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Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 05-01-2014 à 17:34:21

Iduvief, chapitre 24

 

 

 

 

 

Puis se maudissant d'être aussi lent d'esprit, il réalise qu'il souhaitait précisément parler aux esclaves, à propos de ce mot découvert dans la sortie de bain. Mais alors qu'il s'approche de la porte de séparation, il entend Iezahel déclarer :

 

- J'ai trouvé quelque chose, hier au soir, dans le linge. Êtes-vous au courant ?

- Ô par les Dieux ! Je t'en supplie, ne nous dis pas que tu as trouvé une souris morte ! Le roi va nous écorcher vif, gémit l'asservie. Les chats du château en tuent beaucoup, et ils aiment bien les cacher dans la lingerie, même si Tomia les traque.

- Non, non, ce n'était pas une souris morte. Vous n'avez rien mis dans le linge ?

- Non. On l'a juste apporté quand il a été sec. Le roi est mécontent ?

- Pas du tout, ne vous en faites pas. Au contraire, il est très satisfait de votre travail.

 

Calith, invisible depuis la chambre, les entend soupirer de soulagement. Il s'en rend compte : c'était la meilleure chose à faire. Iezahel, de par son statut, peut parler aux autres esclaves sans déclencher la panique ni une servilité écœurante. Il est le plus à même de savoir ce qu'ils ont vu sans éveiller les soupçons. Coupant court aux questions des esclaves, Iezahel les remercie une fois de plus pour leur travail et regagne le salon. Il ne semble pas surpris de voir Calith derrière la porte, et il fait un clin d'œil avant de lui murmurer que Fáelán est bien caché sous le lit.

Loundor, resté à sa place près de la table, n'a rien raté de la discussion, et se lève souplement en disant :

 

- Nous devrions aller faire un tour.

- Je voudrais parler à Iezahel d'abord, Loundor, s'il te plait.

 

Loundor lui jette un long regard, avant d'acquiescer et de déclarer qu'il les attendra dehors. Il ne pose pas de questions, se doutant sûrement de la teneur de la discussion qui s'annonce, et quitte les appartements. Iezahel demeure immobile et tendu, et suit docilement son compagnon jusqu'à la fenêtre. Il garde la tête baissée et les épaules nouées quand Calith murmure :

 

- J'étais très sérieux, tout à l'heure, concernant le fait de suivre mes ordres. Quand je t'ai ordonné de rester à mes côtés et ne pas t'éloigner, c'était parce que je pressentais que tu avais des problèmes. J'aurais aimé que tu me fasses assez confiance pour t'ouvrir à moi. Tu sais que je peux entendre beaucoup de choses, n'est-ce pas ?

 

Iezahel hoche piteusement la tête, et Calith ne supporte pas de le voir ainsi. Il voudrait pouvoir lui faire comprendre que ce silence, il l'a ressenti comme une faille dans leur complicité. Il voudrait pouvoir lui ordonner de toujours tout lui dire, de ne plus jamais lui cacher quoique ce soit. Mais de le voir, là, si penaud, et de savoir tout ce qu'il a enduré à cause de ce silence, ça lui noue le ventre. Alors il cesse ses remontrances et, le serrant dans ses bras, chuchote :

 

- J'ai eu tellement peur de te perdre.

 

Iezahel s'accroche à lui de toute ses forces et il jurerait le sentir trembler d'émotion entre ses bras. Alors Calith l'étreint plus fort encore en lui répétant qu'il l'aime, et qu'il a eu tellement peur de le perdre.

Il leur faut de longues minutes pour se défaire de ce cocon d'émotion et lorsque Iezahel s'écarte, il s'essuie nerveusement les yeux. Et murmure :

 

- Plus jamais, Calith, plus jamais. Je te jure.

