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Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 15-12-2013 à 09:50:15

Iduvief, chapitre 22

 

 

 

 

 

Lorsqu'il ouvre la porte, la première chose qu'il voit, c'est Iezahel, parfaitement réveillé. Il ne peut s'empêcher de sourire quand il le réprimande gentiment :

 

- Tu n'étais pas censé te reposer, toi ?

- Si. Mais un petit loup en a décidé autrement.

 

Les draps s'agitent et ondulent, jusqu'à ce qu'une petite tête couronnée de duvet ébène émerge. Le gamin regarde Calith, et lui offre un sourire resplendissant, avant d'aller se blottir contre Iezahel.

Calith se pince les lèvres : il l'avait complètement oublié. Adossé au chambranle de la porte, il croise les bras sur sa poitrine, un air faussement réprobateur sur le visage. Les morceaux du puzzle se mettent en place, petit à petit. Il demande :

 

- Puisque tu es réveillé, tu vas pouvoir m'expliquer.

- Que je t'explique ce que fait cet enfant dans la chambre ?

- Par exemple, oui.

 

Le visage de son compagnon est une palette de sentiments qu'il peine à identifier. Voyant qu'il cherche ses mots, Calith s'avance lentement et s'assoit au pied du lit. Iezahel passe un bras autour du petit bonhomme qui semble ronronner de plaisir et commence :

 

- C'est moi qui l'ait envoyé ici. La situation était compliquée, et je sentais que ça allait mal tourner. Alors je l'ai poussé à rejoindre Loundor. Je savais qu'il pouvait le sentir, parce que son aura est très forte pour les loups-garous. Et Fáelán en est un.

 

A l'énoncé de son prénom, le gamin redresse la tête. Iezahel lui sourit tendrement et lui caresse le crâne. Calith, un peu jaloux, bougonne :

 

- Je m'en suis rendu compte, oui. Je me suis endormi avec un chiot dans la chambre, je me suis réveillé avec un gamin.

- Un chiot ?

- Ne te moque pas. On n'en voit jamais, des louveteaux. Comment j'aurais pu deviner ?

- Loundor ne t'a rien dit ?

- Non. Il m'a même laissé croire que c'était une race de chien de montagne, qu'on ne voyait pas à Pieveth.

 

Iezahel laisse échapper un petit rire. Mais il ne parvient pas à mettre Calith en colère. Pendant plusieurs jours, il a eu le droit à un Iezahel songeur, soucieux, puis malmené. Qu'il rie maintenant, malgré un rictus de douleur, lui apporte soulagement au lieu de colère. Même s'il se sent un peu stupide. Voyant que Iezahel ne semble pas décidé à poursuivre ses explications, Calith demande :

 

- Mais Severin nous a dit qu'il n'y avait pas de loup-garou ici.

- Personne n'était au courant de la lycanthropie de Fáelán.

- C'est le fils de Sighild, n'est ce pas ?

- Oui.

- Et tu l'as découvert comment ?

- Quand Till m'a interrogé sur les loups-garous. Il voulait tout savoir, absolument tout. Comme je commençais à devenir méfiant, il m'a parlé de Fáelán. Il s'était transformé pour la première fois quelques semaines plus tôt, déclenchant la panique de Sighild. Till essayait de l'aider, mais il n'avait pas beaucoup d'informations qu'elle.

- Alors en te voyant, il a voulu en apprendre plus sur les loups-garous.

- Exactement. Quand il m'en a parlé, il a voulu me montrer Fáelán, il voulait que je lui confirme que c'est bien un loup-garou. Il m'a conduit jusqu'au logement de Kjeld. Une vieille couverture tapissait le fond d'une caisse en bois, sans couvercle, et le gamin jouait là-dedans, avec son morceau de tissu. Sighild était en train de réparer la sellerie, avec son maître, et comme toujours, elle laissait le petit jouer près de la paillasse. Cette caisse en bois était le moyen le plus sûr de le laisser seul sans qu'il aille courir de partout, au risque de rendre Kjeld fou furieux, ou qu'il se fasse piétiner par un cheval.

