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Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 11-12-2013 à 08:26:00

Iduvief, chapitre 20

 

 

 

 

 

Loundor s'approche lentement de Iezahel, le détaillant du regard, avant de se pencher sur lui, au point que leurs deux têtes se frôlent presque. Il lui murmure des paroles au creux de l'oreille, que Calith ne peut pas entendre, avant de s'écarter à nouveau, impassible.

Sur le visage méconnaissable de Iezahel, Calith y lit un soulagement indicible. Alors il ne demande pas à savoir ce qu'il s'est dit, ce n'est ni le lieu ni le moment de se montrer jaloux ou capricieux. Il se contente de masser doucement l'épaule de son amant en disant :

 

- S'il te plait, Iezahel, dis-nous. C'est toi qui l'as tué ?

- Non Calith. Je te le jure.

 

Le roi étudie longuement son Général, essayant de deviner ce qu'il a bien pu lui dire pour qu'il se mette à parler. Mais le visage de Loundor est un masque songeur. Il hoche doucement la tête, sourit légèrement à Calith, rassurant : Iezahel ne ment pas en se disant innocent. Alors Calith laisse à son tour fleurir un sourire sur son visage, et déclare :

 

- Nous trouverons le coupable, Iezahel, et nous te sortions de là. On va essayer de faire le plus vite possible mais..

- Je sais. C'est pas important.

- Bien sûr que si. Je ne peux pas t'obtenir le moindre traitement de faveur.

- Je ne le demande pas, Calith.

- Moi, par contre, je vais te demander des explications. Nous manquons de temps, là, mais tu devras tout me dire.

 

Iezahel ferme les yeux, comme épuisé déjà par la tâche qui l'attend. Ou effrayé ? Calith, caressant du bout des doigts le crâne de son compagnon, demande d'une voix douce :

 

- Est-ce que tu sais qui l'as tué ?

 

Mais l'esclave s'est retranché dans son silence et ce sont des coups frappés à la porte qui lui répondent. En pestant, il défait les sortilèges, avant de jeter un dernier regard à Iezahel.

La porte s'ouvre vivement, et Florain, hors de lui, l'invective :

 

- Qu'avez-vous fait pour bloquer cette porte ? C'est interdit de faire ça ! Ce criminel aurait pu vous tuer sans que nous puissions vous protéger !

- Je ne risquais rien. Vous l'avez solidement entravé.

- Tout est possible, avec cette engeance. Sortez maintenant, les dix minutes sont écoulées.

 

Calith jette un dernier regard à son amant avant d'obtempérer. Inutile de jeter de l'huile sur le feu. Il aurait mille réponses brûlantes de fiel à lui répliquer, mais il serre les dents et garde le silence. Tant que Iezahel n'est pas considéré officiellement comme innocent, c'est bien trop risqué de titiller le responsable des gardes.

Ils se retrouvent dans le couloir, chichement éclairé, parcouru de courants d'air glaciaux, et la porte de la cellule se ferme dans un claquement sec. Florain fait les cent pas, le temps de se calmer, avant de se reprendre et d'annoncer :

 

- Nous avons retrouvé Till. Vous devriez retourner dans vos appartements, nous allons le garder au frais quelque temps, et nous l'interrogerons demain. La nuit est déjà tombée, et nous avons tous encore beaucoup à faire. Ils n'iront nulle part désormais.

 

Calith voudrait rétorquer qu'ils ne laisseront pas Iezahel dans cette cellule sordide, qu'il s'en fout que la nuit soit tombée et qu'il se contrefout de l'enquête et de l'intendance du château. Il voudrait que cette affaire soit réglée immédiatement, même si, pour cela, ils doivent passer la nuit à interroger tous les péons de ce satané château. Mais il sait que se précipiter n'aidera pas Iezahel, que la procédure doit être respectée à la lettre, et que contrarier Florain pourrait se révéler particulièrement dangereux.

 

Il redoute évidemment que les gardes profitent de ce répit pour convaincre le jeune garçon d'écurie de mentir, de déclarer qu'il a vu Iezahel tuer Kjeld. Mais il sait que Loundor sera toujours là, et qu'il discernera s'il y a mensonge ou tromperie dans le témoignage de Till.