 

Calith l'embrasse tendrement, puis décrète qu'il est temps de rejoindre Loundor avant qu'il ne perde patience. C'est qu'ils doivent rendre visite à la lingère. C'était inutile que Loundor le précise tout à l'heure, ils avaient tous compris qu'il parlait d'aller à la lingerie. Si les esclaves qui ont apporté les sorties de bain n'ont rien glissé dedans, alors le mot a été déposé dans la réserve.




Accompagnés par Nyv', ils affrontent les couloirs glacés pour se rendre au rez-de-chaussée où, non loin des cuisines, se situe la lingerie. Dans ce château paralysé par la neige de nombreux mois dans l'année, une pièce est dédiée au lavoir, tandis qu'une autre sert à étendre le linge et à le conserver. Une matrone, le visage rougeaud, aussi haute que large, règne en maître dans la lingerie et les accueille avec suspicion. Elle ne reconnaît ni Calith ni Loundor, ce qui les arrange bien, mais se doute qu'ils sont relativement importants, car un esclave leur appartient. Aussi leur demande-t-elle, inquiète :

 

- Le linge ne vous convient pas, messires ?

- Si, si, c'est très bien. Mais nous avons trouvé un objet dans la sortie de bain, et nous aimerions savoir si quelqu'un, ici, aurait pu le mettre.

- C'est peut-être une de ces incapables qui a fait tomber un colifichet sans s'en rendre compte.

- Je ne pense pas. Ça nous était destiné. Il ne s'agit pas d'une erreur.

- Oh. Vous êtes dans quel appartement ?

- Euh... au troisième étage ?

 

La matrone fronce les sourcils, et ses joues pâlissent soudainement quand elle réalise qu'ils sont encore plus importants que ce qu'elle imaginait. Étonnamment habile pour sa corpulence, elle se dirige vers les étagères qui ploient sous le poids du linge, et leur explique :

 

- Les casiers, là, sont pour les appartements du troisième étage. Certains invités ont des demandes très précises pour leur linge, et ça nous permet de ne pas mélanger. Et puis, comme ça, les esclaves n'ont pas besoin de me déranger à tout bout de champ quand il faut monter le linge.

- Vous avez vu quelqu'un, hier, glisser quelque chose dans les piles de ces casiers ?

- Je ne l'aurais pas laissé faire. Une fois qu'il est là, plus personne n'y touche, sauf pour le monter. Ils vont pas venir salir le tissu avec leurs sales pattes ! Mais enfin, je ne peux pas toujours être là, je dois aussi m'assurer qu'elles lavent correctement, et que le feu est suffisamment alimenté pour faire chauffer l'eau et sécher le linge. Et puis il y a ces satanés chats et les sour... Hum. Enfin. Peut-être que quelqu'un s'est glissé là pendant que j'avais le dos tourné.

- Et personne ne l'aurait vu ?

- Faut demander aux filles. Venez donc.

 

Elle les entraîne jusqu'au lavoir, où trois esclaves frottent et tordent draps et serviettes en papotant joyeusement. Elles se figent immédiatement en les voyant arriver. A la question de la lingère, deux affirment ne rien avoir vu, mais la troisième répond :

 

- De là où que je suis, je peux voir le couloir qui va à la lingerie. Mais j'ai vu personne d'inhabituel.

- Tu es bien sûre ?

- Oui Tomia.

- Très bien. Reprenez votre travail, et ne jacassez pas trop : il y a encore beaucoup à faire !

 

La lingère fait demi-tour et, arrivée dans son antre, agite son battoir face à un chat tigré qui s'enfuit en courant. Puis se tournant vers ses visiteurs, elle annonce :

 

-Y'a personne d'inhabituel qui est venu.

- Et les habitués, c'est qui ?

- Ben les esclaves et les domestiques.

- Et ils sont nombreux ?

- Au moins une trentaine, pensez-vous ! Avec toutes les chambres qu'il y a ! Et puis, y'a aussi les commis de cuisine qui viennent pour les torchons, ceux qui font le ménage pour les chiffons, les artisans pour leurs tabliers raides de crasse et les esclaves personnels qui viennent parce qu'il y a des taches qu'ils ne peuvent pas enlever. Ça en fait du monde, je vous le dis !

