VEF Blog

Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 13-12-2013 à 09:04:31

Iduvief, chapitre 21

 

 

 

 

L'inconnu se lève, marche lentement entre les deux hommes entravés, et déclare :

 

- Suite à la mort de l'esclave Sighild, égorgée, et de Kjeld, maître d'écurie, roué de coups jusqu'à ce que mort s'en suive, les hommes de Florain ont procédé aux arrestations de Till, garçon d'écurie, ainsi que de l'esclave de notre Roi bien-aimé. Cyrique, nous écoutons ta version des faits.

 

Le garde de la veille, celui qui a soi-disant surpris Iezahel en train de tuer le maître d'écurie, prend la parole. Calith esquisse un sourire en entendant la version qu'il donne. Plus longue, elle prend en compte toutes les nuances soulevées par Loundor dans le bureau de Florain. Il se demande d'où vient cette honnêteté, avant de réaliser qu'il s'en moque pas mal, en fait. Ces nuances mettent sérieusement en doute la culpabilité de Iezahel, c'est tout ce qui importe.

Lorsque Cyrique termine son récit, il retourne dans le rang des gardes postés devant l'entrée. Personne n'a de questions à lui poser, aussi l'inconnu poursuit :

 

- Esclave, donne-nous ta version des faits.

 

Il n'y en a qu'un, dans la salle, impossible de se tromper. Mais Calith bouillonne de les voir se contenter de l'appeler « esclave » sans qu'ils lui ne prononcent jamais son prénom. Iezahel commence à parler, mais d'une voix si faible que l'inconnu l'interrompt sèchement :

 

- Plus fort !

- Je me suis rendu dans les écuries, en milieu de matinée, sur ordre du roi.

 

Iezahel fait visiblement des efforts pour parler plus fort, malgré sa voix rauque et sa lèvre fendue. Le roi en question manque de s'étouffer en entendant cette affirmation, mensonge éhonté. Mais il se garde bien de faire savoir sa surprise. Et lorsque l'inconnu demande les raisons de cette visite, c'est Calith qui intervient :

 

- Cela ne vous concerne en rien. Mon esclave n'a pas à rendre publiques, ni à expliquer mes décisions. Et je n'ai pas à justifier mes décisions.

 

L'inconnu hoche doucement la tête, reconnaissant que sa question sort du cadre du procès. Se détournant de son roi, il se concentre sur Iezahel, à qui il demande sèchement :

 

- Poursuis, esclave.

- Quand je suis arrivé, j'ai vu Kjeld égorger Sighild. Mais je n'étais pas le seul à avoir assisté au crime. Till l'a vu également, et il s'est jeté sur lui pour le rouer de coups. J'ai essayé de l'arrêter, nous nous sommes battus. Il a dû entendre les gardes avant moi alors il a filé. Moi, je pensais que je l'avais mis en fuite, je me suis donc occupé du maître d'écurie. Mais c'était trop tard, il n'y avait plus rien à faire. Et c'est à ce moment là que les gardes m'ont vu.

 

Un si long monologue le laisse à bout de souffle et grimaçant de douleur. Il a gardé les yeux rivés au sol pendant tout le temps. Calith jette un regard à Loundor, impassible. Iezahel a menti sur les raisons de sa présence dans les écuries. A-t-il menti pour le reste ? Même si c'est le cas, Calith ne tient pas connaître la vérité maintenant. Si ces mensonges permettent de l'innocenter, tant mieux. Et au diable la justice. Voyant que personne n'a de question, l'inconnu se tourne alors vers Till et déclare :

 

- Les gardes m'ont fait parvenir la version que tu leur as donné dans la nuit. J'aimerais que tu la répètes devant Dame Marsylia.