Il refuse de laisser Iezahel dans de telles conditions, mais son rôle de roi est primordial. N'importe quel propriétaire d'esclave se moquerait complètement que son bien passe une nuit en geôles, il préparerait surtout la défense pour ne pas se retrouver responsable d'un meurtrier. Loundor, étant sans doute arrivé aux même conclusions, déclare :

 

- Excellente idée. Ça leur laissera le temps de réfléchir à leurs actes. Mais n'oubliez pas que demain, ils doivent pouvoir être interrogés.

 

Il échange un long regard avec le responsable des gardes, qui opine. Oui, il a bien compris qu'il doit traiter ses prisonniers avec suffisamment d'attention pour qu'ils soient en état de répondre aux questions. C'est la seule chose que Loundor et Calith peuvent faire pour s'assurer que Iezahel ne passe pas une nuit infernale.

A contrecœur, Calith suit son Général, qui remonte dans les étages. Il répugne à laisser son compagnon, mais il n'a guère le choix. Pourtant, malgré le tourbillon d'émotions qu'il essaie de contrôler, une question bien précise le taraude. Alors, dans les escaliers, à voix basse pour ne pas être entendu à la ronde, il demande :

 

-Loundor ? Qu'est-ce que tu lui as dit pour qu'il parle ?

-Rien de bien important...

-Loundor ?

-Je lui ai demandé, c'est tout. Je lui ai dit que tu en étais malade d'inquiétude.

 

Calith dévisage son Général, dubitatif. Loundor ne ment pas, c'est contraire à ses convictions, et il prend même un malin plaisir à déclamer haut et fort les vérités qui dérangent. Et pourtant, là, dans les courants d'airs glacés de l'escalier, Calith mettrait sa main à couper que Loundor vient de lui servir un beau mensonge. Crédible, peut-être, mais mensonge quand même.

 

Mais Loundor allonge la foulée, et ils se retrouvent très vite devant les appartements. Et Calith sait bien que cette question ne sera plus abordée une fois qu'ils seront avec les soldats. Mais est-ce si important, ces quelques phrases murmurées à l'oreille de Iezahel, sachant que son amant risque de mourir ?

Alors Calith garde le silence, se compose un masque impassible, et suit Loundor dans l'appartement. Dans le salon, le repas a été servi, mais nul n'a voulu manger. Les jumeaux, Nyv' et Asaukin se tournent brusquement vers eux, le visage fermé, inquiets.

 

Impossible de manquer la déception qu'ils ressentent en voyant que Calith et Loundor rentrent seuls. Ces derniers vont s'asseoir, sans un mot, autour de la table, où l'un des jumeaux commence à servir le repas. Asaukin, pendant ce temps, se lève, mal à l'aise, et déclare :

 

- Severin nous a mis au courant de la situation. Majesté, nous vous sommes dévoués, et nous mettons nos compétences à votre service pour sortir Iezahel de là.

 

Calith esquisse un sourire triste et hoche doucement la tête en guise de remerciement, la gorge nouée. Il sait, évidemment, que les soldats sont à service. Mais le rappeler maintenant, vu la situation, c'est un moyen d'approuver la lutte de Calith, de le soutenir dans cette épreuve, et de réaffirmer leur loyauté malgré cette grave suspicion. Et c'est aussi un moyen de déclarer qu'ils apprécient Iezahel, malgré son statut, malgré son poste. Calith n'ignore pas que la nomination d'un esclave à un titre aussi prestigieux que garde du corps royal a fait grincer des dents, parmi certains soldats.

 

Tandis que Calith picore distraitement dans son assiette, Loundor leur résume la situation. Il commence à dresser une liste des incohérences, des preuves réfutables et des zones d'ombres qui subsistent.

Calith les écoute attentivement, car cette énumération lui permet, malgré la terreur qu'il ressent, de réaliser que les faits sont plus complexes que ce qu'annonçait Florain. Il imagine sans peine que le responsable, trop heureux d'entendre les conclusions de ses gardes, s'est empressé d'arrêter Iezahel, sans prendre la peine de vérifier les informations. La situation est bien trop délicate pour faire exécuter Iezahel dans l'immédiat. Ils ont de quoi lutter, ils ont de quoi défendre son compagnon. Il reste de l'espoir.

