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Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 10-12-2013 à 09:02:51

Iduvief, chapitre 19

 

 

 

 

 

Dans un geste réflexe, plus guidé par son cœur que par son esprit, Calith bondit sur ses pieds et se précipite vers Severin. Loundor, avec sang-froid, demande :

 

- Où est-il ?

- Dans la cellule d'interrogatoire.

- Va voir Filraen, qu'il fasse quelque chose pour ton genou. Asaukin, rassemble les autres, sauf le jumeau chargé de surveiller les repas, et regroupez-vous dans une chambre. Restez vigilants.

 

Calith est déjà dans le couloir quand Loundor le rejoint. Le cœur battant la chamade, le ventre et la gorge noués, il court dans le corridor glacial. Puis il dévale les escaliers, le Général sur ses talons, l'esprit en ébullition. Aucune pensée cohérente ne se dégage de ce tourbillon, mais une terreur indicible le submerge. Sur ses lèvres, un leitmotiv silencieux tourne en boucle « ce n'est pas possible ». Ils sont tout près du caveau quand la poigne implacable de Loundor lui harponne l'épaule et le force à s'arrêter. Il se débat un instant puis réalise l'absurdité de la chose. Alors, tentant de reprendre son souffle, il s'immobilise et fixe durement son ami, qui débite d'un ton grave :

 

- Calith, écoute-moi bien. On va le sortir de là. Calme-toi. N'oublie pas que tu es le roi, et que tu vas voir ton esclave.

 

Calith s'apprête à protester, mais le regard de Loundor, rivé dans le sien, est hypnotique, et sa voix de basse martèle avec autorité :

 

- Tu es le roi et tu vas voir ton esclave. Ne montre aucune faille à Florain. Ne lui montre pas ton attachement à Iezahel car il s'en servira. Il ne t'aime pas, et si tuer Iezahel peut t'atteindre, il le fera, il en a le droit. Reste distant, exige des preuves ou des témoignages et essaie de faire sortir Florain de la salle d'interrogatoire. Prends un air courroucé, ou que sais-je encore, mais ne lui montre pas ta détresse.

 

Ses genoux manquent de lâcher quand il comprend toutes les implications des paroles de Loundor. Au début de son règne, il avait fait promulguer une loi, stipulant qu'aucun rang social ne mettait à l'abri de la loi : elle est la même pour tous. Et afin d'éviter les abus, il avait fait rajouter que si une personne dépositaire de la loi se voit mêler à un crime, elle perd de fait son droit de juger et doit en référer à un tiers, même s'il peut avoir connaissance de toutes les pièces du dossier. Les exactions commises par Lombeth avaient été faites en toute impunité, et il refusait que ça puisse à nouveau se produire. Il savait que, dans certains fiefs, des seigneurs profitaient de leurs fonctions pour se juger eux-même, avec toute la clémence que ça implique.

En tant que propriétaire de Iezahel, il en est responsable, et doit répondre de ses crimes, sans avoir le droit de le juger. Ce seront donc Marsylia et Florain qui le jugeront, sans qu'il n'ait son mot à dire sur le jugement.

Florain n'apprécie pas la présence de Calith à Iduvief, il leur a bien fait comprendre. S'il devine le lien qui les lie, il abusera de sa position, c'est une certitude. Des tortures plus poussées pour faire avouer Iezahel, une mise à mort lente et cruelle en cas de condamnation. Des petites vengeances mesquines, sous couvert de la loi.

 

Il avait commencé à le faire, mais désormais, c'est une question de vie ou de mort : il doit oublier le rôle d'amant pour endosser celui de roi. Jouer au roi agacé par les actions de son esclave, sans tenir compte de son esprit qui refuse de croire à sa culpabilité, sans tenir compte de son cœur qui bat la chamade à l'idée de le perdre, sans tenir compte de cette voix, dans sa tête, qui hurle que c'est un cauchemar, qu'il va se réveiller.

Loundor, face à lui, est un monstre d'impassibilité, qui n'exprime qu'une vague contrariété. Et pourtant, les Dieux savent qu'il apprécie l'esclave. Calith hoche doucement la tête, calme les battements affolés de son cœur, et tente de maîtriser son angoisse. Quand il se sent prêt, il regarde Loundor, qui approuve d'un geste de la tête. Alors, relevant le menton, il se dirige d'un pas déterminé vers la salle d'interrogatoire.