 

Le garçon d'écurie, aux cheveux mi-longs hirsutes, semble bien fragile soudain. Certes, il est solidement bâti, grâce aux travaux de force qu'il effectue toute l'année. Mais là, dans les entraves, les larmes au bord des yeux, il ne ressemble plus qu'à l'adolescent qu'il est. Il n'ose pas regarder Marsylia quand il déclare :

 

- J'aime Sighild. Je l'aime de tout mon cœur. Kjeld ne le savait pas, bien sûr, il n'aurait jamais permis ça. Elle, je crois qu'elle m'aimait bien. Avec son fils, elle n'avait pas beaucoup de temps à me consacrer. Mais ça ne changeait rien à mes sentiments. On arrivait à voler quelques moments, tous les trois, et c'était les plus heureux de ma vie. Je venais de finir de donner l'avoine aux chevaux quand j'ai entendu des cris. Kjeld n'était pas satisfait du travail de Sighild, comme souvent, et il lui gueulait dessus. Elle lui a répondu quelque chose, mais j'étais trop loin pour l'entendre. Je me suis approché, sans me faire voir. Je voulais pas que sa colère me retombe dessus. Mais ce qu'elle lui a dit, ça l'a rendu fou. Je l'ai vu sortir sa dague et lui trancher la gorge. Elle s'est écroulée sans un cri.

 

Le jeune Till paraît plus fragile que jamais : il revit la scène, comme s'il y était encore. Il ferme les yeux quelques secondes, laissant rouler des larmes sur ses joues encore imberbes. L'inconnu n'éprouve aucune compassion et le relance sèchement.

 

- Et ensuite ?

- Ensuite. Je me suis jeté sur lui. Il n'avait pas le droit de la tuer. C'était son esclave, c'est vrai, et il ne s'est jamais gêné pour faire d'elle tout ce qu'il voulait. Mais la tuer... Elle me fixait avec ses grands yeux sans vie. Alors je l'ai frappé. De toutes mes forces. Encore et encore. Iezahel est arrivé, et il a essayé de me calmer, mais elle était morte. Je n'avais plus rien. Il m'avait privé de ma raison de vivre.

- Alors tu as privé Kjeld de la vie ?

- Je ne sais pas. Je ne supportais plus le regard mort de Sighild, je me suis enfuit. Je n'avais pas entendu les gardes. Je me moquais pas mal qu'ils m'arrêtent de toute façon. Je n'ai plus rien désormais.

 

L'adolescent se met à sangloter. Florain, imperturbable, rajoute :

 

- Mes gardes l'ont découvert caché dans la paille. Il tenait des propos incohérents et il était couvert de sang.

 

Ketil, sur un geste de l'inconnu, va examiner les mains des accusés. S'il ne semble pas gêné à l'idée de tourner les mains caleuses de Till, il utilise un fin bâton pour celles de Iezahel, comme si le corps de l'esclave était porteur de maladie contagieuse ou honteuse. Lorsqu'il a terminé, il murmure ses conclusions à l'oreille de l'inconnu. Ce dernier interroge à nouveau Iezahel puis le garçon d'écurie, essayant de découvrir à travers leurs témoignages qui a tué Kjeld. A mesure que les récits se font plus détaillés, il apparaît clairement que Iezahel n'a touché le maître d'écurie que pour essayer de le ranimer.

 

Puis Marsylia, Florain, Ketil et l'inconnu se retirent pour délibérer, plongeant la salle d'interrogatoire dans un silence oppressant.

Calith prend son mal en patience, sachant que ce n'est qu'une fois que le jugement sera rendu qu'ils pourront éventuellement s'y opposer. Du moins, que Loundor pourra s'y opposer, puisque lui est trop impliqué pour pouvoir le défendre.

 

Il lui semble pourtant attendre des heures avant qu'enfin, ils ne fassent leur retour. Florain semble hors de lui, les narines frémissantes. Ketil n'est pas revenu, sans doute a-t-il mieux à faire. L'inconnu, lui, semble porter un masque tant son visage est impassible. Marsylia reste debout, les bras croisés sur la poitrine, pour déclarer :

 

- Après concertation, il nous apparaît clairement que la mort de Sighild est imputable à Kjeld. Quant au meurtre de Kjeld, nous estimons que c'est Till le coupable, l'esclave du roi n'ayant fait qu'intervenir trop tard pour l'empêcher de commettre ce crime. Les marques sur les mains de Till parlent également en sa défaveur. Pour avoir tué son maître, Till devrait être exécuté. Mais nous n'aurions plus personne pour gérer les écuries. Nous avons donc décidé que Till perd ses droits d'homme libre pour devenir esclave d'Iduvief. Il sera affecté aux écuries, sous la responsabilité de Florain, jusqu'au printemps, où nous ferons venir un nouveau maître d'écurie. Nous statuerons sur son sort à ce moment-là. Gardes, emmenez Till en cellule, le temps de préparer les fers et le marquage. Et relâchez l'esclave du roi.

