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Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 08-12-2013 à 09:04:48

Iduvief, chapitre 17

 

 

 

 

Le roi bondit hors de son fauteuil, tous les sens en alerte. Il dépose sa chope sur la table, enfile une veste chaude et s'apprête à suivre son Général lorsque ce dernier lui demande :

 

- Iezahel n'est pas avec toi ?

- Non, il est allé faire un tour. Il saura bien nous retrouver. Allons-y.

 

Loundor ne pose pas plus de questions et ils s'élancent dans le couloir, escorté d'Asaukin, de garde.

Le second étage fourmille d'esclaves, de domestiques et de gardes. Jouant des épaules, l'imposant Général n'a aucun mal à se frayer un chemin parmi toute cette agitation, et entre en trombe dans les appartements du conseiller.

 

La puanteur y est effroyable, et les prend à la gorge. Les rideaux ont été tirés, dévoilant la scène à la lumière blafarde du ciel d'un blanc inquiétant. Égeas est dans son fauteuil, bouche ouverte et yeux exorbités. Sa tenue sale, la seule qu'ils lui connaissent, est maculée de fluides. Une chope, vide, repose sur le sol.

Marsylia, Florain et Ketil sont présents, tournant et virant autour du cadavre. Severin est là, lui aussi, agenouillé dans une position de soumission, masquant tant bien que mal la douleur que lui inflige cette posture. Tous les regards se portent sur le trio qui entre, et Marsylia s'exclame :

 

- Parfait ! Nous vous attendions, Votre Majesté. Nous n'avons touché à rien, Severin l'a trouvé tel quel il y a un quart d'heure à peine.

 

Asaukin prend place tout près de la porte, son rude visage impassible malgré la puanteur des lieux. Calith, une main devant la bouche et le nez dans un geste qui se veut naturel, observe les lieux à la recherche d'un indice, louant les Dieux de ne pas être un loup-garou. Car Loundor s'approche du cadavre pour le renifler à la recherche de la fameuse odeur d'amande décrite par Filraen.

 

- Faites venir votre mage.

 

Marsylia ouvre la bouche, prête à protester, avant de se rappeler qu'elle n'a pas à contester l'ordre du roi. Elle demande donc à Severin d'y aller, et Calith retient à grand peine un juron fleuri : elle n'a pas la délicatesse de son père quand il s'agit d'épargner le genou handicapé de l'esclave. Mais la situation est déjà bien assez tendue pour ne pas en rajouter.

 

En attendant l'arrivée de Filraen, Calith jette un œil aux papiers étalés sur la table, maculés de taches d'encre et autres souillures non identifiées. Sur un morceau de parchemin froissé, une main tremblante, sans doute les conséquences de l'alcoolisme de son propriétaire, a tenté d'écrire quelques mots, mais ils sont indéchiffrables. Les autres manuscrits sont ornés de pleins et de déliés fort agréables à lire, sans doute l'œuvre de Severin. Des comptes, des contrats, des missives de remerciement, rien de bien surprenant. Et de toute façon, s'il devait y avoir de la correspondance compromettante, elle ne serait pas bien en vue. Il est plus que probable que ce soit l'esclave qui l'ait écrit et il pourra sans doute les renseigner.

 

Le voilà d'ailleurs qui revient, de sa démarche chaloupée, se frottant la joue gauche. Il reprend sa position, à genoux sur le tapis d'une propreté plus que douteuse. Si un regard pouvait tuer, Filraen aurait déjà été foudroyé par Ketil, qui n'apprécie absolument pas sa présence sur les lieux. Mais le médecin n'oserait jamais remettre en cause l'autorité royale, et se contente donc de renifler, méprisant. Florain ne semble guère plus heureux et l'ignore superbement. Quant à Marsylia, elle s'absorbe dans la contemplation de la neige, qui commence à tomber.

 

Mais Filraen n'a pas l'air de se soucier de l'accueil reçu et se dirige résolument vers le corps du conseiller. Loundor a terminé l'examen du cadavre et laisse donc sa place, visiblement soulagé de s'éloigner.

Filraen ne semble pas perturbé un seul instant par la puanteur ou l'état du conseiller, car il n'hésite pas à s'approcher très, très près du corps pour mieux observer l'intérieur de la bouche, le nez et les iris. Ketil maugrée à voix basse, et il pince les lèvres et plisse les yeux d'un air méchant lorsque le verdict du mage tombe :

 

- C'est du nimhiù. Les petites taches roses, là, sont révélatrices. Il n'a pas dû mettre longtemps pour mourir, il n'a même pas essayé de se lever. Il a sans doute dû convulser un peu, mais entre son poids, son inertie, et la rapidité du poison, il n'a pas eu le temps de tomber.