 

 

 

 

 

Comme l'avait supposé Loundor, Florain est là, accompagné de six gardes à la mine patibulaire. Ils encerclent Iezahel, menaçants, comme s'il risquait de s'enfuir. Calith se refuse à examiner son amant, et darde le responsable des gardes d'un regard hautain en lui demandant :

 

- Que se passe-t-il ici ?

- Mes gardes ont surpris votre esclave en train de tuer le Maître d'écurie. Il a également tué son esclave.

- Ils l'ont vu faire, de leurs yeux ?

- Oui. Nous l'avons neutralisé, et nous l'interrogerons pour qu'il avoue son crime.

- Comme vous l'avez dit, il s'agit de mon esclave. Je tiens à voir les lieux du crime, et je veux lui parler avant que vous l'interrogiez.

 

Florain retrousse les lèvres dans une moue méprisante. Il sait qu'il ne peut pas refuser de telles exigences, mais il sait aussi que rien n'empêchera l'exécution de Iezahel. Un roi, dont l'esclave personnel a été reconnu coupable de meurtre, fera moins le malin devant Marsylia et lui et arrêtera de leur donner des leçons.

 

- Accordé. Nous avons par contre découvert qu'il avait réussi à enlever son anneau de chasteté. Nous lui avons donc mis la pénitence, à l'ancienne, histoire qu'il se rappelle sa place.

 

Calith hoche la tête, incapable de prononcer un mot. Les gardes s'éloignent, suivis par Florain, alors, redoutant le pire, il examine son amant. Il est nu et a visiblement été roué de coups : ses jambes, ses bras, son torse sont couverts d'hématomes violacés. Le cœur au bord des lèvres, Calith découvre même l'empreinte, bien visible, d'une botte sur son ventre : l'ecchymose est nuancée par les rainures de la semelle, et il en voit distinctement le contour. Son visage n'a pas été épargné : lèvre fendue, arcade sourcilière éclatée. Iezahel peut à peine ouvrir l'œil droit, tuméfié. Il est couvert de sang, et de ce qui s'apparente à de la boue.

 

Il est entravé à un morceau de bois, formant un t renversé. Des bracelets de fer encerclent ses chevilles, et sont fixés aux extrémités de l'entrave, au sol, à plus d'une coudée l'un de l'autre. Ses poignets, eux aussi prisonniers des bracelets, sont fixés dans son dos, au montant de bois. Une courte chaîne a été passée dans son collier puis fixée à l'extrémité haute de l'entrave. Et il y a la pénitence, qui rend son sexe rigide, dont la tige, épaisse, bien trop épaisse, s'enfonce dans son corps, et qui tient grâce à une chaînette passée autour de la taille, sans l'aide de la magie. Florain n'aime pas Filraen, et a dû refuser de faire appel à lui pour contraindre l'esclave royal.

Ses jambes écartées, son sexe si vulnérable et son torse sont donc en première ligne pour l'interrogatoire qui s'annonce.

 

Un rapide coup d'œil suffit à Calith pour constater que Florain et ses gardes sont dans le couloir, et qu'ils ont malencontreusement omis de fermer la porte. Impossible de céder à l'impulsion de le prendre dans ses bras, de le serrer contre lui pour lui apporter douceur et réconfort. Il se place alors dos à la porte, les empêchant donc de voir Iezahel, et, du bout des doigts, effleure l'épaule de son compagnon. Sa peau est glacée, et ses muscles sont tendus, signe, s'il en fallait, de la douleur que lui inflige cette position. Iezahel baisse la tête autant que possible, au risque de s'étrangler avec son collier, et murmure :

 

- Je suis désolé Calith.

- Tu les as vraiment tués ?

 

L'esclave garde le silence. Calith refuse d'y voir le signe d'un aveu, et insiste :

 

- Iezahel, on va te sortir de là. Mais tu dois tout me dire.

 

Des larmes dévalent les joues, traçant des sillons plus clairs au milieu du sang et de la saleté. Son œil valide fixe les dalles inégales et glaciales, et ses lèvres restent closes.

 

- Iezahel, on doit savoir. Tu dois tout nous expliquer.

