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Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 17-01-2014 à 19:45:02

Iduvief, chapitre 30

 

 

 

 

 

 

Le mage retrouve aussitôt son sérieux, et lui demande d'une voix pressante :

 

- Vous n'avez pas pu arrêter le meurtrier ?

- Si. C'est Thilda qui les a tous empoisonnés mais …

 

Un gémissement s'échappe des lèvres du mage, que Calith comprend aussitôt : Filraen avait sans doute dû se prendre d'affection pour la vieille nourrice et connaissant son grand cœur... Mais Calith poursuit d'une voix ferme :

 

- Nous y reviendrons plus tard, nous avons un détail à voir avec vous. Bref. C'est à propos de Severin.

- Severin ?

- Oui. Il n'y a pas vraiment de solution douce pour annoncer ce genre de chose alors... Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais il a été banni d'Iduvief. Et même si nous n'avons pas retrouvé son corps, nous sommes quasiment certains qu'il est décédé.

- Oh. Je cherchais à le voir, avant de quitter le château, mais les esclaves ignoraient où il était. C'est étrange, qu'il ait été banni. Par Florain, je suppose ? Je me demande bien pour quelle raison il a osé faire une telle chose...

- Filraen ?

 

Calith observe le mage, inquiet : il connait bien l'attachement qui le liait à l'esclave, et sa réaction est étrange. A-t-il vraiment compris la dernière phrase de Calith ? Filraen secoue doucement la tête, l'air désolé, et murmure :

 

- Excusez-moi, je m'égare. Venez, venez.

 

D'un grand geste de la main, il les invite à le suivre jusqu'au fond des écuries, et tous s'exécutent, perplexes. Dans un silence complet, où de nombreux échanges de regard incrédules ont lieu, ils empruntent un vieil escalier bringuebalant qui mène dans juste au-dessus des stalles, visibles entre les lattes disjointes du plancher. Là, le maquignon a installé deux petites pièces, sans doute destinées à recevoir des voyageurs pour la nuit. Calith, malgré la situation, ne peut retenir un sourire crispé : si Lucias fait payer ces chambres basses de plafond, il risque d'avoir toute la congrégation d'aubergistes sur le dos.

 

Mais ce genre de préoccupation ne fait pas long feu. Le mage ne les a pas conduit dans la petite chambre, où ils se tassent tant bien que mal, pour discuter tranquillement. D'un geste mal assuré, Filraen leur montre le lit. Severin y gît, enfoui sous les couvertures. D'une pâleur mortelle, rigide, il donne tellement l'impression d'être trépassé que Calith se demande, l'espace d'un instant, à quoi servent les couvertures : un mort n'a plus froid. Mais dans un murmure à peine audible, Filraen lui fournit l'explication :

 

- J'ignore s'il va s'en sortir.

 

Nyv' laisse échapper une plainte étouffée, et se précipite vers le lit, où il tombe à genoux. Calith, d'un geste de la tête, fait sortir tout le monde. Nyv' a besoin de se retrouver seul avec Severin. Ils trouvent refuge dans la seconde chambre, et s'installent comme ils peuvent, malgré l'étroitesse des lieux. Ils posent leurs capes, s'installent sur le lit ou sur le banc, voire restent debout. Calith aide Iezahel à défaire l'étoffe qui portait Fáelán. Le gamin ne s'est pas ennuyé, pendant le trajet, et c'est tout une partie de l'unique chemise de Iezahel qui a été mordillée avec application.

 

Mais ce détail n'a pas grande importance, et tous les regards sont rivés sur le mage qui, mal à l'aise, debout au milieu de tout le monde, commence à expliquer à voix basse :

 

- J'ai quitté le château hier matin, peu après votre visite. Je ne trouvais pas Severin, et ça m'inquiétait un peu, mais les gardes ne pouvaient pas me laisser rester plus longtemps. Alors j'ai pris la route, en me disant que bon, je pourrais toujours lui envoyer un petit mot. En soudoyant un messager, j'aurais réussi à lui...

