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Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 09-12-2013 à 10:18:13

Iduvief, chapitre 18

 

 

 

 

 

Passablement énervé et agité, Calith se prépare rapidement et se rue dans le salon. Toujours aucune trace de Iezahel. Il s'apprête à quitter ses appartements quand il manque de rentrer en collision avec Loundor, qui l'observe, intrigué. Puis le Général l'attrape par le bras et le ramène dans le salon en lui demandant :

 

- Tu n'as rien mangé. Qu'y a-t-il de si urgent pour que tu sois aussi pressé ?

- Iezahel est parti.

- Parti ? C'est à dire ?

- Parti comme parti, Loundor ! Il n'est plus ici.

- Et il a emmené ses affaires ?

- Je...

 

D'un bond, il se dirige vers la chambre, où il constate, à peine soulagé, que la besace, la cape, et la tenue de rechange de Iezahel sont toujours là. Sur le seuil de la porte, jetant un regard désemparé à Loundor, il admet :

 

- Non, il n'a rien pris.

- La clef de son collier ?

 

Il farfouille dans la bourse accrochée à sa ceinture, avant de mettre la main sur la minuscule clef. Il secoue doucement la tête, n'osant plus regarder son ami.

 

- Alors il est encore au château, et il reviendra. Ne t'inquiète donc pas tant pour si peu...

- Je lui avais interdit de s'éloigner de moi.

 

Loundor, tête penchée sur le côté, laisse échapper un grondement, avant de décréter :

 

- Tu lui donnes des ordres, maintenant ? Laisse-le un peu respirer, par les Dieux !

- Hier, quand il est rentré pendant le déjeuner, j'ai vu sur son dos des hématomes. Et une estafilade sanglante. Il a prétendu qu'il était tombé, mais je n'y crois pas une seule seconde.

- Et pourquoi donc ? Il fait un froid de gueux ici, il suffit qu'un esclave renverse un peu d'eau pour que les couloirs deviennent dangereux. Tu ne tombes jamais, toi ?

 

Le souvenir de sa chute, dans la salle d'eau, lui fait monter le rouge aux joues. Il se garde donc bien de répondre, mais Loundor, impitoyable, poursuit :

 

- Tu ne t'en vantes peut-être pas mais ça t'arrive. Certes, c'est un loup-garou, mais il suffit d'une plaque de glace traitresse, ou d'un instant d'inattention pour chuter. Alors pourquoi ça ne lui arriverait pas, à lui ?

- Et son air songeur ? Son silence ?

- Oh Calith, s'il te plait ! A Pieveth, on le surnomme le Taiseux, tu l'as déjà oublié ? Tu sais à quel point j'aime Iris, n'est-ce pas ? Et même si je crains pour elle quand elle va faire son marché, même si je me méfie de ses fréquentations, je ne peux l'empêcher de vivre pour la surveiller. Je ne peux pas, et je ne dois pas, si je ne veux pas la voir flétrir comme une fleur mise dans un vase. Iezahel est un esclave, et tu as tous les droits sur lui. Mais tu l'aimes, je le sais, et tu ne peux pas contraindre à la solitude. Qui te dit qu'il ne s'est pas lié d'amitié avec un autre asservi, ou avec un domestique ? Nous n'allons pas rester ici indéfiniment, et il peut parfaitement vouloir profiter de notre séjour pour rencontrer de nouvelles personnes. Tu le traînes de partout derrière toi, sans te soucier de ses sentiments. Tu ne côtoies que des nobles, des conseillers ou des gens d'un ennui mortel. Et lui, dans tout ça ? Il est là, à côté de toi, silencieux, invisible la plupart du temps. Est-ce que tu crois vraiment qu'il s'épanouit ? Est-ce qu'il a seulement des amis, à Pieveth ? Des gens avec qui il peut plaisanter, être lui-même sans avoir à se soucier de ce que vont penser les gens ?

