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Titre du blog : Histoires yaoi
Auteur : histoiresyaoi
Date de création : 31-05-2013
 
posté le 08-01-2016 à 00:17:22

Âprefond, chapitre 13

Comme musique, pour ce chapitre, je vous suggère : Silvana Armenulic - Grli me, ljubi me 

Bonne lecture à tous et à toutes !

 

 

 

Il passe une main tremblante sur son front couvert de sueur, avant de hocher doucement la tête. Il est tout empêtré dans son édredon et je grimace en imaginant la douleur que ça doit provoquer sur son dos. Je m'éclaircis la gorge et chuchote :

 

- Tu pourrais me dire ce que je dois mettre sur ton dos ? J'ai pris l'onguent de Filippia mais je ne sais pas si ça ira...

- Non.

 

Son murmure est rauque et éraillé. Je reste immobile et silencieux, lui laissant le temps de reprendre ses esprits. Il me dévisage, plissant les yeux à cause de la chandelle à côté de moi. Il tire l'édredon contre lui, pour préserver sa pudeur ou se protéger du froid, et balbutie :

 

- Qu'est-ce qui est arrivé à ton visage ?

 

Il me faut quelques instants pour réaliser qu'il parle des nombreuses griffures causées par les ronces. Il me scrute, et je sais qu'il voit également mon bras droit contre mon corps, les vêtements déchirés et maculés de boue. Je secoue doucement la tête, chassant les souvenirs des heures passées, et réponds doucement :

 

- Ce n'est pas grand-chose, on en parlera plus tard. Je mets quoi sur ton dos ?

 

Il me dévisage toujours, semblant hésiter un instant puis cherche ses mots pour m'expliquer :

 

- Il y a de l'agripaume séchée dans le garde-manger, fais-la infuser avant de... nettoyer les plaies. Et … il y a aussi des écorces de bouleau. Mets les deux dans l'eau. Et il y a du plantain sur le billot. Il faut bien le nettoyer et le broyer. Et appliquer la bouillie sur les plaies.

- Je m'en occupe. Allonge-toi plus confortablement sur le matelas, pendant ce temps.

 

Il hoche doucement la tête tandis que je me relève. Tout mon corps est douloureux et je vacille un peu. Mais j'essaie de faire comme si de rien n'était, et Louh ne commente pas. Je vais prendre l'une des chandelles et m'apprête à sortir de la pièce lorsque je l'entends murmurer :

 

- Merci Yoshka.

 

Je me contente de lui sourire en guise de réponse. Je me rends directement dans le garde-manger et repère l'agripaume et les écorces de bouleau. Heureusement que j'ai l'habitude d'accompagner Filippia lors de ses récoltes, car ça me permet d'identifier les plantes les plus communes. Avec un seul bras valide, ce n'est pas évident de tout prendre, alors je me contente de saisir les deux sacs en jute et de les emmener dans la cuisine. L'odeur de soupe y est encore plus forte et j'entends mon estomac gronder. Mais ce n'est pas le moment de s'attarder.

 

Je jette deux bonnes poignées d'agripaume et de bouleau dans l'eau frémissante, puis je m'attaque au plantain. Ce n'est pas évident de piller des feuilles fraîches avec une seule main, surtout la mauvaise, alors ça me prend pas mal de temps. Mais l'odeur qui s'en dégage est très fraîche et plaisante. Lorsque les feuilles sont réduites en bouillie, j'emmène le pilon jusqu'à la chambre. Louh s'est installé, comme demandé, sur le matelas, mais il a enfilé ses braies avant, et je ne peux m'empêcher de pouffer de rire en le voyant ainsi accoutré. Il a descendu la ceinture tout en bas de ses reins, et le tissu camoufle jusqu'en bas de ses cuisses. Mais il est encore plus gênant de le voir ainsi habillé plutôt que de le voir nu. Il tourne la tête et me jette un regard furieux, et le sourire disparaît de mes lèvres. Ça doit déjà être difficile pour lui de me montrer ses blessures et de me laisser y toucher, inutile que j'en rajoute en me moquant de son habillement. Et surtout, la chandelle me montre que se lever pour s'habiller, même sommairement, n'était pas une bonne idée. Quelques plaies se sont rouvertes et de fins filets de sangs coulent sur la peau que j'avais nettoyée. Je pose le pilon sur la chaise, et j'emprunte l'air désapprobateur de Voel pour le sermonner :

