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Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 19-11-2013 à 09:21:18

Iduvief, chapitre 9

 

 

 

 

Ce sont des gémissements étouffés qui le réveillent. Le lit est comme parcouru de soubresauts, et la couverture s'agite follement. La soulevant doucement, il découvre Iezahel, roulé en boule, les mains sur la tête pour se protéger, sursautant, se débattant et gémissant à chaque coup porté sur lui dans son cauchemar. Calith est parfaitement réveillé, désormais. C'est déjà arrivé, par le passé, et la première fois, il s'était pris un coup de genou dans les parties, en voulant le tirer de son mauvais rêve en le touchant. Trop dangereux de s'approcher, quand il gesticule comme ça. Alors il bloque ses émotions, prend une grande inspiration, et ordonne, de sa voix la plus autoritaire :

 

- Ne bouge plus.

 

Iezahel, tout perdu dans son cauchemar qu'il est, lui obéit et d'une voix secouée de pleurs, supplie :

 

- Pitié, je l'ai gardé. Pitié.

 

Il est immobile, désormais et s'étouffe presque en implorant, pris de sanglots incontrôlés. Calith s'approche alors, retirant délicatement le bras qui protège sa tête de manière à pouvoir le serrer contre son torse sans risque d'être blessé, la gorge nouée. Il l'embrasse sur le crâne, sa main libre lui caresse le dos, insistant sur son tatouage, et il murmure :

 

- Je sais que tu l'as gardé. Je sais. C'est fini maintenant. Du calme, c'est fini.

 

Un mince filet de lumière s'infiltre sous la porte, lui permettant de voir, braqué sur lui, le regard de Loundor. Oh bon sang. Mais il poursuit ses caresses et ses paroles apaisantes, laissant le temps à Iezahel de s'extraire de son cauchemar. Jusqu'à ce que ce dernier bascule sur le dos et passe ses paumes sur ses yeux pour essuyer ses larmes.

Un jour, Calith osera lui demander ce qu'il devait garder, mais ces réveils le secouent bien plus qu'il ne l'avouerait. Pour le moment, il fait semblant de savoir de quoi il parle dans son cauchemar. Et puisque ça fonctionne...

 

Iezahel tourne soudain la tête en direction de Loundor, pour le voir paisiblement endormi. Du moins en apparence. Mais ça, il l'ignore, alors, soulagé, il revient se blottir contre son amant et murmure des excuses. Et Calith, la gorge nouée, est incapable de répondre. « Ce n'est rien » « Je n'avais plus sommeil de toute façon », seraient autant de mensonges qu'il se refuse de prononcer.

Ils se savent incapables de dormir, l'un trop remué par ce qu'il vient de voir, l'autre encore frissonnant d'horreur. Mais ils ont besoin de sentir la présence de l'autre, d'effleurer sa peau, de se repaître de son odeur, de partager sa chaleur. Ils restent ainsi un long moment, jusqu'à ce que des coups soient timidement frappés à la porte. Loundor se lève, s'étire bruyamment avant d'aller ouvrir, et de récupérer un plateau vacillant des mains de l'esclave de la veille.

 

Le brasero s'est éteint dans la nuit, et il ne fait pas bien chaud, dans la chambre, toute petite qu'elle soit. Mais ils s'affairent tous, rentrant le pot de chambre, propre, laissé dans le couloir, ainsi qu'un second brasero, plus grand, sur lequel est placé une bassine en étain, et les seaux de charbon et d'eau. Ils allument les chandelles, les braseros, font chauffer de l'eau et satisfont leurs besoins naturels avant de se recoucher pour profiter d'un petit-déjeuner dans la douce chaleur de leurs lits. Aucun mot n'est échangé, tous font comme s'il ne s'était rien passé dans la nuit. Le généreux petit-déjeuner est vite expédié, tout comme la toilette de chacun. Lorsqu'il en a terminé, Iezahel lave soigneusement leurs vêtements, avant de les pendre comme il le peut, pour les faire sécher. Et alors qu'il s'apprêtait à verser les herbes pour la gorge de Calith, ce dernier l'interrompt :

 

- Laisse. On doit aller voir le médecin, autant avoir une bonne raison.

