posté le samedi 29 juin 2013 à 11:18

Pieveth, Chapitre 17

 

 

 

La stupéfaction cloue le bec du conseiller. Calith, lui, tente de garder un air impassible alors que son cœur bondit follement dans sa poitrine. Se marier avec cette inconnue ? Parfaitement consciente du séisme qu'elle vient de déclencher, la jeune femme poursuit :

 

- Je sais que cette proposition peut vous paraître bien inconvenante. Mais elle est mûrement réfléchie et peut, j'en suis persuadée, satisfaire les deux parties. Vous allez être assailli de prétendantes, Calith de Pieveth, et la plupart seront un moins bon parti que moi. Épouser une princesse de Brevont vous permettra d'enterrer définitivement la hache de guerre avec mon père et de vous assurer, pour des décennies, que mon royaume n'attaquera pas le vôtre. Je vous rassure immédiatement : ce n'est pas un chantage. Si vous refusez cette proposition, je n'en toucherai pas un mot à mon père et nulle attaque ne sera perpétrée en représailles.

 

Calith ouvre la bouche, prêt à intervenir. D'un geste de la main, elle l'interrompt et argumente :

 

- Laissez-moi terminer, je vous en prie. Je sais que nous sommes deux inconnus l'un pour l'autre et qu'aucun sentiment me concernant ne vous anime. Mais je suppose que votre conseiller vous a martelé les mêmes conseils que le mien : faire un mariage de raison et les sentiments viendront plus tard.

 

Calith acquiesce, récoltant un regard noir de la part d'Elihus. Mais la jeune femme continue, faisant comme si elle n'avait rien remarqué :

 

- Je n'y crois pas. J'ignore quelle est votre opinion à ce sujet, aussi m'avance-je un peu, mais j'ose espérer que vous partagez la mienne. Évidemment, si vous êtes épris d'une noble pouvant faire un mariage acceptable, cette proposition n'a pas lieu d'être. Mais si ce n'est pas le cas, notre mariage vous satisferait. Je vous ferai des enfants et je serai parfaitement protocolaire et distinguée dans les apparitions devant la cour. Mais je n'interfèrerai jamais dans vos relations hors du lit marital, tout comme je souhaite que vous n'interfériez jamais dans les miennes. Nous donnerons le change face à la cour et aux autres royaumes, tout en étant parfaitement libres de nos amours respectifs.

 

Calith s'est redressé sur son fauteuil et l'écoute avec beaucoup d'attention. Il s'imagine déjà rejoindre occasionnellement le lit de son épouse et passer le reste de ses nuits avec son esclave. Enfin... Non, son esclave ne désire sans doute pas partager sa couche et Calith ne le forcera pas. Mais au moins, il pourrait aller avec qui il souhaite, sans provoquer d'esclandre. Cependant, si cette relation peut lui convenir, il s'interroge :

 

- Et qu'avez-vous à y gagner ?

- Je ne vais pas vous mentir. J'ai beaucoup à y gagner, sans doute plus que vous. Mon noble visage, comme l'a si galamment formulé votre conseiller, n'attire guère les prétendants. Mon père désespère de me marier un jour et semble prêt à me livrer au premier homme qui voudrait de moi. Je ne me plains pas, je suis consciente de cela depuis des années. Mais je refuse d'être séparée de celui que j'aime réellement et qui, aux yeux de mon père, ne pourrait en aucun cas faire un époux convenable. Il est grand temps, pour moi, de me défaire de l'autorité de mon père. Et quitte à retomber sous l'autorité d'un autre homme, autant que ce soit d'un commun accord, avec des conditions qui satisfont les deux parties.

- Mais si vous quittez Brevont, vous serez fatalement séparée de l'être aimé, n'est-ce pas ?

- Non. Brocepan m'accompagnera. C'est une condition sine qua non.

 

Calith regarde d'un nouvel oeil cet homme à l'apparence si peu avenante. Un serviteur qui est parvenu à séduire la princesse. A vrai dire, le roi n'est pas vraiment surpris, il sait, pour être dans le même cas, que l'amour ne s'embarrasse pas des classes sociales. Il ne peut s'empêcher de sourire en imaginant l'étrange union qu'ils formeraient : mariés et parents, parfaitement convenables aux yeux de tous, mais chacun forniquant avec son serviteur attitré.

Bien que très tenté par cette proposition, Calith sait qu'il ne peut pas accepter immédiatement. Aussi, sous le regard menaçant d'Elihus, il déclare :

 

- Je ne vous cache pas que cette proposition m'intéresse. Ce serait un excellent compromis pour nous deux. Mais votre père acceptera-t-il un mariage avec Pieveth ?

- Je ne pense pas qu'il le fasse spontanément. Cela dit, il sera sans doute intéressé par les avantages d'avoir une fille reine. Et soulagé d'être débarrassé de l'épineuse question de mon mariage. Enfin, s'il reste très méfiant à votre égard, il sait que vous êtes le fils de votre père et non de la trempe de Lombeth. Vous devrez faire la demande de manière protocolaire et, de mon côté, je ferai en sorte qu'il accepte.

- Vous vous doutez que je ne peux m'engager dès aujourd'hui. J'ai matière à réflexion et je ne souhaite pas prendre une décision si importante sans peser avant le pour et le contre.

- Bien entendu.

- Si vous vous êtes déplacée en personne, je suppose que c'est parce que vous estimez les messages trop peu fiables ?

- En effet.

- Très bien. Dans ce cas, je vous ferai parvenir ma réponse, d'ici un mois au plus tard, par un autre biais. Tant que je n'aurai pas pris ma décision, il est évident que je ne m'engagerai auprès de personne.

- Il en va de même pour moi, Sire.

 

Calith lui adresse un sourire chaleureux. Cette femme est intelligente et il sait qu'il pourrait s'entendre avec elle, suffisamment pour donner le change face à la cour. Elihus reprend tout en douceur les rênes de la conversation pour les derniers détails. Puis, avec la même douceur, propose aux invités de rejoindre la chambre qu'on leur a préparé.

Lorsqu'ils quittent la bibliothèque, Calith réalise que l'après-midi est bien avancé. Avec Elihus, ils conviennent qu'il serait plus sage de parler de cette conversation le lendemain, après une bonne nuit de sommeil, afin d'y voir plus clair. Et pour l'heure, le conseiller lui suggère d'aller s'entraîner un peu. Proposition que le roi s'empresse d'accepter.

 

 

 

 

La soirée, qu'il comptait passer tranquillement dans ses appartements, est en réalité un long dîner avec la princesse de Brevont et son serviteur, Brocepan. Ils dînent tous les trois, à l'écart de la cour, servis par Alima en personne. De ce fait, les masques tombent et la relation entre la jeune femme et son amant est clairement visible. Calith, malgré sa maigre expérience en la matière, peut voir les visages de Zélina et de son amant sublimés par le bonheur. La conversation est très détendue, sans la lourdeur de la bienséance. Lorsqu'ils se séparent après le repas, Calith réalise qu'il a passé une excellente soirée en leur compagnie.

 

 

 

 

 

Une certaine fébrilité pousse Calith hors de son lit le lendemain. Le détachement de soldats envoyé par Loundor à Rocnoir devrait revenir dans la journée. Et il a terriblement hâte de revoir l'esclave.

Bien sûr, il est aussi impatient de revoir ses alliés, ceux qui ont lutté dans l'ombre pour le faire revenir au pouvoir. La matinée est pourtant consacrée à l'étude de la proposition de Zélina de Brevont. Elihus, bien que peu satisfait par l'idée que Calith n'aime pas d'amour sa reine, trouve que c'est une excellente chance de faire la paix avec Brevont et de s'assurer d'un mariage réussi et intéressant. Lui aussi est tombé sous le charme de la princesse. C'est en toute discrétion mais avec sincérité qu'ils vont souhaiter un excellent voyage de retour aux deux amoureux, qui doivent regagner leur royaume au plus vite pour éviter que leur absence ne se remarque.

 

Contre toute attente, la matinée passe relativement rapidement et, après déjeuner, Calith va retrouver le Général. Il sait combien son comportement peut sembler puéril, mais il n'arrive pas à travailler sachant que les troupes seront bientôt de retour.

Loundor l'accueille avec plaisir, laissant même entrevoir son impatience. Il l'entraîne dans son bureau, bien décidé à parler en toute discrétion, loin des oreilles qui traînent. A peine sont-ils seuls que Calith partage l'une de ses préoccupations :

 

- J'ai reçu une proposition de mariage, hier.

- Tiens donc. Une manigance d'Elihus ?

- Je ne pense pas, non. Il s'agit d'une fille de Brevont.

 

Calith n'en dit pas plus et se laisse tomber sur un fauteuil. Il sait bien que Loundor aura compris qu'il ne s'agit pas d'une fille de ferme. Et parmi les enfants du roi de Brevont, une seule n'est pas mariée. Loundor incline légèrement la tête, signe qu'il a compris la discrétion indispensable à ce sujet. Et Loundor, s'il n'aime pas spécialement la cour et tout ce qui en découle, se tient suffisamment informé pour savoir que la présence d'une princesse de Brevont sur le sol de Pieveth n'est pas de très bon augure.

 

- Un mariage de raison, donc ?

- Complètement.

- Intéressant ?

- Plutôt oui. On fait des héritiers, on donne le change, et ensuite, chacun fait ce qu'il veut avec qui il veut.

 

Loundor dévisage Calith, le visage grave. Et d'une voix tout aussi sérieuse, il lui demande :

 

- Tu es sûr que c'est ce que tu veux ? Un mariage avec une femme qui en aime un autre ? Ne peux-tu pas espérer te marier avec celle que tu aimes ?

 

Le roi jette un regard désespéré à son ami. Il a parfaitement conscience qu'un mariage, c'est pour la vie. Et ce béguin pour l'esclave, ce n'est sans doute que temporaire. Peut-être bien que dans un mois, il croisera la route d'une charmante demoiselle, qu'il aimera passionnément, qui lui fera de magnifiques enfants...

 

- Je n'en sais rien. Je ne peux pas prédire l'avenir. Mais aujourd'hui, mon cœur ne bat pour personne.

- Pour personne, vraiment ?

 

Une main royale s'envole pour ébouriffer les cheveux châtains. Les joues, légèrement rosées, et la tête basse sont autant d'aveux de la gêne de Calith. Et du bout des lèvres, il murmure :

 

- A quoi bon ? C'est un homme, asservi, et loup-garou de surcroît. Nos quelques jours ensemble ont été très plaisants mais ça s'arrête là. Il va reprendre sa vie de soldat, et moi, je dois me trouver une épouse.

Loundor, le fier Loundor qui ne laisse jamais apercevoir le moindre sentiment, regarde son roi avec de la peine dans les yeux. Et il reste muet, car il sait que ses paroles de réconfort seraient un mensonge. L'esclave ne voudra pas de cette relation. Et Calith ne le forcera pas. Ils ne vivront jamais heureux tous les deux. C'est impossible. Alors, finement, il conseille :

 

- Laisse-toi un peu de temps. Tu as dû demander un délai de réflexion, non ?

- Oui, un mois.

- Parfait. Ça te laissera le temps d'y réfléchir à tête reposée. Ne précipite pas ta décision, Calith.

 

Cette voix, chaude et douce à la fois, lui fait monter les larmes aux yeux. Il se sent redevenir petit garçon, quand il allait sur les genoux du jeune loup-garou, et qu'il lui demandait telle ou telle chose. Et Loundor s'arrangeait toujours pour lui procurer cette chose en question. Et aujourd'hui, il ne souhaite qu'une seule chose, une seule personne pour partager sa couche. Et il ne peut pas l'avoir. Elle est là, pourtant, toute proche, presque saisissable. Mais comme pour une ombre, sa main se referme sur du vent. Et il ne reste plus que le vide, un vide si douloureux qu'il en est insupportable. Il aura beau demander à ses amis, à ses conseillers ou aux Dieux eux-mêmes, il n'obtiendra jamais gain de cause. Jamais.

 

Le Général s'est levé et est venu poser sa grosse main puissante sur l'épaule de Calith. Il est à court de mots, le guerrier, pris au dépourvu par la détresse de son protégé.

Une agitation intense le tire de son désarroi. Il s'éloigne rapidement de son roi pour aller voir à la fenêtre ce qu'il se passe. Et ne peut retenir une exclamation enjouée :

 

- Ils sont de retour !

 

Sans attendre la réaction de Calith, Loundor, drapé dans sa retenue et sa dignité, sort dans la cour d'entraînement. A grands renforts de cris et d'acclamations, la troupe pénètre dans la cour. Aux visages fiers des soldats se mêlent ceux, familiers, des proches. Et nombreux sont les habitants du château a avoir bravé le froid pour accueillir qui un ami, qui un collègue, qui un parent.

Loundor reste très réservé quant à l'accueil qu'il fait à sa femme et à ses enfants. Iris, son épouse depuis plus de dix ans, ne s'en formalise pas. Elle sait pertinemment qu'une fois dans ses appartements, son mari se montrera affectueux, câlin et même causant. Il leur dira à quel point ils lui ont manqué. Il les couvrira de présent pour rattraper le temps perdu. Alors cette femme, grande et élancée, avec de longs cheveux châtains qui frôlent ses reins, cette femme reste bien droite et aussi réservée que son homme. Et attend, sans montrer d'impatience, qu'il félicite ses soldats pour la mission accomplie et qu'il les entraîne dans leur nouveau chez-eux.

 

Ces scènes de liesse, Calith ne les voit pas. Enfermé dans le bureau du Général, il entend les cris, les exclamations mais il n'y prête pas attention. Inutile de sortir, il dira un mot aux soldats, plus tard. Et saluera les conseillers de retour. S'il franchit cette porte, là, maintenant, il cherchera du regard un certain esclave. Son cœur s'emballera à nouveau, peut-être même plus qu'avant. Et la douleur de le savoir à jamais inaccessible n'en sera que plus forte.

 

Alors il tue le temps en examinant cette carte qu'il connaît par cœur, en déchiffrant les titres des manuscrits qu'il ne lira jamais. Et quand il en a marre de rester entre ces quatre murs, il pique une cape de Loundor, s'emmitoufle dedans et rabat la capuche sur sa tête. Avec le froid, tout le monde porte une cape et a la tête couverte, il n'attirera pas l'attention.

 

Il sort discrètement du bureau de Loundor, les yeux rivés au sol. Dans la cour, il ne cherche plus à être discret, c'est le meilleur moyen pour attirer l'attention. Il marche d'un pas vif, fixant la porte, comme s'il regagnait le château après avoir salué ses amis. Et personne ne le remarque. Personne ne l'arrête d'une salutation ou d'un geste.

 

A peine la porte franchie, il s'engouffre dans les passages dérobés, regagne directement ses appartements. Déposant la cape sur le fauteuil, il ne reste que quelques minutes. Puis rejoint son bureau. Personne n'est présent, évidemment. Même le studieux Elihus a dû rejoindre la cour et saluer ses amis. Sur le bureau, par contre, comme si le conseiller avait deviné que Calith y viendrait, un mot est déposé. Un mot, qui annonce qu'un dîner, en l'honneur des soldats et des proches des séditieux, sera donné dans la soirée. Et, écrit en plus gros et souligné deux fois, il est ajouté que la présence du roi est indispensable. Calith jure à mi-voix. Il n'y échappera pas.

 

Mais il lui reste un peu de temps. Alors il s'installe près des chandelles, un recueil de poésie à la main. C'est son précepteur, un homme charmant, qui lui a fait lire de la poésie. Très vite, Calith s'est rendu compte que les poètes avaient tendance à privilégier les mots pour leur sonorité plus que pour leur sens. Il s'est toujours imaginé un marginal, vivant reclus dans un bureau, à moitié fou, bondir hors de sa chaise, la plume en l'air comme un signe de victoire, crier sa joie d'avoir découvert le mot tordu qui lui permet de faire une jolie rime. Qu'importe si, au final, ce qu'il raconte n'a pas de sens. Le but est que ce soit joli, pas sensé.

Mais aujourd'hui, Calith a précisément besoin de ça. D'être bercé par le rythme langoureux de rimes, par le chant des mots qui le mettra dans une sorte de transe, lui faisant oublier que tout doit avoir un sens, une raison d'être, un but.

 

Comme une douce rengaine, les poèmes l'entraînent dans un monde empli de beauté, aux contours flous. L'enchaînement des phrases le berce et lui fait oublier la liesse, en bas, dans la cour.

Mais forcément, ça ne dure pas. Jérémias, hirsute, à bout de souffle, pénètre en trombe dans la bibliothèque, faisant violemment claquer la porte contre le mur. Son regard fou se pose sur le roi, avachi dans un fauteuil, et une lueur de soulagement l'apaise. Mais les mots se bousculent dans sa bouche :

 

- Ah ! Ici là vous êtes, Votre Masire. C'est hoffreux ! Arrible !

 

Calith sursaute violemment, suite à cette intrusion, à en faire choir son recueil de poésie. Brusquement tiré hors de ce havre de paix, douceur ouatée apaisante, il dévisage Jérémias, les yeux écarquillés, ne comprenant rien à ce qu'il se passe. Et le garde, bien conscient du manque de clarté de sa phrase, répète :

 

- Masire ! C'est atroble ! Ignoce ! C'est évoupen... évenpou... épenva... Venez, Sire, je vous en conprie !

 

Le visage royal se fait plus perplexe encore. Mais Calith a compris, plus ou moins, qu'un événement terrible vient d'avoir lieu. Alors il se lève, se tient bien droit, et d'une voix ferme et autoritaire, ordonne :

 

- Il suffit, Jérémias. Calme-toi, respire, et explique-moi ce qu'il se passe.

- Oh Votre Majesté ! C'est … c'est...

 

L'apaisement du garde n'a été que très temporaire. Calith, comprenant qu'il ne pourra rien en tirer, lui dit d'une voix calme :

 

- Très bien. Tu vas me montrer, d'accord ?

- Oui Votre Siraj...

- Et si tu n'arrives pas à dire Votre Majesté sans le mélanger avec Sire, ne dis rien, d'accord ?

- Oui Sa... Oui.

 

 


 
 
posté le vendredi 28 juin 2013 à 14:28

Pieveth, Chapitre 16

 

 

 

 

Ce fils de catin utilisait l'esclave pour assouvir les plaisirs des prisonniers ! Il a de la chance d'être mort, celui-là ! Calith comprend soudain pourquoi les condamnés chahutaient de la sorte l'asservi, lorsqu'il nettoyait les couloirs des geôles. Il imagine sans peine les remarques graveleuses qu'ils lui balançaient à la figure. Et lui, qui ne pouvait rien répondre, qui se devait d'être là, tous les jours, sous peine de correction.

La bouteille se vide peu à peu. Calith ressasse le peu qu'il sait. Dire qu'il s'extasiait du savoir-faire de son esclave. Voilà d'où lui venait cette adresse. Et dire qu'il l'a pris sans aucune douceur, uniquement pour se prouver qu'il pouvait être maître de la situation. Il l'a utilisé, tout comme le bourreau le faisait. Peut-être sans le faire souffrir autant, du moins physiquement. Mais les intentions n'étaient-elles pas les mêmes : dominer ?

 

La bouteille roule, vide, sur le tapis richement brodé. Il voit si précisément son esclave, un masque de souffrance sur le visage, son corps brisé, avili, souillé. Il aimerait qu'il soit là, pour le prendre dans ses bras, pour lui offrir de la douceur et des caresses. Mais le mal est fait. N'a-t-il pas laissé des cicatrices indélébiles ?

D'un geste rageur, le roi jette loin de lui ces écrits insoutenables. Comment peut-on prendre du plaisir à faire souffrir à ce point ? Comment ce fils de chienne pouvait-il sourire en le torturant ?

 

Des larmes amères tracent un sillon sur ses joues. Il ne prête pas attention aux coups frappés à la porte. Aucune importance. Les images du corps torturé qu'il a appris à apprécier dansent devant ses yeux, comme pour le narguer. Ces grands yeux noirs, noyés de larmes. Ces bras, si maigres et pourtant si musclés, étirés à l'extrême dans une suspension insupportable. Son ventre, creusé par les privations, distendu par les quantités d'eau qu'on lui faisait avaler, par les objets qu'on insérait en lui. Son …

 

La porte des passages secrets s'ouvre silencieusement, mouvement capté du coin de l'oeil et qui attire son attention. Il reste affalé dans son fauteuil, faisant vaguement signe à son visiteur d'approcher. Visiteur dont il ignore tout de l'identité. L'alcool, comme voulu, a jeté un voile obscur sur sa conscience. Tout semble moins important, soudain.

 

La silhouette massive du Général se dresse devant la fenêtre, masquant le peu de luminosité que le ciel sinistre daignait offrir. Il ne faut qu'une poignée de seconde et un regard observateur pour que Loundor comprenne la raison de la douce hébétude de son roi. Et de l'odeur d'alcool qu'il dégage. Il se baisse pour récupérer les rouleaux au sol et lis rapidement les premières lignes.

 

- C'est le simplet ?

 

Calith acquiesce d'un mouvement de la tête, incapable de prononcer une parole. Loundor jure à mi-voix alors qu'il parcourt rapidement les différentes pages. S'il repose les rouleaux sur la table au lieu de les jeter à terre, son geste n'est pourtant pas dépourvu de violence. Son visage buriné par le soleil est bien pâle, aujourd'hui. D'un geste un peu brusque, il tend un mouchoir à Calith, avant le rabrouer gentiment :

 

- Allez, tu ne vas pas rester là. On doit parler de l'enquête.

