esclave souffle un « désolé » et se décale légèrement. Calith, à la recherche d'une position plus confortable, bouge lui aussi. Ce qui lui permet de sentir, juste contre la cuisse, une certaine partie de l'anatomie de l'esclave raidie par le désir. Et il s'en veut, soudain, de l'avoir suspecté d'utiliser les câlins pour l'amadouer. Il est libéré de son entrave et c'est normal, après tout, qu'il ait envie, non ?
Alors sa main se glisse tout doucement le long de son ventre, et saisit délicatement le membre raide. Iezahel gémit doucement, se rapproche un peu, glisse sa main sous l'édredon pour lui rendre la pareille. Et c'est sans un mot, sans un regard que, front contre front, ils se donnent mutuellement du plaisir.
Cette nuit-là, Calith ne dort pas beaucoup. Son esprit refuse de trouver le repos tant que sa décision concernant Lanen n'est pas prise. Iezahel, dos contre son ventre, dort roulé en boule. Plus d'une fois, il marmonne dans son sommeil, s'agite. Ses sourcils se froncent et son visage devient un masque de douleur. Alors plus d'une fois, Calith lui caresse la tête et la hanche, murmure des paroles rassurantes et dépose de légers baisers sur sa joue. Et il ne peut s'empêcher de s'interroger sur ces rêves qui hantent l'esclave. Une certitude s'impose rapidement à lui. Réelle ou imaginaire, pour lui, la cause de ses cauchemars est le souvenir de ces Soirées sordides.
Et c'est de voir cet homme qui a tant souffert se débattre dans des réminiscences douloureuses qui lui permet enfin de prendre une décision.
Il se réveille avec l'aube, frissonnant entre les draps. Il lui faut quelques minutes avant de comprendre la raison de cette sensation : il est seul dans le lit. Alors il enfouit son visage dans l'oreiller en grognant. Iezahel aurait-il commis un acte insensé ? Comme profiter de la nuit pour faire évader Lanen et Jérémias ?
Mais un léger bruit le fait redresser la tête. L'esclave est là, un lourd plateau dans les mains, un sourire hésitant sur le visage. Sans dire un mot, Calith lui ouvre l'édredon. Et toujours en silence, ils déjeunent au lit.
Il se rend compte qu'il est affamé, le roi, son dernier repas remontant à la veille à midi. Le dîner froid de la veille, demandé à Lanen, doit toujours être, intact, dans la salle d'eau. Lanen...
La simple pensée de cet esclave lui ôte toute bonne humeur. Comme s'il avait lu dans ses pensées, Iezahel murmure :
- J'ai foi en vous, Sire. Je sais que vous trouverez une solution qui conviendra à tout le monde.
Cette confiance, si elle lui fait plaisir, lui noue dans un même temps l'estomac. La mérite-t-il seulement ? Et s'en montrera-t-il digne ?
La toilette et l'habillage ne sont que des formalités qu'il accomplit rapidement. Puis d'un pas pressé, suivi par Iezahel, il se rend dans la bibliothèque.
Loundor est installé devant une impressionnante montagne de nourriture, mais ça ne lui fait pas peur, visiblement. A grands coups de fourchette efficaces, il attaque son petit-déjeuner. Elihus, lui, croquant dans une pomme, étudie des dossiers. Surprenant. Et s'il relève la tête et laisse tomber son travail à l'arrivée du roi et de son escorte, Loundor, lui, les salut d'un mouvement de la fourchette avant de poursuivre son festin.
Ils échangent des banalités en attendant que le Général ait terminé. Puis, quand tous sont opérationnels, Calith déclare :
- J'y ai réfléchi une partie de la nuit et je pense avoir trouvé une solution. Mais j'aimerais entendre vos opinions, d'abord. Loundor, ton avis ?
- Mon avis, c'est que cette affaire me fait chier.
Il s'interrompt un instant, le temps de sourire largement en voyant Elihus sursauter en entendant la grossièreté. Puis redevenant instantanément sérieux, il poursuit :
- Depuis le début de cette histoire, les choses sont claires : nous avons à faire à un tueur, sans doute pas très net dans sa tête, qui mutile et tue des innocents. Mission : arrêter et exécuter cet homme mauvais. Sauf que ces hommes qu'on pensait innocents sont bien loin de l'être. Et je suis content de savoir qu'ils sont morts dans ces conditions. Alors que fait-on du tueur ? Je vous avoue que l'idée de le pendre ne me remplit pas de joie. Ni même du sentiment du devoir accompli. Ça me fait chier.
Du défi brille dans son regard, au moment d'asséner sa dernière phrase. Mais Elihus est trop préoccupé pour le reprendre et Calith y est habitué. Voyant que le Général a terminé d'exposer son avis, il se tourne vers le conseiller et lui demande :
- Et toi Elihus ? Ton avis sur la question ?
- J'ai du mal à réaliser. Que Jeus soit coupable de tels actes m'a empêché de dormir. Je n'en reviens pas d'avoir côtoyé cet homme pendant des années sans me rendre compte de ses vices. Le fait est que nous devons annoncer à la cour que le meurtrier a été arrêté, suspendre le couvre-feu et faire rentrer les soldats dans leur caserne. Et j'aimerais autant que possible qu'on évite de trop en dire sur les motivations du tueur.
Elihus se lève, se passe une main dans la barbe et tourne en rond tout en expliquant :
- Il est évident que nous devons les rassurer, leur déclarer qu'ils ne risquent plus rien. Mais nous n'avons pas le droit d'exposer les personnes les plus sensibles à la folie de ces hommes. Ces actes sont loin d'être anodins et risquent de choquer. Et je ne voudrais pas donner des idées à certains. Nous devons également le faire par égard pour leurs familles et pour les victimes de leurs actes. Quant au jugement, je suis moi aussi embêté à l'idée de le pendre. Ses actes étaient guidés par la vengeance et même si ça n'excuse rien, on ne peut pas le châtier de la même manière qu'un homme qui aurait tué par plaisir. Sauf que ça, on ne pourra pas le dire à la cour. Et la cour va vouloir le voir mort.
Commentaires
Merci beaucoup !
Bonjour !
Félicitation pour la photo du jour et bonne continuation pour ton roman.
Bonne journée !