 

Iezahel acquiesce d'un hochement de tête, remettant les herbes dans sa besace. Il a les traits tirés de fatigue, et le regard un peu vague. Calith s'approche doucement de lui et l'embrasse chastement, puis le remercie pour sa prévenance.

 

Ils sont prêts, aussi décident-ils de passer d'abord saluer les jumeaux, Nyv' et Asaukin. Mais leur chambre est déserte, ils sont déjà partis à la chasse aux informations. Ils poursuivent donc leur chemin, se rendant directement au second étage. Ils s'arrêtent cependant devant la petite fenêtre qui orne le palier, découvrant un paysage à couper le souffle. De fins flocons tombent paresseusement, et malgré le ciel gris et bas, ils distinguent bien la dense forêt, toute de blanc vêtue qui descend jusqu'à la vallée qu'ils surplombent. Ils restent immobiles, tous les trois, devant cette promesse de liberté, eux qui aiment tant être à l'extérieur. Mais vu le temps...

 

C'est un son bien particulier qui les extirpe de leur contemplation : le bruit de sandales heurtant irrégulièrement les dalles. Severin grimpe péniblement les escaliers, les bras chargés de manuscrits, grimaçant de douleur.

Il les salue avec beaucoup de courtoisie, et Calith en profite pour lui demander de leur indiquer où trouver le médecin. Et comme il se trouve non loin des appartements d'Égeas, l'esclave leur propose de les y emmener. Il peine un peu à avancer, avec son fardeau, mais décline l'offre de Iezahel de l'aider. Alors ils le suivent, progressant lentement, au rythme de l'infirme.

 

L'antre du médecin ne se distingue en rien des autres appartements de l'étage, et il leur faut patienter de longues minutes avant qu'on ne vienne leur ouvrir. C'est un homme de petite taille, qui arrive à peine au torse de Calith, d'un âge avancé, qui se tient devant eux. Il écarte d'un geste agacé ses cheveux blancs comme la neige, fins et négligés, et dévisage ses visiteurs de ses petits yeux de fouine. Il désigne d'un doigt décharné Iezahel, et crache :

 

- J'espère que vous ne venez pas pour lui, je n'ai que faire de soigner des esclaves.

 

La main de Iezahel cherche à boutonner sa chemise, mais son collier, trop large, demeure parfaitement visible, chemise boutonnée jusqu'au col ou non. Et il encaisse, sans broncher, l'animosité du médecin, retenant même un sourire lorsque Calith, d'une voix glaciale, répond :

 

- C'est pour moi. Du moins, si vous estimez que j'en vaux la peine et que vous en avez le temps.

- Entrez.

 

Le médecin ne leur souhaite pas la bienvenue, et rien dans son comportement n'indique qu'il mettra de la bonne volonté. L'antre du médecin est une véritable caverne aux trésors : d'innombrables flacons et bocaux sont alignés avec soin sur les étagères qui couvrent tous les murs. Une table, vierge de tout encombrement, un fauteuil et un lit composent le reste de l'ameublement. Le médecin, arrivé au centre de la pièce, se tourne vers eux et dit :

 

- Je m'appelle Ketil, médecin d'Iduvief depuis... bah, aucun de vous n'était né quand je suis entré en fonction. Et vous, vous êtes ?

 

Les trois hommes échangent un regard de connivence et Calith répond :

 

- Je suis un compagnon de voyage du Général Loundor.

 

Ketil braque aussitôt son regard perçant sur Loundor, si intensément qu'il finit par le mettre mal à l'aise, puis demande :

 

- Vous êtes le Général Loundor ? Celui dont on parle dans tout Pieveth, le bras droit de notre Roi ?

- En effet.

- J'ignorais que nous accueillions un si prestigieux invité. Vous êtes bien loin de notre Roi.