 

Rendu obéissant par la quantité d'alcool qu'il a ingurgité, Calith se lève. Du moins, il essaie. Car il ne boit quasiment jamais et les effets de l'eau de vie sont encore plus visibles. A peine a-t-il réussi à soulever son derrière de l'assise confortable du fauteuil qu'il perd l'équilibre et s'écroule sur le siège.

 

- Bon, j'ai compris.

 

De sa force surnaturelle, Loundor prend son roi dans les bras et le porte jusqu'au lit. Là, avec tout l'amour d'une mère, il borde soigneusement un Calith sanglotant. Puis, gêné par cette effusion de sentiments, lui qui ne montre jamais les siens, il s'éloigne. Et bougonne :

 

- Jérémias va te tenir compagnie. Je vais m'occuper du reste avec Elihus.

 

Mais Calith n'est déjà plus en état de comprendre ce que lui raconte le Général. Il réalise à peine son départ, tout comme il ne se rend que très vaguement compte de l'arrivée du garde. Mais le garde, tout nerveux qu'il peut être quand son roi est en pleine possession de ses moyens, se monte très assuré dans cette nouvelle affectation. Avec patience, il éponge le front luisant de sueur de Calith, lui parle doucement de petits rien qui apaisent l'inconscience agitée de son souverain.

 

 

 

 

Lorsque Calith émerge enfin, la nuit est tombée. Il reste de longues minutes recroquevillé dans son lit, un mal de crâne lancinant cognant sans répit, la bouche pâteuse. Les souvenirs de cet après-midi honteux lui reviennent trop rapidement à la mémoire et le font grogner.

Pendant ces quelques minutes, l'idée même de quitter son lit le rebute. Puis, se rabrouant mentalement, il s'extirpe péniblement de la douce chaleur de l'édredon et vacille jusqu'à la salle d'eau.

 

Son arrivée dérange visiblement. Jérémias et Lanen, enlacés, se séparent brusquement. Calith, d'un geste de la main vague, essaie de leur signifier qu'ils ne le dérangent pas, qu'ils peuvent continuer. Mais ce geste est si vague qu'ils ne le comprennent pas et se mettent immédiatement à l'ouvrage. Lanen lui apporte une bassine d'eau tiède, pour qu'il chasse les dernières vapeurs d'alcool dans une rapide toilette. Jérémias, spécialiste des gueules de bois carabinées pour côtoyer quotidiennement des soldats, lui apporte une tisane fumante, aux odeurs de camomille et de sauge. Rien de tel pour faire passer ce mal de crâne.

Le psyché aux reflets vacillants lui renvoie l'image d'un homme blafard, éteint, de lourds cernes noirs sous les yeux. Il est beau, le roi, tiens. Secouant doucement la tête, il s'écarte. Et ordonne, d'une voix basse, que Lanen l'aide à enfiler ses vêtements.

 

Il peine un peu pour défaire le sort qui scelle la porte d'entrée. Et se demande bien à quoi il peut servir, puisque Loundor, Jérémias et Lanen ont fait des allers-retours chez lui, sans être gênés par le sortilège.

C'est d'humeur peu aimable qu'il se rend dans son bureau, désert. La soirée doit être bien avancée, déjà, et il est parfaitement logique qu'Elihus soit absent. Il profite donc de cette solitude pour lire le compte-rendu de l'enquête, travailler un peu sur les divers dossiers et pour feuilleter quelques ouvrages sur les rayonnages. Tout pour oublier ce comportement indigne d'un roi et surtout, ce qui l'a amené à boire autant.

Finalement, c'est au beau milieu de la nuit qu'il regagne son lit, content d'avoir esquivé Gracilia.

 

 

 

 

 

Le lendemain, c'est avec l'aube qu'il se lève. Une toilette rapide, Lanen qui l'aide à mettre ses vêtements, et il se dirige d'un bon pas avec son bureau. Oubliée, la gueule de bois. Oubliée, la douce hébétude de l'alcool. Il doit agir, il en est parfaitement conscient. Devant un petit-déjeuner frugal, il valide les décisions suggérées par Elihus. Puis, c'est dans le compte-rendu de l'enquête qu'il se plonge pour de bon.

 

De la liste des fidèles du temple de Sevaerith vivants au château, seuls deux n'ont pas pu fournir d'alibis fiables pour les nuits des meurtres. Une frêle jeune fille de bonne famille, qui passe ses soirées seules à broder sa dot. Calith grimace. Cependant, l'assassin maîtrise ses victimes, les ligote, et les torture avec un rasoir. Ce qu'une frêle jeune fille, amatrice de broderie ou non, ne peut pas réaliser sans aide. Et elle n'est entourée que d'autres femmes, bienséance oblige. Loundor préconise de la garder sous surveillance, au cas où, mais sans trop s'attarder sur son cas. La seconde personne est un vieil homme, veuf depuis peu, qui, d'après ses déclarations, noie son chagrin dans l'alcool, dès la nuit tombée. Et seul. Cette fois encore, impossible de vérifier s'il dit la vérité, bien que sa gêne, au moment d'expliquer ce qu'il fait de ses soirée, plaide en faveur de sa sincérité. Cette fois encore, Loundor conseille de se contenter d'une surveillance, sans pour autant le considérer comme un coupable potentiel.

 

C'est dans la liste des félons que des éléments se montrent plus prometteurs. Plusieurs d'entre eux ont un comportement étrange et il est impossible de retracer exactement leurs emplois du temps. Les espions de Nala, souvent infiltrés dans les cercles qu'ils fréquentent, ne les quittent pas d'une semelle. Calith acquiesce en voyant la note manuscrite de Loundor : ne pas leur mettre la puce à l'oreille tant qu'on ne sait pas ce qu'ils trafiquent. Et si des éléments plus probants sont découverts, il faudra les interroger.

 

Il parcourt les rapports du médecin lorsque la porte s'ouvre sur Elihus. Le conseiller pénètre dans la bibliothèque en saluant son roi. Si son visage montre la désapprobation qu'il ressent quant au comportement de Calith la veille, il n'en souffle pas un mot.

Ils parlent rapidement de l'enquête, puisqu'il faut encore attendre d'avoir plus d'informations de la part des espions. Puis se concentrent sur les réserves de nourriture que contiennent les greniers de Pieveth. La situation est préoccupante. L'hiver risque de paraître bien long, car le seul moyen de préserver la nourriture jusqu'au printemps, c'est de rationner, dès à présent, les réserves. Reste bien sûr la possibilité de commercer avec Lluse, solution qui sera, à terme, incontournable.

 

Des coups discrètement frappés à la porte les interrompent. Jérémias passe la tête par l'embrasure de la porte et finit par entrer, après en avoir reçu l'ordre. Il se tient gauchement devant le bureau et débite, comme s'il avait répété plusieurs fois cette phrase :

 

- La Duchesse Adélaïde de Peyfils, du royaume de Lluse vous attend dans la salle du trône, Sire.

 

Elihus et Calith échangent un regard surpris. Rares sont les nobles des autres royaumes, surtout à cette saison, qui feraient le déplacement pour rendre visite au roi fraîchement couronné.

 

- J'arrive.

 

Poussé par la curiosité, Calith, suivi de son conseiller, se rendent dans la salle du trône. Mais ils restent sur le seuil de la porte à la recherche de la duchesse. La salle grouille de tant de personnes qu'il règne un brouhaha désagréable. Une jeune femme, accompagnée d'un serviteur, sans doute, se tient timidement devant le trône désert. Elle regarde un peu bêtement la décoration de la salle, comme si elle se demandait ce qu'elle fichait là. C'est Elihus, le premier, qui réagit et murmure avec empressement :

 

- Elle doit venir dans ton bureau, Calith. Tu ne peux pas la recevoir ici.

- Bien. Jérémias, va la voir et demande-lui de te suivre jusqu'à la bibliothèque. Tu la conduiras près de nous et tu resteras dans la pièce. Quoiqu'il se dise pendant cet entretien, tu ne devras le répéter à personne, compris ?

- Oui Sire. A vos ordres, Sire.

 

Calith et Elihus regagnent le bureau, l'esprit en ébullition. A peine la porte refermée derrière eux, Elihus s'agite :

 

- Cette femme est autant duchesse que moi. Mais pourquoi diable s'est-elle déplacée jusqu'ici ? Son père est-il seulement au courant ? Par les Dieux, comment allons-nous gérer cette situation ?

 

Si Calith ne parvient pas à identifier la jeune femme, il sait pertinemment qu'il la connait. Il a déjà vu ce visage quelque part, bien plus jeune. Lorsque la porte s'ouvre sur Jérémias et les deux visiteurs, Elihus a retrouvé son masque impassible. Il s'incline très respectueusement et tient ce discours :

 

- Soyez la bienvenue dans notre château, Votre Altesse. Cette visite nous honore.

 

Le comportement de la jeune femme a complètement changé. Elle se tient bien droite, ce qui la grandit un peu bien qu'elle demeure petite. Disparues, la timidité et la nervosité qu'elle affichait dans la salle du trône. Oublié, l'air stupide qu'elle se donnait. Son regard perçant fixe Elihus et sa voix un peu rauque, pour une femme, déclare :

 

- Ainsi donc vous savez qui je suis. Je vous félicite, rares sont ceux qui connaissent mon visage et mon rang.

- Comment oublier un si noble visage ?

- Point de viles flatteries, je vous prie.

 

Calith esquisse un sourire. Elihus a très justement souligné la noblesse de son visage, car dire qu'elle est belle, ou même jolie, serait un mensonge flagrant. Elle n'est pas laide, pourtant, mais ses yeux sont un peu trop petits, son nez trop fort et sa bouche, trop grande. L'ensemble donne l'étrange impression qu'on a collé ces bouts de visages venant de différentes personnes sur un modèle d'argile pour façonner à la va-vite un nouveau visage. Un sourire amusé se dessine sur les lèvres d'Elihus, qui incline la tête en signe de soumission. Puis, de sa voix la plus officielle, il fait les présentations :

 

- Sa Majesté Calith de Pieveth, permettez-moi de vous présenter Son Altesse Zélina de Brevont, seconde fille du roi de Brevont.

 

Calith, suivant l'étiquette, prend délicatement la main de la princesse pour y faire un baise-main. Et la première question qui lui vient à l'esprit est :

 

- Votre père sait-il que vous êtes ici ?

- J'en doute fort.

 

Une vague de panique s'empare du roi. Le souverain de Brevont a la rancune tenace, comme l'a rapporté Nala dans son message. S'il apprend que sa fille est dans les murs du château, il pourrait bien se servir de ce prétexte pour attaquer Pieveth. Elihus, devinant sans peine le trouble de son roi, reprend le protocole et invite ses hôtes à s'asseoir. Il leur propose des rafraîchissement, avant de s'enquérir :

 

- Avez-vous fait bon voyage, Votre Altesse ?

- Oui, merci Conseiller Elihus. Un voyage fort agréable, malgré la froidure, et parfaitement discret.

 

Elihus ne semble pas particulièrement surpris par le fait qu'elle connaisse son nom. A en croire la rougeur de ses joues, bien visible malgré sa barbe impeccablement taillée, il en est même plutôt flatté. Le voyage devient alors une conversation idéale, faite de petits riens, le temps que Jérémias demande qu'on apporte des rafraîchissements et que son ordre soit exécuté.

Elihus semble prendre un plaisir fou à discuter de la sorte, un badinage parfaitement en adéquation avec la bienséance et le protocole. Quel changement ça doit lui faire, lui qui s'est habité aux rustres manières de Calith ! Le thé servi, Calith profite d'un répit dans la conversation pour lancer :

 

- Nous n'avions pas été prévenus de votre venue.

 

Elihus manque de s'étouffer avec son thé en entendant l'inconvenante déclaration de son souverain. Il tente précipitamment de réparer le tort causé d'un :

 

- Mais cette surprise décuple le plaisir que nous avons de vous recevoir.

 

La princesse sourit, nullement gênée par le manque de courtoisie du roi. Elle leur explique, d'un ton parfaitement serein :

 

- La venue de votre diplomate a déclenché mon envie de vous rendre visite. Nous avions su, par les rumeurs, que le roi Lombeth était tombé et que vous aviez pris sa place. Mais l'apprendre de source officielle fut très apprécié. Du moins, en ce qui me concerne. Vous n'êtes pas sans savoir que mon estimé père demeure peu enclin à vous accorder sa confiance.

- Nous le savons, en effet.

- Mon père ne nous autorise guère, nous ses filles, à nous mêler des affaires du royaume. Ni à se montrer trop souvent à la cour. Il estime qu'il ne nous est pas nécessaire de nous encombrer de telles occupations.

 

Un sourire triste étire les lèvres de la princesse. Elle prend une gorgée de thé avant de poursuivre :

 

- Ce que votre diplomate a révélé à mon père, disais-je, m'a décidé à venir. Bien sûr, mon père n'est pas au courant, lui qui n'accepte qu'à contre cœur que nous sortions de notre château. Mon départ devait se faire de manière discrète, c'est pourquoi je n'ai pris que le strict nécessaire. Et que je n'ai demandé qu'à Brocepan de m'accompagner.

 

Pour la première fois, Calith détaille réellement le jeune homme qui se tient aux côtés de la princesse. Il est grand et massif et son visage n'a rien d'avenant. Ses cheveux noirs comme la suie, ses épais sourcils qui forment une barre au-dessus de ses yeux d'un bleu glacial et sa bouche particulièrement fine ne donnent pas envie de le côtoyer. Mais ce serviteur est sans doute digne de confiance, puisqu'elle lui a demandé, à lui seul, de l'accompagner. Calith aimerait bien savoir si c'est uniquement pour se distraire qu'elle vient les importuner, mais il se doute qu'Elihus n'apprécierait pas qu'il pose cette question. Alors, patiemment, sirotant son thé encore brûlant, il attend qu'elle daigne en venir au fait.

 

- Je suis parfaitement consciente des risques que j'encours, et que je vous fais encourir, s'il venait à apprendre ma présence ici. C'est pourquoi je ne resterais que le temps que nous nous mettions d'accord. Si vous me l'autorisez, je passerai la nuit ici-même avant de repartir dès demain matin.

 

Aussitôt, un Elihus obséquieux lui assure qu'il n'y aurait pas plus grand honneur pour eux que de l'accueillir pour la nuit. La bienséance lui interdit de poser directement la question, alors il attend qu'elle parle plus de ce fameux accord. Jérémias se charge de demander que la plus belle chambre des invités soit préparée. Après avoir remercié Elihus pour sa courtoisie, la princesse en vient au fait, ou presque :

 

- Cette proposition est de mon fait, et uniquement de mon fait, je vous prie de me croire. Si elle venait à vous déplaire, je vous en conjure, n'en soufflez mot à quiconque. Ce qui est dit dans cette pièce doit rester dans cette pièce en cas de désaccord. Promettez-le moi !

 

La curiosité de Calith est attisée par ces déclarations et, après un bref regard à Elihus, il jure solennellement de garder le secret. Alors seulement, Zélina de Brevont annonce :

 

- Je n'ignore pas que cette demande n'est pas protocolaire mais qu'importe. Je suis venue trouver un accord pour qu'on se marie.

 

 


 
 
posté le lundi 24 juin 2013 à 08:34

Pieveth, Chapitre 15

 

 

 

Attention, ce chapitre comporte un passage assez dur, en italique. Je l'écris en blanc, couleur de fond du blog : il suffit de sélectionner le texte pour pouvoir le lire. Si vous ne vous en sentez pas capable, n'ayez crainte, le paragraphe suivant résume ce passage. 

 

La main sur la poignée de la porte, Calith commence déjà à perdre patience. Devant sa réaction, Jérémias se précipite vers une lourde teinture, située juste à côté du fauteuil qui fait face à la fenêtre. Il actionne un levier à peine visible et c'est une infime largeur de mur qui s'efface. Il a l'air fier de lui et Calith se sent bien penaud, soudain. Il ignorait totalement la présence de ces passages.

Jérémias lui montre le levier en question, puis son pendant, à l'intérieur du couloir étroit, qui permet de fermer et d'ouvrir cette porte lorsqu'on est dans le passage. Le garde, tout fier de son savoir, expose :

 

- Lombeth se servait souvent de ces passages. Ils ne sont pas bien larges et ils sentent le renfermé mais ils vous permettent d'aller et venir sans vous faire remarquer.

 

Calith enregistre les informations en même temps qu'il réfléchit à l'existence de ces couloirs dérobés. Ces appartements étaient ceux de ses parents, des années plus tôt. Et si Calith avait l'autorisation d'y aller, de temps en temps, jamais personne ne lui avait parlé de tels accès secrets.

Il leur faut bien moins de temps qu'en empruntant les couloirs classiques pour parvenir à la porte qui donne sur la cour d'entraînement. Satisfait par cette découverte, Calith donne une tape amicale sur l'épaule de son escorte et franchit la porte. Il ne va guère plus loin : ses yeux cherchent le simplet. Et ils ne tardent pas à le trouver.

 

Il n'est pas soldat de métier, mais il s'y connaît suffisamment pour être persuadé que ce n'est pas le premier combat de son esclave, tout amical qu'il soit. Les gestes sont rendus maladroits par le manque de pratique mais on peut clairement voir qu'il maîtrise les rudiments de base du maniement d'arme. Les mouvements sont relativement fluides, les parades simples mais efficaces. Calith pourrait rester des heures à le regarder combattre mais Jérémias le ramène à la réalité :

 

- Sire ? Le Général Loundor vous attend.

 

Grognant un assentiment, le roi détourne son attention du combat et se dirige vers le Général qui supervise ses troupes.

 

- Bonjour Majesté.

- Bonjour Loundor.

- J'allais faire venir le déjeuner, tu manges avec moi ?

- Pourquoi pas ?

 

Le Général confie l'entraînement à ses officiers, ordonne qu'on lui apporte deux déjeuners, et conduit Calith dans son bureau. Se laissant tomber dans son fauteuil, il souffle bruyamment avant de s'exclamer :

 

- Et bien, quelle matinée !

- Des soucis ?

- Pas vraiment, non. Beaucoup d'informations, surtout.

 

Calith s'installe confortablement en face du loup-garou et joue machinalement avec ses manches. Il sait qu'il les aura, ces informations, alors autant attendre qu'on lui donne. Et ça n'y coupe pas, Loundor commence :

 

- Le couvre-feu a été très bien respecté. Peu de personnes ont voulu se déplacer, cette nuit, et les gardes ont soigneusement pris leurs identités. Je les ai fait consigner dans un registre, on pourra faire des recoupements plus tard.

- Ils surveillent également les passages secrets ?

- Seulement les entrées, ils conduisent tous dans tes appartements. Personne ne les emprunte.

- Pas même moi, d'ailleurs, puisque j'en ignorais l'existence.

 

Le Général se redresse vivement du fauteuil et plonge son regard ébène dans celui du roi.

 

- Tu plaisantes ?

- J'ai l'air de plaisanter ?

- Non. J'étais persuadé que tu les connaissais.

- Et bien non. C'est Jérémias qui me les a fait prendre pour la première fois aujourd'hui.

- Ah ! Je savais que c'était une bonne idée, qu'il t'escorte !

- Pour qu'il me serve de guide ?

- Bien sûr que non ! Pour qu'il veille sur toi. Tu penses à la sécurité des nobles mais bien peu à la tienne.

- Tu as dû placer suffisamment de gardes autour de mes appartements pour que je n'ai pas à m'inquiéter.

- En effet. Mais dans la journée, mieux vaut qu'on te voit accompagné.

- Pour leur montrer qu'on redoute ce meurtrier ?

- Pour leur montrer qu'on prend la menace très au sérieux.

 

L'arrivée de deux esclaves apportant le déjeuner les interrompt quelques minutes, puis le Général reprend :

 

- On a réussi à obtenir une liste quasiment exhaustive des fidèle du temple de Sevaerith.

- Des noms connus ?

- Plusieurs, oui. Des nobles, des courtisans, des loups-garous.

 

Le regard appuyé du Général est chargé de menace. Que Calith ne s'avise pas à émettre l'idée qu'un des loups soit le meurtrier. Le message est clair, bien que non formulé à voix haute. D'une rapide inclinaison de la tête, Calith lui fait comprendre qu'il a saisi.

 

- Les points communs entre les victimes n'ont pas encore été trouvés, ce qui n'est pas très surprenant. Mais mes hommes continuent à fouiller.

- Bien. Et concernant d'éventuels traîtres ?

- Le chef des espions de Nala m'a fait parvenir une liste de renégats potentiels. Je leur ai demandé de les surveiller étroitement et de me rapporter le moindre élément intéressant.

- Est-ce que les mêmes noms reviennent dans les différentes listes ?

- Aucun. Mais on est sur la bonne voie, Calith. On avance et on le trouvera.

 

Un léger sourire, bien triste, effleure les lèvres du roi. Pourquoi a-t-il fallu que le meurtrier se mette au travail alors qu'il vient tout juste d'arriver au pouvoir ? Calith pioche distraitement dans son assiette, tandis que le Général dévore. Et enfin, il aborde le sujet qu'attendait Calith :

 

- Pour ton esclave, je suis agréablement surpris. Il se bat bien, pour un type qui balayait les couloirs.

- J'ai vu ça, oui. Il connaît déjà les bases.

