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Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 06-01-2014 à 09:15:37

Iduvief, chapitre 26

 

 

 

 

Aussitôt, Loundor ordonne d'une voix calme et posée :

 

- Les jumeaux, vous accompagnez Nyv' et vous retrouvez Severin. Asaukin, je compte sur toi pour veiller sur le gamin. Avec Calith et Iezahel, nous nous occupons de Florain.

 

Ces ordres apaisent tout le monde, et ils s'exécutent immédiatement. Lorsque Calith, Loundor et Iezahel arrivent en vue des appartements de Marsylia, ils l'entendent hurler :

 

- Partez ! Partez ! Je ne veux plus jamais vous revoir ! Incompétent ! Bon à rien ! Vous n'êtes plus le bienvenu à Iduvief !

 

Filraen, la tête basse, mains nouées devant lui, les croise dans le couloir glacé sans les voir. La scène qu'ils découvrent, en s'avançant dans le salon, leur noue la gorge. Une poignée de garde vont et viennent dans la chambre, affolés et incapables de prendre la moindre décision. Marsylia est à genoux, secouée de sanglots frénétiques, et appelle en vain son amant. La main douce de la nourrice vient se poser sur son épaule, et elle chuchote des paroles apaisantes qui demeurent sans effet. Échevelée, Marsylia, serrant la main de Florain, sanglote des imprécations et des menaces, des suppliques et des prières dans un mélange sans queue ni tête.

Calith, ému par sa douleur, murmure :

 

- Elle doit aller se reposer.

 

Mais la nourrice a beau essayé de la faire lever, rien n'y fait. Alors Loundor, tout en délicatesse, s'approche de Marsylia et la prend dans ses bras, la soulevant du sol comme si elle ne pesait rien. Elle se débat, hurle des paroles incompréhensibles, refusant de s'éloigner de son amant. Mais Loundor tient bon, et l'emmène dans sa chambre, suivi par la nourrice.

Ce n'est qu'à ce moment-là que Calith remarque les deux enfants de Marsylia, toujours assis devant leurs assiettes à moitié pleine, les yeux écarquillés.

Agacé par les incessants va-et-viens des gardes, Calith ordonne :

 

- Il suffit. Vous deux, emmenez les enfants dans leur chambre, et trouvez quelqu'un pour rester avec eux et les rassurer. Vous deux, vous allez me chercher les esclaves qui ont servi le repas de ce soir. Toi, tu restes ici, tu t'assures que personne ne rentre, et tu éloignes les curieux. Exécution !

 

Les hommes d'arme réagissent enfin, et chacun se met en mouvement, guidé par les ordres rassurants de leur roi. Dans la chambre attenante, les hurlements de Marsylia n'ont pas cessé, mais Calith ne s'en préoccupe pas : il examine la dépouille de Florain.

Il a été empoisonné, c'est certain : il a la bouche grande ouverte, les yeux révulsés, les tâches roses autour des lèvres. Il n'est guère difficile de deviner ce qu'il s'est passé : ils étaient tous attablés quand Florain a ingéré le poison. Les convulsions l'ont fait tomber de sa chaise et il est mort sur le tapis, sous les yeux de sa maîtresse et de ses enfants. La présence de Filraen, quelques minutes plus tôt, laisse supposer que Marsylia l'a fait venir pour l'antidote. En vain. Le mage est arrivé trop tard, l'antidote était inutile. Alors Marsylia, éperdue de douleur, s'en est pris à lui, et l'a chassé du château. Et l'empoisonneur est toujours libre.

 

L'esprit de Calith tourne à plein régime tandis que Iezahel, agenouillé auprès de Florain, l'examine. Florain n'était donc pas l'assassin. Et la disparition de Severin laisse présager le pire. Est-ce que son responsable l'aurait mis en geôles, pour quelque obscure raison, malgré la protection de Calith ? Ou est-ce que Severin, après ce meurtre audacieux, se terre quelque part dans le château pour échapper à la justice ?

Loundor les rejoint, bien que les hurlements de douleur n'aient pas cessé. A grandes enjambées, il va demander au garde de faire venir Ketil, avec un calmant. Il observe la table, le corps de Florain, et demande à Iezahel :

 

- Du nimhiù ?

- C'est léger mais oui, il y a une odeur d'amande. Et une autre également, que je ne reconnais pas.