 

Un grondement sourd fait sursauter Fáelán, qui somnolait au creux du bras de Iezahel. Calith se lève d'un bond, culpabilisant d'avoir voulu assouvir sa curiosité sans penser à la faim de son compagnon. Il va récupérer dans l'âtre les portions du déjeuner gardées au chaud. Il en profite pour mettre un pot d'eau à chauffer, puis retourne dans la chambre, son précieux butin dans les mains.

 

L'œil ouvert de Iezahel surveille chacun de ses mouvements, un sourire en coin. Les assiettes en étain ne sont pas très chaudes, mais copieusement garnies. Et tant pis si Filraen a seulement autorisé « un peu » de nourriture pour Iezahel. C'est un loup-garou, après tout. Fáelán s'est redressé, intéressé par le fumet qui se dégage des assiettes. Calith mange doucement, s'assurant que son amant n'ait aucun problème pour faire de même. Et il le regarde, attendri, partager sa portion avec l'enfant, oubliant sa propre faim.

 

Le déjeuner est l'occasion pour Iezahel de s'enquérir des soldats et de Loundor. Devinant que c'est un moyen, pour lui, ne pas s'enfermer dans les souvenirs des jours précédents, Calith y répond de bonne grâce.

Le repas se termine rapidement, bercé par une conversation futile. Calith emmène les assiettes vides dans le salon, et apporte une grande tasse d'infusion prescrite par Filraen. Fáelán s'est déjà endormi au creux du bras de Iezahel, tétant un coin de son bout de tissu. Suivant le regard de son compagnon, Iezahel demande :

 

- Qu'est ce que tu veux faire de lui ?

- Hum. On va le confier à Severin je pense. Je ne sais pas encore comment on va faire, je préfèrerai que Florain ne sache pas qu'il était ici.

- Et le garder ?

- Le garder ? Il est mignon, d'accord, mais ça serait beaucoup trop compliqué.

- Mais...

- Iezahel, ça voudrait dire l'emmener avec nous. Le voyage du retour s'annonce déjà bien compliqué sans qu'on ait à le porter. Il faudrait aussi négocier avec Marsylia et Florain pour l'acheter, et je n'ai pas envie d'avoir à faire à eux pour ça. D'autant plus qu'on ne manque pas d'esclaves à Pieveth, et qu'il ne servira à rien avant des années. Je suis sûr qu'il sera très bien ici, avec Fleur ou une autre esclave pour s'en occuper.

 

Autour de la tasse d'infusion, les jointures des mains de Iezahel ont blanchi. Dans un chuchotement, il balbutie :

 

- Mais... peut-être qu'on pourrait … enfin... je... ça me … ce serait...

 

Iezahel est au supplice, cherchant ses mots, le regard rivé sur l'édredon. L'espace d'un instant, Calith a l'impression d'avoir le simplet en face de lui et ça lui noue le ventre. Il pose son gobelet d'hydromel sur la table de chevet et d'un coup de talon, retire ses bottes. Puis, délicatement pour ne pas faire mal à Iezahel ou réveiller le petit, il s'adosse aux oreillers, tout près de son amant.

 

- Qu'est ce qu'il se passe, Iezahel ?

- Je... je sais que je ne suis qu'un esclave, et qu'un esclave n'a pas le droit de vouloir quelque chose. Enfin, il peut, mais personne ne veut l'entendre.

- Oh Iezahel...

 

Calith se contorsionne pour se rapprocher encore de lui, lui permettant ainsi de se blottir contre son torse. Iezahel, malgré le lien qui les unit, ne lui a jamais demandé quoique ce soit. Il s'en rend compte soudain, alors que son souffle court réchauffe son torse. Calith ne l'a jamais entendu dire « je voudrais », pas même « j'aimerais ». L'amour qu'ils se vouent ne semble pas encore assez puissant pour abolir le fossé que représente leurs statuts respectifs. Iezahel prend parfois l'initiative, en lui suggérant ou en lui proposant quelque chose, sans forcément passer par les mots. Mais jamais il n'a exprimé, à voix haute, une volonté. D'une voix assourdie par l'émotion, Calith chuchote :

 

- Dis-moi ce que tu veux.