 

Calith reste silencieux, digérant les paroles de Loundor. Il est parfaitement incapable de répondre à ces questions. Il se doute que, lorsqu'il est avec Zelina ou occupé à quelque réunion, Iezahel vaque à ses occupations. Mais il ignore en quoi elles consistent, et il ne lui a jamais demandé s'il s'était lié d'amitié avec quelqu'un au château. Devant le silence de son roi, Loundor reprend :

 

- Je sais que tu t'inquiètes pour lui, Calith, mais Iezahel ne va pas s'enfuir. Il aurait pu te prendre la clef, car il sait parfaitement où elle est. Il ne l'a pas fait. Il n'a emporté aucune affaire, car il compte bien revenir. C'est un loup-garou, un guerrier. Il saura se défendre, si tant est qu'il soit menacé. Il t'a désobéi, c'est vrai, et tu es parfaitement en droit de le châtier pour ça. Mais avant de le faire, Calith, réfléchis bien à ce que ces escapades lui apportent.

 

Calith baisse la tête, vaincu. Il s'était imaginé que son compagnon était devenu le souffre-douleur de quelqu'un. Mais si Loundor avait raison ? S'il passait juste son temps à discuter avec un autre esclave ? Le connaissant, il serait bien capable de garder cette amitié secrète pour éviter que Calith se fasse des idées. C'est raté, mais ce serait bien possible.

 

- Allez, déjeunes avec moi, et nous...

 

La fin de sa phrase meurt sur ses lèvres lorsque Severin entre dans la pièce, est suivi par deux asservis, vêtus de simples tuniques en laine grossière. Ils s'inclinent tous les trois devant le roi, et Severin déclare :

 

- Voici Serna, qui a servi le petit-déjeuner d'Égeas hier, et Zaich, qui s'est occupé de monter les fournitures.

 

 

 

 

 

Les deux esclaves s'inclinent si bas que leurs fronts manquent de toucher terre. Quand ils se relèvent, Calith en profite pour les détailler. Serna est une jeune femme d'apparence très douce, au physique peu avantageux, mais aux iris marrons envoûtants. Le roi n'est pas surpris de la savoir en charge du petit-déjeuner du conseiller : elle doit savoir se faire oublier, malgré ses grands yeux effrayés. Zaich, lui, est parfaitement constitué pour son rôle : c'est une montagne de muscles, au crâne chauve et aux yeux de bovin. Ils dévisagent Calith avec autant de curiosité et il se demande s'il est comme ils l'imaginaient. Ce roi, qu'ils pensaient sans doute ne jamais croiser de leur vie, est-il à la hauteur de leurs attentes ? Conforme à leurs pires craintes ? D'une voix douce, il demande :

 

- Serna, racontes-nous comment se passait le service du conseiller. Sans rien omettre.

- A vos ordres, Votre Altesse.

 

Ses doigts nerveux, rougis par le froid, tripotent la ceinture qui marque sa taille. Elle réfléchit un instant, sans doute le temps de mettre en ordre ses idées, et explique d'une voix douce :

 

- Je m'occupais tous les jours d'apporter le petit-déjeuner à Messire Égeas. Je déposais le plateau sur une desserte que j'approchais de son fauteuil. Il ne me parlait jamais. Pendant qu'il mangeait, j'allais refaire le lit, je ne changeais pas souvent les draps, car il trouvait que ça faisait trop de remue-ménage. Je m'occupais aussi des lieux d'aisance, et un peu de la salle de bain, mais il ne s'en servait presque pas. Je nettoyais la cheminée et la remettait en marche, mais je devais faire discrètement. Pendant ce temps, il mangeait, et il parlait tout seul. Il ronchonnait la plupart du temps. Je ne devais pas écouter, mais je le faisais quand même, ça me permettait de savoir si je pouvais ranger le bureau ou non.

- Et ça arrivait souvent ?