 

 

 

 

 

Il est tard, lorsqu'ils prennent congé, laissant Calith seul dans ses appartements. Après de rapides ablutions, il s'assoit sur le grand lit, les poings serrés sur l'édredon, tête baissée. L'absence de Iezahel se fait cruellement ressentir. Il a beau lutter, il ne peut pas s'empêcher de l'imaginer, dans cette cellule sordide, sous doute grelottant de froid et envahi par la douleur. La nuit renforce son angoisse et sa gorge se serre douloureusement. Iezahel pourra-t-il seulement dormir à nouveau dans ce lit, serré contre lui ? Pourra-t-il encore rire doucement au creux de son oreille ? Pourra-t-il encore gémir de plaisir au creux de son oreille, leurs corps lovés l'un contre l'autre ?

 

Dans le silence funèbre de la chambre à peine éclairée, il libère les sentiments qu'il maîtrise depuis le début de l'après-midi. Ses larmes dévalent ses joues quand la détresse le submerge. Il gronde quand le sentiment d'impuissance gonfle au point de lui donner envie de hurler. Et il éclate en sanglots quand il laisse sa terreur de perdre Iezahel prendre le dessus.

Il sursaute soudain en sentant, contre son poing crispé, un contact froid et humide. Le chiot, un oreiller de guingois sur le dos, lui jette un regard triste et lui lèche délicatement la main. Calith laisse échapper une exclamation surprise, teintée de sanglots. Et quand il s'est remis de sa surprise, il demande d'une voix étranglée :

 

- Tu t'es caché quand tu nous as entendu arriver, c'est ça ? Et tu as dû penser que mon lit serait une planque confortable.

 

Le chiot laisse échapper un gémissement contrit qui tire un petit rire nerveux à Calith. Il passe une main affectueuse sur le pelage si doux de l'animal. Puis il reprend, d'une voix plus posée :

 

- Tu dois avoir faim, non ?

 

Les courtes oreilles, triangulaires et recouvertes d'un duvet, se redressent vivement. Les deux billes dorées regardent avec intérêt Calith. Il se lève, prenant le chiot dans ses bras, et retourne dans le salon pour lui donner les restes du repas. C'est un vrai festin, car ils n'avaient guère d'appétit ce soir. Lorsque les assiettes sont nettoyées, le chiot titube, comme ivre d'avoir trop mangé.

 

- Tu dois avoir besoin de te soulager, maintenant ?

 

Mais Calith n'a pas le temps de finir sa phrase qu'effectivement, le chiot se soulage sur le tapis, lui arrachant une grimace. Se promettant d'en parler à Fleur, demain, et trop fatigué pour disputer le chiot qui le regarde avec ses yeux désolés, il secoue la tête. Et va se coucher.

La boule de poil semble avoir apprécié le confort du lit, car elle saute dessus sans hésiter, et se blottit contre les oreillers. Calith, se sentant seul dans ce lit trop grand et trop vide, l'attire contre lui. Vaincu par la fatigue, il s'endort presque immédiatement.

 

 

 

 

 

Il a dormi d'un sommeil de plomb, sans bouger de la nuit, sans faire de cauchemars, sans se réveiller pour constater l'absence de son compagnon. Une petite mort, prémices de ce que lui réservent les prochains jours, si il ne parvient pas à sortir Iezahel de là.

 

Il y a un moment de flottement, à son réveil, durant lequel il savoure pleinement la chaleur douillette de l'édredon. Puis tout lui revient à l'esprit et il se redresse en sursaut. Et il crie.

Car dans son lit, un enfant dort en tétant son pouce. Il doit peut-être avoir deux ans, bien que son corps soit chétif. Aucun doute n'est permis : l'enfant, entièrement nu, est un garçon. Il a besoin de quelques instants pour comprendre comment un bébé nu a pu se retrouver dans son lit. Et soudain, tout s'éclaire. Le chiot. Qui n'en était pas un. Loundor va l'entendre. Car c'est absolument impossible qu'il n'ait pas su que ce chiot était en réalité un loup-garou. Mais le gamin ouvre des yeux encore collés par le sommeil et rive ses grands yeux sur lui. Sa colère retombe instantanément. Qu'importe ce qu'il est, d'où il vient, ce gamin est sale, nu, et doit être affamé. Avec un pincement au cœur, il réalise qu'il lui a donné, pour toute nourriture, des reliefs de repas.