 

Tandis que le Général s'agenouille pour sentir cette odeur, Calith hasarde :

 

- C'est peut-être l'antidote. Filraen était présent, et je pense que Marsylia l'a fait venir pour qu'il sauve Florain.

- Mais c'était trop tard, déclare Loundor, impassible.

 

La porte s'ouvre, et deux esclaves s'avancent, tête baissée et visiblement nerveux. Ils demeurent immobiles, non loin du cadavre, et leurs regards restent rivés sur celui qui fut leur responsable. Calith ne peut s'empêcher de se demander si ces deux hommes d'âge avancé, aux corps secs et noueux, ne ressentent pas du soulagement, voire peut-être même de la joie, à le voir étendu au sol, mort. Si il n'était pas autant contrarié de voir que l'assassin se joue d'eux et poursuit ses meurtres malgré l'enquête en cours et leur présence, il se réjouirait, lui aussi. Si Elihus connaissait les pensées de son roi, il en ferait une crise d'apoplexie tant c'est contraire à la bienséance et à la morale. Mais Calith n'en pense pas moins : Florain était une épine dans son pied, et il est content d'en être débarrassé. Reportant son attention sur les deux asservis, il leur demande :

 

- Comment se déroule le dîner de Marsylia et Florain ?

- Ils sont toujours les premiers servis, Sire. Enfin, je veux dire, avant que vous soyez là. Mivien et moi apportons les couverts, le repas et les boissons. Nous mettons la table et faisons le service. Et ensuite, nous nous retirons pour ne pas les importuner.

- Et ensuite, vous allez servir d'autres résidents ?

- Oui Votre Altesse.

- Et comment ça se passe en cuisine ?

- Je... Comment... Je ne comprends pas, Sire.

- Vous voyez la préparation du plateau ?

- Oui Sire. Nous préparons toute la vaisselle, et un esclave nous remet les repas.

- Et vous le voyez faire ? Mettre le potage dans la soupière, par exemple.

- Nous le voyons faire, oui, Votre Altesse.

- Est-ce que vous avez remarqué quelque chose de particulier ce soir ?

- Non Sire.

- Vous ne l'avez pas vu rajouter quelque chose au plat ?

- Non Sire. Juste le potage.

 

Calith croise le regard de Loundor, inquiet. Et si c'était tout le potage qui avait été empoisonné ? Et si, derrière chaque porte de ce foutu château, les résidents gisaient au sol, assassinés ? Mais un simple coup d'œil à la table l'apaise : les assiettes sont à moitié vides, donc ils ont tous goûté au potage. Si il avait été empoisonné, il y aurait quatre cadavres au sol, et non pas un. Comme s'il avait lu dans ses pensées, Loundor se dirige vers la table et renifle les assiettes et les verres. Filraen leur a bien dit que c'était un poison inodore, mais peut-être que le flair du loup-garou permettra de le détecter. Se concentrant à nouveau sur les esclaves, il poursuit :

 

- Bien. Pour les boissons, ça se passe comment ?

- Nous les apportons en même temps, Sire. Ce sont des bouteilles de vin, parfois épicé, parfois non, ça dépend du repas.

- Et ces bouteilles ont des bouchons ?

-Non Sire. Un esclave les remplit à un tonneau, et nous les montons comme ça.

- Et ces bouteilles sont laissées sans surveillance ?

- C'est-à-dire, Sire, qu'il n'y a pas vraiment de raisons de les surveiller. Enfin, je veux dire, avant les empoisonnements. Mais de toute façon, il y a toujours beaucoup de monde quand on prépare les plateaux, parce qu'on sert tous les appartements.

- Mais vous ne faites pas attention aux gestes des autres, je me trompe ?

- Non Sire.

 

Ce n'est guère compliqué d'imaginer l'agitation qui doit régner dans les cuisines au moment des repas. Certes, pour un meurtrier voulant glisser discrètement du poison dans une bouteille de vin, cette effervescence doit compliquer les choses. A moins que, justement, chaque esclave étant pris dans ses occupations, il puisse le faire à la vue de tous sans que quiconque ne le remarque. Sauf que, comme pour le potage, il n'y a sans doute pas que Florain qui a bu du vin... Les réflexions royales sont interrompues par l'arrivée de Ketil, le visage sombre. Il marque un temps d'arrêt devant le corps sans vie de Florain, puis Loundor lui désigne la chambre, d'où se font encore entendre des lamentations déchirantes. Dès que le médecin a refermé la porte derrière lui, Calith reprend :

 

- Vous n'avez rien remarqué d'inhabituel, en faisant le service ?

