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Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 21-11-2013 à 22:13:56

Iduvief, chapitre 11

 

 

 

Severin insiste pour faire une halte, dans un couloir, et récupère draps et couvertures, sans dire un mot.

Le trajet est plus rapide qu'à l'aller, Severin ayant beaucoup moins de mal à marcher. Dans le couloir, Nyv' leur souhaite une bonne nuit et regagne sa chambre, les laissant rejoindre la leur.

La porte refermée, Severin, d'une voix faible, murmure :

 

- J'espère que vous ne m'en voulez pas d'avoir parlé de vous à Filraen.

- Non, pas du tout. Par contre, le contenu de nos conversations, ce serait bien que tu les gardes pour toi.

- Évidemment. Je sais pourquoi vous êtes là, et je comprends bien qu'il y a certaines choses qui doivent rester... discrètes. Je ne dirai rien, même si Florain m'interroge à nouveau.

 

Le simple fait que, malgré les coups, il n'ait rien dit à son responsable concernant la coupelle de bronze les incite à la confiance. Il s'apprête à refaire lit de Calith et Iezahel, mais ce dernier, d'un geste doux, lui prend des mains les draps et lui assure qu'il va s'en occuper. Tandis qu'ils se changent et procèdent à quelques ablutions, Calith déclare :

 

- Demain nous irons voir Marsylia. Nous règlerons cette histoire de coupelle, et nous exigerons des explications sur ces morts.

- Et elle nous en donnera. Reste à savoir, ensuite, si nous pourrons en faire quelque chose.

 

Les paroles de Loundor sont un étrange mélange de menace et de résignation, et planent longuement dans l'air. Mais nul ne peut prédire ce qu'il se passera à l'entretien du lendemain : la discussion s'éteint toute seule. La question ne se pose même pas, lorsque vient le moment de se coucher. Severin se fait tout petit et s'allonge dans le lit de Loundor, tandis que, tout naturellement, Calith rejoint Iezahel. Mais si le roi est bien conscient que la présence de Severin ici est le seul moyen de lui garantir une nuit tranquille, il redoute de voir un étranger dormir dans la même pièce. Loundor est un ami, et connaît sa relation avec Iezahel. Mais Severin, lui, l'ignore et Calith ne tient pas spécialement à ce qu'il l'apprenne. Même s'ils restent très sages, et se contentent de dormir simplement dans les bras l'un de l'autre, Severin ne pourra pas ignorer leur relation. Pourtant, une fois couché, son corps, comme mu par une volonté propre, se rapproche et se blottit contre celui de son amant. Et il s'abandonne rapidement au sommeil.

 

 

 

 

 

C'est un hurlement effroyable qui le réveille en sursaut, en plein milieu de la nuit. Quelques secondes après, les deux chandelles sont allumées par Loundor. Armé d'une dague, il est prêt à en découdre. Severin s'est redressé, droit comme un i, dans le lit, les sens aux aguets. Mais Calith a déjà compris, et le second hurlement, qui retentit à nouveau, confirme ses pires craintes. C'est Iezahel.

 

Malgré le terriblement pressentiment qui lui noue le ventre, il s'empresse de chuchoter des paroles apaisantes, de lui caresser le visage. Mais ce n'est pas comme d'habitude, il le sent. Iezahel hurle à nouveau, secouant faiblement la tête. Il est allongé sur le dos, les poings cachés sous les oreillers, de chaque côté de sa tête, et ses jambes légèrement écartées. Le cauchemar est si intense que ses mouvements sont contraints par les liens qui l'entravent dans ses rêves. Mais il n'est sans doute pas bâillonné, dans son cauchemar, car il hurle à nouveau, déclenchant l'arrivée en trombe d'Asaukin, de Nyv', et des jumeaux, armes au poing.