 

Le vieillard s'est un peu radoucit, alors qu'il montre, d'un geste de la main, le fauteuil à Calith. Mais toute son attention est rivée sur Loundor, attendant une réponse à sa question implicite. Et Loundor lui fournit de bonne grâce :

 

- J'ai répondu à l'appel d'Artéus, mais il semblerait que j'arrive trop tard.

- Il nous a quitté, en effet, il y a une douzaine de jours. Marsylia ne vous l'a pas annoncé ?

- Si, même si elle ne nous en a guère dit plus. Mais maintenant que nous sommes là, et puisqu'il semblerait que personne n'a besoin de nous, nous n'allons pas tarder à repartir. Je voulais juste qu'il vienne vous voir, pour son mal de gorge. Et ensuite, j'irais me recueillir auprès d'Artéus. J'aimerais juste savoir... A-t-il beaucoup souffert, avant de nous quitter ?

- Sa fin n'a pas été paisible. C'était pourtant parti d'une simple angine, mais il a été pris de faiblesse ensuite. Il se plaignait de maux de tête, de vertiges, et son angine ne passait pas. Son état s'est dégradé au fur et à mesure, il avait de plus en plus de peine à respirer. Mes remèdes n'ont rien pu faire.

- Et tout est parti d'une angine ?

- Oui, une banale angine.

- C'était pourtant un homme robuste.

- Je sais bien. Mais certaines maladies se développent de manière inattendue, surtout si elles ne sont pas soignées à temps.

- J'ai bien fait de vous amener l'un de mes compagnon de route, alors.

- Ah oui ! Lui !

 

Ketil se tourne vers Calith, qui patiente sagement sur le fauteuil depuis le début de la conversation, et le dévisage comme s'il se rappelait soudainement de sa présence. Puis, sans précaution aucune, lui palpe la gorge sans douceur, lui ouvre la bouche pour regarder à l'intérieur et le fait parler tout en maintenant une pression inflexible sur le menton. Et Calith ne peut s'empêcher de regretter le doux traitement de son amant, qui a pris soin de lui avec tant de délicatesse. Puis Ketil, toujours aussi brusque, rend son verdict :

 

- Angine.

 

Il se déplace à petits pas jusqu'à l'une des étagères, cherche parmi les bocaux jusqu'à en prendre un, d'où il prélève une mesure d'un mélange d'herbes soigneusement pillées. Puis il la glisse dans un petit sachet, qu'il colle entre les mains de Calith en martelant :

 

- Une infusion, trois fois par jour. Vous en avez pour deux jours, là. Si ça ne va pas mieux, revenez me voir.

 

Puis il se détourne complètement de Calith pour se concentrer à nouveau sur le Général :

 

- N'hésitez pas à demander à un esclave de vous conduire au caveau, Je vous y aurais bien conduit moi-même, je m'y rends souvent, mais je suis débordé de travail en ce moment.

- Merci pour le remède, et merci de nous avoir accordé un peu de votre temps.

 

Il faut connaître Loundor pour percevoir, dans ses remerciements, tout le mépris et tout l'agacement qu'il ressent. Ketil s'incline légèrement, un fin sourire fleurant sur ses lèvres, clairement flatté d'avoir conversé avec un homme aussi prestigieux. Il n'a pas regardé une seule fois Iezahel, comme s'il était invisible, et Calith a peine plus. C'est donc amers qu'ils quittent l'antre du médecin, se promettant de n'y retourner qu'en ultime recours.

 

 

 

 

Ils ne font aucun commentaire, une fois dans le couloir, mais Iezahel prend des mains de son amant le sachet d'herbes, sans un mot. Ils s'arrêtent sur le palier, près de la petite fenêtre où ils ont regardé le paysage plus tôt. Iezahel ouvre alors le sachet et le renifle longuement, avant de hocher doucement la tête :

 

- C'est le même mélange que celui que j'ai apporté. C'est bon.

 

Et le visage grave, il rend la pochette à Calith. Loundor approuve son geste d'un mouvement de la tête et annonce :

 

- J'aurais le temps d'aller au caveau cet après-midi. Par contre, ce serait bien d'aller se renseigner sur ces cercles de bois qui permettent de marcher sur la neige, ça peut prendre du temps avant qu'on puisse nous en prêter.