- C'est une certitude. J'ignore d'où il vient et ce qu'il faisait avant, mais il a appris le combat.

- Il a parlé ?

- Non. Impossible de connaître son nom, pour le moment.

- Et avec les autres ?

- Hier au soir, il a dévoré son repas puis a suivi les soldats dans leurs dortoirs. On m'a reporté qu'il ne s'était pas mêlé à eux. Il se contentait de les suivre, pour les ablutions, par exemple, mais tout en restant dans son coin. Ce matin, il les a suivi pour l'entraînement et s'y est mis. Il est très docile. Mais je pense que ça ne durera que le temps qu'il prenne ses marques.

- Tu le vois réellement boute-en-train ?

- Pas une seule seconde. Mais je pense qu'il s'affirmera plus dans le temps.

- Je l'espère vraiment.

- D'ailleurs, tu n'es pas sans savoir que je compte envoyer un détachement à Rocnoir.

- Oui, on peut le faire maintenant.

 

Rocnoir est le dernier village où se sont regroupés les opposants au Tyran, juste avant de prendre le château d'assaut. Par mesure de sécurité, les femmes, les enfants et certains conseillers, peu préparés aux combats, sont restés là-bas. Maintenant que la situation est quasiment revenue à la normale, il est temps d'aller les chercher. Même si un tueur rôde. Calith ne compte pas s'opposer à leur retour, car il sait parfaitement que parmi ces personnes se trouvent la femme et les enfants de Loundor. Il ne l'avouerait pour rien au monde, pas même en allusions, il est bien trop pudique et bien trop fier, mais ils lui ont manqué. Et Calith le sait.

 

- Tu veux qu'ils partent quand ?

- Demain matin. Et je veux que ton esclave les accompagne.

 

Le regard perçant de Calith se vrille dans celui du loup. Il ne plaisante pas. Il ne le provoque pas. Il énonce une réalité. Impitoyable, Loundor poursuit :

 

- C'est mon bêta qui mènera le détachement et il y aura beaucoup de loups-garous. Ton esclave sera sûrement plus à l'aise pour apprendre à connaître ses condisciples s'il est en petit comité, entouré de ses semblables. Il sera moins écrasé par le passé s'il s'éloigne un peu du château.

- Mais...

- Et ce n'est pas risqué. Ils seront trente, entraînés, armés, et peu de pillards sont signalés à l'intérieur de nos terres. Quand bien même, ils seraient inconscients de s'attaquer à notre armée. Et même s'ils attaquent, les soldats réagiront comme une meute : ils protègeront leurs membres les plus faibles. C'est une mission de six jours maximum, Calith, et ton esclave reviendra en un seul morceau.

 

Les bras croisés, Calith digère la nouvelle en silence. Ils se sont donné le mot, Elihus et Loundor, pour l'empêcher de voir son esclave. C'est la seule explication. Ils voient d'un mauvais œil l'attachement du roi à cet asservi et souhaitent les séparer. Pour pouvoir marier Calith à une espèce de pimbêche, bête comme ses pieds, qu'il devra supporter jusqu'à la fin de ses jours.

 

- Je veux juste lui donner un coup de main pour qu'il se sente bien parmi nous, Calith. Rien d'autre.

 

La voix du colosse est vibrante de sincérité. Le simplet ne peut plus être sien, de toute façon. Alors, de guerre lasse, Calith demande :

 

- Ta décision est prise ?

- Oui.

- Bien. Dans ce cas, fais comme tu le souhaites.

- Merci.

 

Calith se mure dans le silence et prend congé du Général. Il parvient à esquiver Jérémias, occupé à discuter avec ses collègues, et regagne ses appartements grâce aux passages dérobés. Lanen n'est pas présent et c'est très bien ainsi. De deux sorts, il condamne les portes menant à ses appartements. Enfoncé dans son fauteuil, face à la fenêtre qui dévoile toute la noirceur du ciel, il se perd dans ses sombres pensées.

Plus tard, quelques coups frappés contre la porte le tirent de ses réflexions. Un vibrant « Je ne suis pas là » leur répond. Il sait que ça peut paraître stupide, comme réponse. Mais c'est le meilleur moyen de faire savoir à celui qui le cherche que si, il est là, mais que non, il ne veut voir personne. Vu les évènements actuels, inutile de mettre le château à feu et à sang pour le retrouver.

 

 

 

 

Il ne sort de ses appartements que le lendemain matin, après avoir longtemps tenté de se convaincre qu'il devait oublier l'esclave. Et c'est pour se rendre dans la bibliothèque. Il sait que le détachement qui part pour Rocnoir le fera tôt. Mais il ne veut pas assister à ce départ. Alors il se jette à corps perdu dans les dossiers ennuyeux à mourir. Il épluche les rapports des gardes et des espions de Nala pour oublier que son esclave part pour six jours. Et ça fonctionne plutôt bien. La journée passe ainsi, studieuse, laborieuse et terriblement silencieuse. Après deux ou trois essais de conversation infructueux, Elihus, qui l'a rejoint en milieu de matinée, ne dit plus un mot. Ils travaillent en silence, bercés par le crépitement des flammes.

 

Dans la soirée, un messager vient apporter des nouvelles de Nala. La rencontre avec le roi de Brevont a été plus ardue que prévu. Il juge le comportement de Lombeth trop offensant pour accorder sa clémence au nouveau roi. Il refuse en bloc toute idée de commerce avec Piéveth mais semble avoir accepté l'idée qu'une guerre n'est pas indispensable. Cette nouvelle, en demi-teinte, est très inquiétante. Brevont possède des frontières communes avec Pieveth : si le roi veut absolument en découdre, il peut attaquer de manière très rapide. Calith laisse une note à Loundor, lui recommandant de placer des sentinelles le long de cette frontière commune. Ils doivent à tout prix être prévenus du moindre mouvement de troupes. Nala a fait tout son possible, il n'en doute pas, mais lorsque l'orgueil d'un roi est bafoué, il est bien difficile de réparer les torts. Nala leur annonce qu'elle part désormais pour Vaulan, espérant y recevoir un meilleur accueil.

Gracilia passe la soirée avec le roi, déployant des trésors d'imagination pour le divertir et lui donner du plaisir. Il ne la renvoie pas, fait des efforts pour l'honorer, mais le plaisir est bien fade. De guerre lasse, la jeune femme déserte les appartements royaux à la mi-nuit.

 

 

 

 

Les deux jours suivant sont d'une morosité affligeante. Calith, le moral en berne, d'humeur sombre, ne parle que s'il y est obligé, ne mange que par habitude, et refuse tout net la présence de Gracilia dans ses appartements.

 

Mais le lendemain, alors qu'il traite un épineux sujet d'accords commerciaux, Elihus pénètre en trombe dans la bibliothèque. Il a le visage défait et ses mains serrent compulsivement un rouleau de manuscrits. Calith se rend tout de suite compte qu'il y a un problème et envoie un esclave chercher un petit remontant pour son conseiller. Ce dernier, d'une voix blanche, annonce :

 

- Les archivistes ont terminé de fouiller la salle du bourreau.

- Ils ont découvert des éléments intéressants ?

- Cet homme était arrivé en même temps que Lombeth. Et il soumettait les prisonniers à la question avec beaucoup de plaisir. Étonnamment, c'était un homme cultivé : il tenait des journaux, dans lesquels il inscrivait les moments forts de sa journée.

 

Calith s'empare vivement de la bouteille d'eau de vie de poire qu'on vient de leur amener et les sert généreusement. Il n'ose imaginer ce qu'un bourreau peut écrire sur des séances de torture. La voix dElihus, pourtant habituellement si sûre d'elle, vacille un peu lorsqu'il poursuit :

 

- Je t'épargnerai les détails. Nous les avons rapidement feuilletés pour en connaître le contenu et plus d'un archiviste a eu la nausée.

- Vous avez trouvé quelque chose en rapport avec le simplet ?

- Oui. Mais...

 

La main légèrement tremblante d'Elihus pose le rouleau de manuscrits sur le bureau. Puis il boit, cul sec, son petit verre d'eau de vie. Enfin, il lâche dans un murmure :

 

- C'est une lecture éprouvante, Calith.

- Je me doute. Je le lirai plus tard. Tu as des nouvelles, concernant l'enquête ?

- Loundor doit passer, tout à l'heure. Ils ont deux ou trois pistes assez prometteuses. Mais pas encore de coupable.

- Bien. Tu as des dossiers à me faire approuver ?

- Non, rien pour le moment. J'ai passé la moitié de la journée dans cette salle sordide... D'ailleurs, à ce sujet. Que veux-tu qu'on fasse de ces manuscrits ? On les brûle ?

- J'aimerais beaucoup. Mais ils peuvent être source d'informations. Qu'on les garde en archives.

- D'accord.

 

Le regard de Calith ne cesse de revenir sur le rouleau de manuscrits. Qu'importe l'horreur qu'ils renferment, il doit savoir. Il se lève soudainement et déclare :

 

- Je te laisse voir avec Loundor ce qu'ils ont appris concernant l'enquête. Je vais lire ces rouleaux dans mes appartements.

- D'accord. Je ne viendrai qu'en cas d'urgence.

- Merci.

 

Pressentant qu'il en aura bien besoin, Calith attrape au passage la bouteille d'eau de vie. Puis, muni du rouleau, il regagne ses appartements. Il demande à Lanen d'aller ailleurs, où il veut mais ailleurs, et scelle la porte d'un sortilège. Malgré la fraîcheur de la pièce, il a les mains moites. Il redoute bien trop ce qu'il va lire pour avoir l'esprit tranquille. Et est-ce que ça va seulement l'aider à en apprendre plus sur son esclave ? Finalement, il s'installe sur son fauteuil, près de la fenêtre, et déroule les manuscrits. L'écriture est soignée, plaisante à lire, mais les mots, dès le début, donnent la nausée à Calith.

 

Il est allongé sur une table en bois brut. Son dos est solidement plaqué à la surface rugueuse par deux liens, en bas de son ventre et au milieu de son torse, et qui sont noués sous la table. Deux autres liens, sous l'épaule et au poignet, immobilisent ses bras le long des pieds de la table. Il doit faire un effort pour que sa tête, hors de la table, ne pende pas dans le vide.

Deux autres cordes, encore, qui lient solidement ses cuisses aux chevilles, et qui bloquent ses pieds aux angles de la table en étant nouées à la base de la table. Ses jambes sont largement ouvertes, laissant une vue imprenable sur son intimité.

Il est parfaitement immobilisé dans cette position, incapable de bouger plus que la tête et les doigts. Déjà, la morsure du chanvre sur sa peau le fait grimacer. L'inconfort se fait sentir, lui aussi.

Je le regarde en souriant. Il me renvoie un regard vide. Je contourne la table, m'approche de ses jambes. Un éclair de frayeur parcourt ses yeux. Depuis le temps, il sait que rien ne lui sera épargné. Je ne me lasse pas. La corde que j'ai pris est fine, pas très longue, un peu plus douce que les autres. Sans douceur, j'attrape ses bourses, les serre un peu, juste assez pour le faire grimacer. Les tire vers moi, jusqu'à ce qu'il gémisse. De ma main libre, j'enroule la corde autour de la peau étirée, juste sous son sexe. Je serre, fais un nouveau tour de chanvre, serre encore. Je le lâche pour aller chercher une corde similaire. Son regard a reflété du soulagement, l'espace d'une seconde. C'est marrant, comme ils peuvent espérer que ça s'arrête là.

Son sexe semble se recroqueviller sur lui-même, comme pour se protéger. Je souris. Et noue solidement la nouvelle corde à la base de son pénis. C'est ensuite un petit sac de cuir que je vais chercher, et dans lequel j'enferme ses parties intimes. Il est juste à sa taille. Je tire sur les liens du sac jusqu'à ce qu'ils atteignent le petit crochet, vissé dans la table, à hauteur de son flanc droit. Son sexe remonte de manière bien peu naturelle sur son ventre, dévie vers la droite. Il gémit plus fort. Ce qui m'intéresse est désormais parfaitement accessible.

Mais je le laisse pour le moment, me dirige vers ma table pour y prendre un bol d'eau fraîche où flottent quelques feuilles. Un remède de grand-mère, très efficace, pour aider les malheureux qui ne parviennent pas à honorer une femme. Même s'il ne ressent aucun plaisir, aucun désir, son sexe va se déployer. Durcir et gonfler, en signe d'excitation. Et entre la corde et le sac, ce sera douloureux. Et je me régalerai de ses gémissements. Peut-être de ses cris, si tout va bien.

Je lui présente le bol devant les lèvres. Il sait ce que c'est, bien sûr, ce n'est pas la première fois. Mais il n'a pas bu depuis la veille, ses lèvres sont gercées et saignent, sa bouche pâteuse. Il boit. Mon sourire s'élargit. Je tapote sur le petit sac de cuir, quelques coups seulement. Il se crispe dans les liens, se débat vainement. Gémit plus fort. Il est prêt.

Il est prêt mais je le laisse ainsi une trentaine de minutes, le temps de faire ces quelques corvées obligatoires qui m'incombent. Le temps qu'il digère son aphrodisiaque. Le temps qu'il imagine les sévices qui l'attendent.

Quand je suis prêt, je vais chercher deux prisonniers. Ils m'attendent impatiemment, comme à chaque fois. Nous ne prononçons pas un mot, c'est inutile. Quand ils rentrent dans mon cabinet, ils sont fiers d'être les premiers. Ils échangent quelques phrases, le temps de se mettre d'accord sur le rôle de chacun. Ils tapotent un peu le sac de cuir en ricanant. Il pousse un léger cri.

Je pourrais modifier l'enchantement qui anime le collier d'acier qui orne son cou, large d'une huitaine de centimètres, afin qu'il ne puisse plus ni gémir ni crier. Mais ses cris ne durent que le temps que sa bouche soit vide, et ensuite, les petits bruits qu'il émet sont bien trop excitants pour s'en priver.

Les deux prisonniers n'ont pas ma délicatesse. L'un positionné devant ses lèvres, l'autre devant son anus, ils écartent des deux pouces l'orifice face à eux. Ils se regardent, sourient comme deux gamins qui vont faire une bêtise. Et d'un même mouvement, s'enfoncent profondément en lui. Il crie malgré son bâillon de chair, avant de s'étouffer. Mais ça n'arrête pas le prisonnier, qui poursuit son pilonnage avec zèle.

Je me suis assis sur mon fauteuil et les observe en me caressant. Je devine que le sexe du prisonnier s'enfonce trop loin dans sa gorge, que son corps essaie de le rejeter en ayant des haut-le-cœur. Et je sais à quel point cette sensation de resserrement compulsif autour du sexe peut être bon. Les deux compères s'agitent un long moment avant de jouir dans un râle de plaisir. Je les raccompagne, dociles, jusqu'à leur cellule. Ils ne l'ont pas regardé un seul instant, si ce n'est pour admirer leur sexe conquérir son corps.

Quand je reviens avec deux autres prisonniers, il est toujours en train de tousser et d'essayer de reprendre son souffle. Ces deux-là n'ont pas la même coordination que les précédents, et le prennent sans se soucier de leur complice. Ils échangent de place, plusieurs fois. Je devine qu'il n'aime pas ça. Je souris.

Lorsque les douze prisonniers sélectionnés sont passés, je reste seul avec lui dans mon cabinet. Il semble ne plus avoir la force de tenir sa tête relevée, et la laisse pendre dans le vide. C'est une invitation. Je dénoue les liens de mon pantalon et mon gland parcourt ses lèvres gercées, recouvertes d'un excédent de salive. Il ne réagit pas. Mon pouce appuie sur son menton, le force à ouvrir la bouche. Lentement, je m'enfonce dans sa cavité chaude, encore un peu humide. Ses dents frôlent mon sexe, je devrais peut-être lui faire arracher, pour qu'il ne reste que douceur.

Mon sexe poursuit son avancée, bute un peu. Je force. Je sens nettement le moment où j'arrive au niveau de son collier d'argent. Sa chair ne peut pas s'épanouir librement et est compressée. Ce n'en est que meilleur. Surtout qu'elle se resserre compulsivement autour de moi, m'aspire et me repousse en même temps. M'aspire lorsqu'il tente vainement de prendre son souffle. Me repousse, lorsque tout son corps lutte pour expulser le corps étranger. Je suis parfaitement positionné pour voir ses bras tressaillir, tenter de se libérer pour me repousser. Ses jambes tentent également de bouger, elles ont une pris une couleur un peu bleuté, très jolie. Je m'enfonce jusqu'à la garde, jusqu'à ce que mes testicules reposent sur ses narines et l'empêchent définitivement de respirer. Et je tapote le sac de cuir, doucement. Son gémissement étouffé me fait perdre toute retenue. Je le pilonne vigoureusement, repoussant ses limites physiques, et mes coups sur son sexe se font de plus en plus fort à mesure que mon plaisir augmente. Il crie désormais, du moins, il tente. Mais ses gestes pour se libérer se font de plus en plus faibles, alors je me retire, le temps de lui laisser reprendre son souffle. Quand il est inconscient, c'est bien moins marrant. Il pleure et s'étouffe avec sa salive. Je le laisse faire en pinçant durement ses tétons. Puis quand il se calme enfin, je reprends où je m'en étais arrêté. J'aime ce jeu, et j'aime contrôler ma jouissance. Aussi fais-je durer ce manège un long moment : je le mène au bord de l'inconscience, le libère le temps qu'il reprenne son souffle, puis m'enfonce à nouveau avec délectation dans sa gorge. Jusqu'à la jouissance ultime, qui me laisse les jambes tremblantes.

 

 

Calith avale une longue rasade d'alcool qui lui brûle l'œsophage. Il se sent mal. Les battements de son cœur résonnent dans ses oreilles et il a les mains moites. La lecture de ces tortures, de l'utilisation du simplet comme objet sexuel et objet de souffrance, est insoutenable. Il parcourt rapidement les nombreuses pages suivantes. Et réalise que ce qu'il a lu n'est, en fait, qu'une douce entrée en matière. Les sévices suivants, certes répartis en plusieurs séances, sont bien pires. Le bourreau faisait preuve d'une imagination impressionnante pour faire souffrir l'esclave, repoussant sans cesse ses limites physiques, alliant magie et objets de toute sorte.

 

Mais dans quel but ? Le bourreau connaissait parfaitement l'existence du sort de silence, puisqu'il en usait et abusait. Pire, c'était lui qui s'était arrangé avec Lombeth pour mettre ces sorts sur le collier, juste après l'arrivée du simplet à Pieveth. Et visiblement, s'il voulait l'entendre crier, il ne souhaitait pas qu'il parle. Pourquoi torturer quelqu'un, si ce n'est pas pour lui faire avouer quelque chose ? Et comment faire avouer quelque chose si la personne est incapable de parler ?

 

 


 
 
posté le dimanche 23 juin 2013 à 10:13

Pieveth, Chapitre 14

 

 

 

 

Il ne se fait pas prier, Calith, pour quitter la salle des officiers et enfiler une tenue plus décontractée. Nombreux sont les soldats qui souhaitent l'accompagner dans cette joute. Calith leur réserve pourtant une petite surprise. Il a enchanté le bâton d'entraînement, lui permettant ainsi de le manier plus rapidement et plus puissamment. Et les soldats ne tardent guère à s'en apercevoir. Dès lors, ils ne retiennent plus leurs coups et ce sont de véritables combats acharnés qui s'engagent.

Une paire d'heure plus tard, c'est le corps fourbu et contusionné qu'ils s'arrêtent enfin et vont se changer, non sans s'être rafraîchis avant.

 

Loundor n'est nulle part en vue et Calith n'est guère enthousiasmé à l'idée de rejoindre Elihus et ses sempiternels dossiers. Alors il s'emmitoufle dans une cape de Loundor et va profiter des derniers rayons du soleil. Un vent glacial s'est levé mais il lui fait du bien.

Ces meurtres... Serait-ce l'œuvre d'un traître, qui veut déstabiliser le tout nouveau souverain et son pouvoir encore précaire ? Ce serait bien possible. Mais dans ce cas, trouver un point commun entre les victimes ne serait guère utile. Il tue peut-être au hasard, dans le seul but de semer la terreur. Mais alors, pourquoi castrer ses victimes ? Pour marquer les esprits ? Pour rendre plus horrible encore ses crimes ? Et que diable peut-il bien faire des parties qu'il prélève sur ses victimes ?

 

Sa conscience le rappelle à la réalité alors qu'il arrive devant la grille de la forêt. Les sourcils froncés, il réalise enfin que ses pas l'ont conduit jusque-là, sans qu'il ne s'en rende compte. Et il a beau scruter l'orée de la forêt, il ne voit aucun loup. Loundor l'aurait prévenu, sans aucun doute, s'il y avait du nouveau concernant le simplet. Où peut-il bien se terrer ?

Il fait les cent pas devant la grille, sous le regard impassible des gardiens, avant de s'immobiliser, face à la grille. Devant, l'obscure forêt bruisse légèrement au rythme du vent. Le soleil a presque terminé sa course quotidienne et se laisse paresseusement glisser derrière l'horizon.

 

- Tu l'as vu ?

 

L'arrivée, tout en silence, de Loundor le surprend. Mais, trop fier, il ne le montre pas et se contente de secouer doucement la tête en signe de négation. Et puis, enfin, il ose murmurer la peur qui lui broie le ventre :

 

- Est-ce qu'il va revenir ?