- Non Sire.

- Personne qui rôde dans les couloirs alors qu'il n'a rien à y faire ?

- Non Sire.

- Vous n'avez pas laissé le plateau sans surveillance ?

- Non Sire.

- Est-ce que vous avez croisé Severin ?

- Non Sire.

- Est-ce que tout allait bien quand vous avez fait le service ? Vous avez remarqué quelque chose de particulier ?

 

Pour la première fois depuis le début de l'interrogatoire, l'esclave hésite. Il jette un regard à son compagnon, se tordant les doigts nerveusement. C'est Iezahel qui, d'une douce injonction, le pousse à déclarer :

 

- Eh bien, Marsylia n'avait pas l'air d'aller bien. Elle avait les yeux rougis et elle avait une lèvre tout gonflée, comme si elle avait été frappée.

 

Calith hausse un sourcil. Il ne s'en est pas rendu compte, tout à l'heure, mais vu les circonstances... Loundor hoche doucement la tête, confirmant les dires de l'esclave. Il en parlera sans doute plus en détails lorsqu'ils seront seuls. Calith continue donc ses questions :

 

- Personne n'en a fait mention, je suppose ?

- Non Sire. Rien du tout. Nous avons fait comme si de rien n'était.

- Bien sûr. Quand vous les avez quitté, ils étaient seuls dans les appartements ?

- Oui Sire.

- Est-ce que quelqu'un aurait pu venir ensuite ?

- Peut-être. Mais on a pour ordre de ne pas les déranger lorsqu'ils prennent leurs repas.

 

Après un échange de regards avec Loundor et Iezahel, Calith conclut :

 

- Très bien, je pense que ça sera tout pour le moment. Merci.

 

Les deux esclaves s'inclinent respectueusement et quittent les appartements sans un mot. Comme s'il avait attendu ce moment, Ketil sort de la chambre et se répand en salutations obséquieuses. Calith, agacé par le petit vieillard, le coupe sèchement :

 

- Comment va-t-elle ?

- Mal. Elle est folle de douleur. Je lui ai donné un calmant puissant, qui va la faire dormir toute la nuit. Thilda va la veiller. Je reviendrai demain matin.

 

Calith hoche doucement la tête : c'était évident qu'ils ne pourraient pas l'interroger ce soir. Un nouveau regard avec Iezahel et Loundor lui apprend qu'ils ont vu tout ce qu'il y avait à voir. Alors il déclare :

 

- Ketil, je vous laisse vous charger de Florain. A demain.

 

Et il sort, faisant la sourde oreille aux paroles mielleuses du médecin. Réfugiés au salon des appartements de Calith, où les attendent le potage et la table mise, ils s'installent dans les fauteuils, une chope de vin chaud entre les mains. Les mines sont soucieuses. C'est Loundor qui, en premier, partage ses impressions :

 

- Bon. Dommage. C'était pas Florain l'assassin.

- Moui, bougonne Calith. Si ça se trouve, il s'est empoisonné tout seul, rien que pour nous casser les pieds et nous faire chercher indéfiniment un meurtrier qui n'existe plus.

- Mais ça ne collerait pas, rétorque Loundor, imperméable à l'humour. Le meurtrier choisit ses victimes, il a des raisons de tuer telle personne et pas telle autre. Il a un but, et ce serait stupide de se suicider alors qu'il est sur le point de les atteindre. D'autant que nous n'étions pas près de le coincer.

 

Iezahel fait un clin d'œil à Calith, ayant parfaitement saisi sa plaisanterie. Mais le léger sourire sur ses lèvres disparaît quand il déclare :

 

- Ce qui m'inquiète le plus, c'est la disparition de Severin. Nyv' ne serait pas du genre à crier au loup sans s'être assuré que c'en est bien un. Il a dû longuement chercher l'esclave avant de nous parler de disparition. Or Severin est obligé d'être disponible à tout moment. Il y a les esclaves, les gardes, les domestiques. Si personne ne l'a vu, c'est qu'il ne veut pas être vu. Et ça, c'est plutôt inquiétant à mon avis.

- J'avoue que ça m'inquiète également, admet Calith. Soit il se cache, soit Florain a encore manigancé quelque chose. J'espère juste qu'il ne l'a pas surpris en train d'interroger les esclaves à propos de sa présence dans les écuries.