- Non Votre Majesté. Il n'aimait pas que je touche aux manuscrits. Il disait que c'était le rôle de Severin, et qu'avec mes sales pattes, j'allais tout perturber. Pendant qu'il finissait de manger, je récupérais ce qu'avait laissé Zaich dans le couloir, je le rangeais, puis, quand il avait fini, j'emportais le plateau.

- Il ne te faisait jamais d'avances ?

- Non, jamais.

 

Loundor hoche doucement la tête, tout à l'interrogatoire. Serna semble sur le point d'ajouter quelque chose, mais hésite, et Calith l'encourage :

 

- Oui ?

- Je... Enfin, je peux me permettre de donner mon avis, je crois qu'il n'arrivait pas à faire le deuil de sa femme. Il ne courait après aucune femme. Il n'y avait que son travail, et le vin, qui l'intéressaient.

- D'accord. Et hier, comment ça s'est passé ?

 

Elle prend une inspiration, sans doute encore choquée par la mort brutale du conseiller. Marsylia a beau l'accuser de tous les maux, elle oublie un peu vite que bien qu'esclave, Serna est un être humain capable de sentiments. Calith, titillé par son estomac, prend un morceau de pain et du jambon, puis, tout en grignotant, reporte son attention sur elle.

 

- Comme d'habitude, Votre Altesse. Il râlait beaucoup à cause de ses genoux et de ses hanches, parce qu'ils le faisaient souffrir. Il n'arrêtait pas de répéter qu'il allait neiger, et qu'il détestait la neige. J'en ai parlé à Severin, parce qu'il doit parfois aller voir Ketil, qui donnait une préparation destinée à calmer la douleur.

- Il a mangé comme d'habitude ?

- Oui, Sire. Il a tout mangé. J'ai passé un peu plus de temps à la salle d'eau, parce qu'il avait été malade, alors il s'est impatienté. Il avait fini depuis un moment, quand je suis repartie avec le plateau vide.

- Et il allait bien ?

- Oui Votre Altesse, je vous jure qu'il allait bien.

 

Loundor, d'un discret signe de la tête, fait comprendre à Calith que l'esclave ne ment pas. Alors, avec un léger sourire, le roi poursuit :

 

- Est-ce que tu as croisé quelqu'un, dans les couloirs ?

- Zaich. Il amenait une pile de parchemins et de l'encre. Il y avait du bois, du vin, et des seaux d'eau près de la porte. Zaich a porté le plateau, et nous sommes redescendus ensemble. Nous avons croisé d'autres esclaves, mais c'est tout.

- Merci Serna.

 

Elle s'incline, visiblement soulagée d'en avoir terminé. Zaich, devinant que c'est à son tour, se met à s'agiter nerveusement. C'est Loundor, cette fois, qui pose les questions, tandis que Calith se sert à nouveau sur le plateau.

 

- Comment sais-tu ce que tu dois monter, pour le conseiller ?

- C'est Severin qui me dit.

 

La voix de Zaich est grave et rocailleuse, mais le débit de ses paroles est lent, très lent. Le pli soucieux, entre ses sourcils, montre que chaque question sollicite beaucoup de ressources.

 

- Et hier, qu'est ce que tu as monté ?

- Deux seaux d'eau. Une brassée de bois. Un tonnelet de vin. Une carafe de vin avec du parchemin, de l'encre, et des plumes. Il faut faire attention, avec la carafe et l'encre, parce que c'est fragile.

- Et tout s'est bien passé ? Tu n'as rien cassé ?

- Non. Rien du tout.

 

C'est surprenant, d'entendre tant de fierté dans la voix grave de cette montagne de muscles. On croirait entendre parler un enfant, dans un corps d'homme. Mais Loundor s'y attendait, car il poursuit comme si de rien n'était :

 

- Et que se passe-t-il si tu casses quelque chose ?

- Severin est pas content. Si Florain l'apprend, il fait mal. Mais pas Severin, Severin, il est gentil. Il crie un peu, mais c'est tout.