 

Le grondement impatient de Loundor le fait sursauter et il s'excuse dans un balbutiement, avant de reprendre :

 

- Je connaissais l'existence de ce relais, et j'avais bien l'intention de louer un cheval. J'ai discuté un peu avec Lucias, et lorsqu'il a appris que j'étais mage, il m'a demandé de jeter un œil à Severin. Il m'a expliqué qu'un voyageur l'avait trouvé, à moitié mort, la veille, à la bifurcation, et qu'il lui avait amené. Le voyageur ne pouvait pas s'encombrer d'un esclave agonisant, bien sûr, mais il n'avait pas le cœur à le laisser mourir là. Un homme bon, assurément. Alors il l'a confié à Lucias, le temps qu'il se remette. Mais Lucias était bien embêté, car malgré les bouillons qu'il lui avait fait boire, et les couvertures dans lesquelles il l'avait installé, Severin ne reprenait pas conscience.

 

Filraen passe une main dans ses longs cheveux, achevant de les rendre hirsute. Calith reste muet, se demandant si l'hospitalité de Lucias ne cacherait pas des motivations bien moins avouables. Pour quelle raison aurait-il accepté la présence d'un esclave ? L'aurait-il laissé repartir, ensuite ou l'aurait-il fait travailler avec lui ? Filraen, inconscient du trouble de son souverain et lâche dans un soupir désespéré :

 

- Les bouillons n'auraient rien fait. Il souffre d'engelures aux pieds et aux mains. Il a beaucoup de mal à se réchauffer, malgré les couvertures et les pierres chaudes dans le lit. Sa respiration est très laborieuse et il a du mal à garder la nourriture qu'on lui fait avaler. Je ne voulais pas en parler devant, au cas où il entendrait, mais son état est vraiment très préoccupant.

 

Ils étaient tous heureux et soulagés de découvrir Severin encore vivant, mais ces nouvelles balayent tout optimisme. Et Filraen, dans son souci de tout leur annoncer, achève de les démoraliser :

 

- S'il avait été en parfaite condition physique, il n'aurait pas autant souffert. J'ignore combien de temps il est resté dehors, mais c'était trop. J'ai lancé de nombreux sorts de soins, j'ai utilisé une bonne partie de mes remèdes, mais … j'ignore si ça suffira. Il n'a toujours pas repris connaissance depuis son arrivée ici.

 

Loundor résume, en quelques phrases concises, le bannissement de Severin, dans la soirée, les raisons d'une telle décision, ainsi que les conditions dans lesquelles il a voyagé. Filraen en reste sans voix, mais tout son corps se met à trembler, et ses yeux marrons brillent d'une lueur mauvaise. Il laisse échapper, dans un chuchotement frémissant de colère, un « Florain a de la chance d'être déjà mort », avant de se reprendre et de toussoter. Il semble réellement gêné de s'être oublié de la sorte, et cherche désespérément un autre sujet de conversation. A tel point qu'il se tourne vers Calith et lui demande :

 

- Vous êtes mage, vous aussi, vous ne voudriez pas me donner un coup de main pour le soigner ?

 

Tous les regards se rivent sur Calith, qui se tasse sur lui-même. Il est mage, certes, mais pas guérisseur.

La magie est, en quelque sorte, la capacité à se faire obéir des choses. Certains possèdent, dans ce domaine, des volontés plus ou moins fortes. Voinon, par un heureux hasard, en possède juste assez pour les menues tâches qui lui sont confiées. Calith, lui, doit ses dons à son hérédité royale.

 

Dès son plus jeune âge, Calith a appris à faire plier le fer, le bois, l'air à sa volonté, grâce aux incantations adéquates. En fonction des ordres formulés, l'énergie nécessaire est différente, et il est bien plus aisé d'ordonner à une serrure de rester close que de créer des bulles d'air et de les embraser. Il ne s'en sert finalement que très peu, surtout parce que le royaume est en temps de paix. Et parce qu'il se considère bien plus guerrier que mage.

Les guérisseurs utilisent eux aussi la magie, mais c'est le corps, qu'ils plient à leur volonté. Ils ordonnent aux tissus de cicatriser plus vite, ils … Bon, Calith n'a jamais été réellement intéressé par cette magie, et il sait juste que les mages guérisseurs bidouillent le corps pour accélérer la guérison.

 

La vérité, c'est que cette magie lui fait peur. Parce qu'il suffit de bidouiller la mauvaise chose pour que le patient trépasse au lieu de se relever. Et comme l'avait très justement souligné Filraen, le corps humain est très complexe, et on a tôt fait de bidouiller la mauvaise chose.

Calith se contente juste de soigner les petites plaies, les problèmes superficiels qui ne risquent pas de dégénérer si il se trompe. Le genre de choses qui n'aurait même pas besoin de magie pour guérir tout seul.