 

Un frisson parcourt le corps entravé, mais aucun son n'en sort. Malgré la terreur qui lui broie le ventre, Calith ne peut empêcher un mouvement de colère. Ne tient-il donc pas à la vie, pour rester silencieux comme ça ? La détresse de son compagnon ne lui fait donc ni chaud ni froid ?

Florain rentre d'un pas déterminé dans la pièce, toisant le roi et son Général, sûr de lui. Mais Calith le prend de cours en disant :

 

- Attendez un peu avant l'interrogatoire. Mettez-le en cellule, et conduisez-nous au Maître d'écurie.

 

Il espérait que Florain fasse détacher Iezahel, mais il se trompait lourdement. Deux gardes s'approchent et sans aucune douceur, font basculer sur le côté l'entrave en bois. Iezahel laisse échapper un gémissement quand il se retrouve quasiment sur le flanc, uniquement retenu par ses liens. Trois gardes soulèvent alors l'entrave, et portent Iezahel dans une minuscule cellule glaciale, qui empeste. Ils le redressent violemment et claquent la porte derrière eux, sans un regard.

Calith, qui garde tant bien que mal la maîtrise de lui-même, avance dans le couloir aux côtés de Florain, à qui il annonce :

 

- En tant que propriétaire de cet esclave, je veux être tenu de la moindre décision le concernant.

- Bien sûr.

- Et je veux que l'interrogatoire soit reporté tant que nous n'avons pas la preuve de sa culpabilité.

- Il est coupable, mes hommes sont témoins de ses actes, et ils sont parfaitement dignes de confiance.

- Nous aviserons. Parlez-moi un peu de votre Maître d'écurie.

- Il s'appelait Kjeld, au service d'Iduvief depuis sa plus jeune adolescence. Il s'occupait donc des chevaux, il avait un don inné pour ça. Il arrivait à calmer les étalons les plus sauvages rien qu'au son de sa voix. C'est une immense perte, pour nous.

 

Calith ne répond rien, au prix d'un grand effort. Il a compris où voulait en venir le responsable, et se retient farouchement de l'insulter. Lorsqu'un esclave commet un crime, il est condamné à mort. Mais si sa victime est une personne influente, ou si sa mort occasionne de grandes pertes financières, le propriétaire peut se voir obligé de verser de l'argent en guise de compensation. Et Florain, sans aucune subtilité, lui fait comprendre qu'il réclamera de l'argent en plus de la tête de Iezahel.

 

Il reste silencieux jusqu'à ce qu'ils arrivent dans l'écurie. Un attroupement s'est formé autour d'une stalle, et tous les chevaux ont passé la tête par-dessus la barrière de bois pour observer l'agitation inhabituelle. Ils doivent sentir l'odeur du sang, car plusieurs s'agitent, tandis que d'autres hennissent doucement. Les esclaves s'écartent vivement en les voyant arriver. Deux gardes surveillent l'entrée, et s'assurent que personne n'approche des corps.

 

Ils s'écartent respectueusement, laissant passer Florain, Calith et Loundor. La scène qui s'étale devant lui manque de faire vomir Calith. C'est un véritable carnage. La lueur dansante des lanternes, dans l'allée de l'écurie, dispense juste assez de lumière pour dévoiler la jeune esclave, affalée contre un sac d'avoine, la gorge tranchée juste au-dessous de son collier, le regard rivé sur lui. Sa tunique de laine, grossière et élimée, est recouverte de sang et une mare rendue noire par le manque de lumière s'est formée autour d'elle. Non loin de là, Kjeld est allongé sur le dos, le crâne fracassé et le visage à peine reconnaissable tant il a été roué de coups.

 

Calith reste en retrait, mobilisant toutes ses forces pour rester impassible. Iezahel ne peut pas être l'auteur de ce carnage. C'est impossible. Il est incapable de prononcer un mot, alors Loundor demande, tout en allant et venant dans la stalle :

 

- Quelles sont vos premières conclusions ?

- L'esclave du roi a égorgé cette pauvre fille. Il a été surpris par Kjeld, ils se sont battus, et l'esclave lui a violemment taper la tête contre le sol, jusqu'à ce que mort d'en suive.

- Avec quelle arme l'a-t-il égorgée ?

- Une dague, sans doute.

- En tant que garde du corps personnel du roi, Iezahel en possède une, c'est vrai. Mais elle est restée dans les appartements de Calith. Avez-vous retrouvé une arme, près de lui ou près de l'esclave?

