posté le jeudi 25 juillet 2013 à 15:11

Pieveth, Epilogue

 

 

 

 

 

 

- Allez, debout !

 

Dans un grognement, il se tourne, enfouit son visage dans l'oreiller pour chasser cette voix indésirable. Mais l'intrus ne compte pas s'arrêter là et secoue l'épaule de Calith sans douceur, tout en martelant :

 

- Debout la marmotte !

 

D'un geste vif, Calith attrape la main et tire de toutes ses forces sur le bras pour faire tomber l'intrus. S'il n'avait pas eu de bons réflexes, l'importun aurait eu l'épaule démise. Mais des réflexes, l'intrus en a, et pas qu'un peu. Il se laisse tomber sur le roi en souplesse. Et Calith, d'un mouvement vif, le retourne sur le dos et s'affale sur lui en grondant :

 

- Pour qui me prends-tu, manant, à oser me parler de la sorte ?

 

L'intrus se contorsionne pour renverser le roi et s'allonger sur lui. Et il lui répond sans douceur :

 

- Pour un fainéant qui préfère rester au lit au lieu d'assister à une cérémonie très importante.

 

Il tente de lui voler un baiser mais Calith se détourne, lutte et parvient à reprendre le dessus. Un sourire aux lèvres, il lui dit :

 

- Importante, sans doute, mais bien moins agréable que ce que je projette de faire avec toi.

- Ce que TU projettes de faire ? Laisse-moi rire.

 

D'un mouvement d'une force incroyable, il renverse Calith et s'installe sur lui, fixant son regard ébène dans les yeux de son roi, qui lui demande d'une voix boudeuse :

 

- J'ai le droit à un baiser, au moins ?

- Tu essaies de négocier avec moi, roi ?

 

Il lui a attrapé les poignets, sans douceur, et les tient d'une main au-dessus de la tête de Calith, qui laisse échapper un gémissement. De douleur, bien sûr, suite à la brutale torsion de ses bras, mais de plaisir aussi. Frémissant d'impatience, le roi susurre :

 

- Non. Je suis à toi Iezahel, tout à toi.

- Bien.

 

D'un mouvement rapide, l'esclave lui remonte d'une main le vêtement de nuit qu'il porte, jusqu'au ventre, et défait les lanières de son propre pantalon. Par jeu, Calith remue un peu, se débat faiblement, attisant de la sorte son excitation autant que celle de l'asservi. Et il pousse un cri, de victoire et de douleur, quand le membre de Iezahel le pénètre d'une traite. Mais très rapidement, ses cris deviennent l'expression du plaisir intense qu'il ressent à se faire pilonner de la sorte, sans aucun égard, sans aucune douceur. Il ne se débat plus, Iezahel pourrait même lâcher ses poignets qu'il ne les bougerait pas. Il s'abandonne complètement aux mouvements experts de l'esclave, lui donnant carte blanche, lui laissant tous les droits sur son corps.

 

Comment Iezahel a-t-il su que c'était tout ce qu'il voulait, ce matin ? Ne plus être celui qui guide, celui qui décide, celui qui prend la responsabilité. Mais être celui qui reçoit, en toute sérénité, sans avoir à s'inquiéter des répercussions de ces décisions. Alors il lâche prise, Calith, tout en confiance, et laisse l'esclave s'occuper de lui. Ce sont soudain deux lèvres voraces qui s'emparent sans douceur des siennes, l'embrassent à lui faire perdre haleine, A l'image des va-et-vient, le baiser est puissant, envahissant, possessif. C'est Iezahel, désormais, qui porte le fardeau. Lui, il tombe les masques et se laisse faire. Et il savoure chaque instant, chaque seconde, ce délicieux chemin qui mène à la jouissance. Et il hurle, soudain, de toutes ses forces, quand l'orgasme surgit et anéantit tout sur son passage.

Iezahel s'est laissé tomber sur lui, victime de ce même raz-de-marée. Ils reprennent leur souffle, savourant cet état de grâce, dans les bras l'un de l'autre.