 

Calith ne leur jette qu'un bref regard, comptant sur Loundor pour leur expliquer la situation : sa priorité, c'est de réveiller Iezahel, qui reste sourd à ses appels, de plus en plus forts. Il palpe ses bras, son torse, le gifle doucement, sans cesser de lui parler, d'exiger qu'il se réveille. Mais rien n'y fait. Il a l'impression de se retrouver dans les premiers temps de leur relation, quand ces cauchemars le réveillaient et qu'il cherchait vainement une solution. Les cris de cessent pas, lui renvoyant de plein fouet son impuissance. D'un geste brusque, il retire la couverture qui masque en partie le corps de son amant, s'attendant presque à le voir ensanglanté.

 

Il perd son sang-froid, inconscient de ce qu'il se passe plus loin que leur lit, et crie désormais pour réveiller Iezahel, qu'il arrête de souffrir ainsi. Mais ça ne fonctionne pas.

Et puis, soudain, miraculeusement, à force de promener ses mains sur son corps dans l'espoir de le protéger des coups qu'il reçoit dans son cauchemar, il découvre l'origine des hurlements. Iezahel s'apaise, grâce aux gestes protecteurs et aux paroles rassurantes que son compagnon répète sans fin. Et il se redresse brusquement, assis dans le lit, les yeux grands ouverts. Calith s'empresse de serrer contre lui ce corps tremblant, couvert de sueur et dont les battements du cœur semblent résonner dans son torse.

 

Iezahel éclate soudain en sanglots, bruyants et presque convulsifs, contrecoup de l'intense douleur qu'il a subi dans son cauchemar et dont Calith devine chaque détail. Le corps de son amant se fait lourd, et Calith se laisse retomber sur le lit, sans jamais desserrer son étreinte, puis bascule sur le côté. Il a vaguement conscience que Loundor fait sortir ses hommes, leur murmurant ses instructions puis qu'il vient couvrir leurs corps enlacés avec la couverture. Les chandelles soufflées, l'obscurité renvient dans la chambre.

Les pleurs de Iezahel se calment petit à petit, et il déclare, dans un murmure à peine audible :

 

- Ils ont vu. Ils ont tous vu.

 

Calith réalise alors : Iezahel, en se relevant, a dû faire face à Loundor et ses soldats, armés, alertés par ses cris. Et Calith comprend toute l'ampleur de ces quelques mots : sa honte, sa gêne de s'être montré si vulnérable, si fragile, l'humiliation d'avoir pleuré devant des soldats aguerris, son envie de disparaître, de ne pas avoir à affronter leurs regards, demain matin. Et c'est sans doute encore plus douloureux pour lui que les réminiscences des tortures passées : sa fierté est en miette. Calith, dans un murmure, tente de le rassurer :

 

- Et ça ne changera rien. Tu resteras toujours un vaillant combattant, tu seras toujours craint au château, et ils te respecteront toujours. Tu viens de leur montrer que tu es humain, et ils ne peuvent certainement pas te blâmer pour ça.

 

Mais il sait bien que ses paroles sont dérisoires. Demain, il demandera une chambre individuelle à Marsylia, quitte à taper du pied pour l'avoir. Même si c'est trop tard.

 

- Enlève-moi mon collier, s'il te plaît.

 

Calith reste silencieux quelques instants : son compagnon ne réclame pas l'affranchissement, mais la possibilité de se changer en loup. Pour fuir le regard des autres, demain ? Comme s'il devinait les doutes de son roi, Iezahel murmure :

 

- Je ne rêve pas de ça, quand je suis loup. Nous sommes au milieu de la nuit, et on a besoin de repos pour demain. Mais je ne pourrais jamais me rendormir et toi non plus du coup.

- C'est juste pour cette nuit, alors, tu me promets ?

- Oui, je te le jure.

 

Calith se redresse dans le lit, fouille dans la bourse qui ne quitte jamais sa ceinture, et en extrait une petite clef. Il revient embrasser tendrement Iezahel, avant de chercher à tâtons la minuscule serrure, en bas, dans l'épaisseur du collier, sur sa nuque. Un faible déclic se fait entendre, et il retire le collier. Il caresse longuement son cou, zone qu'il ne peut jamais toucher, même si la peau n'y est ni douce, ni soyeuse. Puis, après avoir échangé des mots d'amour, Iezahel quitte le lit et profite de l'obscurité de la chambre pour changer. Calith enfouit sa tête sous les oreillers, refusant d'entendre les gémissements étouffés : les transformations sont toujours douloureuses.