- Allons-y !

 

Calith est enthousiaste. En fait, n'importe quelle activité le rendrait enthousiaste. Il s'ennuie, dans cette ambiance étrange et brûle d'agir. Ils pourront peut-être, enfin, rencontrer une personne sympathique ici. Un problème se pose, cependant : ils ignorent à qui s'adresser. Ils redescendent donc jusqu'au rez-de-chaussé et tournent et virent jusqu'à tomber sur l'esclave qui apporte leurs plateaux repas, occupée à récurer le sol. Loundor la terrorise, c'est une évidence lorsqu'elle se met à trembler de tous ses membres en voyant sa silhouette massive se dresser devant elle. Il prend pourtant une voix douce, aussi douce que possible, pour l'interroger. Mais il faut lui faire répéter plusieurs fois, car elle bredouille tellement qu'elle est incompréhensible. C'est Égeas, qui s'occupe des stocks. Ils doivent voir avec lui.

 

Ils se dépêchent de regagner le second étage, espérant que le conseiller soit encore en état de leur répondre. C'est un aboiement furieux qui leur répond, quand ils frappent à la porte. Loundor gronde doucement, visiblement agacé d'être aussi mal reçu.

Ils pénètrent, l'un derrière l'autre, dans le bureau du conseiller. Cette fois, les lourdes tentures sont ouvertes sur les fenêtres, laissant rentrer un peu de clarté. La puanteur est toujours aussi forte ici et ils prennent sur eux pour ne pas le montrer.

 

Des yeux porcins, perdus dans des plis graisseux, se fixent sur les nouveaux venus. Le conseiller est vautré sur son fauteuil, dans une tenue grise maculée de tâches. Son poing serre une chope à moitié remplie de vin. Puis d'une voix déjà pâteuse, il ânonne :

 

- Vous voulez quoi ?

 

Loundor, retenant à grand peine ses grondements, annonce, d'une voix sourde :

 

- Bonjour à vous aussi, conseiller Égeas. Je suis le Général Loundor, convié en ce lieu par le Seigneur Artéus.

- Il est mort.

- J'ai été très peiné de l'apprendre, oui. Cependant, on nous a dit qu'il existait des cercles de bois, permettant de marcher sur la neige, et nous aurions aimé savoir comment nous en procurer.

 

Il explose d'un rire gras, le conseiller, faisant trembloter toute la graisse de son visage. Mais très vite, il s'étrangle, et son rire devient toux avant de s'éteindre. Il prend une longue gorgée de vin, pour faire passer, et leur répond :

 

- Vous verrez avec Severin tout à l'heure. Nous avons trop à faire pour le moment.

 

Ce n'est qu'à ce moment-là qu'ils remarquent l'esclave, agenouillé devant une table basse, dans une position clairement inconfortable. Il a tendu sa jambe handicapée, sur le côté, mais tout son corps est tendu, comme pour repousser la douleur. Il griffonne furieusement, trempant sa plume à intervalle régulier dans l'encrier. Une pile de parchemins est posée, tout près de lui : sans doute le travail de la matinée.

 

- Très bien, nous serons dans notre chambre jusqu'en début d'après-midi.

 

Égeas agite une main, comme s'il souhaitait repousser une mouche insistante, et dicte :

 

- Votre socilitude a été grandement appréciée, et nous vous en remercions chaleurasament. Sachez que …

 

Sur un geste de Loundor, Calith et Iezahel quittent le bureau, agacés. Leur présence n'est plus la bienvenue, si elle ne l'a jamais été, et Severin à fort à faire à corriger la dictée du conseiller. Ils regagnent en silence leur chambre, par crainte d'oreilles indiscrètes. Mais à peine la porte refermée, Calith explose :

 

- Mais comment Artéus a-t-il pu s'entourer de gens comme ça ? Ils sont tous aussi désagréables les uns que les autres !