 

- Tu saignes à nouveau. Tu n'aurais pas dû te lever.

 

Il bougonne une phrase inaudible et mon air désapprobateur disparaît, pour laisser place à une réelle inquiétude. Je suis sur le point d'aller chercher l'infusion d'agripaume et de bouleau séché quand sa voix me retient :

 

- Tu prélèveras un bol de la préparation, que tu laisseras de côté.

- D'accord.

 

Je ne pose pas plus de questions, lui faisant toute confiance pour se soigner. Plus confiance, en tout cas, qu'à moi-même. Devant l'âtre, je suis ses indications : dans un bol posé sur l'assise d'une chaise, puisque je ne peux pas le tenir d'une main, je verse consciencieusement quelques louches, en évitant de mettre de partout. Puis j'utilise un torchon pour protéger ma main de l'anse brûlante et j'emmène la marmite dans la chambre. Il est toujours allongé et il ne semble pas avoir fait un seul mouvement depuis que je suis parti, mais ses yeux suivent chacun de mes gestes. Je dépose la marmite fumante près du lit, en lui disant :

 

- J'ai laissé le bol sur la table de la cuisine.

- Tu t'es refait mal à l'épaule ?

 

J'opine doucement, gêné qu'il s'inquiète pour moi. Parce que c'est bien de l'inquiétude que j'ai perçue dans sa voix. Je ne veux pas qu'il s'attarde sur la question, alors j'essaie de changer de sujet et je désigne la marmite d'un geste du menton :

 

- Ça va être trop chaud, non ?

- Oui, il faut attendre un peu.

 

Un silence gênant s'installe entre nous. J'aimerais beaucoup savoir ce qu'il s'est passé pour qu'il soit dans un tel état, mais je devine qu'il n'a pas envie d'en parler. Et lui veut sans doute savoir ce qu'il m'est arrivé, sauf que j'ai esquivé ses questions et qu'il a dû en comprendre les raisons. Alors nous restons silencieux, comme si nous avions un accord tacite : pas de discussion sérieuse tant qu'il n'est pas soigné. Les minutes s'égrènent et je garde les yeux rivés sur le sol, de crainte de poser mon regard sur Louh. Le savoir quasiment dévêtu est déjà bien suffisant pour mon imagination.

 

- Ça doit être bon, là. Et ne t'inquiète pas, tu ne me feras pas mal.

 

Le son de sa voix me fait sursauter, et j'acquiesce vigoureusement. La main tremblante, je trempe un linge propre dans l'eau devenue tiède. Et je me vide la tête, évitant de penser la douleur que je vais occasionner. Parce que je ne crois pas un seul instant ça ne lui fera pas mal. Aussi délicatement que possible, je nettoie les lacérations de sa peau, ôtant toutes les saletés qui ont eu le temps de s'y déposer. Louh ne bronche pas. Il ne laisse pas échapper un seul gémissement entre ses mâchoires serrées. Il respire un peu plus fort, cependant, et ses yeux se sont fermés. Je déglutis en voyant ses poings agrippés au drap mais je poursuis ma tâche. Ma main gauche fait des allers-retours réguliers entre la marmite et son dos, et peu à peu, la préparation se teinte de vermeil.

 

- J'ai terminé Louh.

 

Il laisse échapper une sorte de grognement que je prends pour un assentiment. Puis il s'éclaircit la voix et m'indique :

 

- Il faut répartir le plantain sur les plaies, maintenant.