 

Le lit lui paraît tellement vide, soudain ! Mais il comprend la peur de Iezahel, et il connait les conséquences de telles nuits: un sommeil rempli de cauchemars, qui épuise plus qu'il ne repose, et la terreur d'y retourner à peine les yeux fermés.

Lorsqu'il pose à nouveau la tête sur les oreilles, il entend un faible halètement, puis le bruit des griffes sur la pierre, quand le loup se glisse sous le lit. Et c'est avec un sourire triste qu'il se rendort.

 



Un fracas de tous les diables le réveille, une fois encore, en sursaut. Parfaitement réveillé, il voit la jeune esclave, sur le seuil de la porte, tétanisée, et le plateau qu'elle apportait répandu sur le sol. Face à elle, Loundor, qui tente de la rassurer. Car ce n'est plus lui qu'elle craint, visiblement : son regard est rivé sur le magnifique loup gris, qui se tient, assis, au pied du lit de Calith. Il n'est pas menaçant, ne montre pas les crocs, ne gronde pas. Mais il est là, à la fixer intensément, et elle perd tous ses moyens. Severin reste tapi sous les couvertures, lui aussi pétrifié par la vue de ce loup, imposant, dans la chambre. Loundor demande à la jeune esclave de revenir avec un autre plateau, arrangeant un mensonge pour elle : c'est lui qui, maladroit, a laissé le plateau lui échapper des mains. Elle hoche doucement la tête et fait volte-face, disparaissant presque aussitôt.

 

Severin semble très tenté d'aller ramasser les débris au sol, mais il redoute trop que le loup l'attaque. Loundor, lui, ne jette qu'un oeil à Iezahel, avant d'interroger Calith du regard.

 

- Iezahel a préféré terminer la nuit sous cette forme, pour tenir les cauchemars à distance.

- C'est une bonne idée. J'espère qu'il n'a pas honte de ce qu'il s'est passé cette nuit : il n'est pas responsable de ce qui lui a été infligé. Ces cauchemars en sont la conséquence directe et il n'a pas à en avoir honte.

 

Loundor parle à Calith, faisant comme si Iezahel ne pouvait pas l'entendre, ni le comprendre. Même si Calith n'est pas dupe : Iezahel entend tout, comprend tout, et le Général le sait parfaitement. Et tandis que Loundor s'agenouille pour nettoyer le sol, il poursuit, d'un ton détaché :

 

- Ce n'est pas rare, chez les soldats, de se réveiller en pleurant ou en criant. Ceux qui ont connu la guerre ne l'oublient jamais.

 

Calith se laisse retomber sur le lit en poussant un soupir, puis rabat la couverture sur lui. Il est fatigué. La journée qui l'attend sera éprouvante, il le sait. L'affrontement avec Marsylia ne sera pas une partie de plaisir, et ils risquent de découvrir des choses très déplaisantes. Iezahel va changer à nouveau, mais où et quand ? Il voudrait tellement passer encore quelque temps, au chaud dans le lit, avec Iezahel blotti contre lui.

Loundor achève de déposer les débris sur le plateau, et scrute le loup, désormais allongé de tout son long contre le mur, juste à côté de la porte, la tête sur ses pattes avant. Le regard doré suit chacun des gestes du Général et ce dernier fini par déclarer :

 

- On devrait le laisser sortir. Il faudra prévenir les gardes, évidemment, qu'ils ne lui fassent pas de mal. Mais ça leur permettrait de voir un peu les forces en présence. Le loup se dégourdira les pattes, ça lui fera du bien. Et il pourra regarder un peu à quoi ressemble cette cour.

- Pas longtemps alors.