- J'aimerais beaucoup qu'on l'emmène avec nous.

- Malgré les difficultés ? Pourquoi ?

- Je... enfin... je sais bien que ça sera pas facile. Je m'en occuperai, Calith, même si je sais pas trop comment ça fonctionne, un enfant. Ça ne sera pas une bouche de plus à nourrir, je partagerai mes repas. Et pour les vêtements, je trouverai une solution.

- Tu as peur que Florain le traite mal ?

- Oui. Il ne s'en est jamais privé.

- On ne peut pas récupérer tous les esclaves qui sont mal traités, Iezahel.

- Calith, c'est mon fils.

 

 

 

 

Un silence de plomb s'abat dans la chambre. Les flammes, dans la cheminée, ont transformé leurs crépitements joyeux en murmures inaudibles, et la neige qui cinglait les carreaux semble vouloir épargner ceux de cet appartement. Abasourdi, Calith souffle :

 

- Ton fils ? C'est-à-dire ?

- Ben, mon fils. Comme Mahaut est ta fille.

- Mais c'est impossible !

 

Vaincu, Calith s'adosse à la tête de lit, les yeux rivés au plafond. Son esprit n'est qu'un capharnaüm de pensées incontrôlables. Contre lui, il sent le corps tremblant de son amant. Alors, dans un murmure, il laisse échapper :

 

- Mais... enfin... il a quoi, deux ans ?

- Un peu moins.

- Donc... quand il a été conçu, tu étais à Pieveth. Avec Tathyn. Comment as-tu pu mettre une esclave d'Iduvief enceinte ?

- Je...

 

L'émotion de Iezahel est palpable, et sa voix si faible que Calith doit tendre l'oreille pour saisir ses explications :

 

- Quand on était avec Till, devant le gamin, Sighild et Kjeld sont revenus. Je les ai tout de suite reconnus. Le maître d'écurie allait souvent à Pieveth, pour faire du commerce de chevaux. Pieveth est renommé pour la reproduction de chevaux, et … Enfin... Il emmenait toujours son esclave avec lui. Je l'ai violée, je l'ai engrossée.

 

Calith, qui buvait une grande rasade d'hydromel pour digérer cette nouvelle, s'étrangle avec le liquide. Il lui faut de longues minutes pour reprendre son souffle mais les battements de son cœur, affolés, ne se calment pas.

 

- Violée ? Comment ça ?

- Elle ne voulait pas. Mais je l'ai prise.

- Mais arrête avec tes définitions, Iezahel, je sais bien ce que ça veut dire ! Je veux savoir pourquoi tu as fait ça, par les Dieux !

- Désolé. Je... enfin... Kjeld était un ami de Tathyn. Quand il venait à Pieveth, il s'arrêtait toujours pour lui rendre visite. Sighild était son souffre-douleur, il la battait, abusait d'elle. Et il aimait la livrer à des jeux pervers, quand il était à Pieveth. Je...

 

Iezahel agrippe la chemise de Calith, de toutes ses forces, comme s'il allait le fuir, maintenant qu'il connaît la vérité. Une vérité terrible, qui lui brûle la gorge et la langue à mesure que les mots la rendent prend visiblement sur lui pour continuer d'une voix sourde, racontant le sadisme de Tathyn et de Kjeld, leurs actes dans toute leur cruauté et leur folie. Dans un souffle, il explique comment il s'est retrouvé, contraint et forcé, à coucher avec Sighild, sous les moqueries et les menaces des deux hommes.

 

La suite des explications meurt sur les lèvres de Iezahel, vaincu par l'émotion. La position n'est pas confortable, mais Calith le serre comme il peut entre ses bras pour apaiser la douleur des souvenirs. Il s'en veut un peu, d'avoir insisté pour avoir toutes ces explications. Mais il doit savoir, même s'il se promet qu'une fois la question réglée, il n'en parlera plus. Alors, d'une voix douce, il lui demande :

 

- Mais elle a dû avoir plusieurs partenaires, non ?