 

Elle se détourne sans un regard, faisant virevolter sa cape. Florain lance un regard noir à Iezahel avant de lui emboîter le pas. Quant à l'inconnu, il supervise la libération de Till, et s'assure que les gardes l'enferment bien. D'autres gardes viennent détacher Iezahel, qui reste cramponné à l'entrave, n'osant pas se relever. Les gardes s'en vont, indifférents au sort de l'esclave accusé à tort. Aucune excuse, aucun mouvement de compassion, aucune aide.

 

 

 

 

 

Restés seuls dans la salle d'interrogatoire, Calith et Loundor se précipitent vers lui. Il est incapable de tenir ses jambes, alors ils passent chacun un bras par-dessus leurs épaules, puis glissent l'autre bras sous chacune de ses cuisses. Porté en position assise, Iezahel se laisse faire, trop faible pour protester, la tête ballotant à chaque pas. Ils peinent pour monter les escaliers, mais parviennent finalement dans les appartements du roi sans encombre, où ils l'emmènent jusqu'au lit. Ils l'allongent avec d'infinies précautions et le recouvrent de l'épais édredon, espérant réchauffer son corps glacé.

 

Les jumeaux, Nyv' et Asaukin guettaient leur retour, et ils sont tous là, sur le seuil de la chambre, à les observer attentivement. Calith ordonne à Nyv' d'aller chercher la clef de la pénitence et à Asaukin d'aller quérir Filraen. Les jumeaux ont pour consigne d'aller chercher les vêtements de Iezahel, où qu'ils puissent être.

Le ciel, lourd de gros nuages blancs, est lumineux, malgré l'absence de soleil, et leur évite d'allumer les chandelles. Mais cette luminosité est impitoyable et fait apparaître toutes les nuances des hématomes de son visage.

 

Ce n'est que lorsqu'il se retrouve seul, assis au bord du lit, Loundor étant allé faire chauffer de l'eau dans la salle de bain, que Calith se permet de sourire. Iezahel est dans un sale état, il tremble, son corps entier n'est que meurtrissures, mais il est lavé de tout soupçon. Il est libre et ne sera pas exécuté.

Seul le visage meurtri de l'esclave dépasse de l'édredon. L'œil valide scrute attentivement Calith, avant qu'un « je suis désolé » ne soit murmuré. Mais Loundor revient, faisant taire le roi. Il porte une cuvette d'eau, dont la vapeur s'échappe langoureusement. Sur son bras, des linges propres.

Il dépose le tout sur la table de chevet en déclarant :

 

- Il y avait déjà de l'eau à chauffer. Les esclaves ont dû l'oublier quand ils ont fait votre chambre ce matin. Tu as soif, Iezahel ?

- Pas pour le moment, merci.

 

Loundor bougonne, gêné d'être remercié vu la situation. Il tend un linge à Calith, préalablement trempé dans l'eau chaude, et repousse l'édredon. Armé d'un autre linge humide, il commence à nettoyer les pieds et les jambes de Iezahel, tandis que Calith s'occupe de son visage et de son torse. Iezahel se laisse faire, les yeux fermés de gêne ou de bien-être.

 

L'eau de la cuvette est trouble, et ils ont presque terminé, lorsque Filraen arrive, suivi par Severin et Asaukin. Le vétéran se place devant la porte de la chambre, et sa mine patibulaire laisse deviner qu'il empêchera quiconque d'entrer. Severin, toujours de noir vêtu, laisse échapper un gémissement en voyant l'état de Iezahel. Les bras chargés de flacons et de sachets, il contourne le lit, le regard rivé sur le blessé. Il dépose minutieusement son fardeau, le rangeant dans un ordre bien précis, et demande dans un sourire :

 

- Vous avez trouvé l'eau chaude ?