 

Bien malgré lui, Calith frissonne à cette simple idée. Vu le manque de respect dont il faisait preuve, il ne serait guère étonnant que Florain ait fait arrêter Severin sans en parler au roi. C'est Loundor qui se résigne à envisager le pire, en laissant échapper :

 

- Sauf si c'est lui le tueur. Il va de partout, sans se faire remarquer. Il aurait d'excellentes raisons de tuer Égeas, Florain. Et pourquoi pas le chef cuisinier, après tout ? Quant au mari de Marsylia, on ignore comment il se comportait avec Severin...

- Mais pas Artéus. Quand il nous en a parlé, il avait l'air vraiment affecté par sa mort.

- Je sais bien... J'apprécie cet esclave, ne croyez pas le contraire, mais qu'il disparaisse comme ça au moment de l'assassinat de Florain est très suspect. Déjà, rien ne nous prouve que Artéus ait réellement été assassiné. C'était peut-être simplement une mauvaise grippe. Et qui sait, nous avons peut-être affaire à deux tueurs. L'un tue les trois premières victimes, et Severin, inspiré, tue Égeas et Florain.

 

Calith lâche un long soupir. Il n'avait pas envisagé cette possibilité, et même si elle semble tirée par les cheveux, ils ne peuvent pas l'exclure totalement. Iezahel, semblant peu enthousiaste à l'idée de se triturer les méninges avec cette nouvelle hypothèse, dit dans un haussement d'épaules :

 

- Il ne peut pas aller bien loin, de toute façon. Le temps l'empêche de fuir le château, et les gardes ne manqueraient pas de l'arrêter si il tentait quand même de le faire. Il est forcément quelque part ici, et nous finirons fatalement par le retrouver. A ce moment-là seulement, on pourra savoir ce qu'il en est vraiment.

- Tiens, d'ailleurs, Loundor. On ne pourra savoir ce qu'il s'est réellement passé qu'en parlant avec Marsylia, mais tu confirmes l'avoir vue avec des traces de coups ?

- Oui, sans aucun doute possible. Elle avait une lèvre gonflée, qui virait au violet. Et autour de son poignet, des marques très visibles, d'un bleu sombre. C'était clairement quelqu'un qui l'avait retenu par le poignet avec énormément de force.

- Florain ?

- Je ne vois pas qui d'autre aurait osé poser la main sur elle. Nous lui demanderons demain ce qu'il s'est passé. Et elle n'aura pas intérêt à nous mentir.

 

Le silence retombe après cette menace à peine voilée. Le témoignage de Marsylia demain sera capital. Tant qu'ils ne lui auront pas parlé, et qu'ils n'auront pas retrouvé Severin, ils ne peuvent que faire des hypothèses.

 

 

 

 

 

Après quelques coups frappés à la porte, Nyv' et les jumeaux s'avancent dans le salon. L'éclaireur est pâle comme un linge, et il se laisse choir sur une chaise sans même avoir salué son roi ou son Général. Les jumeaux se postent de part et d'autre de la chaise, et ils posent une main sur son épaule. Nyv' est visiblement trop secoué pour parler, alors Ishran, ou peut-être Shorys, annonce :

 

- Nous n'avons trouvé aucune trace de Severin. Nous avons fouillé les dépendances de chaque étage, le rez-de-chaussé, et même les écuries. Rien.

- Vous êtes allez voir dans les geôles ?

- Oui. Nous les avons toutes vérifiées. Aucune trace de lui. Nous avons fait le caveau, la réserve et la cave également. Mais rien du tout.

- Le bureau d'Égeas ?

- Fait également.

 

Le silence retombe dans la pièce, lourd et oppressant. Loundor demande, par acquit de conscience :

 

- Vous avez interrogé esclaves et gardes ?

- Oui mon Général. Ils ne l'ont pas vu.

 

Le jumeau semble hésiter, et c'est l'autre qui, finalement, laisse échapper :

 

- On a pensé que les deux évènements étaient liés. Mais quand on a demandé aux gens, ils disaient tous qu'ils ne l'avaient pas vu depuis un sacré moment.

- Un sacré moment ? Demande Loundor.

- Au moins depuis le matin, peut-être même depuis hier au soir.

- Et personne ne l'a vu cet après-midi, par exemple ?

- Non Sire. Enfin, c'est ce qu'ils disent...