 

Il peine un peu à respirer, Calith, avec l'esclave somnolant sur lui. Mais il est heureux. Il est heureux d'être dans les bras de celui qu'il aime. Il en a fallu, du temps, pour que Calith lui accorde pleine confiance. Au fil des jours et des semaines, Calith a admis que l'esclave pouvait l'aimer d'amour véritable, sans calcul, sans intérêt, sans comédie. Juste pour lui, pour ce qu'il est. C'est Loundor, qui lui a ouvert les yeux. En admettant, à contrecœur, qu'il arrive bien, parfois, qu'un loup-garou puisse être attiré par une personne du même sexe. Mais c'est très rare, et puis, en arrangeant un peu la vérité, le Général s'assurait que Calith ne rôde pas autour de ses loups. Et Loundor lui a fait comprendre une partie des raisons de sa méfiance. D'abord prince héritier, puis roi, Calith n'a toujours connu que des personnes qui venaient à lui par obligation ou par intérêt. Comment admettre que soudain, un inconnu puisse s'intéresser à lui pour ce qu'il est, et non pour ce qu'il représente ?

 

Et lui... Eh bien, lui, il l'aime chaque jour un peu plus. Sa force de caractère lui inspire un immense respect. Cet homme, privé de liberté, souillé, torturé, va de l'avant. Il ne se lamente pas, il ne revient pas sur ce qu'il s'est passé, mais savoure chaque instant de cette nouvelle vie pleine de bonheur. Quand il est réveillé. La nuit, Calith veille sur son sommeil, apaise ses cauchemars d'un baiser, d'une caresse ou d'un murmure apaisant.

 

Ils n'ont jamais reparlé du chef de patrouille, victime d'un mystérieux accident. Il n'est pas dupe, Calith, pas un seul instant. Il se doute bien, avec une quasi certitude, que Iezahel n'est pas innocent dans cette affaire. Il n'ignore pas que Iezahel voulait se venger de cet homme qui l'a vendu au bourreau. Inutile qu'ils en parlent, ça relève du bon sens, pour Calith. Pire, s'ils en parlaient, il faudrait songer à la sanction. Préméditer la mort de quelqu'un, c'est grave. Passer à l'acte, plus grave encore. Mais le roi ne peut pas blâmer son amant pour cet acte. Il l'aurait fait, lui, s'il avait su, s'il avait pu. Alors il ne pose pas de questions, accepte sans un mot ce doute pour ne pas avoir de certitude, pour ne pas avoir à décider. Si le crime n'existe pas, pas de châtiment.

Blotti tout contre son amant, le roi sommeille, savourant sa chaleur. Le lit s'est parfumé des douces odeurs de la forêt, piètre consolation après une nuit passée seul, alors que l'esclave était devenu loup. Qu'il aime ces retrouvailles ! Alors il laisse échapper dans un murmure :

 

- Je voudrais pouvoir passer la journée dans tes bras.

- Ta femelle t'attend. Et une femelle pleine n'a aucune patience.

- Pour les humains, on dit une femme enceinte, idiot !

- Détail.

 

Il y a, dans la voix de l'asservi, une variation infime, à peine audible pour qui ne le connaîtrait pas, qui pousse Calith à le serrer fort contre lui et à lui murmurer au creux de l'oreille :

 

- C'est toi que je t'aime, tu le sais bien.

 

Seul un grondement sourd lui répond. Iezahel est toujours un taiseux. Mais le roi le connaît suffisamment maintenant pour savoir décrypter ses silences. Là, il sait que Iezahel lui répondrait bien volontiers que même si c'est lui qu'il aime, c'est avec elle qu'il parade, c'est avec elle qu'il passe certaines nuits, c'est avec elle qu'il fait croire à leur amour. Et lui, l'esclave garde du corps, reste en retrait, à quelques pas à peine de Zélina de Brevont et de son époux. L'ombre, invisible, insignifiante. Ils n'en ont jamais parlé entre eux, trop conscients que la discussion serait stérile. Calith ne pouvait pas échapper à un mariage et devait à tout prix donner un héritier à Pieveth. Et au final, cet accord leur permet de se voir chaque soir, de dormir ensemble la plus grande partie du mois. Et c'est déjà tellement inespéré...