- Pas à Iduvief. Kjeld ne la partageait pas ici. Et à Pieveth, c'était juste avec Tathyn et moi. Sighild m'a dit que c'était moi le père. Le petit est un loup-garou, elle n'a pas dû avoir beaucoup de rapports avec des lycanthropes.

 

Calith hoche doucement la tête : il est passé par les mêmes interrogations concernant Mahaut. Les yeux noirs, les cheveux noirs, et la lycanthropie de Fáelán le désignent comme le fils de Iezahel, après ces aveux. Un léger sourire sur les lèvres, Calith demande :

 

- Alors c'est pour ça que tu passais tant de temps aux écuries ? C'est bien là-bas, que tu étais, les derniers jours, non ?

- Oui. Mais... ce n'était pas que pour ça. Kjeld m'avait reconnu, lui aussi. Il en a profité.

- Comment ça, il en a profité ?

- Ben... il m'a voulu que je fasse ce que je lui faisais à Pieveth.

- Tu as refusé, j'espère.

 

L'unique œil valide de Iezahel se ferme. Après quelques secondes de silence, il avoue :

 

- Je n'ai pas pu. Enfin. J'ai refusé au début, bien sûr. Il m'a frappé, tu as vu les marques, mais je n'ai pas cédé. Sauf qu'il a menacé de s'en prendre au petit. Je ne sais pas s'il avait compris nos liens, mais... je ne pouvais pas le laisser lui faire du mal. Il a exigé que je vienne tous les matins, que je sois à sa disposition. Je ne voulais pas, mais je ne pouvais pas faire autrement.

- Tu aurais dû m'en parler immédiatement au lieu de tout garder pour toi.

- Je pensais que je pourrais trouver une solution. Et puis... Enfin, t'en parler signifiait tout t'expliquer. Et … j'ai honte de moi, Calith, je l'ai violée.

- Je ne suis pas sûr qu'il existe un mot pour ce genre de perversion, Iezahel, mais tu n'avais pas le choix, toi non plus. Alors ce n'est pas un viol.

 

Iezahel s'agrippe plus fort encore à la chemise de son compagnon et reste silencieux. Calith, tout en caressant doucement son crâne, devine ce qu'il ne dit pas. Kjeld a agi de la sorte, persuadé que l'esclave du roi n'avait pas le droit à la parole. Sans doute pensait-il que Calith le traite de la même manière que le faisait Tathyn. Si Iezahel lui en avait parlé, il l'aurait cru. Il aurait agi. Mais il ne comprend que trop bien ce silence : son amant n'avait pas envie qu'il découvre ce qu'il avait fait, contraint et forcé. Iezahel ne fait quasiment jamais allusion à ce qu'il s'est passé, quand il était avec le bourreau, au grand soulagement de Calith. Même si, jamais, le roi n'oublie ce qu'a enduré son compagnon. Et cette nouvelle épreuve, là, dans les écuries, vient rajouter encore au passif de Iezahel.

Il n'y a aucun doute, dans l'esprit du roi, désormais. Il voulait comprendre pourquoi Iezahel tenait tant à garder le gamin près de lui. Maintenant qu'il sait, il lui semble inconcevable de laisser Fáelán ici.

 

- On trouvera une solution à chaque problème, Iezahel. Ton fils rentre avec nous à Pieveth.

- Merci Calith.

 

Il esquisse un sourire, bien conscient de la gêne de Iezahel : les mots sont si fades, parfois. Fáelán s'agite dans son sommeil, et en quelques secondes, c'est une boule de poils noirs qui se love contre Iezahel. Aucun gémissement de douleur, aucune plainte, le gamin s'est à peine réveillé. Devant l'air surpris de Calith, Iezahel explique :

 

- Il n'appréhende pas le changement. C'est naturel pour lui, et ça ne signifie pas douleur.

- Il est vraiment adorable.

 

C'est sorti tout seul, spontanément. Contre lui, Calith peut sentir son compagnon se rengorger et malgré les nuances violettes sur son visage, il jurerait le voir rosir de plaisir. Et pourtant, Calith se doute que cet enfant sera, pendant longtemps, un rappel constant de ce qu'il s'est passé avec le bourreau.

 

- Calith ?

- Hum ?