 

Loundor se retourne en entendant les paroles de Calith, et un long échange de regard lui permet de comprendre les craintes de son roi. Alors il poursuit :

 

- Bien sûr, ce sera juste le temps qu'on prenne notre petit-déjeuner et qu'on se débarbouille. Je vais demander à Asaukin et à Nyv' de rester avec Severin, nous irons ensemble prévenir les gardes. Prépare ses vêtements, Calith, qu'il puisse nous rejoindre, une fois changé, dans une tenue décente.

 

Ils se préparent en quelques minutes, Iezahel montrant des signes d'impatience, puis Asaukin et Nyv' entrent dans la chambre, sans montrer la moindre crainte face au loup. Loundor, tout en avançant dans le couloir, déclare :

 

- Protégé par le Général et un loup, tu ne risques rien du tout !

 

Calith esquisse un sourire : il sait qu'il ne risque rien, mais ces paroles ne lui étaient pas réellement adressées. Iezahel, par contre, en les entendant, réduit sa foulée et vient marcher tout contre son roi, au lieu de trotter loin devant. Un loup en liberté dans le château déclencherait une panique malvenue.

Sur le seuil de la porte principale, les deux hommes s'emmitouflent dans leurs capes, tandis que Iezahel trépigne d'impatience. Un magnifique soleil les éblouit, et les températures sont largement négatives, à en croire les nuages de condensation qui se forment à chaque respiration.

 

Calith, un ballot de vêtement sous le bras, s'avance en premier en direction du poste de garde. C'est l'homme qui les a fait entrer, le jour de leur arrivée, qui est de service ce matin, et il porte immédiatement la main à la garde de son épée en voyant le loup. Il s'apprête à donner l'alerte quand Calith le coupe :

 

- Non. C'est l'un de nos compagnons de voyage, loup-garou, qui est sous son autre forme. Il va rester un moment dans la cour, mais il ne fera de mal à personne. Faites passer le mot, si quelqu'un lève la main sur lui, il risque sa vie. Est-ce bien clair ?

- Un loup-garou, hein ? L'homme frissonne, avant de poursuivre. Restez ici cinq minutes, je vais prévenir les autres.

 

Ils obtempèrent sagement, découvrant le poste de garde en attendant : des murs de pierre, épais, percés d'une unique et minuscule meurtrière qui donne sur l'extérieur, une table, des bancs, un immense brasero, et un tableau rempli de clef. Une petite porte perce le mur de gauche, sans doute une chambre. L'endroit est spartiate, à peine chaud, et Calith se demande comment les gardes peuvent passer le temps, en hiver, alors que personne ne vient se présenter au portail.

Le claquement de bottes sur le sol pavé les fait se retourner, et l'homme leur assure que tout le monde est prévenu. Alors, ouvrant la porte, Calith dit :

 

- C'est bon, tu peux y aller.

 

Et c'est une boule de fourrure grise qui jaillit hors du poste et qui galope sur le petit sentier, tirant un sourire attendri à Calith. Bien plus que les humains, les loups-garous ont besoin de grands espaces, de plein air. Rester confiné dans un château pèse énormément à Iezahel, et ce voyage à Iduvief, tout décevant et périlleux qu'il soit, doit lui faire beaucoup de bien.

 

Saluant le garde, Calith et Loundor se dirigent vers les écuries : ils déposeront les affaires de Iezahel tout près de l'entrée pour qu'il puisse changer et s'habiller à l'abri des regards. Mais ils n'ont pas le temps de faire plus de dix pas que le loup revient, à une allure folle, et se jette sur Calith. Il a parfaitement calculé son coup, et la puissance de son bond renverse le roi dans le tas de neige qui borde le sentier. La réception n'est pas trop douloureuse, car il s'enfonce dans la poudreuse, mais le choc lui a coupé le souffle. Le loup, les pattes sur les épaules de Calith, lui lèche joyeusement le visage, puis lui mordille les mains, gantées, qu'il a levé pour se protéger. Il rit nerveusement, se débat comme il peut, et finalement se défend en projetant des brassées de neige sur son assaillant. Terrible erreur. Le loup, joyeux et excité, l'imite. C'est avec ses pattes qu'il creuse la neige pour en bombarder Calith, qui se retrouve rapidement à moitié enseveli.