 

Je me lève en grimaçant de douleur et je vais me laver les mains dans la cuisine. Puis, en revenant, j'applique la mixture bouillie sur son dos. Pour finir, suivant ses instructions, j'essore longuement le linge qui a servi à nettoyer ses plaies et je le pose délicatement sur lui. Alors que je m'attendais à ce que ce soit terminé, il me dit :

 

- Maintenant, va chercher le bol que tu as laissé de côté, s'il te plait.

 

Je me demande brièvement s'il compte le boire en infusion mais je m'exécute sans poser de questions. Mais je reviens dans la chambre, il me jette un long regard menaçant et m'ordonne :

 

- Maintenant, tu nettoies toutes tes plaies.

 

Et il a beau être épuisé, pâle comme une pâte et en sueur, ridicule avec ses seules braies pour tout vêtement, je lui obéis. Je retire mon pourpoint en grimaçant et prends un nouveau linge propre pour nettoyer le sang séché et la boue qui maculent toutes les petites plaies qui couvrent mon corps. Je sens son regard sur moi et j'essaie de le distraire :

 

- Je suis désolé, j'ai abîmé tes vêtements.

- Ce n'est pas le plus grave. Les tiens étaient mouillés quand je suis arrivé tout à l'heure.

- Oui.

 

J'essaie d'imiter la technique de Louh, qui consiste en une réponse brève, avec un air peu engageant qui dissuade l'interlocuteur d'insister. Enfin, sauf quand je suis l'interlocuteur. Mais là, pour le coup, c'est lui qui me regarde avec un air peu engageant, clairement insatisfait de ma réponse. Je prends le temps de réfléchir sérieusement à ma réponse, frissonnant dans l'air frais de la pièce tandis que le linge parcourt ma peau, et j'avoue :

 

- Je suis allé voir Voel ce matin. Je sais bien que je n'étais pas censé sortir d'ici, mais je me faisais du souci pour toi.

 

Il reste muet, mais son regard ne me quitte pas un seul instant, m'incitant à poursuivre.

 

- Donc je suis allé le voir, pour savoir s'il avait des nouvelles de toi.

- Pourquoi est-ce qu'il en aurait eu ?

- Pourquoi pas ? Il aurait très pu te voir passer, ou il aurait pu entendre des rumeurs du village.

 

Je grimace en jetant le linge dans le bol et je vais m'asseoir sur la chaise près du lit, poussant la chandelle sur le meuble de toilette.

 

- Je dois m'étaler de la bouillie verte dessus, moi aussi ?

- Non, pour toi, ça devrait suffire. Mais tu devrais mettre de l'onguent sur ton épaule. Voel n'avait pas de nouvelles, je suppose.

- Non. Mais c'est lui qui m'a conseillé de t'attendre ici.

- Vraiment ? Et quelles étaient tes autres solutions ? T'enfuir ?

- Partir à ta recherche.

 

Louh me dévisage intensément, et se redresse machinalement sur ses coudes, avant de se laisser retomber dans un gémissement de douleur. Le linge et la bouillie verte ont commencé à glisser et je me précipite pour les remettre sur ses blessures. Et ce n'est que parce que je suis tout proche que je l'entends murmurer :

 

- Tu es sérieux ?

- Oui. Je m'inquiétais vraiment et rester à t'attendre ici me rendait fou. Alors j'étais prêt à partir à ta recherche, sauf que je ne savais même pas par où commencer.

- Tu ne connais même pas ce fief.

- Je sais.

- Et tu n'aurais jamais pu me trouver, Yoshka.