- Merci pour tout ce que tu as fait. Et... désolé de t'avoir causé tant de soucis.

- Je ne les aurais jamais laissé faire, Iezahel. Jamais. Je n'ai jamais douté de ton innocence, non plus, même si ton silence...

 

Incapable de terminer sa phrase, Calith laisse le silence reprendre ses droits dans la chambre. Il ne se sent pas en droit de parler de ce qu'il a ressenti lorsque son compagnon a gardé le silence, dans la salle d'interrogatoire. Il n'a pas douté, mais il a été blessé. Iezahel déclare doucement :

 

- Je voulais te le dire. Mais... Till s'est arrangé avec la vérité. Avant de s'enfuir, après avoir tué Kjeld, il m'a dit que désormais, le petit était à lui. Il venait de perdre Sighild, alors il voulait son fils. Une manière de la garder près de lui, je suppose. Même si je l'avais envoyé auprès de vous, rien ne pouvait me garantir qu'il était en sécurité. J'avais l'esprit confus, mal de partout, je ne savais plus quoi faire. Si je vous le disais, je devais dénoncer Till. Celui qui avait, peut-être, la vie de mon fils entre ses mains. Je... je ne savais plus quoi faire, mais sur le moment, garder le silence m'a paru le plus judicieux. Puis Loundor m'a appris que vous aviez récupéré un louveteau. Il était en sécurité. Alors j'ai parlé.

 

Calith aurait encore mille questions à lui poser, mais contre son torse, le corps de Iezahel se fait lourd. Il se dégage lentement, le laisse s'allonger dans une position confortable, et murmure :

 

- Repose-toi. Nous reparlerons de ça plus tard.

 

Iezahel lui offre un sourire timide et presque aussitôt, sa paupière valide se ferme. Calith enfile ses bottes en silence, le regard rivé sur l'étrange duo dans le lit. A quel moment la situation lui a échappé ?

Qu'importe, Iezahel est hors de danger, c'est tout ce qui compte. Il quitte sans bruit la chambre, puis ses appartements, demandant à Nyv', de garde devant la porte, de veiller à ce que personne, absolument personne ne rentre. Puis d'un pas décidé, il se rend chez Loundor.

 

 

 

 

 

Le Général est en train de pester après une boîte, qui refuse de s'ouvrir, et la frappe dans tous les sens en espérant obtenir gain de cause. Il s'immobilise immédiatement en voyant son ami entrer, et dédaigne l'insolente pour s'enquérir :

 

- Il y a un problème ?

- Non. Enfin... peut-être.

 

Calith s'avance jusqu'à la table, découvrant les appartements de Loundor : plus petits, plus spartiates, ils sont tout de même d'un confort incomparable aux petites chambres qu'ils ont dû partager. Loundor lui a servi une généreuse rasade d'hydromel, et pousse la chope vers Calith, qui l'accepte d'un hochement de tête. Il attend, silencieux, que le roi ouvre son cœur et partage ce qui le préoccupe.

 

- Pourquoi tu ne m'as pas dit que le gamin était un loup-garou ?

- Parce que mon intuition me soufflait que c'était plus complexe.

- Tu avais deviné que c'était le fils de Iezahel ?

 

Calith scrute les réactions de son ami, qui ne semble absolument pas surpris par l'annonce. Il avait deviné, oui. Loundor acquiesce, avant de s'expliquer :

 

- Quand je l'ai vu, j'ai compris qu'il avait été envoyé par Iezahel. Le louveteau n'était pas là par hasard, les grattements frénétiques contre la porte, la morsure, tout prouvait qu'il avait reçu pour consigne de nous rejoindre.

- La morsure de Nyv' ne risque pas de le rendre loup-garou ?

- Non. Déjà parce que ça vient d'un louveteau, et parce que ce n'est qu'une petite morsure. Il en faut beaucoup, beaucoup plus pour transformer quelqu'un.

- Que tu aies compris qu'il était envoyé par Iezahel, d'accord. Mais de là à en faire son fils...

- Je ne saurais pas t'expliquer. Je l'ai senti tout de suite. Peut-être parce que son aura était teintée de celle de ton esclave. Ou... je ne sais pas. C'était évident.