- Hier, quand tu as monté les affaires, tu as vu des gens ?

- Oui, tout plein. Parce que tous les esclaves doivent apporter des affaires dans toutes les chambres. Des fois, quand c'est trop lourd, j'aide les filles à redescendre les affaires. Comme pour Serna. Serna, elle est gentille, mais elle a mal au dos. Alors moi, comme je suis fort, je lui porte le plateau et les seaux sales.

- D'accord. Et il y avait des gens que tu ne connaissais pas ?

- Non.

- Que des esclaves ?

- Non. Y'avait tout plein de gens.

 

Loundor échange un regard rapide avec Calith avant de renoncer. Le château étant coupé du monde, tout le monde connaît tout le monde, et ce n'est guère surprenant que le meurtrier soit un habitué des lieux. Zaich, sans même penser à mal, ne soulignera pas une présence surprenante, car seul un inconnu l'aurait surpris. Peut-être.

 

- Merci Zaich. On en a terminé, vous pouvez retourner à vos occupations.

 

Les deux esclaves s'inclinent respectueusement avant de quitter les appartements. Ils n'ont certes pas appris grand-chose, mais ils ont au moins la confirmation que c'est le vin qui était empoisonné. Severin, qui a écouté attentivement, attend que la porte soit refermée pour annoncer :

 

- Le commis qui a mis le vin en carafe était très occupé ce matin, il viendra dans l'après-midi, si ça vous convient.

- Oui, c'est très bien.

- J'ai commencé à ranger le bureau d'Égeas. Pour l'instant, il n'y a rien de surprenant, je connais la plupart des documents pour les avoir moi-même écrit.

- Il n'avait pas de correspondance privée ?

- Très peu. Et il n'arrivait quasiment plus à écrire, alors je m'en chargeais à sa place.

- Si tu trouves des documents personnels, n'hésite pas à nous en parler, d'accord ?

- Bien sûr Votre Altesse. Concernant la liste des esclaves, je suis en train de la faire, mais comme l'a souligné Zaich, c'est un moment de la journée où il y a énormément de passage. Je pense que plus de la moitié des domestiques et des esclaves seront sur cette liste.

- Et ça va faire beaucoup de monde.

- Oui Votre Altesse.

 

Calith reste silencieux un instant, sirotant doucement sa tisane. Interroger la moitié de la domesticité d'Iduvief risque de leur faire perdre un temps fou, et pourrait bien ne pas leur apprendre grand-chose. Il repose doucement la chope et change donc de sujet :

 

- Est-ce que tu sais à quel service tu vas être affecté, désormais ?

- Non Sire. Marsylia n'a pas encore pris de décision me concernant.

- Et tu as eu le temps, hier, d'apprendre à Nyv' comment fonctionnent les raquettes ?

 

Severin semble soudain nerveux, et Calith jurerait que ses joues se sont colorées. D'une voix moins assurée, il répond :

 

- Oui Votre Altesse.

 

Il ne semble rien vouloir ajouter, mais le roi est trop curieux pour laisser passer. De sa voix la plus douce, il insiste donc :

 

- Alors ?

- Il a fait des progrès. On s'est bien amusés, Sire, je m'en excuse.

- Pourquoi t'excuser ?

- Je... Je devais lui apprendre, pas m'amuser.

- Mais si tu as pu ne serait-ce que sourire en le faisant, c'est une très bonne chose, et tu n'as pas à t'en excuser.

- D'accord.

- Et si tu estimes que tu dois perfectionner ses connaissances, parles-lui en. S'il s'est amusé, lui aussi, il sera sans doute d'accord pour recommencer.

- Et vous, Votre Altesse ?

- Moi ?

- Vous êtes d'accord pour qu'on... apprenne ?

- Plus que ça. Je vous l'ordonne.