- Je sais, bon sang ! Mais c'était ça ou t'imaginer agonisant et …

 

Je me mords les lèvres, souhaitant de tout mon cœur ne jamais avoir prononcé ces mots. Mais c'est trop tard, et Louh me jette un nouveau regard indéchiffrable. Je me passe une main dans les cheveux en marmonnant des justifications qu'il ne peut pas entendre. Je me lève d'un bond, allant chercher l'onguent de Filippia sur le petit meuble de toilette, cherchant désespérément comment rattraper ma bourde. J'enduis généreusement mon épaule, soulagé de voir que, si la douleur est forte, elle est différente de la première fois. J'espère juste que je ne devrais pas attendre de voir à nouveau Filippia pour qu'elle me la remette en place.

 

- Je suis désolé, Yoshka, je ne voulais pas t'inquiéter. Je n'avais pas prévu de ne pas rentrer de la nuit. Et … merci.

 

Je me retourne, les yeux plissés. Merci ? Pour m'être fait un sang d'encre et m'être enfui ? Mais je garde le silence, évitant soigneusement une autre maladresse, et je ressasse ses paroles. Sauf que je ne peux pas aller bien loin dans mes réflexions qu'il reprend la parole :

 

- Et pour ta seconde excursion ?

 

Je sens mes joues chauffer et je songe, un instant, à nier. Puis je réalise que ce serait une erreur : il m'a vu avant et après, et il n'a pas pu rater le changement, entre mes blessures et ses vêtements. Alors je murmure :

 

- Quand j'ai vu dans quel état tu étais, je suis retourné au campement, et j'ai voulu voir Filippia pour qu'elle te soigne. Sauf qu'ils étaient sur le départ et que les soldats de ton seigneur m'ont pris en chasse.

 

Il pousse un long soupir et ferme les yeux un instant, avant de murmure :

 

- Je suis désolé, j'aurais aimé que tu l'apprennes autrement. Mais quand je suis rentré, je … Eh bien, je n'avais pas la tête à ça.

- Je me doute, oui.

- Tu as rentré les cochons ?

 

Je marque un temps d'arrêt, cessant tout mouvement en le dévisageant. Mais il ne délire pas et il doit suivre une idée, car il attend visiblement une réponse. Décontenancé, je réponds machinalement :

 

- Oui, ils sont à l'intérieur et le loquet est fermé. Mais je ne leur ai pas donné à manger, puisqu'ils ont dévoré le restant des châtaignes et des glands.

- Tu as bien fait. Merci. Il n'y a plus rien dans l'âtre ?

- Non, la marmite est ici.

- Il reste assez de bois ?

 

Je pince les lèvres et retient un mouvement de colère. Pourquoi est-ce qu'il me parle de ça, au lieu de m'expliquer les derniers événements ? D'une voix un peu trop sèche, je lui réponds :

 

- Je suppose que je pourrais aller en remettre.

- S'il te plaît, Yoshka.

 

Je récupère la marmite devenue froide et vais la poser sur la table de la cuisine. Une chandelle y brûle encore, oubliée, et je la souffle machinalement avant d'aller rajouter une bûche. J'en profite pour boire une longue rasade d'eau et je retourne dans la chambre, agacé. S'il m'envoie encore à droite ou à gauche, au lieu de me fournir des explications, je risque de lui exploser à la figure. Mais quand je rentre à nouveau dans la chambre, Louh s'est décalé dans le lit. Il est toujours allongé sur le ventre, mais il est tout près d'un bord du lit, et je déglutis. Que diable a-t-il à l'esprit ?

 

- Viens.

 

L'édredon le couvre, mais il reste une place dans le lit et l'édredon est replié, comme une invitation pour que je le rejoigne. Je secoue vivement la tête, la gorge nouée. Je suis toujours torse nu mais une chaleur gênante envahit mes joues et l'ensemble de mon visage, jusqu'au haut du torse. Seigneur, qu'a-t-il en tête ? Je laisse finalement échapper, d'une voix étranglée :

 

- Non, non, non, ce n'est pas une bonne idée.