Que le mage réclame un coup de main n'est guère surprenant : il a utilisé bien des sorts, déjà et notamment pour soigner le poney rose, sans doute incapable de refuser d'aider le maquignon. Et ce fameux poney rose l'inquiète quand même un peu. Filraen était apprécié des esclaves, car il soignait les petites blessures quand personne ne voulait se donner la peine de le faire. Mais est-il réellement compétent pour soigner des cas si graves ?

 

Il a dû lancer les sorts les plus courants et au bout d'un moment, voyant que ça ne fonctionnait pas, s'est retrouvé le bec dans l'eau, trop faible pour utiliser un sort plus puissant. A-t-il manqué de clairvoyance, lui qui n'est pas habitué à guérir ce genre de maux ? Espère-t-il trouver en Calith un mage plus apte à soigner ? À moins que, obnubilé par l'idée de sauver l'esclave, il ne veuille déployer la grande artillerie, à grand renfort de sorts puissants et gourmands en énergie, oubliant que le temps joue un rôle essentiel dans la guérison.

 

Les regards rivés sur lui, le silence oppressant, tout met Calith mal à l'aise : ils doivent penser qu'il aidera Filraen à sauver Severin. Sauf qu'il est absolument hors de question de bidouiller le corps de Severin au risque de l'achever. Mais jamais il n'admettra qu'il est incapable de guérir l'esclave, alors il esquisse un sourire et déclare :

 

- Je vais vous transmettre une partie de mon énergie.

 

Filraen hoche doucement la tête, souriant à son tour. Il en a dépensé énormément en essayant de sauver Severin, puis en voulant soigner le poney pour rendre service à Lucias. Alors un peu d'énergie royale n'est pas de refus.

Ils se dirigent tous les deux dans la chambre de Severin, où Nyv', toujours vêtu de sa cape, embrasse le poignet de l'esclave en psalmodiant des suppliques, des sanglots dans la voix. Il se décale juste assez pour laisser place et caresse désormais le front glacé de l'esclave. Main dans la main, Filraen et Calith s'agenouillent auprès du convalescent. A l'aide de l'incantation appropriée, Calith transforme son énergie en flux et la transmet à Filraen via leurs mains. Et pendant ce temps, le guérisseur murmure l'incantation de soin puissante qui permettra peut-être de ramener Severin parmi les vivants. Après de longues minutes, ils s'écartent, épuisés, et se laissent tomber sur le banc qui meuble la chambre. L'effet n'est pas immédiat, ils le savent tous les deux, mais ils observent avec la plus grande attention les réactions de l'esclave. Ou plutôt, l'absence de réaction de l'esclave.

 

 

 

 

Finalement, c'est Iezahel qui pénètre dans la chambre et les tire de leur vaine contemplation. Voyant l'état d'épuisement de son compagnon, indifférent à celui du mage, il se précipite vers lui et lui attrape les mains, scrutant son visage avec inquiétude. Et dans un chuchotement pressant, il lui demande :

 

- Prends mon énergie. Si tu peux en donner, tu peux en prendre.

- C'est bon, Iezahel, ça va aller. Je vais juste me reposer.

- Prends mon énergie, s'il te plait.

 

Calith plonge son regard dans les obsidiennes brûlantes de détermination. L'échange d'énergie est un acte très intime et il n'est pas convaincu que ce soit absolument nécessaire. Ils sont en sécurité ici, au chaud. Mais Calith n'aime pas se sentir aussi faible. Il se sent vidé et vulnérable. Ses lèvres murmurent l'incantation, et une sensation totalement inédite l'envahit. Il avait déjà procédé à ce genre d'échange, lorsqu'il apprenait la magie, mais il n'avait pas ressenti une telle chose.

 

Une vague de chaleur et de bien-être remonte lentement dans ses bras, puis se diffuse dans tout son corps. Il frémit, soupire, et savoure. Car après des semaines de tension et de fatigue, il se sent à nouveau serein, débordant de vitalité et d'énergie. Une énergie brute, sauvage, animale, qui n'a rien à voir avec la sienne. Lorsque cette vague s'apaise, il se sent incroyablement bien, prêt à mordre la vie à pleines dents, à gravir des montagnes, prêt à combattre cent ennemis ou à escalader la Falaise qui les sépare de Fargues. Iezahel n'a pas flanché, comme si rien ne s'était passé. Calith se relève d'un bond, et ordonne :

 

- Filraen, reposez-vous. Nyv', tu veilleras sur Severin. S'il revient à lui, réveille Filraen.