 

Dans un mouvement d'humeur, Ketil quitte la pièce. Marsylia, méfiante, exige des preuves de ce qu'il avance, et Filraen, prévoyant, lui tend le manuscrit qu'il a amené concernant le nimhiù. Puis, patient, il lui montre chaque élément décrit, le teint rosé, les taches, la bouche grande ouverte. Lorsqu'elle a constaté par elle-même que tout concorde, elle acquiesce, songeuse, puis se tourne vers Calith, indécise. Le roi décrète alors :

 

- Si tout le monde a vu ce qu'il voulait voir, faites emmener le corps. Et par les Dieux, aérez cette pièce ! Nous en discuterons dans le salon de mes appartements.

- Severin rangera pendant ce temps, déclare Marsylia.

- Non. Severin va faire monter des boissons chaudes, et il restera avec nous pour expliquer ce qu'il a vu et entendu. Le ménage attendra.

 

Elle est bien obligée de s'incliner, Marsylia, et suit son souverain, lèvres plissées.

 

 

 

 

 

Ils sont tous installés dans le salon, Calith et Loundor d'un côté de la table, Florain, Filraen et Marsylia de l'autre côté. Severin, nerveux, est debout, en bout de table. Une infusion leur est servie, et Calith commence l'interrogatoire :

 

- Severin, raconte-nous comment se passent les débuts de journée, avec Égeas.

 

La maîtresse des lieux fait claquer sa langue contre son palais, agacée sans doute de cette digression qui leur fait perdre du temps. L'esclave jette un regard dans sa direction et semble se tasser sur lui-même. Calith, irrité, devine sans peine que l'asservi va nuancer ses propos. Et c'est bien ce qu'il se passe :

 

- Le conseiller n'avait pas d'esclave personnel, il se préparait tout seul. On lui apportait son déjeuner, qu'il prenait sur la table de travail. Un seul asservi était autorisé dans ses appartements, alors pendant qu'Égeas déjeunait, il entretenait la chambre, les lieux d'aisance et parfois, un peu le bureau. Un autre asservi, pendant ce temps, faisait des allers-retours pour apporter du linge propre ainsi que du vin, de l'encre, enfin, tout ce qui était nécessaire.

 

Severin marque un temps de silence et Calith n'a pas de mal à deviner ce qu'il ne dit pas. Égeas ne devait pas prendre souvent de bain, pas plus qu'il ne changeait de tenue. Il n'avait besoin d'aucune aide. Le bonhomme étant assez colérique, il devait être pris de fureur si trop de monde tournait dans ses appartements en sa présence : l'esclave qui lui était assigné devait sans doute marcher sur la pointe des pieds et se faire discret comme un voleur s'il ne voulait pas être battu. Loundor, dans un bougonnement presque affectueux, déclare :

 

- Nous t'écoutons, Severin.

- Oui, mes excuses, Général. Je ne venais que lorsque l'esclave remportait le plateau du petit-déjeuner. Ça me laissait le temps de terminer mes tâches, et de m'assurer que tous les invités étaient servis. Quand j'arrivais, tout était prêt dans le bureau du conseiller, il m'attendait.

 

Là encore, la fin de sa phrase reste en suspens, mais elle est facilement imaginable : Égeas, repus, une chope de vin à la main, devait s'impatienter, attendant son esclave pour entamer sa courte journée de travail. Le roi approuve d'un geste de la tête, et poursuit :

 

- Ce matin, l'esclave qui lui a apporté son petit-déjeuner n'a rien remarqué de spécial ?

- Rien du tout, Sire. Égeas maudissait le temps, car ses articulations le faisaient souffrir, comme à chaque fois qu'il neige. Il était un peu à cran, mais il allait bien.

- Très bien. Donc l'esclave a ramené le plateau en cuisine, je suppose, et toi, tu es monté ?

- Oui, Votre Altesse. J'ai terminé ce que j'étais en train de faire, et je me suis dépêché, comme d'habitude.

- Tu n'as croisé personne dans les couloirs ?

- Des domestiques et des esclaves, Majesté. Mais aucun qui n'aurait rien eu à y faire.

- D'accord. Et quand tu es entré ?