 

Un sourire indéchiffrable vient illuminer le visage austère de l'esclave, qui s'incline en guise de remerciement. La porte s'ouvre à nouveau, et cette fois, c'est Fleur qui entre, craintive. Elle regarde le plateau du petit-déjeuner de Calith, qui ne l'a pratiquement pas touché, et murmure :

 

- Je suis confuse de vous déranger, je pensais que...

- Oui, c'est bon, tu peux l'emmener.

 

Elle échange un regard avec Severin, puis, d'une voix craintive, déclare :

 

- Severin m'a dit que ça vous intéresserait peut-être. J'étais amie avec Suing et …

- Suing ?

- Elle était esclave. Elle est morte en couches au début de l'hiver.

- Oh. Je vois. Continue.

- Entre femmes, on parle plus. Elle nous a certifié que c'était Nalek le père. Et je la crois : elle s'occupait de laver le linge, elle n'avait pas beaucoup de contact avec des hommes. Et Nalek l'appréciait beaucoup, il la faisait presque toujours venir. Il a eu beaucoup de peine, quand elle morte.

- Est-ce que beaucoup de monde était au courant ?

- Les femmes surtout. Je ne crois pas que Florain était au courant. Même s'il sait énormément de choses, parce que certains vont lui répéter ce qu'ils entendent, je crois que ça, c'est resté entre nous.

 

Elle regarde discrètement Loundor et Calith, apeurée, se demandant sans doute si elle a bien fait de leur parler. Elle semble avoir terminé sa confession, alors Calith pousse doucement le plateau vers elle et lui dit :

 

- Tu as très bien fait de venir nous en parler. Ça nous sera très utile. Merci beaucoup.

 

Elle rosit, avant de s'emparer vivement du plateau et de fuir les lieux. Puis c'est au tour de Severin de s'incliner, puis de prendre congé, non sans s'être assuré avant qu'ils n'avaient plus besoin de leurs services. Calith jette un regard par la fenêtre, pour découvrir qu'il neige toujours. Les gros flocons passent langoureusement devant les carreaux, comme pour les narguer. Iezahel est-il à l'abri, au chaud ? Sain et sauf ? Loundor le tire de sa contemplation en déclarant :

 

- Cette esclave, Suing, c'est celle que Florain a qualifié de « désagrément financier ».

- Je déteste cet homme.

- Je ne l'apprécie pas beaucoup, moi non plus. Mais par contre, c'est important, je pense, pour l'enquête. Une esclave pourrait parfaitement se venger en le tuant.

- Oui, tu as raison. Il faudrait voir si Suing avait de la famille, ou des amis très proches.

- Comme Fleur, par exemple ?

- Oui. Sauf que Fleur est venue nous en parler et elle ne nous offrirait pas un mobile sur un plateau d'argent si elle avait empoisonné Nalek. Et puis, surtout, ça ne résout pas tout. Qu'on tue Nalek parce qu'on l'estime responsable de la mort de Suing, c'est une chose. Mais Yorell ? Et Artéus ? Et Égeas ? On sait qu'Égeas ne batifolait pas avec les esclaves. Et si d'autres asservies étaient mortes en couche, on l'aurait su. Mais ça mérite d'être creusé.

 

Loundor laisse échapper un soupir. Ce mobile aurait été très plausible mais il n'expliquerait effectivement qu'un seul meurtre. Ils n'ont pas le temps de discuter plus longtemps qu'Asaukin frappe à la porte et s'avance dans le salon :

 

- Marsylia et Florain souhaiteraient vous rencontrer, Votre Altesse.

- Oui, fais-les rentrer. Non ! Attends. Tu étais de garde ce matin ?

- Oui Sire.

- Donc tu as vu Iezahel ?

 

Le vétéran, au visage si dur, semble soudain mal à l'aise. Et il marmonne :

 

- Oui. Il m'a demandé de ne pas en parler de moi-même.

- Quand est-il parti ? Et où ?