 

Calith attrape Iezahel par la main, quitte la chambre, s'arrête devant l'autre pour prévenir Loundor et ses hommes qu'ils s'absentent une petite heure et qu'ils ne doivent pas s'inquiéter. Puis il descend l'escalier vétuste, Iezahel, muet, sur ses talons, et l'entraîne dans la grange, où sont stockées les réserves de paille et de foin.

 

- Mais qu'est-ce que tu...

- J'ai toujours eu envie de faire l'amour dans le foin !

- Mais...

 

Calith l'interrompt d'un baiser sauvage puis, sans lui laisser le temps d'en profiter, le tire jusqu'à un coin reculé, à l'abri de tout regard, où le foin en vrac n'attend plus qu'eux. Là, avec frénésie, il enlève la chemise mâchouillée de Iezahel, puis dénoue les liens de son pantalon, qu'il fait glisser à ses chevilles.

 

- Calith, ça ne va pas...

 

Mais d'un geste rapide, les mains sur le torse, Calith le pousse en arrière, et le pantalon aux chevilles fait chuter Iezahel dans le foin. Le roi retire alors ses vêtements avec fébrilité, et se jette sur son compagnon, qui encaisse le choc dans une exclamation étouffée. Il entreprend alors de parcourir avidement de baisers son visage, les parties visibles de sa gorge, le haut de son torse. Avec voracité, il embrasse, mordille, lèche chaque centimètre de peau, gémissant de plaisir. Ses hanches ondulent sauvagement contre le bas-ventre de Iezahel, et ses mains le caressent sans douceur. Mais Iezahel gigote sous lui et bougonne :

 

- Arrête Calith, ça gratte.

- Petite nature. Laisse-toi faire.

- C'est très désagréable, Calith.

 

Calith, douché par cette déclaration, se redresse et plonge son regard rempli d'incompréhension dans celui de son compagnon. Après un court conciliabule, ils décident d'inverser les places, et c'est donc Calith qui se retrouve, nu, allongé sur le dos au milieu du foin. Et il ne lui faut qu'une poignée de minutes pour réaliser que le foin lui pique la peau et le démange terriblement.

Iezahel éclate de rire en voyant son air dépité, et lui tend la main pour l'aider à se relever. D'une petite voix plaintive, Calith gémit :

 

- Mais je voulais te faire l'amour, moi.

- C'est ce que j'avais cru comprendre, oui.

 

Après un instant de réflexion, Iezahel se lève et va chercher les vêtements éparpillés dans le foin, qu'il secoue vigoureusement pour ôter tout brindille. Puis il les étale au sol, et dans un sourire, il dit à Calith :

 

- Assieds-toi la-dessus.

 

Calith, perplexe, obtempère, conscient que Iezahel semble avoir autant envie que lui et confiant en ses capacités d'adaptation. Un sourire joueur sur le visage, Iezahel lui demande de plier les genoux, puis il enjambe son compagnon pour venir se caler entre ses jambes et son torse. Dans cette position propice aux caresses, Calith se retrouve limité dans ses mouvements et ça ne lui plaît guère. Alors, très vite, il ordonne à Iezahel de se mettre à genoux, et il le pilonne sauvagement par-derrière, donnant libre cours à son énergie bestiale. Et lorsqu'il jouit enfin, c'est une explosion de sensations qui retentit en lui, comme il ne l'avait jamais connu.

 

Son souffle retrouvé, son esprit de retour à la réalité, il reprend la position conseillée par Iezahel, et l'invite à le rejoindre. Avec tendresse, il le caresse et l'embrasse pendant de longues minutes, priant pour que Iezahel ne lui tienne pas rigueur de son manque de considération antérieur. Et alors que Iezahel enfoui son visage dans son cou, Calith murmure :

 

-Désolé, j'ai été un peu brusque, je ne sais pas ce qui m'a pris.

- C'est mon énergie. C'est normal.

- Parce que tu es un loup-garou ?

- Oui. Tes instincts humains ont été parasités par ceux du loup.

- Mais toi, tu ressens continuellement cette... frénésie ?

- Si je l'écoutais, je pense, oui. Mais il y a un loup tapi au fond de moi, donc je me contrôle en permanence. Alors je suis rarement aussi … sauvage.

- Je ne t'ai pas fait mal, au moins ?