- C'est toi qui l'avait demandé ? Demande Calith.

- Oui, j'ai pensé que ça serait utile, à un moment ou à un autre. Ils avaient pour consigne de toujours garder une bonne quantité d'eau chaude.

- Merci beaucoup, Severin. J'apprécie ta prévenance.

 

L'esclave rosit sous le compliment et s'incline légèrement avant de leur annoncer qu'il ne peut pas rester, qu'il a juste prêté main forte pour amener de quoi soigner Iezahel. Le visage rivé sur l'édredon, il rajoute qu'il est heureux de voir Iezahel libre. Puis, réalisant qu'il en a trop dit et qu'il a oublié son statut, il tourne vite des talons et disparaît.

 

Filraen, pendant ce temps, a posé sa lourde besace sur une malle, et s'est approché de son patient le visage grave, marmonnant sans répit « oh bon sang, oh bon sang ». Il examine attentivement le corps de Iezahel, puis va chercher ce dont il a besoin. Un peu gêné, il regarde Calith et Loundor avant de déclarer :

 

- Vous n'êtes pas tenus de rester. Je peux m'en charger seul.

 

Loundor hoche doucement la tête, et va s'installer dans le salon. Calith s'écarte un peu de Iezahel, indécis : il voudrait rester, mais il serait une gêne pour le mage. Et certains soins risquent d'être assez intimes, il veut préserver autant que possible la pudeur de son compagnon, il a été bien assez humilié comme ça. Mais une main vive agrippe son poignet. Iezahel ne le serre pas très fort, mais le message est passé : il veut que Calith reste. Alors, d'une voix déterminée, le roi annonce :

 

- Je vais rester, et je vous aiderai si je le peux.

- Comme il vous plaira, Votre Altesse.

 

Filraen semble un peu mal à l'aise, à l'idée de prendre le roi comme assistant, mais il n'ose s'opposer à cette décision. D'autant qu'il a bien vu que Calith serre désormais la main de son compagnon dans la sienne. S'il avait besoin d'une preuve de leur relation peu ordinaire, il l'aurait eu.

Sans faire de commentaire, il dépose un pot d'onguent et un flacon sur la table de chevet. Calith lui explique les conditions de détention de son compagnon, ainsi que les sévices auxquels il a été soumis, suscitant des hochements de tête nerveux.

 

C'est à ce moment-là que revient Nyv', qui brandit triomphalement la minuscule clef. Filraen la récupère en le remerciant. Il lui demande alors de préparer une infusion, avec le sachet qu'il lui remet, et de fermer la porte derrière lui. Dans la chambre, le silence n'est occupé que par la respiration sifflante de Iezahel quand Filraen le délivre de la pénitence avec des gestes doux et précis. Puis commence un étrange ballet où Calith et le mage, armés d'onguent et de linges humides, enduisent les meurtrissures de crème apaisante et nettoient les blessures. Murmurant des incantations de soin, le mage passe ses mains sur l'ensemble du corps de Iezahel.

 

Avec douceur, Filraen bande le torse de l'esclave : il a plusieurs côtes fêlées. Il passe beaucoup de temps à examiner l'œil qu'il ne peut plus ouvrir, craignant que les dégâts à l'arcade sourcilière aient touché l'œil. Il demande, très poliment, à Calith d'aller chercher la tisane, qui devrait apaiser la douleur.

Finalement, c'est après plus d'une heure de soin qu'il quitte la chambre. Calith reste le temps de le border minutieusement et de l'embrasser tendrement, puis le laisse se reposer.




Le déjeuner a été apporté pendant qu'ils étaient dans la chambre. Loundor, Asaukin et Nyv' sont assis autour de la table, mais personne n'ose manger. Calith s'installe dans le fauteuil et déclare :

 

- Mangez si vous avez faim. Gardez juste deux bonnes portions. Filraen, vous en pensez quoi ?