- Il m'a dit : « Si le roi t'interroge à mon sujet, dis-lui simplement que j'ai quelque chose à régler et que je reviens dès que possible. Et dis-lui surtout que je suis désolé ».

- Et il ne t'a rien dit d'autre ?

- Non Sire.

- Il est parti où ?

- Je l'ignore. Il a pris les escaliers, c'est tout ce que j'ai pu voir.

 

Calith lâche un juron. Forcément qu'il a pris les escaliers, ils sont au dernier étage. Mais du coup, impossible de savoir où il est allé. Difficile pourtant d'en vouloir au vétéran, qui ne pouvait pas savoir que son roi avait interdit à l'esclave de s'éloigner. Alors Calith, agacé, congédie Asaukin et lui demande de faire rentrer Marsylia et Florain.




Il comprend parfaitement le raisonnement de Loundor, et le fait que Iezahel a promis de revenir rapidement devrait le rassurer. Mais il s'inquiète quand même, et il a hâte de le voir pour en savoir plus. Mais l'arrivée de Florain et de Marsylia l'empêche de trop réfléchir à cette histoire, et il se concentre sur la discussion.

 

- Égeas n'avait plus qu'un frère, qui vit loin d'ici, commence Marsylia. Severin se chargera de le prévenir du décès d'Égeas. Il m'a d'ailleurs fait parvenir le testament du conseiller de mon père, qui lègue tous ses biens au château. Trouver un nouveau conseiller devient urgent.

- Vous n'avez personne au château qui pourrait remplir ce rôle ? Demande Loundor.

- Hum. Il y a peut-être bien l'archiviste, mais je ne suis pas sûre qu'il soit apte à prendre ce poste. Je verrai bien, de toute façon. A moins que vous souhaitiez m'imposer un conseiller à votre goût.

- Non Marsylia, c'est votre choix et votre décision.

 

Calith a parlé d'une voix ferme : il refuse de s'immiscer plus encore dans la gestion d'Iduvief. Puis c'est Florain qui fait son rapport, annonçant que les gardes n'ont rien vu de suspect. Le registre des allées et venues au château a été transmis à Severin qui, avec les gardes, déterminera quels sont les visiteurs habituels et quels sont les voyageurs suspects, bien que la plupart d'entre eux soient déjà repartis. Florain leur annonce que les prêtres ont préparé le corps d'Égeas et que la cérémonie aura lieu le lendemain. Enfin, il leur annonce que Ketil refuse purement et simplement de prendre part à l'enquête, arguant que puisqu'ils ont fait appel à Filraen, ils n'ont plus besoin de lui.

 

Si Florain reste respectueux, impossible de manquer le ressentiment dans ses paroles lorsqu'il l'annonce. Il n'apprécie clairement pas que Calith et Loundor aient fait intervenir le mage, quand bien même il a été d'une aide capitale.

Agacé par le responsable des gardes, Calith les congédie assez sèchement. Puis, avec Loundor, ils discutent de l'enquête et de ce qu'ils ont appris dans la matinée. L'information donnée par Fleur les intéresse tout particulièrement, et ils sont convaincus que c'est un début de piste.

 

 

 

 

 

L'heure du déjeuner arrive très vite. Les jumeaux, Nyv' et Asaukin se joignent donc à eux pour déguster le rôti en croûte accompagné de pommes de terre sautées. Iezahel est toujours absent mais personne n'en fait la remarque : ils sont bien conscients que leur roi est à cran. La conversation va bon train, pourtant, et Calith tente d'y participer, occultant son inquiétude.

Les hommes de Loundor ne s'éternisent pas, et les saluent une fois le repas terminé.

 

Ils se retrouvent à nouveau seuls dans le salon. Calith retient à grand peine un soupir : l'enquête piétine et il a l'impression de se retrouver, des années plus tôt, à Pieveth. Et surtout, aucun signe de Iezahel.