 

- Tu vas voir si je t'attrape !

 

Il se relève tant bien que mal et tente de se saisir du loup taquin. Mais son poids, bien plus important que celui du loup, le fait s'enfoncer dans la neige et rend ses gestes maladroits. Iezahel en profite alors pour se jeter à nouveau sur lui, le faisant retomber. Le loup, de son museau, lui jette de la neige dessus, et Calith, riant aux éclats, s'exclame :

 

- Je me rends, c'est bon, je me rends !

 

Après quelques léchouilles, le loup repart aussi vite qu'il est arrivé, sans un regard pour Loundor. Iezahel ne s'amusera jamais avec le Général comme il l'a fait avec Calith : s'il avait été humain, le loup, joueur, lui aurait peut-être fait subir le même sort. Mais là, ça aurait plus sonné comme une déclaration de guerre. Calith peine à se relever, et c'est la poigne puissante du Général qui l'aide à regagner le sentier, à bout de souffle. Il se débarrasse de la neige qui le recouvre, un large sourire sur le visage. Et découvre, surpris, le même sourire sur celui de Loundor. Puis le Général lui assène, sans aucune douceur, une tape sur l'épaule et commente :

 

- C'est bien, il te rend heureux.

 

Calith n'a pas besoin de plus : il devine tout ce que la pudeur l'empêche de dire. Alors, malgré le sourire qui ne le quitte plus, il bougonne pour la forme :

 

- Et il va me transformer en glaçon.

 

D'un pas rapide, ils rejoignent les écuries, et laissent la porte à peine entrouverte. Dans la première stalle où sont rangées quelques selles, ils laissent, bien en évidence, les vêtements de l'esclave puis préviennent le garçon d'écurie qu'il risque d'avoir une visite surprenante.




Ils interrompent visiblement une conversation, lorsqu'ils regagnent leur chambre, après s'être un peu perdu dans le dédale de couloirs. Asaukin et Nyv' les laissent déjeuner, puisqu'un nouveau plateau a été apporté, et ils quittent la chambre, presque à regret.

Calith profite que de l'eau soit chaude pour se changer et faire un brin de toilette, le jeu avec le loup l'ayant laissé grelottant. Severin s'est déjà lavé, a refait impeccablement les lits et patiente en silence. Puis ils commencent à manger, sans un mot. Et ce n'est qu'après le petit-déjeuner, une fois Loundor prêt et proche de perdre patience, que la porte s'entrouvre et laisse passer Iezahel, le visage épuisé mais ravi.

 

Il ne porte pas son collier, resté dans la chambre, et le fait qu'il revienne de lui-même jusqu'ici semble surprendre Severin. Mais Calith sait bien ni l'isolement d'Iduvief, ni le fait que toutes les affaires de Iezahel soient dans la chambre, ne sont les raisons qui l'ont fait revenir. Pas plus que l'appréhension de devenir un fugitif. Il sait, au plus profond de ses tripes, que Iezahel est revenu parce qu'il l'aime, et parce qu'il ne conçoit pas de le quitter, même si la servitude est le prix à payer. Une servitude bien douce, par rapport à celle de Severin, par exemple, mais une servitude quand même, visible en un regard à cause du collier. Cette certitude viscérale répand une douce chaleur en lui et fait s'emballer son cœur.

 

Calith bondit du lit où il était assis, plaque son amant contre le mur et, les mains serrées autour de sa mâchoire, l'embrasse sauvagement. Iezahel est surpris, un instant, avant de répondre avec ferveur. Qu'importe la présence de Severin, qu'importe que Loundor soit là. Calith peut sentir, pressée contre le haut de sa cuisse, la virilité de Iezahel prendre de l'ampleur. Il est inconcevable d'enlever définitivement son collier, mais l'anneau qui enserrait son sexe n'a pas fait long feu : un mois après le début de leur relation, Calith n'a plus supporté de voir le visage de son compagnon crispé de douleur à la moindre excitation, pas plus que de l'entendre le supplier de l'enlever. Et personne n'est habilité à vérifier la présence de cet anneau, désormais rangé dans le tiroir de la table de chevet, à Pieveth. Après plus d'une semaine de chasteté forcée, sentir cette barre dure contre son corps manque de lui faire perdre le contrôle. C'est Iezahel qui s'écarte, juste assez pour murmurer, à bout de souffle :

 

- Je me rends, c'est bon, je me rends.