- Non. Ne t'inquiète pas, Calith. J'aime bien aussi, parfois, ce genre de choses.

- Mais tu préfères la tendresse, n'est-ce pas ?

 

Les lèvres contre son cou, Iezahel laisse échapper un grognement étouffé, que Calith interprète comme une réponse affirmative. Gêné, il serre son amant plus fort contre lui, sans piper mot. Et dans un chuchotement rauque, Iezahel déclare :

 

- J'ai pris du plaisir, moi aussi, tu sais. Je me dis que, de temps en temps, ça pourrait être bien de pimenter nos rapports avec un échange d'énergie.

- Tu es sérieux ?

- Parfaitement !

 

Iezahel se redresse légèrement, et son regard sincère se plante dans les iris verts de son compagnon. Un petit sourire apparaît sur leurs lèvres, avant qu'ils ne s'embrassent avec passion. Leurs mains larges et musclées, usées par le maniement des armes, caressent leurs dos respectifs. Et ce n'est que lorsqu'ils sont repus l'un de l'autre qu'ils se lèvent et se rhabillent : ils ont abandonné les autres depuis trop longtemps déjà.

 

 

 

 

 

Lorsqu'ils regagnent la seconde chambre, ils découvrent Asaukin et les jumeaux en pleine partie d'osselets, tandis que Loundor joue avec Fáelán, un sourire attendri sur son rude visage. Les soldats reportent rapidement leur attention sur le jeu, mais Loundor les observe plus longtemps. Dans son regard, compréhension, approbation, et une lueur d'envie brille doucement. Puis d'un geste, il fait comprendre à Calith qu'il a quelque chose dans les cheveux. Quelques brins de foin, vestige du moment d'intimité qu'ils se sont accordé. Les joues de Calith s'empourprent immédiatement, mais Loundor le rassure d'un clin d'œil avant de déclarer :

 

- Filraen dort. Severin n'a pas repris conscience mais Nyv' le veille et il nous préviendra dès qu'il y aura du nouveau.

 

Loundor leur laisse à peine le temps d'acquiescer à ces nouvelles qu'il poursuit, d'une voix grondante :

 

- Bon. Maintenant qu'on est tous là, on va peut-être enfin pouvoir manger. Je vous signale que l'heure du déjeuner est passée depuis longtemps.

 

Calith s'apprête à protester : certes, l'heure est passée, mais Severin est en train de lutter contre la mort. Bon, d'accord, ça ne les a pas empêché de batifoler dans le foin, mais quand même, c'est pas un peu déplacé de penser à manger maintenant ? Da la gorge de Iezahel jaillit un grondement d'approbation, faisant taire toute protestation. Et puis, lui aussi a faim. Une faim de loup. Alors, les soldats délaissant les osselets, ils s'assoient sans plus de manières au milieu de la pièce et sortent les victuailles. Et ils dévorent à pleines dents, sans prendre le temps de parler. Puis à peine le repas terminé, Loundor se lève et déclare :

 

- Je dois aller parler à Lucias. J'espère qu'il pourra nous accueillir pour cette nuit.

 

C'est un problème auquel Calith n'avait pas songé mais effectivement, le relais n'est pas destiné à servir d'auberge. D'autant qu'ils sont nombreux, très nombreux désormais. Les soldats retournent aux osselets alors Calith et Iezahel, qui porte Fáelán dans ses bras, se rendent au chevet de Severin.

 

La cape et les bottes de Nyv' sont posées au pied du lit, tandis que l'éclaireur s'est allongé sous les couvertures, auprès du malade. Il leur sourit tristement en les voyant rentrer, mais ne souffle pas mot. Le visage pâle et la respiration laborieuse de Severin parlent pour lui. Sur le banc, Filraen dort, tête penchée en avant. Calith et Iezahel échangent un regard puis adressent leurs encouragements à Nyv' d'un petit signe de la tête. Leur présence ici n'apporterait rien, ils en ont bien conscience, alors ils quittent les lieux. Et se retrouvent à nouveau dans la réserve de foin. Mais l'heure n'est plus au batifolage. Ils s'installent confortablement au milieu du foin, Fáelán allongé sur le torse de son père, Calith étendu à leurs côtés. Le ronronnement du gamin trouble le silence un moment jusqu'à ce que Calith déclare :

 

- Il a de quoi être heureux, ce petit bonhomme, il passe de bras à d'autres.