- Et Severin ? Il vient souvent ?

- Pour ainsi dire, jamais. C'est qu'il a bien trop à faire, le pauvre. Pas le temps. Mais il envoie parfois Zaich, pour les affaires de ce pauvre Égeas. D'ailleurs, il paraît qu'il...

 

Elle s'interrompt soudain en réalisant à qui elle parle, se rendant compte qu'il faut peut-être éviter d'aborder cette histoire de meurtres devant des invités, et secoue son battoir d'un geste nerveux. Calith recule prudemment et quitte les lieux avant d'en prendre un coup, non sans l'avoir remercié comme il se doit.

Ils se retrouvent dans le hall d'entrée, le premier endroit de ce château qu'ils ont découvert à leur arrivée. Les esclaves vont et viennent, les bras chargés, dans un silence oppressant. Calith et Loundor regardent nerveusement autour d'eux, gênés : ce n'est pas ici qu'ils pourront échanger leurs impressions dans la discrétion. Il ne leur reste qu'une seule piste, pour le manuscrit, mais ils sont si proche des geôles qu'ils préfèrent d'abord aller voir Till pour l'interroger.




Le garde, à l'entrée du couloir des geôles, est avachi sur un tabouret, adossé au mur. Il bave dans son sommeil, emmitouflé dans une épaisse cape pour surmonter le froid glacial qui y règne. Iezahel frissonne, mais Calith se doute bien que ce n'est pas dû uniquement au froid mordant qui siffle dans le couloir. Calith se sent cerné par des gens qui lui sont hostiles, alors il n'ose pas lui prendre la main, mais il lui lance un long regard qui, il l'espère, l'aidera à surmonter cette difficulté.

 

Till est recroquevillé dans un coin de la cellule, vêtu de la tunique des esclaves. Sur son épaule, la marque au fer rouge, boursouflée et suintante, le désigne désormais comme un asservi. Son collier est reliée à une chaîne fixée au mur. Il ne leur jette pas un regard lorsqu'ils s'avancent sur la paille putride. Iezahel, surmontant sa répulsion, s'agenouille devant lui et lui demande comment il se sent, mais il n'obtient aucune réponse. Calith s'agenouille à son tour, et lance un sort de soin mineur sur la marque, espérant atténuer un peu la douleur. Mais Till ne les regarde toujours pas. Alors, d'une voix douce, Calith demande :

 

- Till, on a besoin de toi. Est-ce que tu as vu Florain, hier matin, avant que Kjeld s'en prenne à Sighild ?

- Sighild...

 

Le regard éperdu de douleur se fixe un instant sur celui du roi, avant de se perdre dans les limbes de ses pensées. Calith s'efforce de s'immuniser contre la douleur de l'adolescent. Il n'ose pas imaginer ce qu'il ferait s'il surprenait quelqu'un en train d'égorger Iezahel. L'amour qu'il ressent pour son esclave n'est peut-être pas comparable aux sentiments de l'adolescent, mais il sait que sa peine est réelle.

 

- Till, s'il te plait. C'est très important. Est-ce que tu as vu Florain, hier, très tôt dans la matinée, discuter avec Kjeld ?

 

Le garçon d'écurie ne semble pas l'entendre, perdu dans sa douleur. Alors que le roi s'apprête à renoncer, il le voit lentement hocher la tête et il finit par murmurer :

 

- Oui. Ils ont discuté un moment.

- Qu'est-ce qu'il a dit ?

- A la fin, il a dit, un peu plus fort : « Je te dis que le roi est venu chercher des esclaves ! »

- Et tu n'as pas entendu ce qu'ils ont dit avant ?

- Non.