- J'ai frappé avant, comme toujours. Mais il n'a pas répondu. C'était surprenant, car il répond toujours. J'ai donc poussé la porte, doucement, et je l'ai trouvé comme vous l'avez vu.

- Il était mort, à ce moment-là ?

- Oui Sire. Il ne bougeait plus, ne m'a pas répondu quand je l'ai appelé. Sa poitrine était immobile et ses yeux fixaient un point sur l'étagère.

- Et ses appartements étaient déserts ?

- Je... je n'ai pas pensé à vérifier, Votre Altesse. Il n'y avait personne dans le salon, c'est sûr. Pour la chambre, je l'ignore. Je suis ressorti pour appeler à l'aide. Mais je suis resté non loin de la porte, alors je pense que si quelqu'un était sorti à ce moment-là, je l'aurais vu.

 

Le commentaire méprisant de Florain est audible de tous, et l'esclave se tasse un peu plus sur lui-même, donnant à sa silhouette l'apparence d'un arbre tordu et rabougri. Loundor, d'une voix grondante, reprend :

 

- Je vous ferai grâce des diverses émanations désagréables qui se répandaient autour du conseiller. Il sentait le vin frais, et sa chope, vide, était encore humide : il venait de boire. L'odeur d'amande était présente, très faible au milieu des odeurs fortes, mais présente tout de même. Filraen nous le confirmera, mais je pense que c'est le vin qui a été empoisonné.

- Je confirme, en effet, déclare le mage, d'une toute petite voix. Si le poison avait été présent dans le petit-déjeuner, il se serait écroulé immédiatement, face à l'esclave. Il n'aurait pas eu le temps de boire du vin. Je confirme également qu'il a bu du vin, ça se sentait à son haleine.

- Il sentait tout le temps le vin. Je suis sûre que même à jeûn, il puait la vinasse. L'autre esclave a peut-être fui en voyant Égeas agoniser, si ce n'est pas lui qui l'a tué.

 

La déclaration de Marsylia jette un froid, mettant Filraen plus mal à l'aise encore. Calith, agacé par les manières de la jeune femme, décrète :

 

- Et bien nous interrogerons l'esclave qui était dans ses appartements ce matin. Il nous donnera sa version des faits et nous verrons bien s'il est honnête ou non. Si c'est bien le vin, qui l'a tué, qui en a eu accès ?

- Le commis qui l'a tiré du tonneau pour le mettre en carafe, l'esclave qui l'a monté. Ensuite, quiconque passant dans le couloir jusqu'à ce que l'asservi qui était dans les appartements le rentre.

- Très bien. Dans ce cas, nous interrogerons l'esclave qui a monté le vin, et il nous faudra la liste des domestiques et serviteurs qui sont passés dans le couloir ce matin. Je suppose que ça fait beaucoup de monde, il faudra donc mettre vos gardes sur cette affaire, Florain. Sont-ils aptes à interroger de manière fiable ?

- Évidemment !

 

Le ton dédaigneux du responsable n'échappe ni à Calith, ni à Loundor, qui grogne :

 

- N'oubliez pas à qui vous vous adressez, Florain.

- Veuillez m'excuser.

 

Mais sa repentance manque singulièrement de conviction. Calith tapote doucement la table, agacé, mais décide qu'ils ont plus important à traiter pour le moment, alors il poursuit :

 

- Nous interrogerons l'esclave du petit-déjeuner, et nous ferons le tour des appartements du couloir, pour savoir si quelqu'un a vu ou entendu quelque chose. Severin, je suppose que tu connais la plupart des documents présents dans le bureau du conseiller : si, en rangeant, tu trouves quelque chose dont tu ignorais l'existence, un manuscrit qui sort de l'ordinaire, tu dois nous en faire part immédiatement. Compris ?

- Oui Votre Altesse.

- Bien. Va t'en occuper, alors, une fois que tu nous auras fait la liste.

 

Severin s'incline, avant de quitter le salon. Puis Calith, se tournant vers Florain, lui dit :

 

- Nous allons avoir besoin de vos gardes. Renforcez les patrouilles dans les couloirs, demandez-leur d'ouvrir l'œil et de faire très attention aux comportements suspects. Essayez également d'établir une liste des personnes ayant pu apporter ce poison ici. Il n'est pas fréquent, d'après Filraen, et vient donc de loin.

- En effet, confirme le mage. Je pense qu'il vient d'un autre royaume ou au moins d'un fief très éloigné du nôtre. Je n'ai jamais eu connaissance de tel produit vendu par des herboristes dans la région.

