VEF Blog

Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 11-09-2013 à 14:00:05

Iduvief, chapitre 4

 

 

Calith scrute les iris ébènes avant d'acquiescer : leur discussion du matin lui a permis de mettre de côté ses doutes, et d'envisager une nuit sans lui de manière plus sereine. Et puis, ils sont loin du château, désormais, et les chances qu'on le reconnaisse sont minimes. Avec un peu de chance, il pourra insister pour garder Iezahel près de lui sans faire un scandale.

Le brouhaha s'interrompt dès qu'ils franchissent la porte et un petit homme, maigre et ridé comme une vieille pomme, trottine jusqu'à eux :

 

- Soyez les bienvenus à L'Hydre qui fume, messires ! Prenez place, mes braves, prenez place. Avez-vous laissé des chevaux dehors ?

- Le temps de s'annoncer, oui.

- D'accord. Prenez place, je vous sers et je m'en occupe tout de suite après.

- N'avez-vous donc pas de garçon d'écurie ?

 

La question de Calith, qui s'exprime au nom de tous depuis qu'ils sont entrés, déclenche courbettes et sourires crispés, et d'une voix chevrotante, l'aubergiste répond :

 

- Hélas non, mon bon sire, mais je vous garantis qu'ils seront bien traités, sans attendre.

 

Calith imagine sans peine ce petit bout d'homme essayant de faire avancer neuf chevaux en même temps pour pouvoir rapidement s'occuper de ses clients. Et d'une voix douce, il déclare :

 

- Nous ne sommes pas à cinq minutes, nous allons vous aider. Conduisez-nous aux écuries.

- C'est gênant, messire, c'est mon rôle.

- Et vous allez y passer un temps fou. Laissez-nous vous aider.

 

Ils ont donc à peine eu le temps de savourer la chaleur de l'auberge qu'ils ressortent, conduits par l'aubergiste. Ce dernier les entraîne dans un étroit passage qui les conduit dans l'arrière-cour, où sont entassés tonneaux vides et caisses brisées. L'écurie est un nom bien pompeux pour cette grande pièce, uniquement équipée d'anneaux de fers plantés dans les murs en pierre. Mais la paille est fraîche et l'avoine saine, aussi les voyageurs s'empressent-ils d'attacher leurs chevaux. Ils leurs retirent leurs selles rapidement avant de les bouchonner soigneusement, puis l'aubergiste sert de généreuses rations d'avoine et d'eau à chacune des montures. L'aubergiste en profite pour se présenter, Xalaphas de son prénom, et complimente sans répit leurs montures. Calith, peu sensible à ce genre de flatteries, lui demande :

 

- Avez-vous des dispositions particulières pour les esclaves ?

 

Xalaphas émet une sorte de cri étranglé qui se mue en rire sec avant de se terminer en quinte de toux, laissant le groupe bouche bée. Lorsque l'aubergiste reprend son souffle, il les scrute avec attention à la lueur de la lanterne qu'il tient à bout de bras, cherchant à savoir si l'un d'entre est esclave, et lequel. Emmitouflés comme ils sont, c'est impossible à voir, alors il déclare, avec moult courbettes :

 

- Je suis navré, mon bon sire, mais seules les auberges opulentes offrent ce genre de service. Mais si vous avez un esclave avec vous qui vous indispose, nous pourrons sûrement lui trouver une paillasse à mettre au coin de la cheminée pour la nuit.

- C'est inutile, il ne m'indispose pas et dormira avec nous.

- Comme il vous plaira, messire, comme il vous plaira.

 

Encore quelques courbettes et l'homme rejoint l'entrée à petits pas pressés, avant de s'immobiliser brusquement. Il semble hésiter un instant, sous le regard amusé de sept paires d'yeux, avant de se retourner et de murmurer :

 

- Notre auberge n'est guère luxueuse, mes bons sires. Les draps sont lavés régulièrement, et la nourriture est bonne, mais il faudra partager les couches. J'espère de tout cœur que vous n'y voyez pas d'inconvénients.

 

Calith et Loundor échangent un regard en quête d'approbation. Pendant leur fuite, alors que le Tyran était au pouvoir, ils ont connu ce genre d'auberge : l'étage est constitué d'une seule et immense pièce, et ce qui tient lieu de murs entre les chambres est en réalité des draps tirés sur de fines cordes en chanvre. Quant aux lits, afin de rentabiliser l'espace et de garantir un peu de chaleur en hiver, ils se composent d'une grande planche en bois, sur laquelle est posé un matelas en paille, et qui accueille entre quatre et six personnes, connues ou inconnues. Xalaphas passe d'un pied sur l'autre, nerveux, appréhendant leur verdict, et lance de fréquents regards vers l'auberge, comme s'il craignait l'arrivée de quelqu'un. Lorsque Loundor, d'un sourire rassurant, lui certifie que ça ne pose aucun problème, le petit homme soupire de soulagement. Et c'est en trottinant qu'il les conduit jusqu'à la salle principale.