- Nous ne sommes personne, pour eux. Ils peuvent parfaitement se montrer très aimables, lorsqu'ils ont affaire à des personnes de haut rang, et détestables avec les autres. Mais rien ne justifie de s'en prendre ainsi à des invités, quand bien même il ne s'agit que de soldats.

- Et ils veulent nous faire croire qu'ils sont débordés de travail ! Mais que peuvent-ils bien faire, en plein hiver ?

- Je suppose qu'ils ont prévenu, pour le décès d'Artéus, et ils ont dû recevoir bon nombre de missives leur présentant des condoléances. Vu le peu d'heures de conscience d'Égeas, ils doivent vite prendre du retard.

 

Calith se laisse tomber sur le lit, assis le dos bien droit, et pousse un soupir. Il voudrait annoncer à Loundor qu'il en a plus qu'assez d'être ici, dans de telles conditions, et d'être reçu comme un malpropre à chaque rencontre. Mais Loundor ressent sans doute la même chose, et il est coincé ici comme eux, jusqu'à ce qu'ils trouvent un moyen de repartir. Loundor est venu pour aider un ami, et il les a tous embarqué dans ce voyage. Il doit s'en vouloir énormément, c'est inutile d'en rajouter en se plaignant. Calith en est arrivé à un tel agacement qu'il se moque bien de ce qu'il peut se passer dans ce satané château, qu'ils se débrouillent. Il n'aime pas spécialement qu'on s'adresse à lui de manière obséquieuse, mais il exige habituellement un minimum de respect. Certes, là, personne ne connaît son rang. Mais même si c'était le cas, il n'aimerait pas à avoir à taper du poing et à tempêter pour qu'on lui accorde le respect qui lui est dû. C'est quelque chose qui doit venir naturellement, l'obliger ne donnera jamais rien de sincère. Et il n'oublie pas qu'il est un invité ici : tout roi qu'il est, il n'a pas le droit de faire un scandale pour ça.

 

Iezahel met à chauffer de l'infusion pour la gorge de Calith, et après avoir tourné en vain dans la chambre, à la recherche d'une occupation, se résout à s'asseoir aux côtés de son amant. Voyant que la discussion est close, et que le Général arpente la petite pièce à grands pas rageurs, il ose :

 

- On avait une partie d'osselets en cours. Ça nous permettra d'attendre Severin, ou le déjeuner.

 

Est-ce la mention du déjeuner ? Le défi de gagner cette partie où l'esclave est en tête ? Loundor se calme immédiatement, et plonge une main dans sa besace pour récupérer les osselets. Et ils s'installent à nouveau, accroupis entre les lits, plongés dans ce jeu tout simple et pourtant si prenant. Iezahel est particulièrement adroit, et parvient aisément à faire rouler les osselets sur le dos de sa main, sans en faire tomber un seul.

Calith, lui, a déjà beaucoup plus de mal, d'autant qu'il ne cesse d'imaginer les doigts agiles de Iezahel jouer non pas avec des bouts d'os mais avec son corps. Alors fatalement, la concentration n'est pas là, et il perd largement. Et puis, c'est un jeu d'adresse mais aussi de rapidité, et avec des loups-garous comme adversaires, il n'a pas beaucoup de chances. Loundor, lui, est sérieux comme un archiviste, jetant toutes ses forces dans la bataille, disputant avec acharnement chaque manche.

 

Lorsque la jeune esclave leur apporte le déjeuner, ils n'ont pas vu le temps passer. Ils mangent en discutant du jeu, échangeant commentaires, anecdotes et même des compliments. Et si Calith se sent un peu exclu, parce qu'il n'a jamais vraiment compris l'intérêt de s'amuser avec des bouts d'os, il est content. Iezahel et Loundor discutent, sans se grogner après, sans se défier, sans parler de lui. Calith a fait entrer dans sa vie cet esclave, et Loundor, petit à petit, l'intègre non pas comme une pièce rapportée, mais comme un ami. Et rien ne pourrait lui faire plus plaisir.

 

Severin ne se montre pas, ni avant, ni pendant, ni après le déjeuner. Pensant qu'il a trop à faire, ils décident d'aller voir Marsylia, pour la tenir informée.