 

La question du roi n'est qu'un murmure parmi ceux de la brise. Mais le garou l'entend, et répond en toute honnêteté :

 

- Je l'ignore. Le loup a pris le contrôle. Il parviendra peut-être à reprendre forme humaine. Sinon...

 

Loundor ne poursuit pas, c'est inutile. Calith sait parfaitement que les garous qui ont perdu le contrôle sont abattus par les leurs. Même s'il s'agit d'un être aimé. Trop dangereux.

Les deux hommes ne se regardent pas. Ils fixent chacun un point de la forêt. Puis, à nouveau, un murmure du roi :

 

- Est-ce qu'il a pu tomber dans le vide ?

- Non. Seules les proies peuvent être suffisamment terrorisées pour ne pas redouter un tel précipice.

 

Il s'interrompt, laissant retomber le silence autour d'eux tel un voile de brume. Et il reprend, en réponse à la question que Calith n'ose poser :

 

- Les animaux sauvages ne se suicident pas, Majesté. Instinct de survie.

 

Presque rassuré, le roi hoche doucement la tête. Puis, comme pour achever de le convaincre, un hurlement lugubre, vibrant de colère, perce le silence.

 

- Il sait que nous sommes là, Loundor ?

- Sans aucun doute.

 

Alors, se fichant royalement des gardes, de son ami, et de quiconque pourrait l'entendre, il hurle à la forêt :

 

- Approche-toi ! Viens nous voir !

 

Un reniflement presque méprisant, venant de Loundor, est la seule réponse qu'il obtient. Puis la voix, douce, du Général, qui lui dit :

 

- C'est inutile. Il ne viendra pas, Calith. Il est puissant, libre, loup. Tu lui demandes de venir s'asservir à nouveau.

 

Et comme si l'esclave avait pris cette remarque comme un défi, il émerge de la forêt, ombre grise parmi les arbres majestueux. Il reste à bonne distance des grilles mais ses yeux dorés se fixent dans le vert si particulier des iris du roi.

 

- Allez, viens, approche encore un peu. On ne te fera aucun mal.

 

Mais le loup s'assoit, jette un regard à Loundor, puis au poste de garde. Le Général n'a pas besoin d'explications et murmure à Calith qu'il l'attend dans la salle des officiers. Pour les deux soldats chargés de surveiller la grille, par contre, Calith doit leur demander de rentrer dans le poste de garde et ne plus en sortir jusqu'à nouvel ordre. Ce n'est qu'une fois que les deux hommes se sont exécutés que le loup s'approche de la grille, restant tout de même à trois bons mètres de son roi.

Il est toujours aussi efflanqué, mais il semble en meilleure forme que la dernière fois. Les barreaux, entre les mains de Calith, sont si froids qu'ils lui brûlent la peau. Mais il se concentre sur sa voix, qu'il rend aussi douce que possible, et se met à lui parler :

 

- Ces grilles ne sont là que pour préserver votre territoire. Tu es libre de revenir parmi nous quand tu le souhaites. Et tu pourras revenir quand tu le voudras dans la forêt.

 

Les oreilles du loup s'agitent, comme agacées par le vent. A moins que ce ne soit le signe, pour lui, qui montre qu'il a entendu les paroles du roi. Calith, le cœur battant la chamade, débite :

 

- Les gardes te remettront ton collier, mais j'ai détruit le sort. Tu n'auras plus à travailler sous les ordres de Voinon. Le Général Loundor te veut dans ses troupes. Avec les autres loups-garous. Il t'accordera la permission de revenir ici aussi souvent que tu le veux. Et tu n'auras plus à me servir, non plus.

 

Le loup s'allonge de tout son long et pose la tête sur ses pattes avant. Son regard doré ne quitte pas un seul instant celui du roi, mais il ne manifeste aucune réaction. En désespoir de cause, Calith poursuit :

 

- Tu ne peux pas rester ici éternellement. Tu n'es pas seulement un loup, mais aussi un homme. Et je...

 

Les mots suivants, Calith est tout simplement incapable de les prononcer : ils meurent sur ses lèvres. Dire qu'il allait lui avouer qu'il tient à lui, qu'il se fait du souci... Le roi secoue doucement la tête et s'écarte des grilles. A quoi bon ? Même si l'esclave redevient humain, Calith n'aura plus de liens avec lui. Alors pourquoi vouloir le convaincre de retrouver sa vie d'asservi ?

 

Il se détourne, il ne supporte plus ce qui ressemble à une supplication. A quoi bon ? Sans un regard derrière lui, il s'éloigne de la grille. Le plus important, c'est d'avoir délivré l'esclave du sort. Au moins, maintenant, il ne souffre plus. Et s'il est plus heureux sous sa forme de loup... eh bien, qu'il reste sous forme de loup.

 

- Majesté !

 

Calith se retourne d'un bloc, le cœur battant à ses tempes. Ce sont les gardes qui l'ont retenu. Dans l'étrange lueur du crépuscule, un homme se tient debout, nu, de l'autre côté de la grille. Le simplet. A grands pas, la gorge nouée par l'émotion, le roi se rapproche. Sans un mot, il observe les gardes remettre le collier de métal autour du cou de l'asservi et l'anneau autour de son sexe. Et lui tendre son pagne. Il frissonne, le simplet, dans le vent glacial, même s'il est plus résistant au froid qu'un humain ordinaire. Il se dépêche de nouer le tissu autour de ses hanches. Calith l'attend en essayant de masquer son impatience. Lorsque la grille laisse passer son esclave, il sourit, heureux. Et passe sur les épaules nues la cape de son Général.

 

- Bon retour parmi nous.

 

L'esclave fuit son regard et ne le remercie pas. La nervosité et la timidité ne sont pas passées. Soudain inquiet, Calith lui demande :

 

- Tu peux parler, maintenant ?

 

La bouche s'ouvre, les lèvres s'agitent dans une réponse inaudible. A force de persévérance, c'est un son étrange, incongru, qui s'échappe de la gorge. Pas vraiment une réponse, mais la confirmation que le sort est rompu.

 

- C'est normal, après tout ce temps. Ça va revenir, ne t'en fais pas.

 

Sans croiser le regard de son roi, l'esclave lui sourit. Un petit sourire rassuré, qui sert à la fois de remerciement et d'expression de l'espoir. Le plus beau sourire que Calith n'ait jamais vu.

 

- Tu dois avoir faim. Tu auras des rations dignes de ton appétit, désormais. Je t'emmène voir Loundor, ton Alpha. Il te montrera tes quartiers et tes nouveaux compagnons.

 

L'esclave répond par un bruit. Bien malin serait celui qui pourrait en tirer un sens quelconque. Calith s'est habitué au silence du simplet et à ses monologues. Alors il ne s'offusque pas de cette absence de réponse et presse le pas. C'est qu'il a un Général à surprendre !

 

Dans la cour d'entraînement déserte, c'est un vacarme de conversations et de couverts qui s'entrechoquent qui les accueille. La salle à manger des soldats, tout proche, laisse échapper leurs éclats de rire et leurs discussions animées. Plus loin, dans la salle des officiers, seule une torche signale la présence silencieuse d'un homme. La surprise qui se lit sur le visage de Loundor fait plaisir à voir. Calith laisse même échapper un ricanement, avant de se reprendre.

 

- Je te le confie, Loundor. Veille bien sur lui. Ah ! Et il a encore du mal à parler, ça va s'arranger. Sur ce, je vous laisse. Bonne soirée.

 

Sous l'air jovial qu'il affiche, c'est un vrai crève-cœur pour lui de laisser son esclave entre les griffes du Général. Qu'est-ce qu'il ne donnerait pas pour l'emmener directement dans ses appartements ! Mais la donne a changé et le simplet sera plus heureux comme ça. Il s'éloigne vivement, prétextant le froid pour expliquer la soudaine montée de larmes qui mouille ses yeux. Oui, c'est mieux ainsi.

 

Il n'a guère d'appétit, ce soir, alors c'est rapidement qu'il procède à ses ablutions et qu'il regagne son lit. Gracilia vient le rejoindre, sans qu'il ne lui demande quoique ce soit. Et de frustration, il la besogne sans vergogne. Mais sans grand plaisir, non plus. Elle semble apprécier, pourtant, mais elle joue peut-être la comédie. Qu'importe. Soulagé, Calith la renvoie et se blottit sous l'édredon.

 

 

 

 

A son réveil, il découvre un ciel semblable à son humeur : gris et morose. Lanen est présent, lui apporte son petit-déjeuner qu'il avale sans appétit et l'aide à enfiler ses vêtements épais. Malgré le feu crépitant dans la cheminée, le froid s'est insinué entre les pierres du château.

 

D'un pas traînant, le visage sombre, il se rend dans son bureau. Elihus lui a laissé une pile d'annonces et de décrets à valider. Sans grande motivation, il se plonge dans leur lecture et les signe d'un trait vif. Il a quasiment terminé lorsque la porte s'ouvre et laisse passer le conseiller.

 

- Bonjour, Calith. Bien dormi ?

- Bien. Et toi ?

- Très bien, merci. Ah, tu t'es mis au travail. Parfait, je vais pouvoir faire annoncer ces décrets. Je ne sais pas si tu as vu, mais concernant les terres près …

 

La litanie reprend et Calith mobilise toutes ses forces pour écouter attentivement. Mais après ce qu'il lui semble être des heures de palabres, il finit par se lever, tout en assurant son attention au conseiller. Il tourne en rond dans la bibliothèque, poursuivit par les paroles d'Elihus. Malgré lui, il s'approche de la fenêtre. Le ciel est lourd et menaçant. La neige va bientôt s'inviter à la fête. Le regard du roi dérive, trois étages plus bas. En se tordant un peu le cou, il se peut distinguer une partie de la cour d'entraînement des soldats. Le simplet est-il parmi eux ? Comment s'est passée sa première nuit avec ses nouveaux compagnons ? Et comment s'en sort-il, lui, le novice, face à une horde de soldats parfaitement rompus aux exercices ? A-t-il retrouvé l'usage de la parole ? A-t-il livré quelques informations à Loundor ? Ou à un de ses compagnons de dortoir ?

 

- Calith !

- Hum ?

- Je te parle, Calith.

- Oui, oui. Je t'écoute.

 

Bien obligé, le roi reporte son attention sur le conseiller, qui le dévisage gravement. Il n'est pas dupe un seul instant mais, avec tact, il lui propose :

 

- Je pense que je peux avancer tout seul. Tu pourrais peut-être aller voir Loundor, il doit avoir plus d'informations sur les meurtres.

- D'ailleurs, l'annonce, hier, comment ça s'est passé ?

- Comme tu peux le deviner : cris, protestations et indignation. Mais ils sont rassurés par le couvre-feu. Enfin, il faudrait vraiment qu'on mette la main sur le tueur.

 

Haussement d'épaule de la part de Calith. Cette rengaine, ça fait trop longtemps qu'il l'entend. Alors qu'il s'apprête à prendre congé, Elihus lui pose une nouvelle question :

 

- Gracilia te donne satisfaction ?

- Oui.

 

Le ton manque de conviction. Mais Calith est parfaitement conscient que la jeune femme n'est en rien responsable de son manque d'enthousiasme et qu'il serait injuste de lui faire retomber la faute dessus. Elihus le fixe du regard quelques secondes, comme pour chercher à discerner la vérité. Et conclut :

 

- Je suis en train de m'occuper de la liste de tes prétendantes.

- Bien.

 

Le cœur au bord des lèvres, Calith quitte rapidement la bibliothèque. Il sait bien qu'il n'y coupera pas, que c'est pour le bien du royaume et qu'un héritier est indispensable. Mais il n'a qu'une seule personne en tête, une personne qu'il ne peut avoir.

Dans le couloir, juste devant la porte, un garde patiente tranquillement, fredonnant une rengaine populaire. Il se redresse dès qu'il aperçoit son roi et tente un salut militaire bien maladroit.

 

- Oui Jérémias ?

- Bonjour Votre Majesté.

- Que fais-tu ici ?

- Je dois vous accompagner, Sire.

- Où donc ?

- Ah ! Euh... ben où vous irez, en fait.

 

Les yeux plissés, Calith l'examine. Avec ses cheveux blonds comme les blés mûrs et ses grands yeux aussi bleus que le ciel, il n'est pas désagréable à regarder. Mais sa carrure massive n'enlève rien à son aspect enfantin : son nez en trompette et sa bouille ronde doivent lui valoir bien des moqueries. Ses joues encore rondes ont pris des teintes rosées et il attend nerveusement le verdict du roi en passant d'une jambe sur l'autre.

 

- Tu me sers de garde du corps, en fait ?

- Bon. Le Général n'a pas dit ça, Sire. Il m'a dit « Jérémias, tu suis le roi comme ton ombre. » Alors j'dois vous suivre, Sire.

- Bien. Je devais aller le voir, de toute façon. Mais je dois passer dans mes appartements pour prendre une veste plus chaude.

- Bien Sire.

 

Lanen est en train de s'affairer à nettoyer les appartements royaux lorsque Calith et son escorte y pénètrent. Aussitôt, suite à la demande de son roi, l'esclave lui sort un long manteau en laine tissée épaisse et l'aide à l'enfiler. Il profite de sa présence dans ses appartements pour piquer une pomme sur la table. Mais alors qu'il s'apprête à repartir, il se rend compte que son escorte ne le suit plus. Le garde est figé, la bouche légèrement ouverte. Et l'objet de son attention n'est autre que l'esclave du roi. Ce dernier ne semble pas insensible au garde, à en croire ses gestes nerveux et ses joues rougissantes.

 

Pour la première fois de la journée, Calith sourit. Et tendrement, avec ça. Pourtant, il doit aller voir Loundor et ne peut rester à les regarder se dévorer des yeux. Alors il toussote, pas vraiment discrètement. Voyant qu'il n'obtient pas l'attention du garde, il lâche :

 

- Jérémias ! On y va.

- Oh ! Pardon Sire. Mais... vous n'utilisez pas les passages ?

- Quels passages ?

 

 


 
 
posté le samedi 22 juin 2013 à 11:06

Pieveth, Chapitre 13

 

 

Calith se lève à son tour et va enfiler des vêtements convenables. Puis, prenant le manuscrit en bien piteux état, rejoint son bureau. Évidement, Elihus est déjà sur place, le nez plongé dans ses rapports. Sans lever le nez, il déclare :

 

- J'ai appris, pour ton esclave. C'est Gracilia qui te servira, désormais.

 

Calith retient juste à temps un mouvement d'humeur. Pourquoi veut-il lui coller cette fichue bonne femme dans les pattes alors qu'il pense encore au simplet ? Mais il n'a pas du tout envie d'avoir cette conversation avec Elihus. Alors il se contente d'acquiescer, de le remercier, et de feindre un intérêt fou pour les affaires courantes. Et elles sont si nombreuses et si ardues qu'elles nécessitent toute son attention une bonne partie de la journée. Assommé par la somme d'informations qu'il a traité dans la journée, Calith décide, au milieu de l'après-midi, d'aller voir Loundor. Il aura peut-être plus d'informations. Comme toujours, il retrouve le Général au beau milieu de la cour d'entraînement, supervisant les exercices de ses hommes. D'un mouvement souple, il lance un bâton d'entraînement au roi, qui le rattrape avec un sourire. Se changer les idées, encore, pour ne plus penser à l'esclave devenu loup. Et il y met toutes ses forces et toute sa hargne, fouettant l'air de son arme improvisée, esquivant et parant les attaques, répondant coup pour coup. Lorsqu'il ne tient plus sur ses jambes, il se rend dans la salle des officiers, dégoulinant de sueur. Loundor le suit, sans un mot, et ne se met à parler que quand la porte s'est refermée sur eux :

 

- Mes hommes travaillent d'arrache-pied pour résoudre ces meurtres, mais ça ne donne rien.

- Et pour l'esclave ?

- Rien non plus. Il est toujours sous sa forme animale.

- Bon. Espérons qu'on en saura plus demain.

 

Dépité, Calith rejoint ses appartements, alors que le soleil couchant embrase le ciel. Le bain et le dîner sont des formalités qu'il accomplit rapidement. La présence de Gracilia, toute de dentelle vêtue, ne lui inspire aucune sympathie. La jeune femme a tout de suite compris que l'heure n'était pas aux batifolages et tente d'entretenir une discussion insipide. Agacé par son babillage incessant, Calith la renvoie hors de ses appartements. Et va se coucher, seul.

 

 

 

 

 

Pas de porte gémissant sur ses gonds, pas d'intrus, pas même un esclave apportant le petit-déjeuner : rien ne vient réveiller le roi, le lendemain. Il s'éveille tout seul, lentement, et songe un instant à retourner dans les bras de Morphée avant de se rappeler que, peut-être, le Général a pu approcher le simplet. Aussitôt, il saute au bas de son lit, enfile ses vêtements de la veille, miraculeusement restés là où ils étaient, sur un fauteuil. Et il bondit hors de ses appartements, à la recherche de Loundor.

Mais il n'a pas le temps d'aller bien loin. Il rentre en collision avec un garde, trois pas à peine après le seuil de sa porte. Laissant échapper un juron, il s'écarte vivement de l'importun avant de le reconnaître.

 

- Ah. Bonjour Jérémias.

- Bonjour Votre Majesté. Désolé pour … ça. Je vous cherchais.

- Oui ?

- Je dois vous conduire au Général.

- Ah ! Il doit avoir des nouvelles. Je te suis !

 

Suivant le pas pressé du gardien, qui fait tout pour éviter la moindre conversation, Calith quitte l'aile nord du château où se trouve ses appartements. Perdu dans ses pensées, il ne regrette pas forcément l'absence de discussion, au contraire. Comment s'appelle le simplet ? Est-ce un nom qui roule sur la langue comme une confiserie ? Un nom âpre, court et brutal, comme son loup ? Et pourquoi n'a-t-il pas essayé de faire comprendre à quelqu'un qu'il était victime d'un sort ? Est-ce que le Général a pu lui soutirer quelques informations sur son passé ?

 

Il lui faut quelques minutes pour réaliser qu'ils ne se dirigent pas vers la cour des soldats, mais vers les temples. Les sourcils froncés, Calith prend la parole pour la première fois depuis leur départ :

 

- Loundor est allé prier ? Il a perdu l'esprit ?

 

Jérémias n'en a aucune idée et le fait comprendre d'un bref haussement d'épaules. Voyant la foule entassée à l'entrée du temple, Calith hésite. Ils ne se sont quand même pas déplacés pour voir ce miracle qu'est Loundor devenu pieux. Un sinistre pressentiment lui noue la gorge tandis qu'il s'avance derrière le garde qui écarte les badauds.

Les temples se situent au pied du château. Fonctionnels avant d'être ostentatoires, ils sont un lieu de recueillement pour les fidèles, et un lieu de vie pour les prêtres. Calith pénètre dans le temple de Sevaerith, la déesse des astres. Sans trop y croire, il espère que le Général est venu ici pour la prier, elle qui est la mère de la Lune. Mais il lui suffit de quelques pas dans l'obscurité glaciale du temple pour comprendre que ce n'est pas le cas.

 

 

 

 

D'après ce qu'il reste de la longue robe blanche, la victime est un prêtre. D'un certain âge, il a le crâne parfaitement rasé, les joues imberbes et un lourd collier en or sur le torse. Ses poignets et ses chevilles sont ligotés aux pieds de l'imposante table de marbre qui sert d'autel. Sa toge de prêtre a été déchirée à hauteur du ventre, laissant bien visible son entrejambe mutilé. Sa gorge, béante, est la cause de la mort, sans doute. Loundor fait les cent pas autour de la victime, la mine soucieuse. Seuls deux esclaves, porteurs de torches pour faire un peu de lumière, sont présents. Le Général salue d'un geste de la tête son roi, avant de déclarer, d'une voix vibrante de colère :

 

- C'est sans doute le même tueur. L'argent n'est pas le mobile. Et les questions d'hérédité ne le sont pas non plus. On oublie aussi la théorie des hommes coureurs de jupons. Au final, on n'a plus aucune piste.

 

Muet, Calith ne peut qu'être d'accord avec le Général. Les prêtres dévouent leurs vies aux dieux qu'ils servent, jurant chasteté et renoncement à leur famille. Recrutés très jeunes pour servir les dieux, ils n'ont aucun enfant. Bien sûr, il serait tentant d'imaginer qu'ils aient fauté, mais les ordres religieux sont très stricts à ce sujet. Comme l'a si sobrement résumé Loundor, toutes leurs théories tombent à l'eau. En quelques phrases, un Loundor rageur ordonne que le corps soit préparé pour l'inhumation. La gorge nouée, Calith le suit jusqu'à la salle des officiers, d'où il fait partir ses fidèles colonels. La porte à peine fermée, il martèle :

 

- Augmente le nombre de gardes. Et mets plus d'hommes sur cette enquête. On doit absolument retrouver le meurtrier.

- Tu crois que j'le sais pas, bordel ! Bien sûr, qu'il faut qu'on trouve c'fils de catin ! Mais on n'a rien ! Rien du tout !

 

La voix habituellement grave du Général s'est transformée en grondement de tonnerre et son visage en masque furieux. Impressionné, Calith se recule légèrement : il a rarement vu son ami autant en colère. Pourtant, il poursuit :

 

- On doit garder l'ensemble des personnes présentes au château à l'intérieur des murs, au risque de laisser partir l'assassin. Essaie de voir quel point commun il pourrait y avoir entre les trois victimes : il y en a forcément un.