- Cherchez donc si des voyageurs se sont présentés, venant de régions éloignées, voire d'autres royaumes. Je veux une liste, avec leur provenance, le temps de leur séjour, leur présence au château, ainsi que tous les renseignements que vous pourriez nous fournir.

 

Florain repose sa chope dans un mouvement d'humeur, et ne peut s'empêcher de s'exclamer :

 

- Vous vous rendez compte du travail que ça représente ?

- Oui. Tout comme je réalise que c'est un excellent moyen pour déterminer qui a eu accès au poison. Ne contestez pas mes ordres, Florain, ne les commentez même pas. Dois-je vous rappeler nos rangs respectifs ?

 

Florain maugrée, peste entre ses dents, mais finit par acquiescer de mauvaise grâce et s'excuse du bout des lèvres. Marsylia se retrouve en charge de la coordination des différentes données qu'ils pourront récupérer, tandis que Filraen est à nouveau confiné dans son antre, pour déterminer comment se présente le poison, sous forme liquide ou solide, en fiole ou en sachet.

 

 

 

 

 

Iezahel n'est pas revenu de son petit tour et ça inquiète un peu Calith. Mais il n'a pas le temps de le chercher, c'est d'ailleurs mission impossible dans un château de cette taille. Alors, accompagné de Loundor et d'Asaukin, ils retournent au second étage, où ils frappent aux portes les plus proches des appartements du conseiller.

 

Si Calith était surpris du manque de repas pris en commun, et des invités qui restent cloîtrés dans leurs chambres, il en comprend vite la raison à mesure que les interrogatoires avancent. Les gens s'invitent dans leurs appartements respectifs, passent la journée à discuter, à jouer, à lire, à chanter ou à batifoler. Iduvief est en réalité composé d'innombrables clans, aux querelles insipides soigneusement entretenues dans l'intimité des chambres.

 

A mesure qu'ils interrogent secrétaires, archivistes, nourrices, orfèvres, ménestrels, précepteurs et autres oisifs, ils devinent que les réunir tous dans une même salle serait de la folie. Tous ont quelque chose à reprocher à leur voisin, que ce soit de simples broutilles aux accusations les plus graves. Écoeurés par un tel comportement, Loundor et Calith profitent de voir les premiers esclaves apporter le déjeuner pour se réfugier dans les appartements du roi, loin des récriminations de chacun. Ils réalisent que découvrir le meurtrier va s'avérer particulièrement compliqué s'il faut décortiquer chaque accusation, aussi futile soit-elle, avant de trouver un élément vraiment intéressant.

Alors que les asservis s'occupent de dresser la table, Loundor et Calith, devant la cheminée, discutent du conseiller. Et Calith, songeur, déclare :

 

- Je ne peux pas croire qu'on laisse un conseiller dans une telle situation. Tu imagines, Elihus, sale, puant, ivre à longueur de temps, sans qu'on ne fasse rien pour l'aider ?

- Non. Quitte à le coller en geôles le temps qu'il cuve son vin et qu'il apprenne à s'en passer, on l'aurait aidé. Mais je commence à percevoir la vraie vie d'Artéus, un homme bon, un peu trop gentil, qui n'arrivait pas à maîtriser réellement ce qu'il se passe ici. Je suis sûr que la situation devait lui retourner le ventre, mais qu'il était désarmé. Et s'il était le seul à vouloir faire bouger les choses, il ne risquait pas d'y arriver.

- Pourtant, dans ses rapports, rien ne laissait supposer que le fief était un tel sac de noeuds.

- Il n'allait pas s'en vanter. Je pense que ça explique en partie le comportement de Marsylia. Je ne cherche pas à la défendre, attention, mais montrer le revers de la médaille au roi et à son Général ne doit pas être facile pour elle.

- Sauf qu'il y a déjà eu quatre morts, et qu'il est grand temps de mettre son orgueil de côté pour accepter l'aide qui se propose.

- Mais la tâche ne sera pas aisée, Calith. Plus on en apprend, et plus c'est confus.