Un grattement soudain à la porte lui fait tendre l'oreille. Ce n'est pas Nyv', en faction devant les appartements, qui a fait un tel bruit. On croirait un animal qui tente de s'échapper d'un piège. Une exclamation soudaine les fait bondir de leurs fauteuils et c'est Loundor, le premier, qui atteint la porte et l'ouvre précautionneusement. L'éclaireur se tient la main, couverte de sang, en gémissant. Le coupable s'empresse de se faufiler par l'entrebâillement, tandis que Nyv' explique :

 

- Il s'est rué dans le couloir et s'est précipité sur la porte. Il n'a pas arrêté de gratter et quand j'ai voulu le prendre, il m'a mordu. Je crois bien qu'il m'a arraché un bout du doigt.

- Va voir Filraen, on s'en occupe.

 

La boule de poil, noire comme la suie, s'est immobilisée devant le Général, dans le petit vestibule. Loundor gronde sourdement, terrorisant le chiot qui s'aplatit au sol en gémissant. De sa main grosse comme un battoir, il attrape l'animal par la peau du cou et le porte à hauteur du visage pour mieux l'examiner. Au sol, une petite flaque prouve que le loup-garou a effrayé le chiot au point de lui faire perdre la maîtrise de sa vessie. Ses gémissements affolés redoublent sous l'examen et Calith, touché, le prend délicatement en déclarant :

 

- Arrête, tu vas finir par traumatiser ce pauvre chiot.

 

Il le serre contre lui et retourne s'asseoir sur le fauteuil près de la cheminée. L'animal renifle sa veste, son cou, et finit par le lécher frénétiquement. Sa langue râpeuse chatouille le roi, qui se met à rire tout en gigotant. Il le remet sur ses genoux, caressant la fourrure douce comme de la soie. Calith, sans cesser de faire courir ses doigts sur le chiot, lui dit :

 

- Tu n'as que la peau sur les os, toi ! D'où tu t'es échappé, petit sacripant ? On te ramènera auprès de tes maîtres, tu sais ?

 

Mais le chiot est bien plus intéressé par les reliefs du repas, derrière Calith, que par son discours, et lui fait bien comprendre en s'agitant sur ses cuisses, les labourant de ses griffes. Et le roi, si autoritaire parfois, cède et se lève en souriant puis s'installe près de la table, le chiot sur les genoux. Morceau par morceau, il lui donne les restes de son repas, couinant quand les petites dents mordent ses doigts au lieu de la viande.

Quand il redresse la tête, Calith croise le regard songeur de Loundor. Dans un sourire, il lui dit :

 

- Ne fais pas cette tête. Cette pauvre bête a dû se perdre. On la rendra à Severin plus tard.

- Je pense que tu peux le garder ici. Au moins, il sera au chaud et bien nourri.

- Tu as une idée de ce que c'est, comme race ? Aucun chien à Pieveth ne ressemble à celui-là.

- Ça doit être un chien de montagne.

 

Calith ne remarque pas le ton faussement détaché de Loundor, car le chiot vient de sauter sur la table. Il ne veut pas, visiblement, se contenter des restes et s'approche du plat où trône encore une partie du rôti. Calith bondit sur ses pieds, mais le Général est plus rapide et l'attrape par la peau du cou en grondant « non ». Sans tenir compte des gémissements affolés du chiot, il le pose à terre et assène :

 

- Tu restes ici. Et tu te caches si quelqu'un entre.

- Loundor ! Tu crois...

 

Mais Calith n'a pas le temps de finir sa phrase : la porte s'ouvre à la volée, et un Severin affolé, à bout de souffle et grimaçant de douleur fait irruption dans le salon, suivi de près par Asaukin. Il se tient plié en deux, se masse le genou et halète :

 

- Majesté ! Vous devez venir tout de suite !

- Que se passe-t-il ?

- Iezahel a été arrêté pour meurtre.