 

Calith se redresse, la gorge nouée. Comment en vouloir à ce jeune homme qui a perdu, en l'espace d'une journée, la femme qu'il aimait et sa condition d'homme libre ? Il lance un nouveau sort destiné à apaiser la brûlure de sa marque d'esclave, mais Till ne semble pas s'en apercevoir. Il est reparti dans les souvenirs de jours meilleurs.




Calith jette un regard à Iezahel et à Loundor, qui affichent tous les deux des mines graves. Il n'y a rien à ajouter, ils ont appris tout ce qu'ils pouvaient. Alors ils quittent la cellule et s'empressent de remonter dans les étages. Ils s'arrêtent au second, espérant croiser Severin. Mais les appartements d'Égeas sont déserts. Quelques manuscrits ont été rangés, mais il reste encore beaucoup à faire, et l'odeur subsiste, à peine couverte par la myrrhe. Ils ont besoin de quelqu'un capable de reconnaître l'écriture sur le mot découvert dans la sortie de bain. Lorsqu'ils quittent l'antre d'Égeas, ils tombent nez-à-nez avec Fleur, et ils en profitent pour lui montrer le mot. Mais elle avoue, gênée, qu'elle ne sait pas lire. Lorsqu'ils lui demandent où est Severin, elle leur répond qu'elle l'ignore.

 

Ils se rendent ensuite auprès du mage, qui ignore également où est Severin, et qui ne peut pas plus les renseigner que Fleur sur l'auteur du mot.

Dépités, ils regagnent les appartements de Calith, où ils s'installent autour de la table. Ils restent silencieux le temps que Iezahel fasse chauffer de l'infusion et remette du bois dans la cheminée. Fáelán s'est approché et sa petite main agrippe le pantalon de Calith pour qu'il le prenne sur ses genoux. Incapable de résister, le roi le hisse donc sur ses jambes.

 

Lorsque Iezahel s'installe autour de la table, il sourit en voyant la scène, légèrement envieux. Mais Loundor ne leur laisse pas le temps de s'émerveiller sur le gamin et déclare :

 

- On n'a pas avancé. Personne n'a vu l'auteur du mot le mettre dans la sortie de bain.

- Ce qui est plutôt logique, déclare Calith. L'auteur ne voulait pas être vu, et s'il avait été surpris, nous n'aurions jamais trouvé ce mot.

- Sauf que ça ne colle pas, bougonne Loundor. Les esclaves et les domestiques sont ceux qui auraient pu mettre ce mot dans la sortie de bain, mais la plupart ne sait ni lire ni écrire. Si on doit tous les interroger, on va perdre beaucoup de temps.

- Et d'un autre côté, un résident du château aurait été remarqué dans la lingerie, renchérit Iezahel.

- A moins qu'il ait demandé à un esclave de glisser le mot, sans se faire voir, réfléchit Calith.

- Sauf que, du coup, il risque d'être dénoncé.

 

L'affirmation de Iezahel leur tire un long soupir. Ils ont l'impression d'être dans une situation inextricable. Le principe d'une dénonciation anonyme, c'est que personne ne soit au courant. Et l'auteur du mot n'est pas idiot, il s'est arrangé pour rester invisible. Tandis que Iezahel va chercher l'infusion, Loundor déclare :

 

- Il faut absolument qu'on trouve quelqu'un capable de reconnaître cette écriture. On ne peut la montrer ni à Marsylia ni à Florain, évidemment. On pourrait demander à Ketil mais...

- Mais non, le coupe Calith. Je ne lui fais pas confiance. Il va courir rapporter ça à Florain. Il faudra qu'on voie avec Severin, c'est le seul sur qui on peut compter.

 

L'infusion est servie, et Fáelán tend les bras en direction de son père. Alors Iezahel le récupère sur ses genoux, et le serre doucement contre lui. Et c'est encore une fois le côté terre à terre de Loundor qui les empêche de s'extasier :

 

- Till nous a appris quelque chose d'intéressant, par contre. Même s'il n'a entendu qu'une seule phrase, on peut en déduire beaucoup de la discussion.