- Tu aurais dû m'en parler.

 

Loundor hausse ses épaules massives, et prend une longue gorgée d'hydromel avant de soupirer :

 

- J'ai pensé que c'était à lui de t'annoncer cette nouvelle.

 

Calith pince les lèvres. Loundor a raison, bien sûr. C'était important pour Iezahel de vider son sac, de tout expliquer. Si Calith l'avait su, il ne serait peut-être pas rentré dans les détails comme il l'a fait. Et certaines choses auraient été tues, alors que la parole peut soulager la conscience. Et puis, ce genre de nouvelles, c'est au principal concerné de l'annoncer, pas à un tiers. Calith sirote de l'hydromel avant de dire :

 

- On va le ramener avec nous.

- Évidemment.

- Mais ça ne sera pas simple.

- Sans doute. Et pourtant, ce n'est pas ça qui vous arrêtera.

- Non. Fáelán doit grandir près de son père. Mais je ne veux pas qu'il soit élevé par des esclaves. Iezahel ne sait pas s'en occuper, et il n'aura pas le temps. Tu imagines mon garde du corps occupé à pouponner pendant que je me fais attaquer ?

- Non, pas un seul instant.

- Fáelán est un esclave, il a été marqué, alors...

- Il a été marqué, malgré son âge ?

 

Calith hoche sombrement la tête. Les asservis sont marqués lorsqu'ils ont une dizaine d'années, environ. Fáelán est beaucoup trop jeune. Loundor peste à mi-voix, bouillonnant de rage. Calith lui demande dans un souffle :

 

- Pourquoi n'a-t-il pas cicatrisé de cette marque ? C'est un loup-garou, il aurait dû...

- Je n'en sais rien. Peut-être qu'il était trop jeune pour que cette marque cicatrise. Elle a gardé sa forme originelle ?

- Hum. Elle est difficilement reconnaissable, on n'arrive presque pas à déchiffrer l'initiale. Mais... elle est bien visible.

- Je pense qu'il était beaucoup trop jeune, et que ses capacités de guérison n'étaient pas encore assez puissantes pour effacer totalement la marque.

 

Calith acquiesce lentement, bien conscient qu'il n'y a plus rien à faire maintenant. Même si il est moins expressif que Loundor, il est révolté par ce traitement, et la douleur qui a été infligée à ce petit bonhomme. Et s'il pouvait, il en toucherait deux mots à Kjeld. Loundor déclare brusquement, le tirant de ses pensées :

 

- Marque à demi-effacée ou pas, il reste un esclave, mais il est hors de question qu'il se retrouve à charrier du bois ou à récurer les latrines. Ce petit est un loup-garou, il ira dans mon armée.

- J'ignorais que tu recrutais si jeune, Loundor. Sommes-nous donc tant en manque de soldats ?

- Bien sûr que non. Tu m'as parfaitement compris : dès qu'il aura l'âge requis, il apprendra le maniement des armes.

- Et en attendant ? On en fait quoi ? Sa mère est morte, son père ne pourra pas s'en occuper à plein temps, et je me vois mal confier le fils de Iezahel à Voinon.

- On trouvera une solution. Nous aurons déjà bien assez à faire pour le ramener entier jusqu'à Pieveth.

 

Calith passe une main dans ses cheveux indisciplinés, la mine grave. Ce n'était pas vraiment prévu, que ce voyage à Iduvief révèle la paternité de son amant. Loundor, comme s'il devinait les troubles qui agitent son ami, demande :

 

- Il s'est réveillé, alors ?

- Oui. Il a mangé, et on a parlé.

- Et c'est une très bonne chose. Vous ne devez pas laisser cet événement vous ronger. A vous deux, vous trouverez toutes les solutions aux problèmes qui peuvent surgir. Et vous rendrez ce gamin heureux.

 

Calith esquisse un sourire, touché par les paroles de Loundor. Ce dernier reprend :

 

- Ne t'en fais pas, Calith. Tu devrais retourner auprès de lui, au cas où il se réveille. Et puis, ça va bientôt être l'heure du dîner.