- Je sais ce que j'ai à faire, Calith.

- Et moi de même, Général. N'emploie pas ce ton avec moi.

 

Les deux amis s'affrontent du regard un long moment. Il est hors de question que le roi se laisse intimider par son responsable de l'armée, même en privé, même s'ils sont amis. Calith a ses preuves à faire et ça commence aussi par ses proches. Sa voix se fait plus ferme encore quand il déclare :

 

- La cour va paniquer et s'indigner du manque de résultats. On doit leur montrer que nous travaillons d'arrache-pied pour leur sécurité. Je veux qu'on instaure un couvre-feu. Que les gens s'enferment dans leurs chambres après le repas du soir. Interdiction de se promener dans les couloirs la nuit, sauf cas exceptionnel. Tes hommes doivent contrôler quiconque enfreint cette règle. Et s'assurer de délivrer les autorisations qu'aux cas les plus indispensables : je pense surtout aux serviteurs et esclaves. Mais sans les quitter des yeux. Et c'est un ordre, Général.

- Bien, Votre Majesté.

 

La colère de Loundor est loin d'être retombée, mais il se maîtrise. Calith incline légèrement la tête pour le remercier et demande, d'une voix plus douce :

 

- Des nouvelles du simplet ?

- Je t'ai déjà dit qu'il n'était pas simplet, bordel !

- Loundor.

- Désolé. Rien de ce côté, non. Il nous a suivi et observé une bonne partie de la nuit, mais sans jamais s'approcher. Et si on allait vers lui, il s'éloignait. Il est toujours dans la forêt, en tant que loup.

- D'accord. Bon, je dois aller voir Elihus. Tiens-moi informé si tu as des informations.

- Bien, Votre Majesté.

 

La voix du général est toujours vibrante de colère. Calith n'insiste pas plus, il sait qu'il a déjà bien assez poussé son ami dans ses retranchements. Il doit désormais le laisser se calmer et manger. Les discussions plus apaisées n'auront lieu que plus tard.

 

 

 

 

Le roi se dirige d'un pas vif jusque dans son bureau, ignorant les personnes qui l'interpellent sur son passage. Et c'est avec un soupir de soulagement qu'il laisse enfin retomber la pression lorsqu'il s'affale dans son fauteuil. Il n'a que quelques minutes de répit avant que son conseiller ne vienne le rejoindre, des dossiers sous le bras. Ça n'en finira donc jamais. Mais il est suivi par deux esclaves qui apportent le petit-déjeuner, ce qui tire un léger sourire à Calith.

C'est donc devant un copieux encas que le roi lui résume la situation et la légère altercation qu'il a eu avec Loundor. Et Elihus de donner son avis :

 

- Les prêtres vivent quasiment coupés du monde. Ça va être difficile de lui trouver des points communs avec les nobles. Pas de femmes, ni d'hommes d'ailleurs, pas de relations avec la cour. Il faut peut-être creuser du côté des fidèles du temple de Sevaerith.

- Je demanderai à Loundor.

- Et puis, on cherche quelqu'un avec un mobile. Si ça se trouve, c'est tout simplement un fou, qui tue ceux qu'il connaît. Ou un partisan de Lombeth, qui tue ceux qui ont été favorables à ton arrivée au pouvoir.

- Il n'y a pas qu'eux. Et il y a des personnes qui ont joué un rôle bien plus actif.

- Je sais bien. C'est pour ça qu'on doit vite trouver le meurtrier.

 

Un long soupir échappe des lèvres du roi. Ce n'est pas le tout de dire qu'il faut le retrouver. Claquer des doigts ne suffit pas. Jouant avec une boule de mie de pain, Calith laisse ses pensées s'échapper. Contre son gré, sa bouche articule :

 

- Elihus, tu as déjà aimé ?

 

Le conseiller sursaute sur sa chaise. Sous le regard acéré de Calith, il s'agite vainement à la recherche d'une position confortable. Et d'une réponse appropriée.

 

- Aimé ? Bien sûr. J'ai mis plus d'une femme dans mon lit !

 

La légère coloration de ses joues indique clairement à Calith qu'il ment. Du moins, qu'il exagère. Et il sait également que son conseiller essaie de gagner du temps. Calith n'a jamais eu besoin de conseils pour donner du plaisir à ses partenaires. Elihus a toujours été proche du roi, et s'est occupé du prince dès son plus jeune âge, lui apprenant bien des choses. Mais c'est un sujet qu'ils n'ont jamais abordé. Résolu, Calith le reprend :

 

- Je ne te parle pas de coucheries, Elihus. Mais d'amour.

 

La gêne du conseiller se fait plus visible encore. Il bafouille légèrement avant d'avouer, à mi-voix :

 

- C'était il y a bien longtemps. Un joli brin de fille, et pas bête avec ça. Mais mon travail de conseiller me prenait tout mon temps. Elle s'est trouvé quelqu'un d'autre, plus présent, plus attentionné.

- Et tu n'as jamais eu envie d'aller avec quelqu'un d'autre ?

- Bah. C'est assez secondaire, tout ça. Épauler ton père et te faire monter sur le trône, ça, c'est important.

 

Elihus scrute le visage de son roi. Il s'imagine bien qu'il ne s'est pas soudainement intéressé à sa vie amoureuse sans motif. D'une voix plus assurée, il reprend :

 

- Tu sais, l'amour, c'est un subtil mélange entre sentiments et raison. Il y a le fait d'être bien avec une personne, d'aimer la rejoindre, d'aimer le temps passé ensemble. Et il y a la raison aussi. Se marier avec une fille de bonne famille, par exemple, pour agrandir le domaine familial. Se marier avec une femme de sang royal pour avoir des héritiers. Le mariage, c'est avant tout apprendre se connaître, apprendre à vivre ensemble. Être à deux pour affronter la vie et la perpétuer. L'amour vient plus tard. Et la raison est encore plus importante pour quelqu'un dans ta position, mon garçon.

 

Ça faisait bien longtemps que le conseiller n'avait plus donné du « mon garçon » à son roi. Calith serre les dents, agacé. Le message d'Elihus n'est pas subtil pour un sou. Ce vieux grigou a bien compris la raison de cette question. Dans un haussement d'épaule fataliste, Calith se fait une raison. De toute façon, maintenant qu'il connaît la nature de son esclave...

Soulagé de voir Calith se contenter de ce petit sermon sans chercher plus loin, Elihus s'empresse de changer de sujet :

 

- Je m'occupe de l'annonce à la cour concernant le nom du prêtre et le couvre-feu. Va voir Loundor, il a peut-être appris du nouveau.

- Loundor est d'humeur exécrable.

- Et tu l'as défié, n'est-ce pas ?

- Je ne suis pas un de ses louveteaux. Il ne peut pas m'envoyer promener comme ça.

- En partie, oui. Mais garde toujours à l'esprit les sacrifices qu'il a fait pour toi. Va le voir avec une bonne tourte à la viande, et tu seras pardonné.

- Le prendre par les sentiments, c'est vil.

- Mais nécessaire.

 

Les deux hommes échangent un regard complice. Puis Calith quitte son bureau, laissant Elihus à sa tâche. Il fait bien sûr escale en cuisine, où il demande qu'on prépare deux généreuses tourtes à la viande et qu'on les amène à la salle des officiers.

Il s'arrête quelques minutes dans ses appartements, le temps d'enfiler des vêtements plus chauds. Le ciel est couvert et menaçant, et le froid plus vif encore que les derniers jours. Le printemps prochain sera d'une importance capitale : le peuple de Pieveth doit pouvoir manger à sa faim. Il fera en sorte que les greniers croulent sous la nourriture. Mais avant de se préoccuper des prochains semis, il a un meurtrier à arrêter.

 

 

 

 

Les colonels de Loundor sont réunis dans la salle des officiers et saluent cérémonieusement leur roi. Et ils se retirent aussitôt, devinant que leur présence dérange leurs dirigeants. Loundor arrive quelques minutes après que des esclaves aient amené les tourtes à la viande, comme attiré par l'odeur alléchante. Ils mangent en bavardant de tout et de rien, du temps et des entraînements des soldats. La hache de guerre est enterrée. Et à peine les couverts reposés sur la table en bois, Loundor se lance :

 

- Le prêtre s'appelait Hélion. Il servait Sevaerith depuis sa plus tendre enfance. Tous les autres prêtres s'accordent à dire qu'il était très apprécié des fidèles et très pieux. Le médecin est certain que c'est l'oeuvre du même homme. Et il m'a certifié que seul un homme pourrait neutraliser de la sorte ses victimes. Hélion a donc été émasculé avant d'être égorgé. Cette fois encore, le tueur a pris tout son temps et a regardé le prêtre souffrir avant de l'achever.

- Elihus suggère que ça pourrait être un partisan de Lombeth, qui tue ceux qui sont favorables à ma présence ici.

- Ce n'est pas impossible. Je vais demander aux espions de Nala de déterminer si des partisans du tyran seraient capables de meurtres. Les gardes postés dans les couloirs n'ont remarqué aucun mouvement suspect mais ceux aux portes du château font une liste aussi complète que possible des gens qui sont entrés et sortis hier au soir et dans la nuit. Mes hommes font également une liste des fidèles du temple vivant au château. Et d'autres s'occupent de recouper les informations qu'on a sur les trois victimes pour essayer de leur trouver des points communs.

 

Calith reste muet, accablé par la somme de travail qui s'annonce et le peu de résultats qu'ils vont obtenir. Ce n'est pas dans sa nature d'être particulièrement défaitiste mais là, pour le coup, il ne voit pas comment ils vont s'en sortir. Loundor, beaucoup plus calme que dans la matinée, lui fait un clin d'œil et lui dit :

 

- Allez, va t'entraîner un peu. Je te tiendrai au courant dès que nous aurons des informations intéressantes.

- Merci.

 

 


 
 
posté le vendredi 21 juin 2013 à 15:14

Pieveth, Chapitre 12

 

 

L'homme s'incline rapidement avant de disparaître. Aidé par la connaissance de la magie qui martyrise l'esclave, Calith tente sans répit d'atténuer sa souffrance. Mais rien n'y fait.

Voinon revient quelques minutes plus tard, l'air affolé. Il dépose la civière non loin de la porte et balbutie :

 

- Le Général Loundor est indisponible, Votre Majesté. Il est dans la forêt.

 

Calith lâche un juron fort peu royal. Évidemment. Il aurait dû le savoir, pourtant. C'est le soir de pleine lune et le Général ne reprendra forme humaine qu'au lever du soleil. Et sans le garou, le roi se sent désemparé. S'écartant légèrement, essayant d'ignorer le supplice de l'esclave, il tente de réfléchir calmement. Et de prendre la meilleure décision.

 

- Viens m'aider. Apporte la civière.

 

Il s'agenouille à la tête de l'esclave et lui annonce d'une voix assurée :

 

- Je vais mettre fin à tout ça. Mais calme-toi quelques minutes.

 

Rien, dans les mouvements désordonnés, ne permet de dire qu'il a compris, ni même entendu ces phrases. Puis, faisant signe à Voinon, il lui ordonne :

 

- Prends-le par les mollets. A trois, on le met sur la civière.

 

Le responsable des esclaves hoche la tête et s'exécute. Mais lorsqu'il pose les mains sur la chair torturée, il les retire aussitôt comme s'il s'était brûlé. Calith doit faire un effort inouï pour ne pas l'imiter. Sous ses doigts, les muscles et les os s'agitent comme un animal enragé mis en cage.

 

Le regard dur de son roi incite Voinon à poser à nouveau ses mains sur les mollets. Le premier essai est un échec. Ils ne parviennent qu'à le déplacer de quelques centimètres avant de laisser tomber le corps sans consistance fixe. Essayant de ne pas songer aux souffrances supplémentaires qu'ils lui causent, Calith ordonne, d'un ton sec, de recommencer. Miraculeusement, la seconde tentative est une réussite. L'esclave est désormais allongé sur la civière, mais ses mouvements désordonnés menacent de le faire tomber à tout instant. Avec résignation, Calith boucle les sangles qui ornent la civière et qui permettent de déplacer les blessés sur terrain accidenté sans qu'ils glissent.

 

- A la bibliothèque.

 

Voinon lui jette un regard interrogateur mais Calith n'en tient pas compte. Il ne l'avouera certainement pas devant lui, mais il ignore quelle est l'incantation qui libèrera le simplet. C'est que ce n'est pas le genre de magie qu'on utilise tous les jours ! Ils déposent la civière dans le couloir, le temps que le roi aille chercher les manuscrits dont il a besoin. Il s'assure rapidement d'avoir le bon exemplaire, avec la formule adéquate, avant de le glisser dans la ceinture de son pantalon. Au diable les convenances. Il se précipite hors du bureau, reprend son côté de la civière, et ordonne à Voinon :

 

- A la forêt !

 

Le responsable, devenu muet, grogne son assentiment. Et c'est ainsi équipés qu'ils regagnent l'air nocturne. Les gardes qui surveillent la grille de la forêt des loups-garous ne cherchent pas à masquer leur stupéfaction en les voyant approcher. Mais ils savent que l'heure est grave et se précipitent à leur rencontre.

 

- Ouvrez la grille.

 

Les protestations meurent sur leurs lèvres en voyant le regard du roi. Ce n'est vraiment pas le moment de lui rappeler à quel point c'est dangereux pour lui de rentrer dans l'enclos aux fauves. L'un d'eux prend l'extrémité de la civière, laissée à l'abandon par Voinon qui a subitement disparu, et ils pénètrent dans l'enceinte des garous.

Toujours ce silence. A la lisière des arbres, Calith peut apercevoir, furtivement, des yeux fauves qui le fixent. Loundor est sans doute là, même si l'obscurité ne permet pas d'en être certain. Ce soir, ce n'est plus le Général, l'ami, mais le loup. Et le roi est devenu proie.

 

Chassant le long frisson qui lui parcourt le dos, Calith se concentre à nouveau sur l'esclave. Il dénoue les sangles, laissant les mouvements convulsifs l'extraire de son moyen de transport. La souffrance du simplet n'a pas diminué, loin de là, et ses mouvements désordonnés, son regard ivre de douleur, serrent le cœur du roi.

 

- Ouvrez-moi dès que j'ai terminé.

 

D'un geste rapide, il extirpe le précieux manuscrit, bien mal en point, de son pantalon, sous le regard incrédule des gardes. Puissant toute son énergie magique, il murmure les incantations pour conjurer le sort qui torture l'esclave. Il ne se passe rien pendant quelques secondes. Puis soudain, des hurlements d'agonie transpercent la nuit comme un coup de poignard. Tandis que le collier tombe au sol, Calith se recule prudemment et passe la grille. Aussitôt, les deux gardes la verrouillent.

 

Il sait parfaitement que c'est un moment intime, qu'ils préfèrent vivre à l'écart de tout spectateur, mais il ne peut pas s'en empêcher. Sous son regard qui se veut impassible, il assiste à l'insoutenable douleur d'une transformation. Le corps qui, désormais libre de ses entraves magiques, se tord lentement dans d'impossibles postures. Le simplet n'est pas muet, loin s'en faut, il hurle à s'en arracher les cordes vocales. Et la magie opère. En quelques minutes, à la place de l'esclave, se tient un magnifique loup d'un gris argenté. Il reste allongé, comme s'il était encore trop faible pour se relever. Et il halète comme s'il venait de courser un lapin sur plusieurs lieues. Le regard doré s'attarde un instant sur le roi. Puis, rassemblant ses forces, le loup se lève, s'ébroue, et disparaît en galopant dans la forêt.

 

Les mains fermement agrippées aux grilles, Calith prend une profonde inspiration. Il réalise qu'il a retenu son souffle depuis la découverte de l'esclave. Il tremble légèrement.

 

- Tout va bien, Votre Majesté ?

 

Il répond d'un hochement de la tête et s'éloigne lentement, presque vacillant. Il est épuisé par la dépense d'énergie que nécessitait le sort. Et ce qu'il vient d'apprendre est comme un coup de massue. Hébété, il regagne le château sous la lueur brillante de la pleine lune. Il se rend directement dans ses appartements, d'où il congédie Lanen. Pas de bain ce soir. Il a besoin d'être seul. Il ferme la porte d'une incantation, s'allonge sur le lit.

 

La magie a plusieurs supports. Elle peut être utilisée sur une personne, lancée comme un jet de pierre. On peut ainsi soigner ou attaquer une personne. Cette méthode ne nécessite pas beaucoup de préparation ni de temps : il suffit de lancer le sort. Pour le rendre plus puissant, il faut dire l'incantation mais ce n'est pas indispensable. Par contre, il faut connaître ces sorts sur le bout des doigts pour pouvoir s'en servir immédiatement.

 

Le second support de la magie, c'est d'utiliser des objets comme porteurs du sort. La serrure des appartements est porteuse d'un sort d'inviolabilité. Les manuscrits les plus précieux, ceux qui contiennent des informations capitales, sont ensorcelés pour n'être déchiffrables que par celui qui a lancé le sort, ou qui connait le sort.

Le collier du simplet contenait deux enchantements, très rares. Le premier est un sort de silence. C'est la magie noire, qui est à l'œuvre, bien sûr. Calith n'a jamais employé un tel sortilège mais il connaît son fonctionnement : plusieurs nuances existent. On peut empêcher quelqu'un d'émettre le moindre son, on peut lui permettre de faire du bruit tout en l'empêchant de parler. On peut le contraindre à ne s'exprimer qu'en chuchotant ou qu'en hurlant. Tout est possible dans cette abomination. Il se murmure que dans les royaumes les plus barbares, toutes les femmes possèdent un objet sur elles, qu'elles ne peuvent ôter, et qui les contraint au silence le plus total. Mais à Pieveth, personne n'utilise un tel sort.

Pour le second sort, Calith a besoin du manuscrit qu'il a conservé coincé dans son pantalon. Les mains encore tremblantes, il cherche des informations. Il a réussit, dans la salle d'eau des esclaves, à identifier le sort, merci à son professeur de magie qui l'a forcé à étudier brièvement les pires magies. Mais il ne connaît quasiment pas les effets. Et ce qu'il lit lui noue la gorge.

Ce sort est présenté comme un remède à la lycanthropie. Le côté lupin est totalement bridé : la cible perd les capacités de guérison, plus rapides que la normale, ainsi que les sens plus développés. Impossible pour elle de se transformer à volonté. Seul reste l'appétit, bien plus aiguisé chez les loups-garous que chez les humains. Le loup est comme enfermé dans une minuscule cage, impuissant, inutile, presque inexistant. Le manuscrit fait état de théorie comme quoi la cible pourrait même en venir à ignorer qu'elle est un loup-garou. Si ce n'est durant les trois jours de la pleine lune. Car la magie naturelle de la pleine lune, qui les pousse à se transformer, quasiment de manière irrésistible, entre en conflit avec le sort. Ce sont deux magies particulièrement puissantes qui s'affrontent. Le corps de la cible tente alors de changer, avec toute la douleur que ça entraîne, sans pouvoir achever sa transformation.

 

En défaisant le sort qui bridait le loup, Calith a fait sauter, bien involontairement, celui de silence. La veille, déjà, quand il se plaignait de l'absence de l'asservi, ce dernier était en proie aux même souffrances, avec un Voinon déchaîné qui lui hurlait dessus pour qu'il aille servir le roi. L'a-t-il battu jusqu'aux premières lueurs du jour, au moment où, enfin, la nuit se retire et la Lune perd de son pouvoir ?

 

En quelques minutes, il a appris bien plus qu'en plusieurs jours passés avec l'esclave. Un esclave qui n'est pas muet. Qui va pouvoir lui raconter comment il en est arrivé là. Qui va pouvoir lui donner son nom. Regardant sans le voir le manuscrit, Calith essaie d'imaginer sa voix : sera-t-elle grave, comme le laisse présager sa carrure ? Sera-t-il bavard comme une pie, essayant de rattraper ces mois de silence ? Ou gardera-t-il le silence comme moyen de communication ?

 

Mais la nature même de l'esclave va changer bien des choses. Il y a d'autres asservis lycanthropes, mais ils sont tous dans l'armée. Ils ne côtoient que des soldats, vivent avec eux, s'entraînent avec eux et vont à la guerre avec eux. Ils n'ont plus d'esclave que le statut, en réalité. Il leur suffit de faire la demande à leur Alpha, Loundor, pour avoir l'autorisation d'aller dans la forêt en dehors des périodes de pleine lune, pour se transformer. Et Loundor ne refuse que très rarement.

 

Et puis, les loups-garous, de part leur nature, ne conçoivent pas les relations avec des personnes du même sexe. L'instinct animal qui les anime, puissant, les pousse vers des relations à but reproductif. Les hommes avec des femmes, les femmes avec des hommes. Le reste est vain. Comment le simplet percevait-il ces soirées dans le lit du roi ? En était-il dégoûté ? Il y mettait certes du savoir-faire mais il n'avait guère le choix. C'est vrai qu'il a pris du plaisir entre les mains de son souverain, mais quel homme, après des semaines d'abstinence, n'en prendrait pas ?

 

Et puis, surtout, s'il a appris des choses, elles entraînent leur lot d'interrogations. Qui a enchanté le collier ? Pourquoi ? Quand ? Ce sont des éléments qu'il doit absolument découvrir. Mais le bourreau étant mort, il ne pourra pas fournir le moindre renseignement. Qui d'autre pourrait en être responsable ?