- Mais ça ne sera jamais que des déductions.

- C'est toujours mieux que rien, Calith. En laissant entendre que tu venais chercher des esclaves, Florain faisait croire à Kjeld que tu t'intéressais à Sighild, et au gamin. Je suis sûr que, même si il les traitait de manière abjecte, il y tenait. Je suis convaincu que Florain savait que Iezahel allait souvent aux écuries.

 

Loundor s'interrompt et jette un regard au concerné, qui observe, béat, le gamin lui mordiller la manche de sa chemise. Le silence soudain lui fait redresser la tête, et il dévisage Loundor, avant de répondre :

 

- Oui, c'est très probable. Je ne clamais pas sur tous les toits que j'allais là-bas, mais fatalement, j'ai croisé des gardes et des esclaves.

- C'est impossible de savoir exactement quelles informations Florain a en sa possession. Mais il aurait très bien pu laisser entendre que Calith allait racheter Sighild et le gamin.

- Mais pourquoi Calith aurait-il fait ça ? Demande Iezahel.

- Ce n'est pas la question. Nous savons parfaitement qu'il ne l'envisageait pas.

- Nous, oui. Mais Kjeld l'ignorait. Et il était en droit de mettre en doute cette information : si Calith voulait réellement des esclaves, alors il se servirait au marché aux esclaves, ou bien à Pieveth. Pourquoi viendrait-il à Iduvief pour s'intéresser à l'esclave du maître d'écurie ? Ça n'a aucun sens, et Kjeld ne pouvait pas ne pas s'en rendre compte.

 

Loundor bougonne. L'argumentaire de Iezahel est implacable. Calith, légèrement agacé de les voir discuter de lui comme s'il n'était pas là, déclare en frissonnant :

 

- Sauf si Florain connaît les liens qui m'unissent à Iezahel. Dans ce cas, il pouvait laisser entendre à Kjeld que Iezahel m'avait parlé de Sighild, et que j'allais l'acheter. Le maître d'écurie devait sans doute penser que je traite Iezahel comme il traitait son esclave, c'est pour cette raison qu'il se permettait d'exiger sa présence. Si Florain lui a laissé entendre que ce n'était pas le cas, et que j'écoutais Iezahel, quoiqu'il me dise, alors Kjeld a dû paniquer. Il a dû penser que Iezahel allait s'arranger pour mettre sous ma protection Sighild et son fils, et de la sorte, s'y mettre aussi. Et il aurait tout perdu.

-Ça fait beaucoup de conditionnel, tout ça, gronde Loundor, peu convaincu.

- Oui. Mais la plupart des personnes capables de nous répondre ne peuvent plus le faire.

- Et comment Florain aurait-il su pour vous deux ?

- Il ne sait sans doute pas avec exactitude ce qui nous lie, admet Calith. Nous sommes toujours très discrets en public. Et je ne pense pas que Severin lui aurait raconté ce qu'il a vu. Mais par contre, avec le nombre d'esclaves qui vont et qui viennent ici, les gardes et les asservis qu'on croise dans les couloirs, il y a suffisamment de témoins potentiels. Rien que le fait qu'il n'y a pas de paillasse au pied de mon lit prouve qu'on dort ensemble. En tout cas, qu'il se doute de notre relation expliquerait pourquoi il s'est empressé de porter ces accusations contre Iezahel.

- En effet. Mais ça n'explique pas les risques qu'il a pris. C'est quand même tiré par les cheveux, cette histoire.