- J'espère qu'il l'est. Il a perdu sa mère, a changé de propriétaire et je suppose que c'est la première fois qu'il quitte Iduvief. Je me demande à quel point il comprend ce qu'il se passe. Est-ce que tu crois que je devrais lui expliquer ? N'est-il pas trop jeune pour ça ?

- Eh bien... euh... je pense que si. Enfin, bon, je ne suis pas doué avec les enfants, moi non plus. On devrait peut-être demander conseil à quelqu'un qui s'y connait mieux. Bon, je suppose que tu peux toujours lui expliquer aujourd'hui, et … de toute façon, ça reviendra sur le tapis quand il sera plus grand. Enfin... il a l'air d'être comme toi, un taiseux qui observe ce qu'il se passe sans prononcer un mot.

 

Iezahel hausse un sourcil et dévisage son amant, avant de comprendre que dans sa bouche, c'est presque un compliment. Alors, il esquisse un léger sourire. Mais son attention se reporte vite sur Fáelán, qui mordille joyeusement sa chemise. Posant une main sur le dos de son fils, Iezahel déclare d'une voix grave :

 

- Kjeld a toujours eu la main leste, comme on dit. Sighild risquait à tout moment de se faire frapper, pour une broutille. Et je pense que le petit a eu son lot de coups, lui aussi. D'après ce qu'elle m'en a dit, Kjeld n'était pas ravi de la voir enceinte. Et il ne supportait pas d'entendre le gamin pleurer, ou babiller. Il ne le voulait pas dans ses pattes. Il ne voulait pas l'entendre ni le voir. Alors j'ignore comment elle s'y est prise, mais elle a réussi à lui éviter le plus de coups possibles, en faisant en sorte qu'il ne se fasse pas remarquer. Et je pense que cette peur permanente, le risque d'être battu à tout moment ainsi que l'angoisse de sa mère expliquent pourquoi il a changé si jeune. D'habitude, les enfants nés loups-garous ne changent pas avant d'avoir cinq-six ans, le temps que leur corps soit formé, et qu'ils soient capables de comprendre ce qui leur arrive. Mais là... j'ignore si je peux déjà lui expliquer ce qui est arrivé à sa mère, alors lui parler de la lycanthropie...

 

Iezahel laisse échapper un long soupir. Calith serre doucement sa main libre dans la sienne et murmure :

 

- Tu ne devrais pas trop t'en faire. Il ne comprend sans doute pas trop ce qu'il se passe, mais il se sent en sécurité ici. Il sourit, il te fait des câlins et il va finir par dévorer ta chemise. Et concernant le fait d'être un loup-garou, il peut sentir qu'il est entouré de personnes comme lui, il t'a vu changer, vous avez joué ensemble. Alors qu'avant votre rencontre, il n'en avait jamais vu de sa vie. Tu sais, Iezahel, on va demander aux nourrices de Pieveth, elles pourront nous le confirmer, mais je pense qu'en attendant, nos comportements valent toutes les longues explications.

 

Iezahel garde le silence, songeur. Du bout des doigts, il caresse délicatement le dos de Fáelán, avant de murmurer :

 

- Sinon, il pourrait rester dans tes appartements pendant la journée. Il trouvera toujours à s'occuper.

- Ce n'est pas une solution. Il a besoin d'être entouré pour son éducation, sinon on va en faire un sauvageon.

 

Iezahel lui lance un regard bouleversé, si poignant que Calith bascule sur le flanc et se blottit contre lui. Et dans un chuchotement, il explique :

 

- Loundor le prendra dans son armée quand il sera suffisamment âgé. Et on retrouvera bien un moyen de l'occuper dans la journée le temps qu'il grandisse.

- En lui faisant récurer le sol ?

- Iezahel...

- Excuse-moi Calith, je suis désolé. Il est avec nous, c'est déjà... un petit miracle, alors je ne devrais pas me plaindre. Il fera ce que...

- Tu as fini de raconter des bêtises ? Je ne tiens pas à voir ton fils laver le sol ou frotter l'âtre. Nous allons trouver une solution. Je te demande juste de me faire confiance, d'accord ? Je ne le laisserais pas entre les mains de Voinon.

- Mais qu'est-ce qu'on …

 

Calith se penche soudain sur lui, et le musèle d'un baiser. Profitant de sa position, il lui murmure à l'oreille :

 

- Fais-moi confiance je te dis.

- D'accord.

- Et ne t'inquiète pas. Il restera avec toi.