 

Il se lève, rabat délicatement l'édredon sur le petit corps ensommeillé, va mettre de l'eau à chauffer, satisfait ses besoins naturels, se lave rapidement et s'habille. Lorsque l'eau est plus que tiède, mais pas trop chaude, il retourne chercher le gamin, le prend délicatement dans ses bras, et l'emmène dans la salle d'eau.

A Pieveth, il a pu donner le bain de Mahaut une ou deux fois, sous étroite surveillance. C'est qu'entre sa mère, ses nourrices et les esclaves, sa fille ne manque pas de mains bienveillantes. Et les femmes ne songent pas un seul instant au plaisir qu'il peut avoir à baigner sa fille, à jouer avec elle. Ni l'amour qui le submerge quand il contemple la chair de sa chair. Elles estiment que ce n'est pas son rôle de faire ça, et il n'insiste pas, trop pudique pour exposer ses sentiments.

 

C'est en pensant à sa fille qu'il plonge délicatement le bébé dans une cuvette d'eau tiède, imitant les gestes qu'il a vu faire, et qu'il le lave en lui parlant doucement. Mais les mots meurent sur ses lèvres quand il découvre, sur la hanche, une trace boursoufflée, représentant une initiale à peine lisible. Ce gamin est un esclave, et il a été marqué par son propriétaire.

Il n'a pas le temps de s'indigner : une minuscule petite main vient se frotter contre l'éponge qu'il tient, comme pour l'inciter à continuer. Alors, avec délicatesse, il reprend la toilette, faisant glousser l'enfant de plaisir.

 

Après un long moment, il le sort de l'eau et l'enveloppe soigneusement dans une sortie de bain.

Serrant délicatement l'enfant contre lui, il se rend dans le salon, où le petit-déjeuner a été apporté. Et où Loundor l'attend. Il se redresse à demi en voyant que son roi n'est pas seul et ouvre la bouche mais Calith l'interrompt :

 

- Ne fais pas l'étonné, ça ne te va pas. Et explique-moi.

 

Loundor se rassoit, le visage fermé et observe Calith l'imiter avec mille précautions. Le gamin babille et tend la main vers le plateau. Calith lui prépare de petits morceaux de jambon, de la mie de pain et lui coupe un œuf cuit. Puis il se sert et dévisage Loundor, resté silencieux :

 

- Alors ?

- Alors quoi ? Que veux-tu que je t'explique que tu n'aies pas déjà deviné ?

- Tout.

- Ce gamin est un loup-garou.

- Sans blague. Et tu le sais depuis qu'il est entré ici, n'est-ce pas ?

- Oui.

- C'est pour ça que tu lui as parlé, avant que Severin ne nous apprenne pour Iezahel.

- Oui, il nous comprend parfaitement.

- Et pourquoi tu m'as laissé croire que c'était un chiot ?

 

Loundor hausse ses épaules massives et pioche dans le plateau. Calith surveille le repas de l'enfant, tout en grignotant en même temps et poursuit :

 

- C'est un loup-garou de naissance, n'est-ce pas ? Il n'aurait pas survécu à une morsure. Et c'est très jeune pour changer.

- Oui. Et oui. J'ignorais que d'aussi petits enfants pouvaient changer. Mais je suppose que nécessité fait loi.

- Comment ça ?

 

A nouveau, Loundor se mure dans le silence, faisant gronder Calith. Le petit a terminé son repas et joue avec la manche du roi, caressant le tissu et le tortillant dans tous les sens, avant de le mordiller.

Calith l'écarte doucement et se lève en déclarant :

 

- Garde tes petits secrets, Loundor. J'ai d'autres choses à faire que te tirer les vers du nez.

 

Calith retourne dans sa chambre, agacé. Il refuse que les esclaves voient l'enfant, car il sait qu'en un rien de temps, tout le château sera au courant. Il se répugne à le laisser seul, mais il devine que se rendre dans les geôles avec lui n'est pas une bonne idée. Mais où le laisser ? Et comment l'habiller ?