 

Je vais chercher sa chemise et son pourpoint déchirés, que j'enfile sans prêter attention à la douleur. Dormir avec lui serait une folie. J'oublie qu'il me reste encore mille questions à lui poser. Je ne pense plus qu'à sa demande, et toutes les idées les plus folles traversent mon esprit. Incapable de croiser son regard, je balbutie :

 

- Je dois aller me rafraîchir.

 

Et je détale sans demander mon reste, emportant avec moi la chandelle et le laissant seul dans le noir. Dans la salle d'eau, je tente de reprendre mon souffle et de calmer les battements affolés de mon cœur. Et j'essaie d'ordonner mes pensées. La douleur lui a peut-être fait perdre l'esprit, mais il ne donne pas l'impression de délirer. Il n'avait l'air ni agité ni fou quand il m'a proposé de dormir avec lui. Il était parfaitement sérieux et ça me colle des frissons dans tout le corps. Je m'asperge longuement le visage et le cou, l'esprit en ébullition. Il n'avait pas l'air aguicheur non plus. Un regard appuyé, un signe discret, un sourire entendu, ce sont souvent ces signes qui me prouvent que l'homme en face de moi a envie d'un moment de plaisir. Louh ne manifestait rien de tout ça, juste de la fatigue, de l'épuisement même, et de la douleur.

 

Les explications de Ysayo pourraient être explication logique à cette demande surprenante. Dans les auberges, où nous n'allons jamais, les voyageurs dorment à cinq ou six dans un même lit, souvent infesté de vermine. Les paysans, eux aussi, dorment souvent à plusieurs dans le lit, parents et enfants réunis. Il n'y a que les plus riches qui peuvent se permettre des pièces suffisamment chauffées pour que dormir à deux dans un lit soit possible. Et les tsiganes, car les roulottes sont trop petites pour accueillir un grand lit. Nous nous contentons d'une simple planche, pas très large, garnie d'un matelas de fougères ou d'herbes hautes séchées. Il y a bien longtemps que je n'ai pas partagé ma paillasse avec quelqu'un, depuis que je suis sorti de l'enfance, en fait, il y a une dizaine d'années. La chaleur corporelle, dans nos petites roulottes, nous permet de dormir seul. Mais il fait froid, dans la chambre de Louh, et un peu humide. Souhaite-t-il que je reste avec lui juste pour lui tenir chaud ?

 

A dire vrai, ce ne sont pas ses motivations qui m'inquiètent le plus. Mais ma réaction. Serai-je capable de rester stoïque et de ne rien montrer de mon trouble si nous sommes si proches ? Louh est blessé et épuisé de toute façon, et je doute fort qu'il puisse faire autre chose que s'écrouler de sommeil. Et moi aussi, je suis à bout de forces. Alors peut-être qu'il ne remarquera rien. Et puis, je pourrais le pousser à me raconter ce qu'il s'est passé, et ça l'obligerait à penser à autre chose. Et moi aussi.

Résolu, je termine de me préparer pour la nuit et je le rejoins dans la chambre. Il a poussé l'édredon pour être parfaitement enveloppé dans la chaleur et ses yeux sont fermés. Mais dès qu'il s'aperçoit que je suis de retour, ses paupières se soulèvent et il darde son regard noir sur moi. Je déglutis avant d'aller poser la chandelle sur la chaise. Je voudrais faire une plaisanterie pour lui dire que j'accepte son offre, mais je redoute bien trop d'être maladroit pour oser me lancer. Alors je me contente d'ôter mon pourpoint et ma chemise, lentement à cause de mon bras douloureux. Puis je retire mes bottes, que je vais poser au pied du lit, sous son regard attentif qui me met mal à l'aise. Je prends ensuite une longue inspiration et je m'approche du lit. Il m'adresse un grand sourire, malgré sa pâleur, et je sens un long frisson remonter mon échine. Alors j'écarte l'édredon et je me glisse dessous, m'allongeant sur le ventre par précaution.