 

- Allez, lève-toi, tu dois te préparer !

 

Obéissant, Calith s'extirpe du lit à regrets, pour aller faire un brin de toilette. Puis, aidé par son amant, il enfile sa tenue d'apparat. Iezahel aussi, a fait un effort vestimentaire, et c'est avec dignité qu'il conduit Calith auprès de Zélina. Solennel, le couple royal rejoint la cour d'honneur, au pied du château, où une foule compacte attend les festivités.

 

 

 

 

Le soleil de cette fin septembre fait régner une douce chaleur sur les lieux, et un calme tout relatif salue leur entrée. Loundor, sa femme et ses enfants sont présents, bien sûr, non loin d'Elihus et de Nala, la belle Nala revenue victorieuse de ses missions diplomatiques. De nouveaux accords commerciaux ont été conclus, et une paix relative règne avec les royaumes voisins. Rien n'est parfait, pourtant, car il reste toujours des querelles, des décisions délicates à prendre, des peuples qui souffrent. Mais près d'un an s'est écoulé depuis qu'il est arrivé au pouvoir et bien des choses se sont arrangées depuis. La plus belle preuve est cette foule, massée dans la cour, qui dévisage son roi avec une quasi-vénération qui le met mal à l'aise.

 Le cor résonne soudain entre les murs et le silence se fait total. Calith, aussi majestueux que possible, prend la parole :

 

- Peuple de Pieveth, sois le bienvenu à cette célébration ! Les dernières vendanges sont terminées, et j'ai l'immense honneur de vous informer que nos greniers sont pleins à craquer !

 

Calith laisse passer un moment, le temps de l'explosion de joie. Le peuple a souffert, l'hiver dernier, et cette nouvelle annonce un hiver bien plus clément. Il a tout fait, Calith, dans l'ombre, pour trouver suffisamment de semis, pour fournir de bons outils, pour envoyer des hommes dans les champs. Tout, pour que son peuple puisse manger à sa faim. Alors il contemple la foule en liesse avec un sourire sur le visage, et savoure l'instant. Lorsque le silence retombe enfin, Calith reprend la parole :

 

- C'est grâce à vous, grâce aux efforts que vous avez fourni et grâce à votre travail acharné que nous pourrons passer l'hiver sans problème. Et je tiens à vous en remercier !

 

A nouveau, acclamations et vivats de la foule le font taire. Parce que fournir les semis ne fait pas la récolte, c'est surtout aux travailleurs qu'il doit cette sécurité. Il en est conscient, et pour une fois, il tient à ce que les hommages leur reviennent. Ces hommes et ces femmes, courbés par le travail, à la vie dure, méritent tous les honneurs.

 

Elihus se chargera, plus tard, des questions d'ordre pratique pour distribuer les provisions. Pour l'heure, seule la fête compte. D'un ample geste de la main, le roi fait signe à son peuple de prendre place le long des immenses tables dressées pour l'occasion. Aujourd'hui, les plats déborderont, et l'alcool coulera à flots.

D'un geste tendre, Calith passe la main dans le dos de Zélina et la conduit vers leur table. Ils discutent longuement, se souriant, se frôlant la peau, sous le regard attentif des convives. Il n'a pas besoin de feindre cette affection : son union avec Zélina remonte déjà au printemps, et il l'apprécie réellement. Elle est intelligente et drôle, toujours disponible pour lui. Pourtant, leur relation est claire : s'ils apprécient le temps passé ensemble, leurs coeurs battent pour d'autres. Ils n'en font pas de mystère, ils ne se le cachent pas. Mais personne, à la cour ou dans le peuple, ne se doute de la supercherie. Et le ventre, de plus en plus rebondi, de la reine prouve, s'il le fallait, qu'ils consomment leur amour. Pourtant, à ce moment, alors qu'il caresse le grain de peau si fin de la reine, Calith devine le détachement feint de Iezahel, son regard rivé ailleurs, n'importe où mais loin du couple royal.