 

Un toussotement dans le dos le fait se retourner. Loundor se tient là, penaud, tête baissée, et lui tend un ballot de linge. Intrigué, il le prend, et l'ouvre sur le lit : des habits, à la taille de l'enfant, ainsi qu'un morceau de tissu noué en forme de bonhomme. Il bougonne, mais récupère les vêtements et l'habille avec douceur. Le gamin se laisse faire, muet, le fixant du regard. Puis, quand il est vêtu d'un ensemble juste à sa taille, en laine élimée, Calith lui tend le bout de tissu. L'odeur qui s'en dégage lui rappelle quelque chose, mais il n'a pas la tête à chercher la provenance.

Il jette le ballot de linge dans une malle, et pose l'enfant au sol en lui disant :

 

- Je reviens très vite. Tu dois te cacher si tu entends quelqu'un venir, d'accord ?

 

Et le gamin, avec son regard déstabilisant, hoche doucement la tête et commence à jouer avec son bout de tissu dans un silence dérangeant. Calith se détourne alors et quitte la chambre après avoir enfilé une veste chaude.

Il devine que Loundor le suit, en silence, mais il lui en veut trop pour lui adresser la parole. Ce gamin est touchant, peut-être, mais il a d'autres problèmes autrement plus graves. Et il en veut à Loundor de lui laisser cette responsabilité, alors qu'il n'est pas un loup-garou. L'enfant aurait été aussi bien avec le Général, après tout.

 

 

 

 

 

Le froid qui règne dans le sous-sol du château le surprend et le fait frissonner. Le garde, devant la cellule, échange des blagues salaces avec son collègue. Il se tait en voyant le roi arriver, et s'incline respectueusement avant de lui ouvrir la porte. Calith ne le jette qu'un vague regard méprisant et s'engouffre dans la cellule.

 

Seules les torches du couloir éclairent la cellule, toujours aussi froide. L'odeur est insupportable. Calith enjambe le pichet d'eau et la miche de pain déposés près de la porte en jurant à mi-voix. Iezahel n'y a pas touché, et il ne risquait pas de le faire. Les gardes ont certes retiré l'entrave, pour la nuit, mais ils en ont mis d'autres. Iezahel est allongé sur le ventre, à même la paille humide. Des liens de métal maintiennent ses coudes l'un contre l'autre, dans son dos. Ses poignets sont liés l'un à l'autre, serrés par des menottes en acier. Les gardes lui ont replié les jambes et attaché les chevilles. Puis ils ont joint les entraves des poignets et des chevilles avec une chaîne solide cadenassée, l'obligeant à garder les jambes pliées dans une position inconfortable.

 

Une planche de bois, sans doute un lit rudimentaire, est fixée au mur, juste au-dessus de lui. Une couverture fine est roulée en boule dessus, comme s'il était plus important de protéger du froid la planche que le prisonnier.

Iezahel tourne son visage méconnaissable vers Calith, et un éclair de soulagement parcourt le seul œil qu'il peut ouvrir. Ses lèvres craquelées murmurent des paroles incompréhensibles. Calith s'agenouille à ses côtés et lui demande de répéter. Il entend, dans un chuchotement rauque :

 

- Calith, je t'en prie, j'ai besoin de pisser.

 

Le roi laisse échapper un juron et beugle à l'intention des gardes, restés dehors :

 

- Apportez moi de la lumière et la clef de la pénitence, immédiatement !

 

Sans attendre une réponse, il glisse ses bras sous les cuisses et le torse de son compagnon, et le soulève jusqu'à la planche. Iezahel pèse son poids, mais ça n'a aucune importance : le besoin de l'installer plus confortablement lui a donné des forces.

C'est Loundor qui arrive soudain, porteur d'une lanterne qu'il tient bien haut, de manière à éclairer les moindres recoins de ce lieu sordide. Sans un mot, il tend la clef à Calith, puis va refermer la porte de la cellule.

 

La lumière plus vive met en évidence les bleus qui couvrent le corps de Iezahel, et qui se déclinent en variations de vert, de jaune, de pourpre et de noir. La plante de ses pieds est marquée de striures violacées. Ses mains et ses pieds ont pris une teinte bleutée assez inquiétante.