 

Calith s'arrache difficilement de cette étreinte, le regard rivé à celui de Iezahel, promesse muette de l'intensité de leurs retrouvailles, quand ils auront de l'intimité. Loundor toussote dans son dos et Iezahel, vacillant, déclare d'une voix étranglée :

 

- Je vais faire un brin de toilette.

 

Calith retourne s'asseoir sur le lit, un sourire victorieux sur les lèvres : il a réussi à troubler son amant, et pas qu'un peu. Si Loundor et Severin détournent poliment le regard, il ne se prive pas, lui, pour observer son compagnon se déshabiller et se laver. Le voir se frotter longuement le cou calme ses ardeurs et provoque un pincement au cœur. Qui disparaît bien vite quand, à nouveau habillé, Iezahel se tient immobile devant le lit, le menton relevé, attendant que Calith lui remette le collier. Ce dernier se lève, solennel, le métal lui glaçant les mains. Ses yeux s'attardent sur la peau, devenue rêche et épaisse, et sur la pomme d'Adam, qu'il ne peut jamais voir ni sentir sous ses lèvres. Si seulement... Mais Iezahel semble déchiffrer son regard, car il murmure :

 

- Je me sens nu, quand je ne l'ai pas.

 

Mensonge ou vérité, ça n'a pas vraiment d'importance : Calith, avec beaucoup de précaution pour ne pas pincer la peau, referme le collier autour de son cou. Et Iezahel, profitant qu'il s'est rapproché, déclare dans un murmure :

 

- Je suis à toi.

 

Passant les bras autour de ses reins, Calith l'embrasse tendrement sous l'oreille, juste au-dessus du collier, le désir palpitant au creux de ses reins. Le toussotement insistant de Loundor l'aide à se reprendre : si ça ne tenait qu'à lui, Calith aurait déjà fait basculer son amant sur le lit, et aurait arraché son pantalon pour …

 

- On doit aller voir Marsylia.

 

Calith s'écarte dans un soupir à fendre l'âme. Loundor a raison, évidemment, mais la frustration est terrible. Il n'aime pas que ses gestes d'affection envers Iezahel aient des témoins, habitude prise à la cour. Au-delà de la crainte des regards curieux, c'est surtout la gêne d'étaler ses sentiments qui le retient. Avec Zélina, c'est différent, l'embrasser en public fait partie de la comédie. Mais là, il a l'impression d'exposer sa vulnérabilité, et de mettre mal à l'aise les autres. Et pourtant, après plus d'une semaine sans pouvoir le toucher quand il le souhaite, sans pouvoir partager plus qu'une simple accolade, Calith a besoin de plus. De beaucoup plus.

Mais Loundor, à son habitude, ne fait pas grand cas de leurs états d'âme, et déclare, d'un ton enjoué :

 

- Puisque tout le monde est remonté à bloc, on va pouvoir y aller !

 

Ils vérifient une dernière fois leurs tenues, délaissant leurs épées pour ne garder que leurs dagues, puis quittent la chambre, allant chercher Asaukin, Nyv' et les jumeaux. Puis, d'un pas décidé, le petit groupe se rend, suivant les indications de Severin, dans les appartements privés de Marsylia.

 

 

 

 

 

L'un des gardes présent devant la porte disparaît dans les appartements, laissant son collègue nerveux : il les regarde, tour à tour, et essaie de garder contenance. Les hommes de Loundor ont pris leur mine la plus patibulaire, leur Général l'ayant naturellement, et Calith et Iezahel arborent des airs menaçants. Ils sont venus pour régler cette histoire, et l'impression qu'ils donnent, tous regroupés de la sorte, est assez saisissante.