L'entretien est extrêmement bref : elle les accueille froidement, Loundor lui demande encore un peu de temps pour trouver un moyen de partir malgré la neige, et elle les congédie après leur avoir accordé une journée de plus.




Ils ne regagnent pas leur chambre, étouffant dans cette pièce trop petite, sans fenêtre. Et la trop rapide rencontre avec Marsylia les a mis sur les nerfs. La neige s'est remise à tomber de manière conséquente, et ils ne peuvent guère sortir pour prendre l'air.

Loundor décide donc d'aller se recueillir auprès d'Artéus, et Iezahel et Calith l'accompagnent, désœuvrés. Le Général refuse catégoriquement l'idée de demander à un esclave de les accompagner, arguant qu'au point où ils en sont, se perdre dans les sous-sols du château serait une occupation plus que bienvenue. Et Calith ne peut qu'approuver.

 

Armés de torches, ils s'aventurent donc dans les entrailles du château, Calith prenant ça comme une exploration. Suivant Loundor et son odorat, ils dédaignent la cave et la réserve de bois, ne passant que brièvement devant le garde-manger plein. Et s'avancent dans la partie la plus sinistre du sous-sol : le caveau et les geôles un peu plus loin.

Le caveau est fermé par une porte magnifiquement ouvragée, qui dévoile une pièce tout en longueur, où brûle perpétuellement une flamme magique, afin de ne pas laisser les défunts dans l'obscurité. Des générations sont enterrées là, sous des tombeaux de pierre taillée, le visage à jamais gravé au pied des tombes.

 

Le cercueil d'Artéus est facilement reconnaissable, car une multitude d'offrandes est déposée à son pied : branches de sapin, nourriture, coupes ouvragées et pichets gravés. C'est la coutume, dans le royaume, d'offrir des présents aux défunts, afin que les premiers temps de la mort ne soient pas trop difficiles. Calith et Iezahel restent en retrait, tandis que Loundor fouille dans ses poches et dépose un petit objet parmi les autres offrandes. Ils sont trop loin pour le voir, et n'essayent même pas, en réalité : c'est un moment intime. Ils laissent donc le Général, seul, les yeux humides, saluer une ultime fois son ami, devinant qu'il a besoin de laisser échapper sa peine, et sachant parfaitement qu'il ne le fera pas en leur présence.

 

Calith ne peut s'empêcher de penser à sa propre famille, ses parents, sa sœur, tués par l'Imposteur, et dont les dépouilles ont été souillées. Ils avaient assez de gens, acquis à leur cause mais restés à Pieveth, pour leur rapporter les évènements. Sa mère et sa sœur, brûlées sur un immense feu, dans la cour du château. Son père, dont le corps a été écartelé et cloué sur des planches, dans la même cour, jusqu'à ce que les charognards aient terminé leur besogne. Il n'y aura jamais aucun caveau où il puisse se recueillir.

 

Comme s'il avait deviné ses pensées, Iezahel lui prend doucement la main, avant de l'attirer contre lui. Et Iezahel ne bronche pas, quand ses doigts s'enfoncent dans ses omoplates et que son front vient se poser sur son épaule pour masquer sa peine. Il apprécie que Calith ne réagisse pas quand lui aussi pose sa joue sur son épaule, l'esprit envahi par les images de ses frères et soeurs, de ses parents, massacrés dans le manoir familial. Pas de sépulture, là non plus, mais un souvenir vivace dans son esprit.

 

Ils finissent par s'écarter l'un de l'autre, un léger sourire sur le visage. Ils sont deux, désormais, et rien ne semble insurmontable. Puis Loundor s'écarte à son tour de la dernière demeure d'Artéus, la mine sombre, amorçant leur départ.

Mais ils n'ont pas fait trois pas dans le couloir qu'un terrible cri d'agonie retentit. Les ombres dansent follement à la lueur de la torche, et ce hurlement glace les sangs de Calith, qui porte machinalement la main à son épée. Personne n'est censé hurler, dans un caveau.