- Bon, soupire Loundor. Dites aux esclaves d'ouvrir l'œil : Severin va forcément avoir besoin de manger et de boire. Il devra quitter son repaire.

 

La nuit est tombée depuis longtemps, et le potage a refroidi dans sa soupière. Les deux loups-garous se contentent du pain et de la terrine, mais les humains n'ont pas faim : les évènements de la soirée leur ont coupé l'appétit. Et puis, le poids de la fatigue se fait sentir pour tous. Calith, après avoir jeté un regard peiné à Nyv', déclare :

 

- Faites passer le mot aux esclaves, et allez vous reposer. On en a tous besoin. On se retrouve ici à l'aube demain.

 

Nyv' s'est un peu remis de ses émotions, mais il lui faut l'aide des jumeaux pour se relever. Ils décident, après en avoir référé à Loundor, que Nyv' dormira avec l'un des deux pendant que l'autre prendra son tour de garde devant la porte. Asaukin se retire, suivi par Loundor, laissant les deux compagnons seuls.




D'un même mouvement, sans se concerter, ils regagnent la chambre. Le louveteau n'est plus sur le lit, et ils le cherchent un moment, le ventre noué par l'angoisse, avant de découvrir le petit garçon endormi sur la pile de serviettes dans la salle d'eau. Tout en douceur, Iezahel l'installe dans la cuvette de la veille et le couvre soigneusement, avant de l'installer sur un banc dans la chambre.

Puis, après avoir plié soigneusement sa tenue, va s'allonger nu dans le lit. Calith le regarde avec une lueur d'envie, mais il lui dit :

 

-Tu devrais passer au moins un pantalon. Si le petit nous rejoint dans la nuit...

 

Calith lui lance l'un des siens, qu'il a porté pendant le voyage et qui a été nettoyé, et va le rejoindre sous l'édredon. Allongé sur le dos, il fixe un instant le plafond aux poutres apparentes, perdu dans ses pensées. Quand son amant a fini de se contorsionner à ses côtés, il bascule sur le flanc, l'observe un instant, avant de murmurer :

 

-Iezahel...

 

Il n'a pas besoin de quémander un câlin. Iezahel se rapproche et le serre contre lui, caressant doucement ses épaules nouées et sa nuque, déposant de légers baisers sur sa tempe. Les yeux mi-clos de plaisir, Calith se laisse faire, savourant la chaleur de son corps, la douceur de sa peau et son parfum.

 

- Ça ne va pas ?

- Hum.

 

Avec délicatesse, Iezahel le renverse sur le dos, et se love contre lui. Ses mains puissantes parcourent son torse à travers la chemise, ses lèvres butinent sa peau, et dans un chuchotement, il insiste :

 

- Quel est le problème ?

- Florain.

 

Les mains s'immobilisent. Iezahel redresse la tête et la lumière vacillante des chandelles révèle l'inquiétude sur son visage. D'une voix hésitante, il dit :

 

- Il est mort, il ne pourra plus nous nuire.

- Je sais bien...

- Mais ?

- Mais j'ai cru qu'on avait trouvé le meurtrier. Qu'il ne nous restait plus qu'à trouver les preuves, et on aurait pu rentrer à Pieveth. Là, il va falloir tout recommencer, chercher ailleurs, interroger encore plein de personnes.

- L'étau se resserre, j'en suis convaincu.

 

Iezahel souffle les chandelles, et se rapproche à nouveau de son amant, caressant doucement sa gorge et ses joues. Calith, bercé par cette tendresse, murmure :

 

- Je voudrais tant que cette affaire soit réglée...

- On va la résoudre. Et puis, l'essentiel, c'est qu'on puisse être ensemble, non ? Tant que je suis contre toi, je me moque d'être à Pieveth, à Iduvief, ou au fin fond de nulle part.

 

Comme pour souligner ses propos, la main de Iezahel se glisse sous la chemise de Calith et effleure son flanc. Calith frissonne, laisse échapper un soupir de bien-être avant de marmonner :

 

- C'est déloyal. Comment veux-tu que je te contredise si tu utilises ces arguments ?

- Tu n'es pas obligé de me contredire, tu sais. Tu peux juste me répondre que j'ai raison, et que tu m'aimes, et que tu as envie de me faire l'amour.