 

Florain reste silencieux, et interroge du regard le garde le plus proche de lui. L'homme, âgé, secoue doucement la tête avant de marmonner :

 

- Il n'y avait aucune arme au sol.

- Et celle-là ?

 

La question de Loundor jette un froid dans l'écurie déjà peu chauffée. A la ceinture de Kjeld, une poignée de dague dépasse. Loundor, légèrement goguenard, demande :

 

- Il aurait donc pris la dague du maître d'écurie, aurait égorgé l'esclave, avant de remettre la dague dans le fourreau pendant à la ceinture de Kjeld ?

 

Un lourd silence s'abat. Personne n'est assez stupide pour affirmer que cette explication invraisemblable est la bonne. Florain, d'un geste brusque, se penche vers Kjeld et retire la dague du fourreau. L'arme est maculée de sang.

Florain est blanc de rage, et jette un regard noir à ses gardes. Loundor, sans pitié mais pas triomphant pour autant, déclare :

 

- Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais ça me paraît peu plausible que ce grand gaillard ait laissé un esclave lui prendre sa dague, égorger son asservie puis lui glisser la dague dans son fourreau sans l'en empêcher.

 

L'un des gardes présents à l'impudence de grogner son assentiment, déclenchant un cri de rage vite étouffé de la part de Florain. Et Loundor, implacable, poursuit :

 

- D'autant plus que, lorsqu'on égorge quelqu'un, le sang jaillit très vite, en grande quantité. Faisant, comme on peut le voir sur la manche de Kjeld, d'importantes éclaboussures.

 

D'un geste de la main, il désigne la manche droite du maître d'écurie, tachée de sang jusqu'au coude. D'un air détaché, le Général demande :

 

- Savez-vous si le maître d'écurie était droitier ou gaucher ?

- Droitier il me semble.

 

C'est Florain qui a répondu, vaincu. La démonstration de Loundor, bien plus plausible que l'explication qu'ils avaient trouvé, semble impossible à démonter. Mais il ne renonce pas pour autant :

 

- Et quand bien même ? Kjeld égorge son esclave, même s'il nous manque le mobile. Et l'esclave du roi arrive et tue le maître d'écurie.

- Sans doute en espérant sauver la jeune femme, ou en voulant neutraliser son meurtrier. Cette nuance fait toute la différence lors d'un procès.

 

Loundor s'avance un peu plus dans la stalle et demande :

 

- Il me semblait avoir croisé un garçon d'écurie.

- Kjeld ne travaillait pas seul, en effet. Il avait un garçon d'écurie pour l'aider, en hiver, et deux autres qui venaient en été lui prêter main forte.

- Mais son esclave alors ?

- Il l'avait acheté, il en faisait ce qu'il voulait.

- Elle n'était donc pas sous votre responsabilité ?

- Non. C'était son esclave personnelle.

 

Florain toise Loundor, et voyant que ce dernier n'est pas convaincu, il assène :

 

- Égeas gérait le mobilier du château, il faisait réparer ou remplacer une table bancale ou un lit défectueux. Mais si un résident apporte son propre mobilier, alors c'est à lui de le faire réparer, ou changer, et non à Égeas.

Loundor laisse échapper un grondement, qui correspond assez bien à l'état d'esprit de Calith. Cette comparaison entre un esclave et du mobilier est malvenue. Mais le Général reprend vite son sang-froid en disant :

 

- J'aimerais voir le logement de Kjeld. Et j'aimerais aussi savoir où est passé le garçon d'écurie. Après tout, il était sur les lieux au moment du crime, son témoignage sera sans doute intéressant.

 

Florain en reste bouche bée, et scrute avidement la scène de crime à la recherche de l'indice qui permet à Loundor d'affirmer une telle chose. Ce dernier, magnanime, explique :

 

- Apportez plus de lumière, vous verrez. Dans la mare de sang, là, il y a trois jeux d'empreintes. Ils ne sautent pas aux yeux, certes, mais ils sont là. Les plus grandes et les plus larges appartiennent, à vu d'œil, à Kjeld. Regardez sous ses semelles. J'ignore ce que vous avez fait des bottes de Iezahel, mais elles aussi doivent être tachées de sang. Il reste cependant une autre paire de bottes, là, plus fines et plus petites, à peine visibles, qui appartiennent sans doute au garçon d'écurie.