 

Iezahel lui offre un de ses sourires tristes qui lui noue le ventre à chaque fois. Mais alors qu'il s'apprête à le rassurer encore, un toussotement gêné les fait sursauter. Loundor se tient bien droit près de l'entrée et, voyant qu'il a toute leur attention, s'approche en déclarant :

 

- Je vois que vous vous êtes isolés...

 

Calith se redresse un peu, s'adosse à nouveau dans le foin, mais sans rompre le contact avec Iezahel. C'est tout Loundor, ça : il a quelque chose à leur dire, et il leur dira, quelle que soit leur activité du moment. Il n'est pas franchement du genre à attendre, les joues rouges et en se tordant les doigts de nervosité, qu'ils aient terminé. Alors Calith, dans un demi-sourire, rétorque :

 

- On ne risque rien ici, Loundor. Tes hommes sont en train de jouer, notre présence les perturberait. Et Severin est veillé par deux personnes qui tiennent beaucoup à lui. Alors autant qu'on en profite, non ?

- Oui, vous avez raison. Et puis, autant que vous vous habituiez au foin : c'est ici qu'on va dormir cette nuit.

- On ? C'est-à-dire ?

- Eh bien, on ne peut pas tous dormir en haut, vous vous en doutez. Filraen et Nyv' vont rester auprès de Severin, les jumeaux dormiront ensemble, à côté, si besoin. Et Asaukin, vous trois et moi dormirons dans le foin : ça sera bien plus pratique pour assurer ta sécurité.

- Mais je ne risque rien, ici, Loundor. On est perdu au milieu de la neige...

- Dans l'un des relais les plus fréquentés du royaume. Lucias n'attend personne ce soir, mais les visites impromptues, il connaît. Et puis, maintenant que son poney est à nouveau d'une couleur décente, il réalise que son roi dort dans son écurie. Ca le met très mal à l'aise. Il est gêné et ne sait plus quoi faire. Je ne l'avais jamais vu aussi peu confiant.

 

Loundor sourit de toutes ses dents, légèrement inquiétant, avant de reprendre, plus sérieux :

 

- De toute façon, ce n'est que pour une nuit. Nous sommes beaucoup trop nombreux pour qu'il nous héberge plus longtemps. Demain nous devrons reprendre la route.

 

Le visage grave de Loundor, marbré par les ombres dansantes du soleil qui filtre à travers les planches disjointes, relègue les problèmes d'intimité de Calith au dernier plan. Oui, ils devront partir, ce n'est pas une surprise.

Loundor reste immobile, pas vraiment gêné mais pas bien à l'aise non plus. Et il n'y a pas besoin d'être eubage pour comprendre les raisons de ce comportement. Loundor sait qu'il n'a pas besoin de veiller sur Severin, et même si il est apprécié des soldats, sa présence dans la seconde chambre les empêche de se détendre réellement. Et si ça ne le gêne pas de les interrompre pour leur annoncer l'évolution de la situation, rester avec eux plus longtemps, rompant définitivement ce moment d'intimité, le met mal à l'aise. Alors Calith, après un regard entendu avec Iezahel, lui propose :

 

- Assieds-toi si tu veux, on va rester ici jusqu'au dîner je pense.

 

Il esquisse un sourire avant de s'installer et de s'adosser à une botte de foin. Iezahel et Calith l'imitent et se redressent complètement. Fáelán lâche un gémissement de frustration, et se transforme presque aussitôt en louveteau, sous le regard des trois adultes. Et Loundor laisse échapper dans un souffle :

 

- Il viendra dans mon armée, ce bonhomme.

 

Du coin de l'œil, Calith voit Iezahel sourire de soulagement. Il n'a sans doute jamais douté des paroles de son roi, mais la confirmation de Loundor doit le rassurer quant à l'avenir de son fils. Fáelán, comme s'il avait deviné qu'on parlait de lui, s'approche à petits pas de l'imposant Général et renifle ses bottes. Il bondit en arrière quand l'immense main de Loundor vient, pourtant doucement, lui flatter l'échine. Après un regard vers son père, il s'avance vers les doigts tendus, qu'il flaire avant de les parcourir de sa petite langue rose, arrachant un sourire attendri au Général. Et alors qu'ils pourraient passer des heures dans le silence, à observer le louveteau, Iezahel rompt le silence en demandant :

 

- Tu n'as pas eu le temps d'expliquer comment on en est venu à avoir une armée mixte.