 

Iezahel se désintéresse temporairement de Fáelán, qui somnole sur ses genoux, et ajoute d'une voix peu assurée :

 

- Il a tenté le tout pour le tout. Je pense que cette histoire doit revenir dans le contexte. Nous enquêtions sur une série de meurtres. Florain a qualifié de « désagrément financier » la perte de la jeune esclave, au début de l'hiver. Mais il a peut-être dit ça pour détourner les soupçons : après tout, s'il l'appréciait, ou même s'il n'accepte pas que d'autres que lui fassent souffrir ses esclaves, alors il aurait très bien pu tuer Nalek en le tenant pour responsable de la mort de l'asservie. Il empoisonne ensuite Yorell, pour se débarrasser d'un mari encombrant. Puis d'Artéus, pour voir Marsylia au pouvoir et gérer le fief avec elle. La mort d'Égeas s'explique aussi : Égeas, tout ivrogne qu'il soit, jouait encore un rôle ici. Ils nous l'ont dit : il a suggéré à Artéus de chercher du côté de Yorell, pour l'enquête. Le conseiller gênait peut-être Florain, surtout si, comme le prétend le message anonyme, c'est Florain qui tire les ficelles. Florain est celui qui réunit le plus de mobiles, dans cette histoire. Me faire accuser de meurtre, même en pariant sur une réaction violente de Kjeld, était pour lui l'occasion idéale de se débarrasser de moi, et donc potentiellement de toi, Calith. Et ce qui est certain, c'est que ça lui a fait gagner du temps, parce que l'enquête n'a quasiment pas avancé entre avant-hier midi et aujourd'hui.

 

Un silence de plomb salue l'exposé de Iezahel. Vu sous cet angle, les risques pris par Florain semblent bien minces. Et Florain passe en tête des suspects, même si ce n'est pas suffisant pour l'accuser.

 

 

 

 

 

La porte du salon s'ouvre, déclenchant la transformation de Fáelán. Iezahel pose une main douce sur son échine, pour l'empêcher de fuir, et le caresse tendrement. Asaukin entre en premier, la mine grave, suivi par Nyv'. Derrière, les jumeaux discutent joyeusement, faisant rougir les deux esclaves, chargées du plateau du déjeuner, qu'ils accompagnent.

 

En un rien de temps, la table est mise, les assiettes remplies, et les soldats installés. Et lorsque les asservies se retirent, les langues se délient. C'est Asaukin qui commence son rapport :

 

- Les gardes ne m'ont pas appris grand-chose. Je ne pense pas qu'ils ont sciemment gardé des informations pour eux, on s'entend plutôt bien. Les rumeurs disent que Florain est allé aux écuries, dans la matinée. Ils ne savent pas ce qui s'est dit. Mais par contre, certains prétendent qu'il avait l'air plutôt content de lui. C'est pas évident d'apprendre quelque chose sans poser trop de questions. Ils ne se mêlent pas trop des affaires de Florain, ils le craignent un peu. Tant que tout se passe bien, il ne fait pas d'histoire. Mais si les gardes se montrent trop curieux, ou qu'ils ne font pas leur travail correctement, Florain peut vite devenir méchant.

Voyant que le vétéran a terminé son rapport sur cette note, l'un des jumeaux enchérit :

- Et ce n'est rien par rapport à la crainte qu'il inspire aux esclaves. Ils commencent à nous connaître, mon frère et moi, et on leur donne souvent un coup de main. Ils n'hésitent jamais à nous faire part des ragots entre esclaves, des rumeurs concernant les invités. Enfin, sauf pour vous, Sire. Bref, ils sont plutôt bavards. Mais dès qu'il s'agit de Florain, ils se referment comme des huîtres. Plus moyen d'apprendre quoique ce soit. On sait pourtant qu'ils surveillent ses faits et gestes, et on pense qu'ils en parlent entre eux. Du moins, dès qu'ils ont confiance en l'autre. Ils ont sans doute bien conscience que Florain a des oreilles de partout, et qu'il peut vite savoir qui parle sur lui. Ils ne m'ont donc rien appris.