 

Calith jette un regard par la fenêtre. Le soleil n'a pas montré le bout de son nez de toute la journée, mais le ciel livide s'obscurcit sensiblement. Et de toute façon, l'estomac de Loundor est l'instrument le plus fiable du royaume pour déterminer l'heure des repas. Calith sourit et vide sa chope, avant de se lever.

 

- Merci de m'avoir écouté.

- C'est bien normal.

- A tout à l'heure, pour le repas.

 

Loundor opine du chef, avant de reprendre ses intimidations sur la pauvre boîte. Calith le laisse donc à ses occupations, et retourne dans ses appartements. Severin attend devant la porte, en pleine discussion avec Nyv'. La proximité de leurs corps, les sourires sur leurs visages, tout indique qu'ils s'entendent vraiment bien, les deux. Ils se taisent brusquement en voyant le roi, mais Calith les rassure d'un sourire et demande :

 

- Vous avez pu apprendre le fonctionnement des raquettes, hier ?

 

Les deux rougissent visiblement. Nyv', gêné, répond :

 

- Nous étions de tout cœur avec vous, Majesté, évidemment. Et toutes nos pensées étaient tournées vers Iezahel. Mais nous avons suivi vos ordres.

- Je n'en attendais pas moins de vous !

 

Calith sourit plus largement. Il ne doute pas qu'ils aient pensé à Iezahel, même si ça ne les a pas empêché de s'amuser comme des petits fous dans la neige. Il ne leur en veut pas : cette histoire ne les concernait pas directement, et ils auraient eu tort de se priver d'un moyen de décompresser. Severin semble mal à l'aise, peut-être gêné d'être surpris en train de discuter avec Nyv' au lieu de travailler. Mais ce n'est pas Calith qui le blâmerait. Par acquit de conscience, il lui demande :

 

- Tu voulais me voir ?

- Oui Votre Altesse. Je voulais savoir pour quelle heure vous voudriez votre bain. Et le dîner.

- Hum. Filraen va venir soigner Iezahel après le dîner, ce serait bien qu'il se soit déjà lavé. Le bain pourrait être prêt avant ?

- Bien sûr, Sire, tout est possible.

- Parfait. Fais-nous préparer le bain, alors.

- A vos ordres.

 

Calith, conscient d'avoir rompu le moment d'intimité entre Severin et Nyv', rajoute :

 

- Et pour les raquettes, là, je pense que les cours devraient continuer jusqu'à notre départ. Une personne expérimentée ne serait pas de trop.

 

Impossible de manquer le sourire qui illumine les deux visages qui lui font face. Il s'apprête à rentrer dans ses appartements quand Severin lui demande à voix basse :

 

- Serait-il possible de vous parler, Sire ?

 

Calith fronce les sourcils, se retenant de lui dire que c'est déjà fait. Aux regards qu'il jette dans le couloir, Severin semble vouloir faire les choses discrètement. Alors Calith ouvre la porte, et la tient grande ouverte pour l'inviter à entrer. Iezahel se repose toujours, aussi reste-t-il dans le petit vestibule pour entendre les propos de Severin. Et l'esclave ne tarde pas à annoncer :

 

- Juste à côté des écuries, il y a une réserve, avec tout le nécessaire pour l'entretien du château. Un esclave était chargé de la mettre en ordre, hier matin. Et il a entendu les soldats qui ont arrêté Iezahel.

 

Si Calith l'écoutait d'une oreille distraite, il accorde soudain toute son attention à Severin. D'une voix pressante, il l'encourage à poursuivre.

 

- Ils se plaignaient des ordres de Florain, Sire. Il voulait qu'ils passent la matinée à proximité des écuries, alors que d'habitude, ils patrouillent dans tout le rez-de-chaussée. Ils ne savaient pas exactement pourquoi, alors ils essayaient de deviner. L'esclave m'a rapporté toutes leurs idées, mais je pense que celle-là va vous intéresser : ils pensaient que leur rôle était de surveiller les réactions de Kjeld. Apparemment, Florain était venu, au petit matin, dans les écuries, et il avait échangé quelques mots avec le maître d'écurie.