 

Calith éclate d'un rire étouffé et l'embrasse fougueusement. Ses mains remontent, dans une longue caresse, le dos musclé de Iezahel, puis vont effleurer ses flancs, tandis que leurs lèvres se soudent dans un doux baiser. Avec beaucoup de tendresse, très lentement, ils s'étreignent jusqu'à ce qu'une vague de plaisir célèbre leur amour. Les mots sont superflus ensuite, et ils s'endorment, blottis l'un contre l'autre.

 

 

 

 

 

L'aube les découvre lovés l'un contre l'autre, les membres entremêlés. Ils ne dorment plus, un cauchemar de Iezahel les a réveillé et ils n'ont pu retrouver le sommeil. Mais ils demeurent sous l'édredon, dans la douce chaleur, à se chuchoter parfois des mots doux, sans bouger, juste à savourer la présence de l'autre. Fáelán les a rejoint et termine sa nuit blotti contre son père.

 

Les échos de l'activité dans le salon les poussent hors du lit. Ils se préparent rapidement, et rejoignent Loundor et ses hommes dans le salon, autour de la table. Seul Nyv' manque à l'appel, et l'un des jumeaux leur apprend qu'il est parti très tôt à la recherche d'informations concernant Severin. Le petit-déjeuner a du mal à passer, pour Calith. S'il n'avait pas encouragé le rapprochement entre l'éclaireur et l'esclave, Nyv' ne vivrait pas d'heures aussi sombres en ce moment même.

 

Les mines sont graves et l'ambiance morose. Les rares paroles sont échangées à voix basse, et les conversations meurent presque aussitôt après avoir été lancées. Ils expédient le petit-déjeuner, puis l'un des jumeaux retourne en cuisine tandis que l'autre part à la recherche de Nyv'. Fáelán reste dans les appartements, surveillé par Asaukin.

 

Calith, Loundor et Iezahel commencent par rendre visite à Filraen, sur l'impulsion du roi. Lorsqu'ils arrivent devant son antre, deux gardes à la mine peu engageante pressent le mage de se dépêcher à quitter les lieux. Oubliée, la pièce chaleureuse et accueillante : les étagères sont vides, l'écritoire vierge de tout parchemin et le lit, nu. Filraen s'agite, marmonnant entre ses dents, forçant sur sa besace en cuir pour y faire rentrer tous ses vêtements.

 

A la vue de leur souverain, les deux gardes s'écartent prudemment, après l'avoir salué comme il se doit. Filraen se redresse en les voyant rentrer, et leur offre un sourire navré :

 

- L'heure des adieux est arrivée plus vite que prévu, semble-t-il. Je suis désolé, je ne peux rien vous offrir à boire.

- Nous ne venions pas pour ça, de toute façon, répond Calith, d'une voix douce.

- Oh. Oui, bien sûr. Je suppose que vous avez appris pour hier.

- Nous vous avons croisé dans les couloirs, en effet. Et nous avons entendu les paroles de Marsylia.

 

Le mage leur jette un regard désemparé, visiblement très ému de quitter Iduvief. Il passe une main dans ses longs cheveux bruns et murmure :

 

- Je ne vous ai pas vu, hier, désolé. J'étais comme qui dirait perturbé.

- Vous avez essayé de sauver Florain, n'est-ce pas ?

- Oui. Elle m'a fait appeler immédiatement, mais le temps que j'arrive, c'était trop tard. Il vivait encore, mais le poison avait fait son office. Plus rien ne pouvait le sauver.

- Vous avez croisé quelqu'un, en allant dans les appartements ?

- Non, personne d'autre que les gardes affolés.

- Florain a-t-il pu vous dire quelque chose ?

- Rien du tout. Il était à l'agonie. Marsylia me harcelait pour que je le sauve mais... Ce genre de poison est redoutable, et trop de temps s'était écoulé...

- Et vous avez croisé Severin récemment ?

 

Filraen fronce les sourcils, et fixe son roi, intrigué. Calith esquisse un sourire forcé, attendant une réponse, tandis que Loundor et Iezahel, debout derrière lui, demeurent immobiles. Finalement, le mage, après un moment de réflexion, déclare :

 

- Ça fait plusieurs jours que je ne l'ai pas vu. Mais ce n'est pas bien rare, vous savez, il a tellement à faire qu'il n'a pas souvent le temps de venir me rendre visite. Et maintenant … eh bien, j'espère qu'il poursuivra son bonhomme de chemin sans trop de heurts. Enfin, je suppose qu'avec la mort de Florain, il courra moins de risques.