 

Le second garde revient et les laisse entrer. Ils débouchent sur une vaste salle, éclairée par deux petites fenêtres. D'épais tapis aux multiples couleurs recouvrent le sol dallé, des meubles magnifiquement ouvragés et brillants de cire ainsi que des peintures et des gravures remplissent la pièce. Une large cheminée crépite, répandant une agréable chaleur. Sur la droite, une porte entrouverte laisse deviner la présence d'un bureau, tandis que sur la gauche, la porte béante leur permet de voir un vaste lit.

 

Florain est présent, ainsi que Marsylia. Une petite femme, potelée, s'incline devant Marsylia, puis va prendre par la main les deux enfants qui jouaient près de l'âtre. Âgés d'une dizaine d'années environ, le garçon et la fillette se lèvent sans protester. Leur ressemblance avec la maîtresse des lieux ne laisse guère de doute : il s'agit de ses enfants. Le visage ridé, incarnant la gentillesse à l'état pur, de la nourrice s'éclaire d'un sourire lorsqu'elle se baisse pour leur murmurer quelque chose, déclenchant leur enthousiasme. Après les avoir très poliment salués, ils quittent la pièce.

 

Marsylia et Florain sont installés dans deux fauteuils confortables, de part et d'autre d'une fenêtre. Une chopes fumante entre les mains, ils ne se lèvent pas en les voyant entrer et prendre position, Loundor en tête, les autres formant un V derrière lui. Marsylia les salue du bout des lèvres avant de déclencher les hostilités :

 

- Vous daignez nous honorer de votre présence, Général, c'est bien.

- C'est un mal nécessaire, je le crains. Nous ne sommes pas venus en ennemis, je pensais que votre père vous aurait suffisamment affuté l'esprit pour être en mesure de le comprendre, bien que votre comportement insinue le contraire.

 

Elle plisse les yeux sous l'offense et Calith, bien que gardant un air impassible, jure intérieurement. Heureusement que c'est Nala, la diplomate du royaume : Loundor, à ce poste, aurait déjà mis la moité du continent à feu et à sang. Le Général poursuit sur sa lancée, sans lui laisser le temps de répondre :

 

- Je réclame l'abandon des charges qui pèsent sur Severin.

- Certainement pas. Florain l'a surpris sur le fait.

- Cette coupelle était pour moi, Dame.

- Et Égeas n'est pas en mesure de confirmer ou d'infirmer cette version. Mais si vous dites la vérité, pourquoi l'esclave ne l'a-t-il pas dit, tout simplement, à Florain ?

 

Calith retient son souffle. Severin n'aurait jamais osé prendre comme alibi des invités sans leur consentement, forcément, puisqu'il ignorait qu'il aurait cette justification. Quelle explication donner, dans ce cas ? Mais Loundor semble avoir beaucoup réfléchi à cet entretien, car il répond sans hésitation :

 

- J'avais demandé la plus grande discrétion. Cet esclave a fait preuve de trop zèle. Face à la torture cruelle que lui a infligé votre responsable, il aurait dû en parler. Mais peut-on réellement lui reprocher d'avoir tenu sa langue, satisfaisant ainsi la demande d'un invité ?

 

Elle prend une gorgée de sa chope, le visage fermé, visiblement contrariée. Voyant qu'elle est dans une impasse, elle tente de biaiser :

 

- Et pourquoi avoir besoin d'une coupelle, Général, de manière discrète, qui plus est ?

- Ignoriez-vous que le culte de Pòrr réclame de faire brûler du sureau ? Si je peux en prendre dans mes affaires, j'évite de transporter une coupelle et donc de me surcharger inutilement. Quant à la discrétion, j'espère que vous pouvez comprendre que je ne tiens pas à étaler mes croyances aux premiers venus.