Avec toute la douceur dont il est capable, Calith fait basculer son compagnon sur le côté et le rapproche du bord de la planche. Il glisse la clef dans la serrure de la chaîne qui entoure sa taille. Il ne ressent rien, il ne réfléchit pas. Il agit, sans un mot, les mâchoires crispées. La couverture vient, d'un geste habile, réchauffer le dos et le flanc de Iezahel. Loundor, silencieux, apporte le seau d'aisance posé dans un coin de la cellule et qui a dû narguer Iezahel une bonne partie de la nuit. Calith le récupère avec un hochement de tête puis, avec mille précautions, retire lentement la tige de métal, essayant de ne pas regarder Iezahel, de ne pas l'entendre gémir de douleur. L'heure n'est plus à l'intimité ou à la pudeur : Calith l'aide à se soulager sans un mot. Et quand il a terminé, Calith ne lui remet pas la pénitence. Il sait, au plus profond de lui, que personne ne l'a libéré depuis qu'ils lui ont posé cet instrument, et il se refuse à participer à cette torture. Il le borde délicatement puis s'agenouille vers sa tête, qu'il caresse en demandant :

 

- Ils t'ont laissé par terre, comme ça ?

- Non. Sur la planche. Mais... j'ai bougé. Pour soulager les crampes. Je suis tombé.

- Comment tu vas ?

- Ne t'inquiète pas.

- Iezahel, le réprimande gentiment Calith.

- J'ai soif. J'ai mal. Je ne sens plus ni mes mains ni mes jambes.

 

Et malgré cette déclaration, malgré sa voix rauque, malgré l'état de son corps, Iezahel esquisse un sourire. Loundor apporte silencieusement le pichet d'eau et un gobelet d'une propreté douteuse. Avec beaucoup de précautions, Calith le fait boire, veillant à lui donner de petites quantités pour ne pas qu'il s'étouffe. Puis, quand Iezahel refuse de boire davantage, il lui essuie les lèvres. Des lèvres qui s'étirent doucement en un sourire :

 

- Tu es là, Calith. Alors ça va. Et tu portes son odeur.

- L'odeur de qui ?

- De Fáelán.

 

Calith fronce les sourcils, scrute l'iris ébène qui le fixe et tâte son front. Il n'a pas de fièvre, mais la douleur doit le faire délirer. A moins qu'il ne confonde avec Filraen, mais ça fait un moment qu'il ne l'a pas vu. Il s'apprête à l'interroger pour dissiper ce malentendu quand la porte s'ouvre en grinçant. Et la voix méprisante de Florain résonne entre les murs de pierre :

 

- Nous allons procéder au jugement.

 

Calith se relève d'un bond. Il est pâle comme la mort. Déjà ? Mais... et l'enquête ? Et l'interrogatoire du garçon d'écurie ? Les deux gardes entrent dans la cellule, le visage fermé. Le plus âgé prend le trousseau de clefs qui pend à sa ceinture, rejette la couverture au loin et délivre enfin Iezahel de ses contraintes. Il claque sèchement la langue contre son palais en voyant la pénitence loin de l'esclave, et s'empresse donc de lui remettre, sans aucune précaution. Puis, comme on déplacerait un objet encombrant, ils le tirent hors de la planche et le font se mettre debout. Sauf qu'évidemment, après une nuit ligoté comme il l'était, ses jambes ne supportent pas son poids et il s'écroule au sol dans un gémissement étouffé.

 

Sans douceur, les gardes le relèvent et le traînent derrière eux. Calith, le cœur broyé, reste autant impassible que possible, et les suit sans un mot. Sa seule consolation, pour le moment, c'est de savoir Iezahel libre de toute entrave.

 

Parce que, bien sûr, ça ne dure pas. La salle d'interrogatoire s'est transformée en salle de jugement. Des chaises ont été amenées des étages, une petite table aussi, dépouillée de nappe et de documents. Marsylia, chaudement vêtue d'une magnifique robe et d'une cape brodée est installée, encadrée par deux gardes, Ketil, et un inconnu. Till, le garçon d'écurie, est entravé au T renversé. Il n'a pas été battu, visiblement, et porte encore ses vêtements. Mais la nuit a dû être difficile pour lui, car il a les yeux bouffis et rougis.

Iezahel, toujours nu, est entravé à son tour, sur un autre T renversé. Se sachant observé, Calith se retient de hurler contre cette précaution parfaitement inutile.

Les deux accusés sont au centre de la pièce. Florain va rejoindre Marsylia, tandis que Calith et Loundor s'installent sur des chaises prévues pour eux, le long d'un mur, un peu à l'écart.

 

- En tant qu'intendante d'Iduvief, je déclare ouvert le jugement !