 

Calith acquiesce lentement, sans lui annoncer la disparition de Severin. Le départ de Filraen est imminent et il serait bien cruel de lui infliger un tel souci alors qu'il ne peut rien y faire. Il poursuit donc en suggérant :

 

- Nous pourrions essayer de convaincre Marsylia de revenir sur sa décision vous concernant.

 

Le regard doux du mage se fixe dans celui de Calith, et après quelques secondes d'hésitation, il murmure :

 

- C'est gentil, mais inutile. Elle ne reviendra pas sur sa décision. Et quand bien même elle le ferait, je resterai pour toujours celui qui n'a pas pu sauver Florain. Je savais qu'elle allait finir par me chasser du château, je ne pensais pas ce que serait aussi vite, mais qu'importe. Je ne suis pas apprécié ici, personne ne se soucie de ce que je peux apporter. Mon départ ne sera déploré que par les esclaves, mais je ne peux pas affronter l'hostilité de Marsylia et des résidents du château pour eux. Ne vous méprenez pas, ça me fend le cœur de les laisser. Mais... c'est un signe du destin. Il est temps que je reprenne ma vie en main, que je reparte sur les routes.

- En direction de Pieveth, j'espère.

 

Impossible de manquer le sourire de soulagement qui nait sur les lèvres du mage. Passant d'une jambe sur l'autre, il répond avec chaleur :

 

- Votre proposition m'honore, Votre Majesté. Je profiterai du voyage pour offrir mes capacités à ceux qui en ont besoin. Et je me rendrai à Pieveth pour me mettre à votre service.

- Nous ignorons quand nous pourrons rentrer, de toute façon. Nous devons résoudre cette affaire, et ça peut prendre encore beaucoup de temps. Profitez de votre liberté pour voyager, Filraen. Je n'exige pas votre présence au château dans les plus brefs délais, je veux juste que vous sachiez qu'il existe un endroit où vous serez le bienvenu.

 

Les mots lui manquent, à Filraen, pour exprimer toute sa gratitude. Il se contente donc de s'incliner bien bas, les joues roses et les yeux embrumés d'émotion. Ils ont encore beaucoup à faire, et la quasi-certitude qu'ils reverront le mage. Alors Calith lui serre la main et déclare :

 

- Faites une bonne route, et soyez prudent. Je vous dis à très bientôt.

- A bientôt, Votre Altesse. Et merci. Merci beaucoup.

 

Iezahel et Loundor ne font aucun commentaire, lorsqu'ils s'engagent dans les couloirs glacés en direction des appartements de Marsylia. Calith sait bien qu'ils n'ont pas réellement besoin de mage à Pieveth, ils ont un excellent médecin, une armée redoutable, et puis, lui, il est là. Mais ses deux compagnons n'ont aucune raison de remettre en cause sa décision : eux aussi apprécient Filraen.

Alors qu'ils jettent un regard torve à travers la fenêtre du palier, qui laisse voir de fins flocons qui tombent lentement, des bruits de pas dans les escaliers les font se retourner. Nyv', escorté par l'un des jumeaux, monte laborieusement, le visage défait. Il les salue d'une voix blanche, avant de leur demander s'ils peuvent parler à l'abri des oreilles indiscrètes. Calith les conduit alors dans ses appartements, où ils s'installent autour de la table du salon. Devant l'air hagard de l'éclaireur, Iezahel va chercher une bouteille de vin, qu'il répartit dans des chopes avant de les servir. Après avoir avalé une grande lampée d'alcool, Nyv' leur apprend :

 

- J'ai réussi à découvrir la vérité. J'ai d'abord cru que... Enfin, Florain a été assassiné, tous les esclaves ou presque le détestaient. L'absence de Severin à nos petits cours de raquettes laissait à penser qu'il était lié de près à ce meurtre. Et j'ai pensé que les esclaves étaient au courant, et le couvraient en déclarant qu'ils ne l'avaient presque pas vu de la journée, hier. Même en insistant et en me montrant compatissant, ils n'ont pas changé leur version. Ils soutenaient qu'ils ne l'avaient pas vu de la journée. Ce matin, j'ai fouillé le château, interrogé esclaves et gardes. Et l'un d'eux a parlé.

 

Nyv' frissonne, reprend une gorgée de vin, s'agite sur sa chaise en repensant à cette discussion, tandis que les autres attendent patiemment la suite. Finalement, après avoir pris une profonde inspiration, il déclare :

 

- Severin a quitté Iduvief.