 

L'argumentaire de Loundor est imparable : quoi de plus normal que le général de l'armée voue un culte au Dieu des guerriers ? Et qu'importe si Loundor n'est absolument pas croyant : elle n'est pas censée le savoir. Marsylia, lèvres pincées, déclare :

 

- Fort bien. Je suppose qu'on peut déclarer cette affaire réglée ?

- Non. Je veux la parole d'honneur de Florain qu'il ne châtiera plus Severin à cause de ça. Et qu'il n'en tiendra pas compte dans les prochaines sanctions qu'il décrètera.

 

Le concerné échange un long regard avec la maîtresse des lieux avant de bougonner qu'ils ont sa parole d'honneur. Marsylia reprend les rênes de la conversation en demandant :

 

- Avez-vous trouvé un moyen de quitter Iduvief ?

- Non. Severin devait nous montrer ces fameux cercles de bois, mais les évènements ont fait qu'il n'était plus en état de nous conduire à la réserve. Êtes-vous donc si pressée de nous voir partir ?

- Bien sûr que non, Général, c'est juste que...

- Vous me mentez, Dame. Votre père ne vous a-t-il pas parlé de moi ?

- Il m'a rabattu les oreilles avec vos prouesses, oui. Mais ça ne vous donne pas le droit de me traiter de menteuse.

- C'est pourtant ce que vous êtes. En tant que loup-garou, je peux percevoir, ne serait-ce qu'au changement de rythme des battements de votre cœur, que vous ne me dites pas la vérité. Le château est loin d'être complet. Notre présence n'est pas désirée ici, alors même que nous venons apporter une aide aux problèmes que vous rencontrez.

 

Elle se redresse vivement, soudainement pâle, et s'exclame, furieuse :

 

- Surveillez vos paroles, Général ! Vous êtes ici chez moi !

- Je suis dans un fief qui a juré allégeance au Roi.

- Un Roi qui n'est pas là. Restez à votre place, Général, vous n'êtes pas le souverain de ce royaume.

 

Dans le petit groupe derrière Loundor, tous restent impassibles. Calith prend sur lui pour ne pas faire connaître son identité, bouillonnant de rage. Loundor, miraculeusement, garde son sang froid et déclare :

 

- En effet, je ne suis que son bras droit. Mais ne doutez pas qu'il m'écoutera attentivement lorsque je lui ferai mon rapport.

- Et alors ? Que fera-t-il ? Faire marcher son armée sur l'un des fiefs les plus fidèles de son royaume, qui soutient sa lignée depuis la nuit des temps, parce que je refuse que vous vous mêliez de choses qui ne vous regardent pas ?

 

Loundor marque un temps d'arrêt, visiblement décontenancé par la hargne de la femme. Alors qu'il s'apprête à répondre, la porte derrière eux s'ouvre dans un léger grincement et un homme entre. Encore vêtu de sa cape, où des morceaux de neige gelée restent accrochés, il s'avance d'un pas déterminé vers Marsylia, un parchemin scellé à la main. Il se penche vers elle, lui murmure quelques mots, et lui tend le rouleau. Et pendant que, d'un coup d'ongle furieux, elle décachette la missive et en prend connaissance, le messager salue d'un geste de la tête le petit groupe. Avant de s'incliner respectueusement en disant :

 

- Je suis navré, Votre Altesse, j'ignorais votre présence ici.

 

Calith retient de justesse un juron particulièrement fleuri. Le messager est un habitué de Pieveth, qui lui délivre régulièrement des missives en provenance de ses fiefs. Impossible de nier qu'il est le roi. D'autant que Florain a le regard rivé sur le petit groupe, incrédule, tandis que Marsylia a interrompu la lecture pour scruter alternativement Nyv' et lui. Elle a d'emblée exclut Iezahel, esclave, les jumeaux, ainsi qu'Asaukin, trop âgé. Ils ont bien entendu, et sont curieux. Après un rapide regard à Loundor, qui n'échappe pas à leur hôtesse, Calith s'avance d'un pas et déclare :

 

- Ce n'est rien. Termine avec Dame Marsylia.