 

Les voyageurs sont à nouveau la cible de la curiosité des clients de l'auberge. Ils ne sont pas bien nombreux, pourtant, ces clients, mais la simplicité de leurs rudes vêtements en laine, leurs visages burinés, et les quelques mains calleuses qu'ils peuvent apercevoir démontrent qu'ils sont de simples gens, paysans ou artisans. Et malgré le côté inédit de la présence d'un groupe de nobles dans l'auberge, ils reportent bien vite leur attention sur leurs chopes de bières, laissant les voyageurs découvrir les lieux. Le sol est en terre battue, les tables sont bancales, mais dans l'âtre, une énorme bûche crépite, enfumant la salle et répandant une douce chaleur. Xalaphas les conduit à sa meilleure table, qui s'avère, sans surprise, être bancale et dont le plateau est éraflé, troué, et marqué par des traces d'eau. Pourtant, elle est propre, tout comme les bancs. L'aubergiste disparaît quelques minutes avant de revenir avec des chopes et des pichets de bière, suivi par une jeune femme charmante, qui porte écuelles et cuillères. Les jumeaux ne sont pas en reste pour la complimenter mais ils s'interrompent bien vite en voyant la mine de Xalaphas : il semble hésiter entre les remettre à leur place ou les laisser faire puisqu'ils sont clients, après tout, et plus riches que la moyenne. Mais les jumeaux, tout plaisantins qu'ils sont, remarquent rapidement la ressemblance entre la jeune femme et leur hôte et décident de ne pas mettre à l'épreuve la diplomatie du père. Ce dernier entraîne sa fille dans les cuisines, et revient peu après, porteur d'une marmite de potage épais, tandis qu'elle amène un plateau de tourtes au fromage.

 

C'est Asaukin qui fait le service et ils se jettent tous sur la nourriture. La soupe est délicieuse, agrémentée de lard, de céréales et de légumes, tandis que les tourtes sont tout simplement savoureuses. Ils dévorent en silence, sans trop se soucier de ce qu'il se passe autour d'eux, jusqu'à ce que la musique retentisse. L'un des client à sorti une espèce de luth étrange, et ses compagnons de table entonnent en chœur une chanson joyeuse, bientôt reprise par tous les habitués. Les chansons se succèdent, ravissant les jumeaux et Asaukin : ils ne tardent pas à mêler leurs voix aux autres. L'ambiance est chaleureuse, et si les fausses notes sont légion, ils mettent tout leur cœur dans les chansons. Toute la tablée de Calith se met à chanter à son tour, même le roi, même Iezahel qui fredonne doucement, même le Général bourru.

 

Xalaphas est venu débarrasser les couverts et apporter de nouveaux pichets de bière, et leur a offert un sourire édenté, visiblement ravi de voir ses clients prestigieux apprécier la soirée. Mais les rengaines populaires passent, et le musicien se met à jouer un air grave, et le meilleur chanteur entonne :

 

Notre pauvre royaume de Pieveth,

Sous le joug de l'imposteur Lombeth,

Enrôlements, famines et impôts,

Oui, notre royaume souffrait mille maux,

Mais à force de complots, il est arrivé,

Celui qui, dans nos campagnes, on appelle l'héritier,

Fils de notre roi bien-aimé, il est beau et vaillant,

Il est le gendre parfait pour bien des parents.

Dans la salle même du trône, où l'Imposteur,

Sans aucun scrupule, posait son sale postérieur,

Avec ses amis, il s'est battu férocement,

Pour la justice, sa main ne tremblait aucunement.

Grandiose fut la bataille, et si le sang coula,

Finalement, la tête de l'Imposteur au sol roula.

De l'Imposteur, l'héritier nous avait débarrassé,

Roi de Pieveth, il fut couronné.

Elihus, Loundor, ses conseillers l'ont aidé,

Zélina, son épouse dévouée, l'a aimé,

Et de leur union une fille est née,

Du Taiseux, toujours, il est accompagné

Calith de Pieveth, notre roi bien-aimé,

écoutez-les, il y a un royaume à panser,

Restaurer notre royaume s'impose,

Sur vos épaules, tous nos espoirs reposent.