 

La conversation morose s'éteint lorsque les hommes de Loundor font leur entrée, en même temps que le déjeuner. Ils vont prendre place autour de la table, chacun devant son assiette. A la gauche de Calith, la place de Iezahel reste désespérément vide. Mais tous les autres sont là, affamés, alors il leur souhaite un bon appétit et commence à manger, les incitant à faire de même. Mais l'appétit n'y est pas, le cœur non plus. Tandis qu'il déguste distraitement l'omelette aux herbes accompagnée de légumes, il spécule sur les raisons de l'absence de son compagnon et le lieu où il peut être. Il ne prête aucune attention à la discussion autour de la table, principalement menée par les jumeaux, qui ont retrouvé toute leur joie de vivre et leurs blagues à l'humour douteux. Et ce n'est que lorsqu'ils attaquent le fromage que la porte s'entrouvre, et que Iezahel rase les murs pour rejoindre la chambre, le regard rivé au sol. S'il avait pu ne faire qu'un avec le mur, il l'aurait fait pour ne pas se faire remarquer. Mais un grand silence salue son entrée, auquel il ne prête aucune attention : il disparaît dans la salle de bain.

 

Et Calith, d'un bond, s'empresse de le rejoindre. La porte de séparation est fermée, mais il ne s'embarrasse pas de tels détails et l'ouvre violemment, sans prévenir. Iezahel est torse nu, et passe un linge sur la traînée sanglante qui orne son flanc. Quelques hématomes fleurissent entre ses omoplates et vers ses reins. Il sursaute en entendant la porte claquer contre le mur, et fait face à son compagnon, essayant de masquer ses blessures. Mais Calith les a vues, et il n'a pas l'intention de laisser passer :

 

- Qu'est ce que c'est que ça ?

- De quoi parles-tu ?

- Ne me prends pas pour un imbécile, Iezahel. Déshabille-toi. Entièrement.

 

Le ton de sa voix ainsi que son regard dur font plier l'esclave, qui s'exécute, tête baissée. Hormis le dos et le flanc, il ne porte aucune autre trace de violence. Calith, furieux, lui tourne autour et assène :

 

- Qui t'a fait ça ?

- Personne. Je suis tombé.

- Tu es tombé, ben voyons. Cette estafilade, là, n'est pas due à une chute.

 

Sans pitié, Calith pose l'index sur la plaie qui orne son flanc, faisant gémir son compagnon. Il n'obtient, pour toute réponse, qu'un silence obstiné.

 

- Réponds-moi, Iezahel ! Qui t'a fait ça ?

- Personne je te dis !

 

Calith l'attrape à la gorge, juste sous le menton, et le plaque contre le mur. Ses doigts serrent sa mâchoire, au point d'y laisser ses empreintes et il a beau lui relever la tête, Iezahel refuse de croiser son regard. Alors il déclare :

 

-Tu me mens. Tu ne me fais plus confiance. Alors c'est fini les petites escapades. Je te veux toujours à moins d'une toise de moi, sans exception. Si tu dois aller pisser, tu me demandes. Et si je dois t'enchaîner, je le ferai. Est-ce que c'est bien compris, Iezahel ?

- Oui.

 

Le filet de voix de l'esclave aurait broyé le ventre de Calith, dans d'autres circonstances. Mais là, il ne ressent que colère et crainte. Car quelqu'un a porté la main sur Iezahel, c'est certain, et il le défend en refusant de lui en parler. Et le plus sûr moyen de le protéger, c'est de le garder auprès de lui, en toute circonstances. Qu'importe si ils ont retrouvé leurs rôles de roi et d'esclave, au détriment de celui d'amants. La priorité, c'est de garantir la sécurité de Iezahel, le reste reviendra ensuite. Sans douceur, il le relâche et ordonne :

 

- Termine de te nettoyer et rhabilles-toi.

 

Iezahel hésite un instant, avant de comprendre que Calith va le regarder faire et qu'il ne partira pas. Ses gestes sont maladroits, quand il nettoie la plaie à grande eau, puis qu'il remet ses vêtements, sous l'œil implacable de son amant. Puis, tête baissée, il le suit jusqu'au salon.

 

 

 

 

 

Les jumeaux et Asaukin sont partis. Nyv' explique à Loundor que Severin lui accordera quelques minutes, dans la soirée, pour lui montrer comment fonctionnent les raquettes. Il s'est arrangé avec Asaukin, qui le remplacera pendant ce temps.

Voyant que le roi est de retour, et de mauvaise humeur, il se lève promptement et rejoint le vestibule pour y prendre son tour de garde.

Calith s'installe à table, imité par Iezahel, qui demeure immobile. L'ordre claque aussitôt :

 

- Mange.

- Je n'ai pas faim.

- Mange !

 

La main de Calith s'est abattue sur la table, faisant sursauter Iezahel et vaciller les chopes. Loundor, un sourcil haussé, observe la scène, intrigué, avant de dire :

 

- Je vais peut-être vous laisser.