 

Ils se servent, et mangent en silence, suspendus aux lèvres du mage. Ce dernier est resté debout, visiblement mal à l'aise d'être en présence du roi et de son Général. Calith lui fait signe de s'asseoir, et sans se concerter, Nyv' et Asaukin lui donnent une assiette pleine et une chope d'hydromel. Après avoir pris une longue gorgée de vin, Filraen déclare :

 

- Les contusions ont déjà commencé à guérir. C'est la première fois que je vois ça. On dirait que les coups remontent à plusieurs jours. C'est un phénomène que je ...

- C'est un loup-garou, l'interrompt Loundor. Il résiste mieux, et il guérit plus vite.

- Oh.

 

Les yeux du mage se mettent à briller et un sourire ravi éclot sur ses lèvres. D'une voix fébrile, il dit :

 

- Oui, oui, Severin m'avait dit. Mais je ne pensais pas que ça avait de telles conséquences. C'est prodigieux !Je n'en reviens pas, j'ai soigné un loup-garou. Il semble tellement normal, pourtant ! Comment ça …

- Filraen, vous pourrez poser toutes les questions concernant les loups-garous plus tard, le coupe gentiment Calith. Comment va Iezahel ?

- Oh ! Oui, pardon. Eh bien, grâce à sa loup-garouterie... c'est comme ça qu'on dit ? Enfin, qu'importe. Grâce à ça, il est déjà en train de guérir. Les soins que nous lui avons apporté devraient faire taire la douleur assez rapidement. Il a trois côtes fêlées, mais elles semblent déjà être en train de se ressouder. C'est extraordinaire. En tant normal, il faut plusieurs semaines pour s'en remettre, mais avec lui, je pense qu'en quelques jours, ça sera quasiment guérit. J'ai bien écouté ses poumons, et il ne semble pas avoir attrapé de pneumonie. C'est un petit miracle, quand on connait les geôles d'Iduvief. Enfin, je suppose qu'être douillettes n'est pas la vocation première des geôles. Il est prodigieusement résistant, c'est fascinant. On a encore tellement de choses à apprendre, les loups-garous ne sont pas rares, mais c'est si rare pour les guérisseurs d'avoir à faire à eux !

 

Calith jette un regard amusé à Loundor, qui se rembrunit. Il va être bon pour un interrogatoire poussé sur les lycanthropes. Captant ce regard, Filraen se reprend, et poursuit, plus sombre :

 

- Le seul point qui m'inquiète, c'est son œil. Il faudra attendre que les chairs dégonflent pour l'examiner. Les blessures dans cette zone entraînent souvent des complications. Mais il est tellement résistant ! Iezahel doit se réchauffer, et se reposer, car il n'a pas dû dormir de la nuit. Vous pourrez le nourrir un peu quand il se réveillera. Il faudra bien lui donner de l'infusion régulièrement. Je passerai dans la soirée pour appliquer de l'onguent et j'en profiterai pour voir l'état de son œil. Mais n'ayez crainte, Votre Majesté, il va s'en sortir. C'est un solide gaillard.

- Bien. Merci d'être venu, Filraen. Et merci de vous être occupé de lui.

- C'est parfaitement normal, Sire. C'est absolument...

 

Mais le bavardage du mage est interrompu par l'arrivée des jumeaux. L'un des deux tient piteusement une paire de bottes à la main. Il la dépose près de la chambre, et ils viennent s'asseoir autour de la table. Filraen se lève, comme s'il voulait partir alors qu'il n'a pas touché son assiette, mais un concert d'exclamations le fait se rasseoir. Calith, dans un sourire, lui dit :

 

- Restez avec nous, et mangez, vous êtes le bienvenu. Sauf si vous avez des obligations, évidemment.

- Oh. C'est fort aimable. Merci, merci.