Reposant le manuscrit sur la table basse, Calith se perd dans ses pensées. Et dans ses sentiments divergents. Bien sûr, il ne pouvait pas laisser l'esclave victime de tels sortilèges. Déjà la veille, il a subi cette douleur effroyable, sans doute battu par un Voinon hors de lui, persuadé qu'il voulait échapper à une corvée. Et ce soir, la même crise, la même réaction de Voinon. Enfin.. Le simplet est libéré et va pouvoir vivre de nouvelles expériences, plus en phase avec sa nature. Il va quitter le joug de Voinon et le nettoyage des couloirs pour vivre en permanence avec ses semblables. Il va pouvoir manger à sa faim, sans devoir se contenter de rations pour les humains. Il va pouvoir se transformer à loisir. Il pourra avoir des relations avec des femmes, sans être contraint d'obéir aux ordres du roi.

Mais Calith sait qu'il va perdre ces soirées inestimables. Il ne croisera plus le simplet dans les couloirs, il ne se fera plus servir par lui. Il ne touchera plus sa peau si douce. Ce n'est peut-être pas une mauvaise chose, finalement. Calith commençait à s'attacher à l'esclave, indifférent à la présence de Gracilia et des autres femmes. C'est Elihus qui va être content, de le voir revenir sur le droit chemin. Mais bon sang ! Ne plus pouvoir caresser ces joues, ne plus chercher le regard fuyant de cet esclave si nerveux. L'oisillon blessé, terrifié et si fragile, est devenu loup.

Alors que l'aube approche, c'est en songeant qu'il lui faudra parler à Loundor et fouiller les archives pour en apprendre plus sur l'histoire du simplet qu'il fini par s'endormir.

 

 

 

 

La porte tremble sur ses gonds. Dehors, une armée ennemie semble vouloir la défoncer à grand coups de bélier. Réveillé en sursaut, Calith se dirige rapidement vers le pauvre bois qui se fendille déjà et défait le sortilège qui fermait hermétiquement ses appartements.

 

- Entre Loundor.

 

Il n'y a pas de doute à avoir. Seul le Général peut marteler ainsi la porte pour se faire ouvrir. C'est une tornade qui pénètre dans le petit salon, où le feu dans la cheminée se meurt. Sans surprise, Loundor est dans tout ses états.

 

- Je veux des explications !

- Assieds-toi alors.

 

Avisant un esclave qui passe dans les couloirs, Calith lui ordonne d'apporter deux copieux petits-déjeuners. Il sait bien qu'un loup-garou rassasié est plus calme. Puis, une fois la porte refermée, il va s'asseoir en face de son ami et lui raconte, sans rien omettre, les évènements de la soirée. Et durant toute la durée des explications, Loundor jure. Il blasphème, tempête, mêle joyeusement les dieux et les catins dans une même injure. Il fait preuve d'une imagination désarmante, enchaînant les jurons à faire pâlir un charretier. L'arrivée des plateaux, surchargés de nourriture, met fin à la litanie. Prudemment, Calith énumère les effets du sort, craignant de déclencher une nouvelle salve de jurons, mais rien ne se passe. Loundor dévore. Alors le roi conclut rapidement par un très sincère :

 

- Je suis navré, Loundor, j'aurais aimé m'en apercevoir plus tôt.

- Et moi donc ! C'est pour ça que mon loup a grogné, quand je l'ai interrogé, dans les couloirs. Mais c'était tellement inexplicable ! J'aurais dû me douter.

- Comment aurais-tu pu soupçonner un tel sortilège ?

 

Un haussement d'épaules lui répond. Délaissant la nourriture, le Général reprend :

 

- On a tout de suite su, quand la grille s'est ouverte. A cette heure, ce n'était pas bien normal. Et un intrus, sur notre terrain de chasse, on n'aime pas ça. On t'a regardé faire avec curiosité. Tu puais la peur et la colère. Quant au simplet, les ondes de douleur qu'il envoyait étaient tellement fortes ! Puis il s'est transformé. Il ne s'est pas mêlé à nous, Calith. Pas une seule seconde. La meute est repartie chasser. Je l'ai suivi, de loin. Il est juste allé se terrer sous un rocher. Et quand j'ai voulu m'approcher, il m'a grogné après. Comme un loup blessé qui se défend bec et ongles.

 

Calith l'écoute en silence, piochant de temps en temps dans son assiette. Mais Loundor a terminé et semble perdu dans ses pensées. D'une question, Calith le ramène à la réalité :

 

- Tu as pu lui parler, ce matin ?

- Non. Il est resté loup, planqué dans son trou.

 

Un ange passe. Loundor termine sa bouchée et déclare, d'un ton qui ne souffre d'aucun refus :

 

- Je le veux dans l'armée.

- Accordé. Je te laisse l'annoncer à Voinon. S'il fait des histoires, dis-lui...

- Il ne fera pas d'histoires.

 

Le sourire, tout en dents, donne des frissons à Calith. Si Voinon avait l'idée absurde de s'opposer à ce transfert, il comprendrait bien vite son erreur. Le simplet est devenu le protégé de Loundor et s'interposer entre eux serait suicidaire.

 

- Il ne te servira plus.

- Je sais. Le plus important, c'est qu'il soit libéré de ce sort.

 

Seul un hochement de tête signale l'accord de Loundor. N'y tenant plus, Calith demande :

 

- Tu vas aller le chercher dans la forêt ?

- Non. Il ne peut pas aller bien loin, et il a besoin de temps. Je lui laisse la journée, de toute façon, ce soir, on y retourne. J'essayerai de l'approcher à ce moment-là.

- Tu prendras soin de lui, n'est-ce pas ?

- Évidemment.

 

Les deux hommes se connaissent trop pour qu'il soit nécessaire d'en rajouter. Calith sait parfaitement que le Général, en tant qu'Alpha, se fait un devoir de protéger les siens. Et Loundor sait tout aussi parfaitement que le roi tient plus à cet esclave qu'il n'oserait l'avouer.

 

- Je vais faire demander à un archiviste de fouiller le bureau du bourreau. Il trouvera peut-être des documents concernant notre simplet.

- Il n'est pas simplet, je te l'ai déjà dit.

- Et je n'ai pas d'autre moyen de l'appeler en attendant que tu apprennes son nom.

 

Quelques jurons, à peine murmurés, sont la seule réponse à cette évidence. Loundor se lève, soudain, son plateau vide, et annonce :

 

- Je vais parler à Voinon. A plus tard.

 

 


 
 
posté le jeudi 20 juin 2013 à 15:47

Pieveth, Chapitre 11

 

 

 

 

 

Le simplet se fige et le dévisage. Il croise le regard du roi une fraction de seconde, avant de se ressaisir et de détourner les yeux. Juste assez longtemps pour que Calith ait l'impression de se noyer dans un lac au beau milieu de la nuit.

 

Mais l'esclave, s'il a arrêté de faire les cents pas, n'obéit pas pour autant. Il semble indécis et nerveux. La situation, trop étrange, le perturbe. Alors Calith répète, d'une voix toujours aussi douce :

 

- Tu as bien compris. Viens t'asseoir en face de moi.

 

Le simplet regarde autour de lui, comme s'il s'attendait à ce que quelqu'un jaillisse de derrière les rideaux ou de derrière un fauteuil et s'esclaffe, déclarant que c'était une bien bonne blague. Ou peut-être qu'il cherche la personne à qui s'adresse le roi.

 

- Ne me fais pas répéter une troisième fois.

 

Le ton légèrement menaçant du roi le fait enfin réagir. Il s'approche pourtant lentement de la chaise, qu'il tire avec précaution. Et s'assoit, du bout des fesses, sur l'assise confortable. Mais il garde les yeux rivés sur le plateau de la table, les mains sur les genoux. Patiemment, Calith prend l'une des écuelles fumantes qui sent bon le ragoût de porc aux épices, et la dépose devant l'esclave. Ce dernier ferme les yeux, comme s'il résistait à la tentation, et reste immobile. Alors, toujours de sa voix la plus douce, le roi lui dit :

 

- Ce n'est pas un test. C'est pour toi. Mange.

 

Pour la toute première fois, l'esclave croise le regard du roi. Et il sonde, sans retenue, son âme. Il cherche à déceler la moquerie, la cruauté, le revirement de situation qui viendra à un moment ou à un autre, il en est persuadé. Quand l'écuelle s'éloignera de lui dans un éclat de rire méchant. Mais il ne lit, dans ce regard, que de la gentillesse. Alors lentement, comme pour lui laisser le temps de changer d'avis, il prend la cuillère en bois, à l'affut de la réaction de son souverain. Il prend un morceau de viande, souffle dessus pour le refroidir. Calith ne le quitte pas des yeux, lui non plus, et l'encourage d'un sourire. Il l'observe goûter une première bouchée, fermer les yeux d'extase, le regarder, une dernière fois, pour s'assurer que ce n'est pas un traquenard. Puis dévorer son plat, comme si on allait lui enlever d'une minute à l'autre.

 

- Doucement ! On a toute la soirée.

 

L'esclave fait un effort visible pour se refréner. Il semble alors savourer chaque morceau de viande. Calith mange en même temps que lui, dans le silence le plus complet. Seule la cheminée crépite joyeusement, apportant une douce chaleur. L'absence de paroles est apaisante et voir l'esclave se régaler est un plaisir pour Calith.

Les portions royales sont toujours plus que généreuses, le cuisinier estimant, sans doute, qu'il vaut mieux des restes dans l'assiette qu'un roi qui n'a pas suffisamment mangé. Et si Calith peine à finir sa part, rassasié, l'esclave, lui n'en laisse pas une miette et prend un morceau de pain pour saucer la moindre parcelle de jus qui pourrait rester. Souriant, Calith lui demande :

 

- Tu as aimé ?

 

Un mouvement de tête véhément lui répond par l'affirmative. Calith se lève et va se rincer les mains et la bouche, suivi comme son ombre par le simplet, qui l'imite dès que la place devant la bassine est libre. Ils se retrouvent, sans que le roi n'ait rien eu à dire, devant le lit imposant. D'un geste doux, le roi défait le pagne qui enserre les hanches de son esclave. Délicatement, il se saisit de son sexe et murmure l'incantation qui le délivre. D'un geste de la main il lui désigne le lit. Servile, le simplet s'exécute et va s'allonger sur le ventre, comme la veille.

 

- Non, mets-toi sur le dos.

 

Calith le rejoint alors sur le matelas, s'allonge à ses côtés. D'une main légère, il lui dessine des arabesques sur le ventre, avant de s'approcher, lentement, de son sexe. Et tout en douceur, il le caresse. Mais l'esclave semble mal à l'aise et ne réagit pas au frôlement. Les yeux rivés sur la tenture du lit à baldaquin, il semble lutter pour empêcher ses membres de trembler. Calith lui murmure des paroles apaisantes sans cesser ses gestes, jusqu'à ce que l'esclave réagisse enfin. Sa respiration se fait plus courte, plus bruyante. Un sourire nait sur les lèvres de Calith, qui poursuit ses gestes. La douceur de la peau, à cet endroit, ressemble à s'y méprendre à de la soie, et il se verrait bien laisser ses mains là toute la nuit. Mais le souffle saccadé de l'asservi se fait de plus en plus rapide, signe d'une jouissance proche. Il a fermé les yeux et ses doigts agrippent les draps de soie comme s'il craignait de s'envoler. Et c'est finalement en silence qu'il jouit, arc-bouté sur le lit, les yeux quasiment révulsés. Il se laisse lourdement retomber sur le lit et Calith en profite pour se rapprocher encore de lui, jusqu'à ce que leurs deux corps se touchent de toute part. Et il cale sa tête dans le creux de son cou, savourant cette proximité.

Après quelques minutes de bien-être, il refuse la caresse de son esclave. Après tout, c'était sa soirée, il mérite un peu de repos. Il lui remet l'anneau en place et le renvoie sans un mot au dortoir des asservis.

 

 

 

 

La journée du lendemain est tout simplement harassante : pas de combats ni de course interminable, mais des dossiers, des interrogatoires, des annonces à la cour et un mal de crâne à en avoir de nausées. La nuit est déjà tombée depuis de longues heures lorsqu'il rejoint ses appartements, espérant la présence du simplet pour souffler un peu et se changer les idées. Mais le simplet n'est pas là. Après tout, Calith a dîné avec Elihus, entre deux dossiers. La présence de son esclave pour lui apporter le repas n'est pas, officiellement, indispensable.

 

Et cette absence, malgré ce qui lui en coûte, ne l'empêche pas de s'endormir dans son bain. Bain que Lanen maintient tiède, en versant régulièrement des seaux d'eau chaude.

Lorsqu'il se réveille enfin, la mi-nuit est passée depuis longtemps. Aidé par l'esclave, il s'habille pour la nuit et va se coucher, seul, sans le moindre plaisir. Un manque, après ces soirées en si agréable compagnie.

 

 

 

 

Le jour suivant s'annonce tout aussi morose. Les espions de Nala lui font des rapports réguliers sur ce qu'ils apprennent dans les cercles les plus puristes des nobles de longue lignée, sans trouver, pour le moment, le moindre élément permettant d'imaginer l'un d'eux comme étant le meurtrier. De même, les intendants, les artisans, et toute personne manipulant des cordes affirme avoir son stock intact. A croire que l'assassin a créé lui-même ces fichues cordes. La cour est bien entendu affolée : savoir qu'un tueur se promène dans les couloirs du château devient un sujet de conversation récurrent et la peur s'amplifie à mesure que les spéculations les plus folles jaillissent.

 

Après une journée à régler difficulté après difficulté, problème après problème, il s'accorde une promenade le long des murailles et rencontre les gardes qui y patrouillent. Ils l'accueillent avec joie. Tous veulent lui serrer la main, échanger quelques mots avec lui. Et Calith se prête bien volontiers au jeu, apprenant à connaître, ne serait-ce qu'un peu, les hommes qui surveillent les murailles et s'assurent de la sécurité du château. Il se laisse même convaincre de partager un broc de bière avec eux, ravi de converser avec des personnes qui ne lui demandent pas de rendre des comptes, ni de faire ses preuves, ni de s'expliquer sur l'échec de l'enquête.

L'ambiance est détendue et les heures filent sans qu'ils ne s'en aperçoivent. Lorsqu'ils s'en rendent compte, la nuit est déjà tombée depuis longtemps. Alors, escorté par un des gardes qui a terminé sa journée, Calith regagne la chaleur de ses appartements. Lanen est là, prêt à remplir la baignoire d'eau brûlante. Mais le simplet n'est visible nulle part et, d'après son condisciple, n'est pas venu apporter le dîner. Toute trace de bonne humeur disparaît chez Calith. Il a déjà manqué à tous ses devoirs, la veille, en ne se présentant pas. Et il recommence ce soir. Est-ce à cause de la gentillesse dont a fait preuve Calith, l'autre soir ? Est-ce qu'il se sent le droit de ne plus venir, tout simplement parce que son roi lui a permis certaines libertés ?

 

Son sang ne fait qu'un tour. Hors de question que le simplet se permette de ne plus venir et de désobéir à un ordre royal. Alors il quitte précipitamment ses appartements et part à la recherche de Voinon, qu'il compte bien mettre au courant de la situation. Quitte à ce que le simplet soit fouetté. Tant pis. Il n'avait qu'à obéir.

Traversant les couloirs, déserts à cette heure, à grandes enjambées, il atteint rapidement les quartiers des esclaves, où il sait pouvoir trouver Voinon. Mais il s'arrête bien avant le bureau du responsable des asservis. Là, juste devant la salle d'ablutions, un regroupement l'empêche d'avancer. Jouant des coudes pour découvrir la raison de cet attroupement, il s'avance dans la foule compacte.

 

- Arrête ça ! Relève-toi !

 

La scène qui se déroule sous ses yeux est bien loin de tout ce qu'il pouvait avoir imaginé. Voinon est hirsute, en sueur et arrose copieusement de coups le corps qui se débat au sol. Les injures fusent, sous le regard ravi des esclaves qui assistent, avec un plaisir évident, à l'évènement qui distrait leur soirée.

 

- Suffit !

 

L'ordre claque, sèchement. Voinon se fige, badine relevée au-dessus de la tête, prête à s'abattre à nouveau. Puis il s'incline très bas dès qu'il reconnaît son roi et bafouille :

 

- C'est le simplet, Votre Majesté. Il refait sa crise de démence, comme hier. Si vous voulez mon avis, faudrait l'achever, ce serait rendre...

- Je ne veux pas ton avis. Écartez-vous tous et retournez à vos occupations.

 

A mesure que les témoins s'écartent, Calith découvre le corps de l'esclave qui se tord de douleur. Sa peau est striée de marques rouges, dues aux coups de badine. Mais ce n'est visiblement pas ça qui le fait souffrir. Car il souffre, c'est indubitable. La bouche ouverte dans un cri muet, le visage baigné de larmes, il semble à l'agonie. Ce beau visage, ce corps si désirable, cet esclave qu'il commence à bien connaître est là, à même les dalles en pierres, en proie aux pires souffrances. Des ondes magiques sont à l'œuvre sur lui, si fortes que Calith peut les percevoir. Mais ce n'est pas une magie qui lui est familière. Et pour qu'il puisse la ressentir, alors qu'il se tient à plusieurs mètres du corps agonisant, c'est qu'elle est très puissante. Qui déploierait une telle énergie pour faire souffrir de la sorte un insignifiant esclave muet ? Voinon marmonne encore après ce bon à rien qui simule des crises de folie pour tirer au flanc, attisant la colère du souverain.

 

- Silence.

 

Aussitôt, le silence se fait. Dans la salle d'eau, simpliste au possible, il ne reste que Voinon, Calith, et l'esclave souffrant le martyre. Le regard du simplet, rendu dément par la douleur insoutenable, se fixe un instant dans celui du roi. Mais il semble ne pas le reconnaître. Puisant un peu de magie en lui, Calith lance un sort apaisant, espérant calmer les mouvements désordonnés. En vain. La vague de magie blanche semble engloutie par un raz-de-marée destructeur. Le visage crispé par l'inquiétude et l'incompréhension, le roi lance un nouveau sort, plus puissant. Qui s'avère être aussi peu efficace que le premier.

 

Ce n'est pas normal. Quelle magie pourrait ainsi réduire à néant les sorts qu'il lance ? Et qui pourrait vouloir lancer un tel sortilège à un esclave ? Ce dernier hoquète, les yeux révulsés, dans un silence oppressant, uniquement troublé par le bruit de ses membres qui se débattent et cognent contre les dalles froides. Calith ne peut pas le laisser comme ça. Alors il s'agenouille près du corps pris de convulsions et pose une main douce sur son épaule.

 

- Par les Dieux !

 

Ce simple contact lui a permit de voir la magie à l'œuvre. Il se redresse vivement et se retourne vers Voinon, qui tente de masquer sa désapprobation derrière un masque impassible. Sans beaucoup de succès d'ailleurs.

 

- Va me chercher Loundor immédiatement. Et rapporte une civière à ton retour.

 

 


 
 
posté le mercredi 19 juin 2013 à 09:57

Pieveth, Chapitre 10

 

 

Personne ne le réveille en sursaut, le lendemain matin. Il ne sort de sa léthargie que lorsque les rayons du soleil viennent se poser sur ses paupières closes. La matinée est déjà bien avancée. Ses appartements sont déserts. Il passe à la salle d'eau pour un rapide débarbouillage matinal, puis s'habille seul, sobrement. Sans hésiter, il quitte sa chambre pour rejoindre les cuisines, en pleine effervescence. Et leur demande, simplement, une miche de pain, un peu de beurre, et des pommes. Emportant son précieux butin, il quitte le château par la grande porte nord. Face à lui, derrière quelques champs, la forêt des loups-garous, cernée par son imposante clôture. Une enceinte qui préserve le territoire des loups tout en garantissant la sécurité des habitants du château.

 

Il esquisse un sourire, savourant le calme matinal. Et d'un pas décidé, se rend non loin de là, le long de la falaise. Un étroit sentier descend le long de la paroi rocheuse, abrupt. Dix mètres plus loin, un renfoncement, presque semblable à une grotte, offre un abri idéal. Et une vue à couper le souffle.

Face à lui s'étendent les immenses territoires Fargues et Mevraux. Deux royaumes qu'il connait, depuis sa plus tendre enfance, pour les voir côtoyer ses frontières, sur les cartes. Deux royaumes où il n'a jamais mis les pieds, où il ne connaît même pas le nom du roi. Car la falaise est haute d'une demie-lieue. Les arbres qui bordent la paroi escarpée, là-bas, tout en bas, sont si petits qu'on les distingue à peine. Et aucune route, aucun sentier, rien ne permet de rejoindre l'autre royaume. Il faut donc longer la falaise sur des centaines de lieues avant que le relief ne s'adoucisse. Rendre une visite de courtoisie à ses voisin lui prendrait, au bas mot, deux ans.

 

Mais la vue est si dégagée, de cette petite grotte, qu'il peut voir à une distance faramineuse. Le bout du monde est le seul horizon. Et peu de personnes connaissent l'existence d'un tel renfoncement. Encore moins s'y risquent pour profiter du paysage.

Mais quand on est hanté par ses actions, traqué par un échec, terrifié à l'idée d'assumer des responsabilités si lourdes qu'elles font tituber, on y vient. Et avec plaisir encore.