- Non, il n'en a pas pour longtemps. On va boire une coupe d'hypocras, puis nous poursuivrons notre enquête.

 

Loundor acquiesce lentement, le regard rivé sur l'esclave, qui mange du bout des lèvres. L'ambiance est tendue, terriblement lourde, lorsqu'ils terminent leur repas avec le vin épicé. Loundor n'ose piper mot, et Calith ressasse ce qu'il a vu, dans la salle de bain. Iezahel, évidemment, se fait aussi discret que possible. Puis lorsque l'hypocras est terminé, Loundor et Calith se lèvent, aussitôt imités par l'esclave.

Ils passent plus trois heures, dans l'après-midi, à interroger chaque résident du second étage, cherchant à savoir s'ils ont vu ou entendu quelque chose, puis fouillant en peu, leur demandant leur rôle au château, leur relation avec le conseiller et ce qu'ils savent de lui.

 

Mais lorsqu'ils s'arrêtent, épuisés, frustrés et agacés par toutes les futilités qu'ils ont appris, force est de constater que leur enquête n'a pas avancé. Personne n'a rien vu, personne n'a rien entendu.

 

 

 

 

 

Dans la soirée, quand Severin vient chercher Nyv' pour lui apprendre à dompter les raquettes, il en profite pour leur annoncer que l'esclave du petit-déjeuner viendra le lendemain matin répondre à leurs questions et qu'il leur donnera, par la même occasion, la liste demandée.

Loundor se retire, laissant les deux amants seuls dans les appartements. Iezahel a suivi Calith de partout, sans broncher, sans laisser échapper la moindre parole.

Le bain est déjà prêt, et ils se rendent dans la salle d'eau. Calith, un rien agressif, bougonne :

 

- Et ne me dis pas que tu ne veux pas prendre ton bain avec moi.

- Non.

 

Ils ôtent leurs vêtements, se glissent dans l'eau chaude délicatement parfumée, se savonnent mutuellement. Calith se fait très doux lorsqu'il passe l'éponge sur les meurtrissures de son amant, en profitant pour les observer de très près. Mais alors qu'ils restent dans la baignoire, silencieux, l'un contre l'autre, Calith est bien obligé de reconnaître qu'il n'a aucun plaisir à sentir son amant contre lui, contraint et forcé.

 

La situation lui échappe. Iezahel se fait distant, menteur, dissimulateur, et Calith n'arrive pas à le percer à jour. Il ne peut pas le forcer à lui parler, il a déjà essayé, en vain. Lui rappeler, certes brutalement, qu'il est le maître est un moyen de le garder auprès de lui. Même s'il a terriblement conscience que ce n'est que temporaire. Si Iezahel ne l'aime plus, il ne pourra pas le forcer. Si Iezahel n'a plus envie d'être avec lui, il pourra certes lui ordonner de le faire, mais les sentiments ne seront plus là, et cette relation n'aura plus de sens.

 

- Je sais que ça n'en a pas l'air, Iezahel, mais je t'aime. Et je fais ça pour toi. Si seulement tu pouvais me dire ce qui ne va pas, sans me mentir...

 

Mais Iezahel ne dit rien, et se blottit simplement contre lui. Ils restent quelques minutes de plus dans l'eau, avant d'en sortir puis de s'habiller. Le dîner est très rapidement expédié, ils prêtent à peine attention à ce qu'il se dit, ni aux plaisanteries qui s'échangent. A peine le repas terminé, ils quittent la table, Calith invitant Loundor et ses hommes à rester aussi longtemps qu'ils le souhaitent, même si, à peine la porte de la chambre fermée, il les entend quitter les appartements.

L'heure n'est pas aux galipettes, quand ils vont se coucher. Comme la veille, Iezahel lui tourne le dos, et c'est à Calith de venir se blottir contre lui. Il ne se fait pas repousser, même s'il sent, clairement, l'esclave se raidir entre ses bras.

 

Calith a à peine le temps de s'endormir que Iezahel se met à gémir dans son sommeil, puis à se débattre. Comme la nuit précédente, il passe une bonne partie de son temps à essayer de le calmer, de le réconforter.

Il ne s'endort réellement qu'à l'aube, quand les mauvais rêves se replient. C'est Fleur qui le réveille, en amenant le petit-déjeuner, et il réalise immédiatement qu'il y a un problème. Il se redresse péniblement dans le lit, où il est seul. Seul. Alors il bondit hors des draps, se précipite dans la salle de bain. Déserte. Iezahel est parti.