 

Si les soldats, à la table de Calith, ont fredonné discrètement, c'est une vraie découverte pour Calith, qui écoute les paroles les yeux exorbités. Il se penche vers Loundor et murmure :

 

- Tu connaissais cette chanson ?

- Je l'ai peut-être entendue une fois ou deux.

L'imposant loup-garou se tasse sur lui-même, et s'absorbe dans la contemplation d'une éraflure sur le bois de la table. Mais Calith ne compte pas en rester là et poursuit :

- Tu avais déjà entendu ces paroles ?

- Peut-être pas exactement les mêmes mais le gros de l'histoire était là, oui.

- C'est qui, le Taiseux ?

- Hum... c'est … euh, le surnom qu'ils donnent à Iezahel.

- Pourquoi tu ne m'as pas parlé de cette chanson plus tôt ?

- Parce que je me doutais bien que tu n'allais pas apprécier.

 

Calith lui jette un regard noir, mais une autre chanson a commencé, et les soldats autour de la table beuglent à qui mieux mieux, rendant impossible toute conversation discrète. La main de Iezahel vient presser son genou, et il lui murmure à l'oreille :

 

- Profite de la soirée, on en parlera plus tard.

 

Être loin de la cour, loin des regards qui scrutent chacun de leurs gestes, lui permet, avec la bière, de profiter effectivement de la soirée. C'est avec plaisir qu'il joint sa voix aux autres pour chanter les refrains populaires, et même, alors que la soirée avance, les rengaines paillardes. Il oublie peu à peu ses responsabilités, son rang, et retrouve la joie simple de partager un moment convivial sans avoir à se préoccuper de la bienséance.

Ce n'est que lorsque la nuit est bien avancée qu'ils ressentent enfin la fatigue de la journée, et qu'ils se résignent à monter se coucher. Xalaphas les précède jusqu'à l'étage, quasiment inoccupé, pour leur montrer leurs lits : deux larges matelas ainsi qu'une épaisse couverture. Dès qu'il a tourné les talons, Loundor inspecte les draps et les décrète sans vermine : une bénédiction dans ce genre d'établissement.

 

Nyv' et les jumeaux se partagent le premier lit sans rechigner. Calith et Iezahel s'allongent au milieu du second lit, puis Loundor et Asaukin prennent les places restantes, sur les bords. En cas de visite nocturne, l'intrus devra déranger un loup-garou ou un vétéran de l'armée avant de mettre la main sur le roi. Pour la première fois depuis leur départ, les deux amants peuvent dormir blottis l'un contre l'autre, et il ne leur faut qu'une poignée de minutes avant de sombrer dans le sommeil.

 

 

 

 

Ce sont des gémissements qui réveillent Calith peu après l'aube. Iezahel, le visage crispé de souffrance, se débat faiblement entre ses bras. Bien qu'à moitié réveillé, Calith le serre contre lui, et caresse doucement la base de son crâne. Et il alterne, comme d'habitude, baisers sur la tempe et paroles réconfortantes chuchotées à l'oreille :

 

- Du calme, Iezahel, c'est un cauchemar, ce n'est pas réel. Je suis là, tu ne risques rien.

 

Les cauchemars de l'esclave sont si récurrents que ces gestes sont devenus un rituel. Il sait par contre qu'ils ne suffiront pas à l'apaiser, alors, bien conscient que, cette fois, ils ne sont pas seuls dans le lit, il le serre plus fort contre lui pour étouffer ses sanglots. Mais quand il redresse la tête, il croise le regard anxieux de Loundor qui, d'un simple hochement de tête, fait signe qu'il comprend la situation. Et il quitte le lit, rapidement imité par Asaukin. Alors Calith reprend sa litanie rassurante, essuyant les joues de son amant, le caressant et l'embrassant jusqu'à le tirer de son cauchemar. Et il le serre encore contre lui lorsqu'il se réveille, le souffle court, perdu entre rêve et réalité, murmurant sans répit des paroles rassurantes. Jusqu'à ce que Iezahel se laisse retomber sur le dos, passant la paume de ses mains sur ses paupières pour chasser les derniers vestiges du cauchemar.

 

Calith sait bien qu'il est inutile de lui demander des détails sur son mauvais rêve, et il n'y tient guère de toute façon : il en devine sans peine le contenu. Il sait également que seule sa présence peut l'apaiser, alors il se blottit contre lui, la tête contre son épaule musclée, la main jouant tendrement avec les poils sous son nombril, silencieux.

 

- Les autres sont levés ?

- Oui, ils sont descendus.

- Avant ?

- Oui, un peu avant.