Calith prend son petit-déjeuner déjeuner éloigné de tout être humain, admirant le vol des rapaces. Profitant du calme surnaturel qui règne.

 

Il va devoir parler à Voinon, pour que le simplet n'ait plus à balayer les couloirs des geôles. C'est cruel, de l'envoyer là-bas, où il a passé tant de temps dans des conditions inimaginables. Le simplet, qui n'a de simplet que le surnom. Qui a tant été malmené, hier au soir. Et depuis qu'il est rentré à son service, Calith ne l'a jamais libéré de son anneau. Il ne le réalise que maintenant, mais son comportement était d'un égoïsme honteux. Ce soir, il ne lui fera pas d'excuses, bien sûr que non, il ne peut pas se le permettre. Mais il le libèrera de cet anneau. Et fera preuve de douceur. Il pensera au plaisir de l'esclave avant le sien. Un moyen pour se faire pardonner.

 

Un autre moyen de se faire pardonner sera d'aller voir Elihus et de trancher sur toutes les problématiques qu'il lui soumettra. Il ne peut pas le laisser plus longtemps dans cette situation.

Enfin, il ira voir Loundor, voir s'il en a appris plus sur les meurtres. Et ils s'entraîneront ensemble.

Le froid est vivifiant, les lourds nuages gris menaçants. Une journée parfaite pour se reprendre et repartir sur de bonnes bases. Satisfait de ses nouvelles résolutions, il s'extirpe de la grotte et regagne le plateau. Où un garde l'attend, visiblement frigorifié.

 

C'est un tout jeune homme, qui tape des pieds sur le sol pour se réchauffer. Et qui se fige, intimidé, en voyant son roi surgir du vide. Il lui adresse un sourire crispé avant de le saluer. Salut que lui renvoie, d'une voix douce et d'un sourire rassurant, Calith. Puis, comme son regard se fait interrogateur, le garde lui explique :

 

- On vous cherchait, dans le château. Mais le Général savait que vous seriez ici, il m'a ordonné d'attendre que vous ayez terminé et de vous escorter jusqu'à votre bureau.

- Il a peur que je m'enfuie ?

 

Le garde esquisse un sourire amusé avant de se reprendre. Il cherche visiblement une réponse adaptée et ne peut que bredouiller des morceaux de phrases incompréhensibles. Donnant une tape amicale sur l'épaule du jeune homme, Calith lui dit :

 

- Allons-y alors. Je te suis.

 

Le silence se fait pesant quand ils empruntent le sentier qui traverse les champs nus. Alors Calith se charge de la conversation.

 

- Ça fait longtemps que tu es dans la garde ?

- Deux ans, Votre Maltes... Euh... Votre Altjesté...

 

Un éclat de rire salue ce bafouillage. Le garde s'empourpre et n'ose plus rien dire. Alors le roi reprend :

 

- J'ai compris l'idée, ne t'inquiète pas. Alors tu t'es engagé sous le règne de Lombeth ?

- Oui mais c'était pas pour lui. J'ai jamais voulu le servir, lui. Mais on n'avait pas le choix, fallait s'enrôler. Et puis, j'étais sûr d'avoir une solde. Pour ma famille, vous voyez, Votre Maltej...

- Je vois, je vois. Ne sois pas si nerveux, va.

- C'est-à-dire que le Général ne m'avait pas prévenu qu'on parlerait.

- C'est si terrible que ça ?

- Oh non non ! Bien sûr que non ! C'est juste qu'il ne m'avait pas prévenu.

- Ta famille vit dans l'enceinte de la muraille ?

 

Le visage du garde se ferme soudainement. Il n'y a plus de nervosité quand il répond, juste de la colère.

 

- Ma solde n'a pas suffit, l'hiver dernier. Avec la famine, les prix sont montés en flèche. J'ai rien pu faire pour les sauver.

- J'en suis désolé.

 

Ils ont traversé rapidement les champs et les couloirs. C'est au tour du roi, d'être gêné. Alors quand ils arrivent devant la porte de son bureau, il arrête le garde d'une main sur le bras et lui demande :

 

- Comment tu t'appelles ?

- Jérémias, Votre Majesté.

- Bien. Merci pour cette conversation, Jérémias.

 

Le rose aux joues, le garde hoche simplement la tête en guise de remerciement. Et regarde le roi entrer dans son bureau, un sourire béat aux lèvres.

 

 

 

 

Calith va s'asseoir dans son fauteuil, sous le regard sévère d'Elihus. Il se contente d'une simple salutation avant de rentrer dans le vif du sujet :

 

- Où en sont les affaires courantes ?

 

Les lèvres pincées du conseiller, signe de sa contrariété à voir disparaître son roi, se détendent dans un sourire. Il incline légèrement la tête et entreprend de résumer les dossiers qu'il a traité la veille et sans doute pendant une partie de la nuit. Calith se fie complètement à son jugement et va dans son sens au moment d'apposer le sceau royal sur les décrets et sur les annonces publiques.

 

Un grondement sourd de son estomac lui annonce qu'il est l'heure de déjeuner. Les dossiers en cours sont réglés. Elihus le remercie avant de l'autoriser à aller manger. Sans trop de culpabilité, sachant tout l'amour que porte Elihus au tas de papiers noircis d'encre, Calith quitte le bureau. Direction les cuisines. Mais il s'arrête avant.

 

Il entre dans le réfectoire des esclaves, trop petit pour la soixantaine qu'ils sont, déclenchant un mouvement de panique. Tous les asservis de lèvent, laissant retomber leurs couverts dans un fracas infernal, pour saluer comme il se doit le roi. Seul, tout au fond et un peu à l'écart, le simplet prend le temps de d'avaler une cuillerée supplémentaire avant d'imiter ses condisciples. Comme si sa pitance allait disparaître. D'un geste de la main, le roi les invite à reprendre leur repas. Il suit du regard le simplet, qui se rue sur son écuelle et dévore comme s'il était affamé. Détournant les yeux de ce spectacle qui lui noue le ventre, Calith concentre son attention sur Alima et Voinon, figés debout, dans un angle de la pièce. Par leur présence, ils veillent à ce que la collation se déroule bien, qu'il n'y ait ni bagarres, ni vols de nourriture. C'est aussi l'occasion de faire le point sur le travail effectué dans la matinée. Voinon effectue une petite courbette avant de saluer le roi. Puis il lâche :

 

- Je n'avais pas été prévenu de votre visite, Votre Majesté.

- Personne n'était au courant.

- Nous sommes honorés de votre présence ici.

- Hum. J'ai vu le simplet, hier, nettoyer les couloirs des geôles. Je ne veux plus qu'il travaille là-bas. D'ailleurs, pourquoi lui avoir confié ces lieux ?

- Ces couloirs sont à entretenir également, Votre Altesse. Et c'est son rôle.

- Mais il n'est pas le seul à le faire. Après ce qu'il a vécu là-bas, c'est inutile de le faire revenir.

- Sauf votre respect, Sire, ce n'est qu'un esclave. Il doit s'adapter.

- Je ne veux plus qu'il travaille là-bas. Et c'est un ordre.

- A vos ordre, Votre Majesté.

 

Puis, se tournant vers Alima, il lui ordonne :

 

- Pour ce soir, je veux que le simplet monte deux dîners dans mes appartements.

- A vos ordres, Votre Majesté.

 

La jeune femme, bien plus maline, ne cherche pas discuter ni à faire preuve de curiosité. Elle se contente d'une courbette. Satisfait, Calith se détourne d'eux, leur souhaitant une bonne fin de journée, et va chercher son repas en cuisine.

Là encore, il déclenche une vague de panique, le Chef de cuisine ne voyant pas d'un très bon oeil cette habitude qu'a prise le souverain d'aller se servir directement à la source. Mais il sert son roi copieusement et le laisse repartir les mains chargées.

C'est sur la salle des officiers qu'il jette son dévolu et qu'il s'installe pour déjeuner en paix. Par miracle, la pièce est déserte. Sauf qu'il a à peine le temps de savourer son entrée qu'un grondement lui annonce l'arrivée du Général.

 

- Il me semblait bien, que ça sentait fichtrement bon, par ici.

 

Sans faire plus de manières, Loundor s'installe à côté de son roi et lorgne le plateau chargé de nourriture. D'un geste protecteur, Calith rapproche le plateau de lui. Et demande :

 

- Tu as déjà mangé, non ?

- Oui. Mais si je m'écoutais, je passerais plus de temps à manger qu'à dormir.

- Tu n'as pas l'air famélique, pourtant !

 

Un léger rire secoue le Général, qui se garde bien de répondre. Il y a trop de personnes faméliques, dans l'enceinte des murailles, pour qu'ils plaisantent plus à ce sujet. Alors il change de sujet sans trop de subtilité :

 

- L'enquête sur les meurtres avance un peu.

- Bien ! Qu'as-tu découvert ?

- Bon, pas grand chose. Nous avons fini d'interroger les personnes qui connaissaient le duc de Peliel. Mais ça ne nous a rien appris de plus que ce qu'on savait déjà.

- C'est incroyable. Ils se côtoyaient depuis des années mais, à l'heure de sa mort, aucun d'eux de ne peut rien dire à son sujet.

- Les joies de la cour. Ils se connaissent, se fréquentent, mais au final, ils ne sont pas amis. Le duc, tout comme le baron, étaient finalement très seuls.

- Et du côté des conquêtes ?

- Sans grande surprise, on a appris qu'il était un homme à femme. En dehors d'Azhel, plusieurs jeunes femmes venaient le voir, dans la soirée. Certaines vivent au château, d'autres viennent de l'extérieur.

- Des filles de joie ?

- De luxe, oui.

- Est-ce que ça pourrait être un mobile pour les meurtres ?

- Ça pourrait. Sauf que le baron de Beoan était bien plus calme, à ce sujet.

- Et du côté de leur descendance ?

- Elihus a une excellente mémoire. Le fils de Beoan a bien été retrouvé mort dans un bouge, alors qu'il venait à peine de se fiancer.

- L'assassin voudrait-il les punir pour avoir sali l'image respectable de la noblesse ?

- C'est un peu tiré par les cheveux, si tu veux mon avis. Mais c'est possible.

- Autre chose ?

- Oui. Le médecin qui a préparé le corps a découvert la marque d'une corde à l'entrejambe du duc. Ce qui répondrait à ta question, hier, concernant le sang. Si l'assassin a fait un garrot avant de l'émasculer, il n'a pas dû recevoir beaucoup de sang sur lui.

- Mais il n'avait pas vu ça, quand il a nettoyé le corps du baron ?

- Non. Peut-être que l'assassin ne l'a fait que sur le duc. Qu'il a tiré des leçons de son erreur précédente.

- Mais l'assassin a eu besoin de cordes. Est-ce qu'on t'a signalé des vols ou disparition de corde ?

- Non. Je vais mettre un homme sur le sujet. Mais avec ton arrivée au pouvoir, beaucoup de choses ont été chamboulées. Je ne sais pas si quelques mètres de cordes manquants aurait été remarqués.

- On peut bien essayer. Autre chose ?

- Non.

 

Ils s'échangent un long regard, qui en dit plus que tous les mots sur leur désarroi face à ce mystère. D'un commun accord, ils délaissent le repas pour aller s'entraîner. Et c'est finalement durant tout l'après-midi que Calith échange des passes d'armes avec le Général, mais également avec les soldats, suivant un entraînement quasi similaire au leur.

A bout de force, le corps contusionné de toutes parts, il regagne, chancelant, ses appartements.

 

 

 

 

Lanen a préparé un bain à la bourrache et au thym, sans doute au courant des efforts physiques de son roi. Ces herbes aident à décontracter les muscles et sentent bon. C'est donc avec un plaisir non dissimulé que Calith se glisse dans l'eau chaude et profite des bienfaits des plantes.

 

Lorsqu'il sort de la baignoire, une fois habillé, il renvoie Lanen dans les dortoirs des esclaves. Seul reste le simplet, qui a apporté, comme l'a demandé Calith, deux repas sur le lourd plateau. Il semble d'ailleurs attendre l'invité du roi, tournant et virant entre la porte et la table.

Calith le regarde s'agiter, un léger sourire aux lèvres, avant de lui dire, d'une voix douce :

 

- Allez, viens t'asseoir.

 

 


 
 
posté le mardi 18 juin 2013 à 13:23

Pieveth, Chapitre 9

 

 

 

 

- Parfait.

 

Saluant d'un mouvement de la tête la foule, il s'éloigne vivement, pressé de fuir la cour et d'en savoir plus sur cette histoire d'esclave.

Suivant le pas martial du Général dans les couloirs, il lui demande :

 

- Où a-t-elle été retrouvée ?

- Elle dormait dans les ballots de linge sale.

- Pardon ?

- Elle est chargée d'enlever le linge sale des chambres de l'aile ouest, puis de l'emmener à côté du lavoir, dans la salle prévue à cet effet. Voinon nous avait dit qu'elle travaillait, alors on a battu le rappel pour la chercher dans l'aile ouest. Mais comme elle a passé une partie de la soirée avec le Duc de Peliel, et peut-être même toute la nuit à le regarder mourir, la pauvrette devait être épuisée.

 

Le ton, clairement ironique, du loup fait grimacer Calith mais il ne fait aucun commentaire. Cette esclave est la dernière personne a avoir vu le duc vivant, du moins, à part l'assassin, et elle pourrait fournir de précieux renseignements. Mais rien ne prouve, pour le moment, qu'elle est liée à sa mort. Elle ferait certes une coupable idéale, mais le roi veut absolument s'assurer, sans l'ombre d'un doute, de sa culpabilité avant de faire ce genre de remarque.

 

Ils se dirigent vers les geôles mais Loundor ne s'arrête devant aucune porte du long couloir. L'esprit de Calith le projette quelques jours plus tôt, lorsqu'un bras décharné avait tenté de saisir la miche de pain. Hier au soir, le simplet était reparti sans qu'il s'en aperçoive, le recouvrant proprement de son édredon. Le roi savourait l'instant de grâce qui suit la jouissance et n'avait pas eu conscience du départ de son esclave. Et ce soir, le simplet reviendra et lui prodiguera encore des caresses exquises.

 

Un terrible pressentiment l'extirpe de ses pensées et envahit le jeune roi lorsqu'ils s'avancent vers le bureau sobre et dépouillé, dans le couloir jouxtant les cellules. D'une voix étranglée, il demande :

 

- Loundor, ne me dis pas que tu vas la torturer ?

- Pour qui tu me prends ?

 

L'indignation est bien visible sur les traits d'ordinaire impassibles du Général. Il y a de quoi. Calith s'en veut d'avoir osé insinuer une telle chose. Le loup-garou est un homme sévère, mais juste. Il n'a jamais torturé personne, alors il ne va pas commencer avec une esclave. Mais pourtant, elle se trouve là, assise sur une chaise en bois, les poignets et les chevilles ligotées, l'air totalement terrifiée. Ses cheveux longs sont relevés en chignon et laissent clairement visible le collier en métal autour de son cou. Un corsage, d'un tissu rugueux, laisse deviner de fortes appétissantes courbes. Elle est jolie, malgré sa terreur, très jolie. Calith comprend pourquoi le duc la faisait demander. Deux gardes sont assis sur la table toute proche et discutent à voix basse sans la quitter des yeux. Loundor, à peine arrivé, prend sa voix la plus menaçante pour demander à la jeune asservie :

 

- Comment tu t'appelles ?

- Azhel, messire.

- Je ne suis pas ''messire'', je suis le Général de notre armée.

 

La jeune esclave semble perdre un peu plus ses moyens et balbutie des excuses. Soudain, Calith comprend. Loundor veut l'intimider. La salle de torture, sa grosse voix qui résonne entre les murs lugubres, sa carrure de guerrier, cette remise en place : tout est fait pour que la jeune femme redoute le pire. Et soit plus encline à parler, sans avoir à faire preuve de la moindre violence. Pourtant, les Dieux savent que Loundor peut être d'une gentillesse désarmante, dans l'amitié. Mais son statut de Général le force bien souvent à enfiler ce masque bourru de froideur et d'autorité. C'est sans crainte que Calith regarde le Général s'approcher de la jeune femme et lui demander :

 

- Tu étais avec le duc de Peliel hier ?

- Oui, Général.

- Toute la nuit ?

- Non, Général.

- Quand l'as-tu quitté ?

- Vers la mi-nuit, Général.

- Pourquoi ?

 

La jeune femme s'empourpre et des larmes viennent affleurer le bord de ses yeux. Jetant un rapide regard aux deux gardes, qui n'ont pas bougé, elle murmure :

- On avait terminé, Général.

- Terminé quoi ?

- Le duc estimait que je lui avais donné suffisamment de plaisir, Général. Il s'était endormi et ne m'a pas vu partir.

 

La pointe de ressentiment que Calith sent dans sa voix le fait déglutir bruyamment. Le simplet a-t-il été blessé par son indifférence ?

 

- Tu fais ça souvent, avec lui ?

- Aussi souvent qu'il le demande.

- Tu ne réponds pas à ma question. Combien de fois par semaine ?

- Deux à trois fois, Général.

- Uniquement la soirée ?

- La plupart du temps, Général. Il n'a plus la forme des jeunes, si je puis me permettre.

- Tu le fais avec d'autres ?

- Oui Général. Ceux qui le demandent.

- Donne-moi des noms.

 

La jeune esclave n'hésite pas un instant et débite une liste relativement longue de membres de la cour, parfois même de serviteurs. Loundor tourne lentement autour du fauteuil, profitant d'être dans le dos de la jeune esclave pour lancer un regard dépité au roi. Et de sa voix autoritaire, il reprend ses questions :

 

- Quand tu l'as quitté, il était toujours en vie ?

- Oui Général. Il dormait.

- Tu n'as croisé personne dans les couloirs ?

- Non Général.

- Tu n'as rien entendu ?

- Non Général.

- Est-ce qu'il t'a parlé ?

- Un peu, Général. Pour me demander de lui servir à boire ou pour prendre certaines positions.

- Est-ce qu'il t'a confié quelque chose ? Des soucis avec quelqu'un, des problèmes quelconques ?

- Non, Général. Il ne s'abaisse pas à discuter avec une esclave, Général.

- Bien. Si nous avons d'autres questions, nous te le ferons savoir. Reste à disposition et ne disparais plus.

 

Loundor lance un regard interrogateur à Calith mais ce dernier lui répond d'un léger signe négatif de la tête. Non, il n'a pas de questions.

C'est dans un silence morose qu'ils repartent de la salle du bourreau. La jeune femme n'a pas menti au Général, la mise en scène était aussi faite pour ça. Et ils ne sont guère plus avancés. Mais lorsqu'ils arrivent dans les couloirs des cellules, un chahut attire leur attention. Le simplet est en train de balayer le sol en pierre, sous les remarques des prisonniers. Ils parlent tous en même temps, aussi ni Calith ni Loundor ne parviennent à comprendre ce qu'ils racontent. Mais vue la réaction du simplet, qui se tient bien au milieu du couloir, recroquevillé sur lui-même, ce n'est pas pour faire éloge de son coup de balai.

 

 


 

 Le reste de l'après-midi ressemble à une interminable perte de temps. Calith, incapable de se consacrer aux problèmes de gestion courante, accompagne le Général dans ses investigations. Pour apprendre que personne n'a rien vu, ne sait rien et ne peut pas imaginer qu'on en voulait à un homme aussi charmant que le Duc de Peliel. En poussant les personnes interrogées dans leurs retranchements, ils parviennent tout de même à leur faire avouer que le duc était une personne assez soupe au lait, qu'il prenait la mouche facilement et qu'il fallait user de diplomatie pour ne pas se le mettre à dos. Décidant de creuser un peu de ce côté, ils ne se permettent pas de perdre trop de temps sur ces indications : entre se mettre à dos une personne et l'assassiner dans de telles conditions, il a un pas à franchir.

 

Ils dînent ensemble, loin de la cour, dans le bureau du roi. Ces affaires de meurtres ne quittent pas une seconde leurs pensées, ni leurs conversations. Tout ce qui peut ressembler à une piste part en poussière comme du papier brûlé dès qu'ils s'y intéressent un peu. Et la cour va devenir incontrôlable. Et aux noms des Dieux, il y a quelqu'un qui rôde, là, et qui tue !

 

C'est donc un repas maussade, où Calith triture avec sa fourchette les aliments plus qu'il ne mange. Si la seule nourriture qu'il a avalé de la journée se résume à une miche de pain piquée dans la cuisine après l'interrogatoire de Azhel, l'appétit n'est pas là pour autant.

 

Elihus et Loundor font la conversation, qu'il n'écoute que d'une oreille. L'impression d'être totalement impuissant lui noue le ventre. Un échec comme celui-là est terrible pour lui, alors qu'il a tant de preuves à faire. Repoussant son assiette, il se lève brusquement, sous le regard étonné de ses deux conseillers. Il ne supporte plus d'entendre parler de tout ça. Leur souhaitant une bonne nuit, il s'éclipse rapidement.

 

 

 

 

 

La nuit est tombée depuis quelques heures et rares sont les personnes qu'il croise dans les couloirs qui mènent dans ses appartements. Il rencontre tout de même deux patrouilles de gardes et leur adresse un bref salut.