 

Calith pince les lèvres, retenant un sourire triomphant. Loundor, avec sa vue plus développée, distingue parfaitement ces détails que de simples humains, avec le peu de lumière qu'il y a, ratent aisément. Un garde, nerveux, d'approche des corps, veillant à rester le plus loin possible, tend une lanterne à bout de bras pour illuminer la scène. Alors, de mauvaise grâce, Florain ordonne à une poignée de gardes d'aller chercher Till, le garçon d'écurie. Son regard reste figé sur les empreintes de bottes, au sol, blême.

 

Calith reste un peu en retrait tandis que Florain conduit Loundor jusqu'à l'appartement de Kjeld. Il peine à ordonner ses pensées. L'image de Iezahel, torturé puis exécuté, s'impose sans cesse dans son esprit, lui broyant la poitrine. Impossible d'accorder la moindre attention à la pièce, exigüe et empestant le cheval, alors que son compagnon vit peut-être ses dernières heures. Iezahel n'aurait jamais égorgé une esclave. Mais s'en prendre à un maître, qui maltraite son asservie, ça, il pourrait le faire. D'autant que ce ne serait pas la première fois qu'il s'arrange avec la justice. Même si personne n'est au courant de ça, pas même Loundor, Calith, lui, y pense. Il écoute, d'une oreille distraite, le Général demander à Florain si l'esclave avait un enfant, en désignant, sur la paillasse posée à même le sol, un bout de tissu noué en forme de bonhomme. Oui, Iezahel aurait parfaitement pu tuer Kjeld s'il l'avait surpris en train de maltraiter l'esclave. Même s'il ne la connaissait pas ? Comment aurait-il pu la connaître, de toute manière ? Et par les Dieux, que faisait-il dans cette écurie ? Serait-ce avec ce Till, qu'il s'est lié d'amitié ? Le garçon voulait en savoir plus sur les loups-garous, est-ce que ça a été l'occasion de pour eux de nouer une amitié ? Mais pourquoi a-t-il disparu, alors ?

 

Calith suit docilement Loundor quand ils regagnent la stalle, presque hébété sous son masque impassible. Le cadavre du maître d'écurie prouve toute la sauvagerie de l'attaque. Ce ne fut pas un meurtre froid et réfléchi. L'assassin a perdu tout contrôle, et l'a frappé jusqu'à ce que mort s'en suive. Et il semblerait que le meurtre de l'esclave soit l'élément déclencheur. Mais pourquoi Iezahel se retrouve mêlé à ça ?

 

- Calith ?

- Hum ?

- Tu as quelque chose à rajouter ?

 

Calith croise le regard de son Général et reste muet. Loundor y lit toute la détresse et tout le désarroi de son protégé. Alors il prend les choses en main et déclare, se tournant vers Florain :

 

- Nous nous réservons le droit de réclamer la possibilité de voir à nouveau les corps. Mais vous pouvez les emmener. Nous voudrions maintenant parler aux gardes qui ont surpris l'esclave en train de tuer Kjeld.

 

Florain plisse les yeux, les lèvres serrées. Mais il obtempère, car il n'a aucune raison valable de refuser, même s'il redoute sans doute qu'un interrogatoire plus poussé révèle d'autres failles. Ils quittent donc les écuries, laissant derrière eux la fraîcheur des lieux, l'odeur de purin et de chevaux.

 

 

 

 

 

Le responsable des gardes les conduit dans son bureau, situé tout près du hall. Deux de ses hommes l'accompagnent. Il s'installe en maître des lieux derrière l'imposante table en bois surchargée de papiers, pitoyable tentative pour restaurer une image forte. Il leur fait signe de s'asseoir sur les deux chaises disponibles, les gardes restant debout, à côté du bureau.

 

- Expliquez-nous ce que vous avez vu exactement.

 

Les gardes jettent un regard interrogateur à Florain, qui hoche doucement la tête, leur signifiant qu'ils peuvent parler. Alors le plus jeune d'entre eux se lance :

 

- On faisait notre ronde, comme d'habitude, quand on a entendu un cri. On a décidé d'aller voir ce qu'il se passait. On a découvert l'esclave à genou, en train de frapper Kjeld. Alors on s'est interposé, et on a dû utiliser la force pour le neutraliser.