 

Calith a proféré ce mensonge sans la moindre hésitation, sachant parfaitement que ni Loundor, ni Asaukin ne souffleront mot de ce qu'ils ont vu de son cauchemar. Qu'importe un arrangement avec la vérité, si ça permet de préserver sa fierté. Et Iezahel n'est pas assez réveillé pour le détecter.

Voyant que son compagnon est désormais réveillé, Calith murmure :

 

- Tu es dans la chanson. Tu l'avais déjà entendue avant ?

- Non, jamais. Je ne vais jamais dans les tavernes.

- Mais tu savais pour ton surnom ?

- Oui, on m'appelle comme ça, parfois. Et puis, ils se rendent compte de ce qu'ils ont dit, alors ils se mordent les lèvres et s'excusent platement.

- Et ça ne te dérange pas ?

- C'est toujours mieux que ''Le simplet''.

 

Le silence s'installe quelques instants, avant que Calith ne reprenne :

 

- Je suis content que tu sois dans cette chanson, même avec ce surnom.

- Mais cette chanson ne t'enchante pas, hein ?

- Elle me gêne surtout. Je ne suis pas sûr de mériter autant d'honneurs, ni autant de confiance.

- Tu les mérites, crois-moi.

 

Calith se redresse pour l'embrasser tendrement, mais il est vite interrompu par un grondement sourd. Iezahel, riant doucement, murmure :

 

- A défaut de te dévorer tout cru, il faudra que je me contente d'un solide petit-déjeuner, sans attendre.

 

Il dépose un baiser, sans douceur, sur les lèvres d'un Calith frustré, avant de se lever et de s'habiller rapidement. Il fait froid, à l'étage, et les ablutions attendront qu'ils arrivent dans un lieu plus chaud.

Loundor et ses hommes sont déjà installés lorsque les deux amants les rejoignent, et ils les saluent en toute simplicité.

La cheminée a été allumée et répand déjà sa fumée dans toute la salle, où ils sont seuls, si tôt le matin. C'est une masse qui sort soudain de la cuisine, avançant péniblement jusqu'à la table. Une femme, presque aussi grande que Calith, plus large que lui, mais elle, ce n'est pas que du muscle. Sa robe toute simple, en laine grise, ne cache rien de sa très généreuse poitrine, ni de son ventre.

 

Ses lèvres sont pincées et ne s'étirent pas en un sourire. Elle dépose sans aucune douceur un plat garni de galettes sur la table, sans un mot, et tourne les talons, faisant voir à tous son fessier rebondi qui ondule à chaque pas. Puis elle revient, apportant miel, confiture et pichet de tisane fumante. Elle bougonne ce qui pourrait s'apparenter à un sec 'bon appétit', avant de disparaître.

Ils se regardent, retenant leurs rires, tous pensant qu'elle ressemble furieusement à Loundor mal réveillé, mais personne n'osant le dire à voix haute. Puis ils se ruent sur les galettes, qu'ils tartinent abondamment et qui s'avèrent être délicieuses.

 

Lorsqu'il ne reste que des miettes sur la table, Calith est rassasié, mais il devine, dans les regards frustrés de Loundor et de Iezahel, qu'ils auraient bien continué à manger encore un peu. Alors, lorsque l'énorme bonne femme revient, il rassemble son courage pour l'affronter et lui demande :

 

- Est-ce qu'il serait possible d'en avoir encore ?

 

Elle plisse les yeux, scrute les miettes épargnées et voit enfin les sourires charmeurs et innocents des loups-garous. Loundor, un sourire charmeur et innocent. Calith manque de s'étouffer en voyant l'air que ça lui donne, mais se garde bien de faire le moindre commentaire. Les joues charnues de la femme se plissent tandis qu'un sourire ravi naît sur ses lèvres et elle s'exclame :

 

- Vous avez aimé ! Pour sûr que j'va vous en r'faire !

 

Elle revient quelques minutes plus tard, portant un plat rempli de galettes encore fumantes, et deux pots qu'elle dépose cérémonieusement sur la table :

 

- Du caramel au beurre salé et de la confiture de mûres sauvages. Vous m'en donnerez des nouvelles !

 

Elle hésite un instant, mais finalement, elle s'adosse derrière le bar et regarde, visiblement comblée, les voyageurs se ruer à nouveau vers les galettes. Et il faut tout l'appétit des loups-garous pour venir à bout de la montagne de galettes. Finalement, ils se tassent sur eux-même, repus et béats de contentement. Et il se fait l'effet d'être un monstre lorsque Calith déclare :

 

- Il va falloir songer à y aller, nous avons encore beaucoup de route à faire.

- XAAAAL !