 

Ses appartements se composent d'un hall, petit et sombre mais où on peut ficher des torches contre le mur et installer une petite table. C'est ici que patientent les invités, avant que le roi ne les accueille. Une porte donne sur le salon, une très grande pièce, où un feu brûle dans l'immense cheminée. Une longue table parfaitement cirée, des fauteuils confortables et d'épais tapis masquant les dalles de pierres froides sont au centre du salon. Contre les murs, quelques portraits d'ancêtres, que Calith n'a pas connu, et de lourdes tentures en velours pourpre. De nombreuses banquettes en bois, longues et recouvertes de tissus et de coussins, se blottissent contre les murs, prêtes à accueillir les visiteurs. Au fond, face à l'étroite fenêtre qui donne sur la forêt des loups, un fauteuil particulièrement confortable et une table basse accueillent souvent le roi.

 

Sur la gauche, deux portes : l'une pour la salle d'eau, la seconde pour la chambre royale. Une chambre relativement grande, mais uniquement composée d'un lit à baldaquin et d'une cheminée, ainsi que des armoires renfermant habits et possessions.

 

Lorsqu'il franchit la porte du salon, il voit tout de suite les deux esclaves qui attendent son retour. Et qui, dès qu'ils l'aperçoivent, se précipitent pour le servir. Mais Calith dédaigne le bain, trop long alors qu'il est fatigué, et se contente de rapides ablutions. Et il dédaigne le repas, qu'il vient de prendre sans appétit. En fait, il réalise qu'il n'a envie que d'une chose : un moment d'intimité avec le simplet. Il renvoie donc Lanen dans les dortoirs des esclaves.

 

Il dévisage le simplet, ses cheveux rasés, son beau visage, son large collier. Il est contrarié, énervé par l'échec de leur enquête. Ce soir, il n'a pas envie de douceur.

 

- Tourne-toi.

 

L'asservi obéit immédiatement, laissant voir un dos encore très marqué par les coups de fouet, bien que les plaies soient saines. Aussitôt, le roi prend sa décision :

 

- Va t'allonger sur le ventre.

 

Les yeux baissés qui lui font face ne lui permettent pas de lire la moindre émotion et il le regarde prendre place avec impatience. Il grimpe sur le lit et s'installe à califourchon derrière l'esclave. Sans douceur, il lui relève le bassin, y glisse un oreiller pour le maintenir dans cette position. Toujours brusquement, il lui écarte largement les jambes. Calith n'a rien maîtrisé de la journée, rien contrôlé. Enfin, ce soir, il en a la possibilité. Il prend son temps pour conquérir l'intimité du simplet, qui ne bronche pas. Mais à peine est-il entièrement en lui qu'il se déchaîne. Ses grands coups de butoir imposent le rythme infernal qui reflète sa colère. La puissance de ses coups de rein, celle qu'il enrage de ne pouvoir utiliser pour arrêter le meurtrier. Le seul plaisir qu'il retire de ce rapport, c'est de dominer son esclave, d'imposer sa volonté. Toujours plus fort. Toujours plus loin. Et il se maîtrise, lui-même, pour faire durer ce moment d'extase où il est maître de la situation. Le corps couvert de sueur, ahanant comme un bucheron, il pilonne vigoureusement l'intimité de l'asservi. Encore et encore. Jusqu'à ce que le plaisir monte en lui. Jusqu'à ce que la jouissance lui face perdre pied et s'écrouler sur le dos malmené du simplet, à bout de souffle. Jusqu'à ce qu'il réalise que le visage qui lui fait face est grimaçant de douleur et baigné de larmes.

 

- Va-t-en.

 

Et l'asservi d'obéir sans hésiter, quittant le lit avec célérité, rabattant juste l'édredon sur le corps qui vient de le maltraiter. Les yeux grands ouverts dans l 'obscurité, Calith reprend son souffle. Et se rend compte de ce qu'il vient de faire. Une partie des paroles de Loundor lui revient à l'esprit : ''Ce n'est pas un animal, c'est un esclave''. Un esclave. Un être humain, tout privé de liberté qu'il soit. Mais un roi ne s'attache pas à un esclave, un roi ne s'excuse pas face à un esclave. Un roi ne dit pas qu'il est désolé, à un esclave.

 

 

 


 
 
posté le lundi 17 juin 2013 à 09:17

Pieveth, Chapitre 8

 

 

 

 

Calith se redresse brusquement, tous les sens en alerte. Le Général a déjà attrapé un simple pantalon et une chemise en lin, qu'il jette à son roi.

 

- Habille-toi et suis-moi.

 

Calith ne se le fait pas répéter deux fois. Ses vêtements enfilés, il passe une ceinture où il fixe sa dague, au cas où, malgré le regard dédaigneux du Général. Calith se sait en sécurité avec lui, mais la présence de son arme le rassure. Sans échanger un seul mot supplémentaire, ils quittent les appartements royaux et s'engagent dans les couloirs. Les domestiques et les esclaves commencent tout juste à s'affairer. Loundor ne lâche pas un mot, peu désireux d'aborder le sujet qui les préoccupe au beau milieu des corridors. Calith, lui, est plongé dans ses pensées : ce nouveau meurtre va jeter de l'huile sur le feu. Et convaincre Elihus de ne pas trouver un coupable monté de toutes pièces va s'avérer être une véritable gageure.

 

Croisant sans le voir le simplet, il avance à la suite du Général jusqu'aux appartements privés du Duc de Peliel. Calith les connaît bien, car il venait, tout jeune, jouer avec Evan, le fils du Duc, un garçon à peine plus âgé que lui. Evan a changé de vie, parti à l'autre bout du continent pour suivre une horde de bandits de grands chemins qui sèment la terreur partout où ils passent. Nul n'ose plus prononcer ce prénom, depuis. Son père souffre bien trop de cette trahison. Les lourdes tentures masquent les premières lueurs du jour, donnant au lieu une atmosphère confinée, oppressante. L'odeur du sang, omniprésente, écœurante prend à la gorge. Et le cadavre pose la touche finale de ce tableau sordide.

 

Le Duc de Péliel était plutôt bel homme et prenait soin de sa personne. Mince, bien conservé malgré la cinquantaine vieillissante, il avait encore beaucoup de succès auprès des femmes de la cour. Désormais, il repose, les poignets solidement ligotés aux accoudoirs d'un fauteuil, la gorge béante. De son vivant, semble-t-il, il a passé ses jambes au dessus de ses avant-bras, de sorte que la pliure de ses genoux repose sur les entraves des poignets. Là encore, une solide corde l'a empêché de se débattre quand l'assassin l'a castré. Son entrejambe, mis en évidence par la posture du corps, n'est plus qu'une plaie sanglante. Du sang a coulé, en très grande quantité. Détournant les yeux de ce spectacle insoutenable, Calith reporte son attention sur le visage du mort. Ses yeux, grands ouverts, reflètent une terreur et une douleur indicibles. Dans la bouche, une serviette en tissu a empêché la victime de crier.

 

Déglutissant bruyamment, Calith observe le reste des appartements. Et remarque, enfin, la présence discrète d'un Elihus au teint blafard. Ils se saluent d'un rapide geste de la tête puis reportent leur attention sur Loundor, qui leur explique :

 

- C'est l'esclave chargée d'allumer la cheminée qui l'a trouvé. Elle a tout de suite été prévenir l'un des gardes du château. Je ne peux pas trop m'avancer, c'est pas ma spécialité, mais il semble qu'il est mort au milieu de la nuit. Ce dont je suis sûr, par contre, c'est que l'assassin est resté longtemps dans la pièce. Une partie du sang, à l'entrejambe, a commencé à sécher. A la gorge, le sang est plus frais. Je pense que l'assassin l'a forcé à prendre cette position humiliante, l'a castré, puis a patiemment attendu en regardant souffrir sa victime. Il lui a peut-être soutiré des informations, mais ça me paraît improbable, à cause du bâillon. Puis le meurtrier s'est lassé, ou a entendu un bruit dans les couloirs, ou devait partir, ou que-sais-je encore. Alors il l'a achevé en l'égorgeant.

 

La voix de Loundor est calme et posée. Les visages d'Elihus et Calith se décomposent à mesure que l'horreur leur ait dessinée. Et c'est d'une voix peu assurée que le roi demande :

 

- Si l'assassin est resté longtemps, tu devrais sentir son odeur, non ?

- Non. Le duc faisait brûler beaucoup d'encens, ici, ne supportant pas les odeurs. Et ça brouille mon odorat. J'arrive à percevoir qu'une femme est venue ici, sans doute l'esclave de ce matin, mais pas grand chose d'autre.

- Et elle n'a rien vu ?

- Rien d'autre que le corps.

- Bien. Qu'on enlève le corps et qu'on le rapatrie aux temples. On va poursuivre cette conversation dans mon bureau.

 

Les bruits d'agitation, dans le couloir, forcent les trois hommes à quitter les lieux rapidement. Essayant d'empêcher la foule de serviteurs rassemblée derrière la porte de se ruer dans la pièce, ils referment la porte à clef. S'adressant discrètement au garde posté non loin, Loundor lui ordonne de veiller à ce que personne d'autres que deux esclaves, chargés d'emmener le corps, ne rentre dans la pièce.

 

 

 

 

Arrivés dans le bureau royal, ils s'installent en silence. Loundor demande à Alima de faire apporter le petit-déjeuner, même si ni Elihus ni Calith ne semblent avoir le moindre appétit. C'est le conseiller qui parle en premier des questions qui le hantent :

 

- Pourquoi les avoir tué ? Et où cela va-t-il s'arrêter ?

 

Un silence maussade lui répond. Ils sont parfaitement conscients que la donne vient de changer. Calith, sans s'aventurer à répondre à Elihus, poursuit ses pensées à voix haute.

 

- Il va falloir l'annoncer à la cour. Les esclaves ont déjà tout raconté à qui veut l'entendre. Mais cette fois, les nobles ne se contenteront pas d'un ''l'enquête est en cours''. Ils vont s'affoler pour de bon.

- Je vais faire doubler la garde dans le château. Je peux mettre mes soldats en poste dans l'aile ouest, c'est là qu'il y a le plus de nobles.

- Merci Loundor. Et fais interroger tous les gens qui gravitaient autour du duc.

- Bien sûr. On doit absolument comprendre pourquoi on les a tué.

 

Un esclave frappe doucement à la porte, avant d'entrer, porteur d'un lourd plateau surchargé de nourriture. Sans surprise, seul le loup-garou fait honneur au repas et mange avec appétit les trois portions. Le cœur a bord des lèvres, Calith le regarde puis déclare :

 

- Je veux être informé à chaque nouvel élément, Loundor. Elihus, je ne m'occuperai d'aucun dossier ce matin. Je vais aller faire un tour, je serai de retour pour le déjeuner. Je m'occuperai de l'annonce.

- Où tu veux aller ?

- Aucune idée. Je veux juste aller prendre l'air.

- Je t'envoie quelqu'un pour t'accompagner.

- Non.

 

Le ton est ferme, la réponse, définitive. Calith se lève sous le regard perplexe de ses conseillers et quitte son bureau. Il étouffe, entre ces murs qu'il n'a quasiment pas quitté depuis dix jours. Il passe dans ses appartements pour enfiler des vêtements plus chauds mais toujours décontractés, qui siéent fort peu à un roi, il traverse les couloirs d'un pas énergique, comme s'il savait où il allait. Ces même pas, qui le conduisent directement aux écuries. A sa demande, un palefrenier selle un magnifique cheval d'un blanc immaculé.

Il sait bien qu'il aurait dû rester et affronter la tempête mais il ne se sentait tout simplement pas capable de rester assis, dans son bureau, à attendre qu'on lui apprenne quelque chose. Il n'a pas la tête à s'occuper des dossiers. Et être suspendu au moindre rapport de garde l'aurait rendu fou. Ça ne peut pas être une coïncidence. Deux meurtres, à trois jours d'intervalle, c'est forcément le même coupable. D'autant que la manière de procéder est étrange ressemblante. Alors qui en veut aux nobles ? Pourquoi les a-t-on tué dans ces conditions ?

 

Quelques minutes plus tard, sa monture sellée, le roi a quitté l'enceinte du château et galope le long des champs endormis. Un vent glacial lui fouette le visage et ses doigts s'engourdissent autour des rênes. L'hiver ne fait que commencer, mais il est déjà offensif.

La vitesse lui donne l'impression de laisser tous ces soucis derrière lui, comme s'il les semait aux quatre vents. Toute son attention se porte sur la cadence des sabots qui frappent violemment le sol, sur l'enivrante sensation de liberté. Il ne fait plus qu'un avec le cheval. Plus rien d'autre n'existe.

 

 

 

 

 

Il se sent mieux, lorsqu'il revient au château, une paire d'heures plus tard. Comme si les problèmes qu'il a semé au vent, plus tôt, avaient laissé place à des idées nouvelles, plusieurs théories ont vu le jour dans son esprit. Il sent fort le cheval, quand il pénètre dans son bureau, et fait grimacer Loundor. Loundor, toujours présent en compagnie d'Elihus. Et ils semblent avoir de bonnes nouvelles.

 

- On avance, Majesté, on avance !

- Dites-moi tout.

- Les serviteurs et esclaves n'ont rien vu, ni rien entendu d'inhabituel cette nuit. Le duc a l'habitude de les renvoyer pour la nuit. Et pas forcément pour rester seul. Il a fait mandé une esclave, pour la soirée.

- Tu l'as interrogée, Loundor ?

- Non, pas encore. Elle est introuvable.

 

Un sourire effleure les lèvres du roi. Elihus, silencieux, partage le même soulagement.

 

- Aurait-elle quelque chose à se reprocher ?

- Nous le saurons dès que nous aurons remis la main dessus. Et crois-moi, elle ne nous échappera pas.

- Tu as toute ma confiance. Vous avez appris autre chose ?

- C'est encore un rasoir qui a tué le duc. Et devine !

- C'est le propre rasoir du duc ?

- Exactement ! L'assassin est intelligent. Il sait que c'est trop dangereux de se promener avec ça dans les poches.

- Tu penses que ça pourrait être un professionnel ?

 

Elihus lève de sa paperasse un regard intéressé. Loundor, lui, chargé de répondre, grimace :

 

- C'est quelqu'un qui vit au château, c'est sûr et certain. Les gardes sont très stricts à ce sujet : depuis ton couronnement, il faut montrer patte blanche pour franchir les murs. Et les odeurs qui imprégnaient la chambre du baron de Beoan m'étaient toutes plus ou moins familières. Après, que quelqu'un se soit fait engagé au château comme serviteur, qu'il ait investit les lieux comme représentant de corps de métier ou courtisan, c'est possible. Mais ça signifie que ça a été planifié longtemps à l'avance. Mais les amis proches du duc, ses conseillers ou ses serviteurs le suivent depuis des années, j'ai fait vérifier. Ça m'étonnerait que l'assassin passe des années à rôder autour de ses victimes pour deux meurtres. Et puis, un assassin professionnel tue rapidement et discrètement. Il ne reste pas à regarder sa victime se vider de son sang pendant des heures.

- En parlant de sang, le meurtrier devait en être recouvert, non ?

- Pas forcément. Dans le cas du duc, s'il s'est mis derrière le fauteuil pour l'égorger, il n'a pas dû recevoir beaucoup de sang sur lui.

- Mais il a quand même dû en avoir quelques traces.

- Forcément.

- A-t-on retrouvé des tissus souillés ou des bassines d'eau ayant servi à se débarrasser du sang ?

- Non, rien.

- Alors l'assassin repart tâché de sang ?

- Aucune idée. Faut creuser de ce côté.

 

Calith se frotte doucement les paupières, débordé par ce mystère qui semble insoluble. Un autre détail sordide le trouble alors il demande :

 

- L'entrejambe des deux victimes a été tranché. Mais on n'a pas retrouvé … ahem... les parties manquantes, si ?

- Non, rien du tout. Les appartements ont été fouillés de fond en comble. Rien dans la cheminée, rien dans les latrines, rien de dissimulé.

- L'assassin serait parti avec ?

 

Elihus, pâle comme un mort, quitte précipitamment la pièce, une main sur la bouche. Gêné, Calith passe une main nerveuse dans ses cheveux hirsutes. Loundor lui sourit et répond :

 

- C'est quasiment sûr. Reste à savoir comment il s'y est pris, et ce qu'il en a fait. Ou alors, il les a mangées.

 

C'est au tour de Calith, d'être pris de nausées. Mais Loundor n'en a pas terminé :

 

- A moins qu'il ait forcé les victimes à les manger. Ces deux meurtres semblent être une affaire de vengeance. L'assassin ne les a pas tué pour leur voler quelque chose ni pour hériter. Il prend son temps pour les tuer, pour les faire souffrir. A mon avis, il veut leur faire payer quelque chose. Qu'est ce que tu en penses ?

 

Le roi a toutes les peines du monde pour répondre. Loundor parle de ces actes de manière détachée, habitué qu'il est aux combats et aux blessures. Mais Calith a beaucoup d'imagination, et les quelques mots prononcés lui ont suffit pour qu'il imagine la scène nettement, comme s'il y était. Après quelques minutes, il parvient enfin à marmonner :

 

- Je pense la même chose que toi. Ça n'a pas l'air politique ni intéressé. J'avais pensé, d'ailleurs, à cette histoire de vengeance. Le fils de Peliel a jeté la disgrâce sur la famille, en s'entichant d'une bande de hors-la-loi . N'y avait-il pas eu un scandale, avec le fils de Beoan ?

- Personne n'en a parlé à mes hommes.

- Personne ne parle jamais du fils de Peliel. Faudrait demander à Elihus, il se souvient de tout.

- Oui ?

 

Elihus, justement, vient tout juste de revenir dans le bureau, toujours aussi blême. Lui adressant un sourire compatissant, Calith répète sa question et d'une voix vacillante, le conseiller répond :

 

- Il me semble que si. L'un de ses fils, fiancé, a été retrouvé mort dans un bouge innommable, alors qu'il venait de passer du bon temps en galante compagnie. Enfin, si on peut appeler galante compagnie ces bonnes femmes qui ont vu passer la moitié de Pieveth entre leurs jambes.

 

Loundor et Calith se regardent, stupéfiés par la remarque du conseiller, si peu convenable dans sa bouche. Venant de Loundor, elle aurait fait rire le roi. Mais venant d'Elihus...

 

- Bien, il est l'heure d'aller faire l'annonce, Calith. Je ne t'accompagne pas, je préfère rester ici.

- Comme tu voudras, Elihus. Je devrais m'en sortir seul. Loundor, je compte sur toi pour éclaircir cette histoire d'enfants. Punir ceux qu'il estime responsables par l'endroit où ils ont pêché pourrait être une motivation du tueur. Et préviens-moi dès que tu en sais plus sur l'esclave qui a disparu.

- Bien Majesté.

 

Calith se lève d'un mouvement déterminé. Il redoute l'instant où, face à la cour réunie, il devra leur annoncer le meurtre. Mais il sait parfaitement qu'il est impossible de taire une telle affaire. Alors qu'il se dirige vers la porte, Elihus l'interrompt :

 

- Tu ne vas tout de même pas te présenter à eux de cette manière ?

 

Poussant un soupir interminable, Calith hoche la tête en guise de remerciement. Effectivement, il allait se présenter dans sa tenue décontractée, embaumant encore le cheval. Il passe par ses appartements, où Lanen a préparé, sans doute sur ordre d'Alima, une veste noire brodée de fils d'argents et un ample pantalon noir. Quant au bottes poussiéreuses, et pourtant si confortables, Calith se résigne à les laisser dans ses appartements et à chausser d'autres bottes.

 

 

 

 

 

Le brouhaha des conversations résonne entre les hautes colonnes de marbre blanc lorsqu'il fait son entrée. Ces évènements monopolisent toute l'attention de la cour, et Calith est persuadé qu'au milieu de ces respectables personnes se trouvent des gens pour être excités par la situation. Effrayés, certes, mais particulièrement excités à l'idée qu'un tueur rôde entre les murs. Quels potins formidables ils peuvent en tirer !

 

C'est donc le visage fermé, rendu plus dur encore par ses habits noirs, que Calith monte deux des cinq marches de l'escalier menant au trône. Il se tourne vers la foule assemblée tandis que le silence se fait progressivement. Et d'une voix forte, il déclare :

 

- Je vous remercie d'être présents. Comme vous devez le savoir, le Duc de Peliel a été découvert, très tôt ce matin, décédé dans ses appartements. La cause de la mort n'est ni naturelle, ni accidentelle. Nous menons...

 

Les exclamations et les réactions indignés l'empêchent de poursuivre. Il patiente une poignée de secondes avant de reprendre :

 

- Nous menons bien évidement l'enquête pour savoir qui se cache derrière ce meurtre. Nous avons toutes les raisons de croire qu'il s'agit de la même personne que celle qui a tué le baron de Beoan. Votre sécurité est notre priorité : nous avons renforcé le nombre de gardes et nous faisons tout pour retrouver l'assassin. Si vous avez des informations, n'hésitez pas à prendre contact avec l'un des colonels de notre armée. Vous serez écoutés et le Général Loundor me transmettra les éléments. Sauf cas d'urgence, nous vous demandons de rester dans l'enceinte de la muraille. Je vous souhaite une bonne fin de journée.

 

Plusieurs nobles et représentants lui posent, en même temps, différentes questions. Mais l'arrivée de Loundor requiert toute l'attention du roi, qui s'approche de lui, soulagé d'esquiver l'interrogatoire.

 

- Nous avons retrouvé l'esclave.

 

 

 


 
 
 

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