 

Calith vibre de colère, devinant qu'ils ont surtout utilisé la force pour punir l'esclave d'avoir levé la main sur le maître d' écurie. Le second garde, au visage en lame de couteau, hoche la tête avec véhémence, comme pour appuyer les dires de son collègue. Et ils ne rajoutent pas un mot, ni l'un ni l'autre. Loundor gronde sourdement et demande :

 

- Et c'est tout ?

- Ben oui.

- D'accord. C'était quelle heure, environ, quand vous avez entendu ces cris ?

- Peut-être une heure avant le déjeuner, environ.

 

Florain s'agite sur son fauteuil, le visage fermé. Iezahel est donc resté plus de trois heures entre leurs mains, avant que Severin ne les prévienne. Et le responsable des gardes sait parfaitement que ce délai est trop long. Mais pour l'instant, ni Calith ni le Général ne font de remarque. La priorité, c'est de sortir Iezahel de là. Loundor poursuit :

 

- Les écuries sont très à l'écart. Comment avez-vous pu entendre des cris, si loin ?

- Parce que je leur demande d'aller de partout, répond Florain, hautain. La priorité, c'est de surveiller les issues, et l'écurie est une entrée très vulnérable. Il y a beaucoup moins de monde qu'en cuisine. Un intrus pourrait parfaitement passer par là pour atteindre le cœur du château.

- Très bien. On n'est jamais trop prudent. Ce cri, c'était une voix féminine ou masculine ?

- Masculine, Général.

- Il était comment ? Vous pourriez essayer de l'imiter ?

 

Les deux gardes se regardent, perplexe, avant que le plus jeune pousse un cri ressemblant à un braillement de bébé. L'autre opine du bonnet, muet. Calith, si la situation n'avait pas été aussi grave, aurait explosé de rire en entendant un son aussi incongru sortir de la gorge du jeune homme viril. Mais l'heure n'est ni à la plaisanterie, ni à la moquerie. Loundor, de marbre, insiste :

 

- C'était plutôt un cri de douleur ? Un cri de rage ?

 

Les deux gardes, après avoir longuement cogité, avouent leur ignorance. Florain martèle son bureau du bout des doigts, jouant un rythme militaire qui devient vite agaçant. Calith lui jette un regard noir, mais le responsable poursuit, comme si de rien n'était. Loundor reprend, bien conscient qu'il n'en tirera pas plus au sujet du cri :

 

- Donc vous arrivez dans les écuries. Que voyez-vous ?

- L'esclave en train de tuer Kjeld.

- Non, ça, c'est ce que vous en avez déduit ensuite. Quelle est la première chose que vous avez vu ?

- Sighild.

- Sighild ?

- L'esclave de Kjeld.

- D'accord. Elle était déjà morte, à ce moment-là ?

- Oui, elle nous fixait avec son regard vide.

- La stalle était bien éclairée ? Vous voyiez tous les détails ?

- Y'avait juste les lanternes, dans l'allée. Mais ça suffisait pour voir qu'elle était morte, on voyait la marre de sang.

- Et ensuite, qu'avez-vous vu ?

- L'esclave à genoux, en train de secouer la tête de Kjeld.

- Il vous tournait le dos ?

- Oui. Il ne nous a pas entendu arriver. On lui a crié de lâcher sa victime. Il a sursauté, et s'est tourné d'un bond vers nous. Il avait le regard fou, il était menaçant, on a dû le maîtriser pour sauver nos vies.

 

Loundor gronde mais ne relève pas. Florain s'impatiente clairement, car le tempo de ses doigts augmente. Calith demande :

 

- Et vous avez formellement reconnu mon esclave ?

- Oui Sire. On l'avait vu plusieurs fois avec vous. Il est le seul ici à avoir un collier aussi large.

- Dans quel état étaient ses mains ?

 

Les deux compères se regardent à nouveau, indécis. Ce n'est pas le genre de détails qu'ils ont remarqué. C'est pourtant essentiel, car un homme qui, de ses poings, en tue en autre n'en sort pas sans dégâts. Les jointures de ses doigts sont, au mieux, marquées du sang de sa victime. Mais Iezahel a été roué de coups, ensuite, difficile donc de déduire quoique ce soit des traces sur son corps. Loundor reprend :

 

- Est-ce que vous avez vu quelqu'un d'autre, dans les écuries ?