 

Il attaque de bon cœur son déjeuner, tandis que l'un des jumeaux déclare :

 

- Ça a été un peu compliqué de trouver les affaires de Iezahel. Les gardes étaient tous sur les dents. Apparemment, ils ont eu pour ordre de mettre la main sur le fils de l'esclave morte, mais ils ne savent pas quoi chercher. On leur a proposé un coup de main, comme nous aussi, on cherchait quelque chose, mais ils n'ont pas su nous dire grand-chose. Juste qu'elle avait un fils. Ils ignorent son âge, à quoi il ressemble, et où il pourrait être. Florain est dans une rage folle, d'après eux, car il ignorait l'existence de ce gamin. Les enfants des esclaves deviennent propriété du maître, donc Kjeld avait en réalité deux asservis. Mais normalement, il aurait dû prévenir Florain, même s'il n'en était pas responsable. Cyrique, le plus bavard, nous a laissé entendre que ce n'était pas la véritable source de sa colère. Selon lui, c'est surtout que Iezahel est ressorti libre. Il a laissé entendre que Florain jubilait en entendant leur premier rapport concernant les meurtres, et qu'il se faisait une joie de châtier l'esclave royal. Comme il lui a échappé, il n'est pas content.

 

Ce n'est pas vraiment une surprise, mais l'amertume les laisse coi. Voinon, tout sévère qu'il soit, ne prend aucun plaisir à faire souffrir les esclaves. Et il ne se réjouirait certainement pas de voir l'un d'eux accusé de meurtre. L'autre jumeau poursuit :

 

- Pour les vêtements de Iezahel, on a dû leur demander, mais ils se renvoyaient tous la balle. On a quand même réussi à apprendre qu'ils avaient déchiré sa chemise et son pantalon, lorsqu'ils l'ont arrêté, et que les lambeaux de vêtements ont été jetés, inutilisables. Quant à ses bottes, c'est l'un des gardes qui les avait récupérées. Apparemment, ils en sont presque venus aux mains pour savoir qui en hériterait.

 

Calith ne fait aucun commentaire, mais il serre les accoudoirs du fauteuil si fort que le bois gémit. Il aurait été à Pieveth, il les aurait tous fait fouetter pour ce comportement indigne. Mais ici, c'est à leur responsable qu'il doit en référer. Un responsable qu'il étranglerait bien volontiers de ses propres mains, après lui avoir fait subir tout plein de choses désagréables.

 

Chacun y va de son commentaire, et la conversation s'emballe. Filraen, un peu gêné, leur rappelle qu'il y a tout de même un blessé qui se repose à côté.

Cette déclaration pleine de bon sens sonne le glas du déjeuner. Les hommes de Loundor quittent le salon, penauds, pour aller vaquer à leurs occupations. Filraen laisse échapper que le nimhiù est sans doute sous forme liquide, et donc dans une petite fiole au verre teinté, car la lumière est nocive pour le poison. Puis il quitte à son tour les appartements de Calith, comme gêné de leur parler de ça alors que Iezahel vient tout juste d'être innocenté. Loundor semble mal à l'aise à l'idée de rester seul avec son roi, et prend congé, l'informant qu'il sera dans sa chambre en cas de besoin.

 

Calith pousse un soupir de soulagement. Il tire le fauteuil jusqu'à la fenêtre, une chope remplie d'hydromel à la main, et regarde la neige s'abattre furieusement sur les carreaux. Le calme lui fait du bien après l'agitation de la journée. Le silence lui permet enfin de canaliser la myriade de sentiments qui l'ont envahi toute la matinée. Si Iduvief n'était pas si loin de Pieveth, et s'il ne faisait pas un temps aussi épouvantable, il aura déjà pris ses cliques et ses claques. Qu'importent les meurtres, qu'importe l'appel au secours d'Artéus. Il déteste cet endroit. Il déteste les gens qui y vivent, sauf rares exceptions. Il voudrait retrouver la sécurité de son château, Mahaut, Elihus, Zelina. La douce monotonie de sa routine, les longues soirées en tête à tête avec Iezahel, sans que personne ne vienne l'accuser à tort. Un château où Iezahel est respecté, malgré son statut, un endroit où il a un surnom. Calith sent bien qu'il n'est pas le bienvenu ici, et qu'il est cerné de toute part par des gens qui lui sont hostiles.

Un soudain éclat de rire le fait bondir hors du fauteuil. L'hydromel manque de se renverser sur sa chemise, mais il n'en a cure. Il pose sa coupe sur la première surface plane à portée de main et se précipite dans la chambre.