 

Comme si elle n'attendait que ce signal, la femme s'est soudainement mise à beugler, et l'aubergiste rapplique immédiatement, tout courbé et tout sourire.

 

- Oui ma douce ?

- I s'en vont.

- Je m'en occupe tout de suite, ma douce.

 

Elle tourne les talons, non sans avoir offert un sourire radieux à Loundor et à Iezahel, et disparaît dans les cuisines. Xalaphas trottine vers eux, s'incline à plusieurs reprises, et leur demande :

 

- Votre séjour vous a-t-il satisfait, mes bons sires ?

 

Loundor laisse échapper un rot discret, et Calith répond en souriant :

 

- C'était parfait.

 

C'est le moment de régler la note, et l'aubergiste semble hésiter, comme s'il redoutait de voir les voyageurs rechigner. C'est donc le roi qui prend les devants et qui lui demande combien ils lui doivent. Et lorsque Xalaphas reçoit deux pièces d'argent, au lieu de la grosse pièce de cuivre qu'il demandait, il bégaie :

 

- Mais c'est beaucoup trop, messire. Beaucoup trop !

- Gardez-les, elles serviront à l'entretien des lieux.

- Je ferai faire un dortoir pour esclaves, mon bon sire, comme dans les riches auberges.

- Surtout pas, non. Mais faites réparer cette cheminée qui enfume toute la pièce et raccrochez votre enseigne.

 

Les voyageurs rassemblent leurs affaires et suivent l'aubergiste, qui ne cesse de se répandre en remerciements, jusqu'aux écuries. Calith, alors qu'il récupère son cheval, lui dit :

 

- Vous pourriez en profiter pour embaucher un garçon d'écurie.

 

L'homme marque un temps d'arrêt, leur offre un sourire édenté et moult courbettes avant de répondre :

 

- C'est que c'est mon fils, le garçon d'écurie. Et je n'ai pas le cœur à le remplacer.

- Il est parti ?

 

Le sourire disparaît sur le visage ridé, et il lève les yeux, remplis de larmes, au ciel en répondant :

 

- Les Dieux l'ont rappelé à lui. Il a voulu empêcher les soldats de venir prendre l'impôt de Lombeth, il savait bien qu'on n'avait pas de quoi payer. Alors ils l'ont arrêté, et ils l'ont torturé, là-bas, sur la place du village. On n'a même pas pu récupérer son corps, ils l'ont laissé aux corbeaux, en nous interdisant d'en approcher.

 

Un silence de plomb s'est abattu sur l'écurie. Calith, la gorge nouée, prend une autre pièce d'argent dans sa bourse et lui met dans la main en disant :

 

- Faites graver son portrait, et accrochez-le dans votre auberge.

 

Xalaphas tombe à genoux et embrasse, entre deux sanglots, la main royale en répétant :

 

- C'est trop ! Merci, merci ! C'est beaucoup trop ! Merci, merci, mon brave.

- Prenez soin de vous.

 

Ils finissent par quitter les lieux, entendant jusqu'au bout de le rue les remerciements de l'aubergiste. Et ce n'est qu'une fois hors de la ville, alors qu'ils ont laissé derrière eux le plus douloureux de l'histoire, que l'un des jumeaux déclare :

 

- Une fois, au fin fond de Pieveth, on a trouvé une auberge pour y passer la nuit...

- Pas la meilleure qu'on ait connu, ça, c'est sûr, mais au moins, il faisait chaud...

- Et le nom de cette taverne, c'était...

- L'ourse et le moustique.

 

Les jumeaux déclament en cœur le nom de l'auberge, avant d'éclater de rire. Asaukin, un sourire poli sur le visage, ayant l'habitude de l'humour des jumeaux, ajoute :

 

- C'est vrai que ce nom irait mieux pour l'Hydre qui fume.

 

Et les deux de partir en fou-rire, tellement communicatif qu'ils arrachent des sourires à tout le monde.

 

- L'ourse... et son miel !

 

Mais Loundor, bougonnant, les coupe tout net dans leur élan en déclarant :

 

- Elle a été fort sympathique, cette brave femme. Et ses galettes étaient délicieuses.

 

Les jumeaux, loin de s'avouer vaincus par cette rebuffade, enchaînent sur les meilleurs plats qu'ils n'aient jamais goûté, ainsi que les plus exotiques. Ils chevauchent donc jusqu'au déjeuner en parlant nourriture, oubliant la neige, le vent du nord qui s'est levé et le givre qui pend aux arbres. Et si Calith ne participe guère, il devine sans peine que ces discussions futiles sont un moyen comme un autre d'oublier la détresse de Xalaphas. Alors il se montre bon public.