- Nous devions le maîtriser, c'était la priorité. Ensuite, nous avons fait le tour, mais il n'y avait plus que les cadavres.

- Vous avez mis combien de temps pour le maîtriser ?

- Je ne saurais vous dire, Général. Peut-être dix minutes, un quart d'heure.

 

Calith grimace, serrant son poing si fort que les jointures blanchissent. Il ne faut pas plus d'une minute pour maîtriser un homme potentiellement dangereux. Dans la question de Loundor, ce mot avait justement été souligné de manière ironique, car ils savent tous les deux que les gardes n'ont pas « maîtrisé » Iezahel. Ils l'ont tabassé pour se venger.

 

- Donc s'il y avait une autre personne dans les écuries à ce moment-là, elle aurait eu quinze minutes pour partir, c'est bien ça ?

- Oui Général. Mais on n'a vu personne.

- Vous dites que vous avez vu Iezahel secouer la tête du maître d'écurie. Vous êtes sûrs de ce mot, secouer ? Il ne la frappait pas au sol ?

- Il nous cachait ce qu'il faisait exactement, puisqu'il était devant. On voyait des gestes qui ressemblaient à des secousses. Après, peut-être qu'il la tapait au sol, c'est pas sûr.

 

Florain se lève, excédé, et déclare :

 

- Nous avons encore beaucoup à faire, au lieu de perdre notre temps à décortiquer chaque minute de ce meurtre ou à jouer sur les mots.

- En effet, mais ces précisions ont toute leur importance. Moins que de retrouver le garçon d'écurie, je vous l'accorde, mais nous ne pouvons pas les dédaigner pour autant.

 

Le responsable des garde renifle, méprisant, avant d'avouer :

 

- J'ai donné pour ordre qu'on me prévienne immédiatement lorsqu'ils trouveront Till. Ce n'est visiblement pas le cas.

- Dans ce cas, nous allons voir Iezahel. Et ne vous avisez pas de le passer à la question avant d'avoir écouté le témoignage du garçon d'écurie.

 

Florain lance un regard dur à Loundor, mais le loup-garou en a vu d'autres et n'est pas franchement impressionné. Il se lève, déployant toute sa stature : il fait une tête de plus que le responsable. Après s'être affrontés du regard un court instant, ils quittent le bureau pour redescendre dans les geôles.

Des gémissements s'échappent de la cellule de Iezahel, dont la porte est ouverte. Deux gardes s'amusent visiblement comme des petits fous en frappant la plante des pieds de l'esclave entravé, avec une fine baguette de bois.

Ils se figent en voyant leur responsable, et le plus audacieux marmonne :

 

- On avait peur qu'il ait froid aux pieds. C'était pour le réchauffer.

- Reprenez votre poste, immédiatement.

 

Pour la première fois depuis le début, Florain semble gêné. Mais il reprend vite de sa superbe en déclarant :

 

- Vous avez dix minutes pour parler avec l'accusé.

 

Calith bouscule un peu le responsable, en passant près de lui pour rentrer dans la cellule. Si peu, alors qu'il voudrait juste l'étrangler. Loundor entre à sa suite, et ferme la porte derrière eux. La poitrine de Iezahel se soulève rapidement, comme s'il venait de courir sur une longue distance, et des larmes dévalent ses joues. Mais il garde la tête baissée, et ne dit pas un mot.

 

Calith pose la main sur le battant en bois, et appose sur la porte deux sortilèges : le premier pour empêcher quiconque d'ouvrir, le second pour la rendre aussi imperméable que les épais murs de pierre autour. Ainsi, personne ne pourra voir ni entendre ce qu'il se passe, tout en leur permettant d'entendre ce qu'il se passe à l'extérieur.

 

La paille crisse sous ses bottes lorsqu'il avance jusqu'à son compagnon. L'odeur de renfermé prend à la gorge, mais seul compte Iezahel. Calith fait glisser ses doigts sur son épaule, la découvrant glacée. Iezahel, dans un murmure, déclare :

 

- Je suis désolé Calith.

- Ce n'est pas toi qui l'a tué, n'est-ce pas ? Demande Calith, le ventre retourné par la vision de ce corps martyrisé.

 

Mais Iezahel ne répond rien. Comme s'il ne voulait même pas se défendre de cette accusation, qui l'enverra à la mort s'ils n'arrivent pas à l'innocenter.