 

Je suis d'abord surpris par la chaleur qui règne dans le lit, avant d'écarquiller les yeux en sentant le moelleux sous ma peau. Je passe les doigts sur la surface, intrigué, avant de la renifler machinalement. J'entends une sorte de ricanement qui se mue très vite en gémissement de douleur. Puis d'une voix rauque, Louh murmure :

 

- C'est de la laine de mouton cardée. Ce sera plus confortable que ta paillasse.

- Ça, c'est sûr.

 

Il me semble que ce genre de matelas n'est pas à la portée des bourses les plus modestes, mais je n'épilogue pas à ce sujet : Louh n'a sans doute pas envie de s'y attarder, de toute façon. Ce qui est sûr, par contre, c'est que je m'habituerais bien vite à ce genre de confort. Cette simple idée me fait réaliser que je risque, effectivement, d'avoir à m'y habituer, maintenant que les miens sont partis. Alors je lui demande :

 

- Ton seigneur n'a pas voulu que nous restions, n'est-ce pas ?

- Il n'a pas voulu, non. Son conseiller s'est pris de sacrées remontrances, d'ailleurs.

- Mais il ne pouvait pas tolérer leur présence ici jusqu'à ce que la disparition de Mélisende soit résolue ?

- Non, les tiens devaient être partis dans la journée.

 

Je hoche doucement la tête mais, du fait de ma position, il semblerait plutôt que je frotte ma joue contre le matelas. Je me redresse légèrement et je lui demande :

 

- Tu penses qu'ils pourront s'arrêter dans le fief voisin ?

- Aiguecourbe ? J'en doute fort, leur seigneur tolère tout juste les colporteurs.

 

La panique n'a pas le temps de me gagner qu'il poursuit d'une voix douce :

 

- Je suis passé au campement avant de rentrer : je devais leur annoncer la décision de mon sieur. Je leur ai indiqué un lieu sûr, relativement proche, où ils pourront s'arrêter le temps que l'affaire soit résolue. C'est une petite zone entre deux fiefs et les seigneurs n'ont aucune autorité dessus.

- Pourquoi tu as fait ça ?

- En tant qu'homme de main, c'est mon travail d'aller annoncer les décisions de mon seigneur.

- Non, je voulais dire : pourquoi est-ce que tu leur as indiqué un endroit où m'attendre ?

- Parce que je trouve que te faire perdre les tiens serait un châtiment bien cruel pour un innocent.

- Merci.

 

Je me trouve ridicule, soudain, avec mon pitoyable « merci » alors qu'il s'arrange avec les ordres de son seigneur pour moi. Je me redresse maladroitement, perché sur mon coude gauche, et je lui demande :

 

- Tu sais s'ils pouvaient partir avec toutes les roulottes ?

 

Il me jette un regard d'incompréhension alors je lui explique :

 

- Nous avions des essieux à réparer, alors nous les avons confiés au forgeron du village. Il nous a fait payé d'avance, mais quand la rumeur à propos de la disparition de la vache s'est propagée, il a refusé de poursuivre les réparations. Et il a refusé de nous les rendre.

- Vraiment ?

 

Sa voix s'est faite glaciale, malgré son épuisement, et je frissonne malgré moi. Je me contente de hocher la tête, sachant qu'il est inutile de répondre à cette question qui n'en est pas vraiment une. Il n'épilogue pas à ce sujet, lui non plus, et me dit :

 

- Je ne sais pas s'ils ont pu emmener toutes les roulottes. Il faudra aller voir.

 

Je me contente, encore une fois, de hocher doucement la tête. Mes paupières se font lourdes et mes yeux piquent et je devine que lui aussi commence à s'endormir. Je souffle la chandelle, espérant que l'obscurité complète m'aide dans ma tâche, et je lui demande de but en blanc :

 

- Qui t'a flagellé ?

 

Un long silence me répond et je redoute un instant qu'il se soit endormi. Mais très vite, mes yeux se ferment et le sommeil s'empare de moi.