 

Le jumeau, Ishran ou Shorys, baisse la tête, comme conscient d'avoir fauté. Mais ni Calith ni Loundor ne lui en veut : maintenant qu'ils connaissent la situation, et vu ce qu'ils ont appris sur le responsable, ce genre d'attitude s'explique parfaitement. Fáelán se fait oublier et mange sur les genoux de son père, tandis que la conversation dérive sur l'atmosphère du château. Calith n'y prend pas part, mais il écoute attentivement. Et il est un peu rassuré de voir que tous partagent son avis : ils ont hâte de s'en aller d'ici et de rentrer à Pieveth. Mais ils sont tous conscients que ça va attendre encore.

 

La conversation dérive largement lorsque les deux jumeaux se mettent à parler des femmes présentes au château : Asaukin se montre bon public, et sans doute pas inintéressé. Nyv' reste silencieux, mais souriant, tout comme Loundor. Et Calith peut enfin s'attendrir en paix devant le tableau que forment Iezahel et un Fáelán redevenu petit garçon.

 

 

 

 

 

Les soldats quittent le salon dès la fin du repas. Calith, tout en servant trois chopes d'hydromel, déclare :

 

- On va aller parler à Florain et à Marsylia cet après-midi. Il y a plusieurs choses que j'aimerais voir avec eux.

- Mais tu ne peux pas mettre Florain face à nos soupçons, l'avertit Loundor. Nous n'avons aucune preuve, que des racontars peu fiables qui ne tiendraient pas lors d'un jugement.

- J'en suis bien conscient. Ça ne nous empêche pas de mentionner ce que nous savons, même sans l'accuser. On verra bien sa réaction.

- Il ne va pas avouer, Calith. Au contraire, si il sent que l'étau se resserre autour de lui, il risque de devenir encore plus dangereux.

- Je sais bien, Loundor, mais on est dans une impasse. On n'aura jamais de témoin pour nous rapporter les paroles qui se sont échangées dans l'écurie. Il arrive un moment où il faut prendre des risques si on veut des résultats. Et s'il s'avère que c'est bien Florain le meurtrier, s'il sait qu'on le considère comme suspect, il sera plus prudent. S'il compte tuer à nouveau, il sera méfiant.

 

Loundor grommelle entre ses dents, bien obligé de reconnaître que l'idée n'est pas si mauvaise que ça. Calith poursuit, comme si de rien n'était :

 

- Et puis, il faudrait qu'il nous dise s'il a pu récupérer la liste des voyageurs qui sont venus à l'automne. Je voudrais aussi régler l'histoire de Fáelán.

 

Iezahel redresse vivement la tête, signe qu'il écoutait bien la conversation malgré son attention rivée sur son fils. Devant ses sourcils froncés par l'incompréhension, Calith explique :

 

- Je vais faire un caprice tout royal. Tôt ou tard, sa présence ici va se savoir, et je préfère prendre les devants.

 

Malgré le petit sourire de Iezahel, impossible de rater l'inquiétude qui crispe son corps tout entier. Pour l'instant, Fáelán est en sécurité, tant qu'il est avec eux et que personne n'est au courant de sa présence ici. Mais si Marsylia s'opposait à l'achat du gamin ? Et si...

 

- Allons-y, ça ne sert à rien de ruminer ici.

 

Le sourire confiant de Calith rassure quelque peu Iezahel. Loundor est déjà levé, prêt à l'action, même s'il ne s'est pas prononcé sur la pertinence de cette décision. Calith, observant l'enfant lové dans les bras de son père, demande :

 

- Tu aurais un moyen de … euh... bloquer sa transformation ? Ils n'ont pas besoin de savoir qu'il est un loup-garou.

- Oui, je le ferai.

 

Le timbre de la voix de Iezahel est marqué par son anxiété. Dans une poignée de minutes, il saura si son fils pourra rentrer avec lui à Pieveth. Ou s'il devra le laisser ici, à la merci de Florain. Calith s'approche tranquillement de son compagnon et l'embrasse tendrement, comme pour partager sa confiance. Puis, après avoir ébouriffé le duvet noir de Fáelán, il se dirige résolument vers la porte de ses appartements.