 

L'esclave reste en retrait, tandis que les plats défilent sur la table, que les conversations s'animent et que les rires retentissent. Parmi les soldats attablés, Calith distingue Jérémias. Il a acquis une assurance toute nouvelle, portée par l'amour inconditionnel que lui voue Lanen. Il éclate de rire à une plaisanterie, faisant sourire le roi. D'après Loundor, Jérémias a trouvé sa place parmi les soldats, et plus aucun d'entre eux ne s'amuse à se moquer de lui. Quelques coups de poing bien placés ont assuré un respect tout neuf au soldat. Il ne cache pas sa relation avec Lanen, même s'il ne la crie pas sur tous les toits. Et les autres soldats l'acceptent sans broncher. Lanen, lui, va bientôt terminer son rôle au service du fils du Comte. D'après Voinon, ce dernier est ravi d'avoir un si bon esclave à disposition, et tente de le garder auprès de lui. Mais Calith refuse de changer sa sentence, et, dès le milieu de l'hiver, Lanen s'occupera de la caserne. Et sera plus proche que jamais de son amant.

 

 

Les heures défilent. Ce sont maintenant des chansons grivoises qui résonnent contre les murs du château. Les reliefs du repas traînent sur les tables tandis que l'alcool, lui, coule toujours. Zélina est fatiguée, et Calith saute sur l'occasion pour prendre congé. Les festivités se poursuivront sans doute jusqu'au milieu de la nuit mais sa présence n'est pas indispensable. Alors il raccompagne son épouse jusque dans sa chambre, Puis il entraîne Iezahel dans ses appartements où ils pourront, enfin, se serrer dans les bras l'un de l'autre et se murmurer au creux de l'oreille tout l'amour qu'ils ont l'un pour l'autre.

 

 


 
 
posté le vendredi 19 juillet 2013 à 16:35

Pieveth, Chapitre 26

 

 

 

 

 

Calith acquiesce en silence. Il partage complètement les avis de ses conseillers. Alors il leur expose son idée longuement réfléchie dans les bras de Iezahel. Il la développe pendant plusieurs minutes, en argumentant chaque phrase, chaque solution. Et peu à peu, sur les visages de Loundor, d'Elihus et de Iezahel, le sourire revient. Et ils valident tous cette solution.

Le roi ordonne donc à Alima de faire prévenir la cour qu'il leur parlera dans une heure. Puis il regagne ses appartements où, avec application, Iezahel l'aide à enfiler ses habits d'apparat. Lorsqu'il est prêt, il se rend dans la salle du trône. Peu de gens sont arrivés, pour le moment, et il va s'asseoir en haut des cinq marches, sur l'imposant fauteuil aux décorations dorées. Loundor et Elihus le rejoignent peu après, eux aussi vêtus de leurs plus beaux atours. Iezahel, quant à lui, digne et grave dans son simple habit de soldat, prend position derrière le trône et scrute la foule qui s'amasse petit à petit.

 

 

 

 

L'heure est venue. Lorsqu'un serviteur fait sonner le cor, signe que le roi va s'exprimer, le silence se fait immédiatement. Et Calith, rassemblant toute sa majesté, déclare d'une voix assurée :

 

- Je vous remercie d'être tous venus. Les informations que j'ai à vous communiquer sont de la plus grande importance. J'ai grand plaisir à vous annoncer que le meurtrier a été découvert. Comme je vous l'avais annoncé, nous étions sur sa piste. Se sachant menacé, le tueur a donc préféré mettre fin à ses jours. Jeus, l'archiviste, s'est pendu dans une pièce inutilisée du château. Nous avons retrouvé sur lui une lettre, qui avoue tous ses crimes et les raisons de ses actes. Ces raisons sont difficiles à entendre, et par égard pour les femmes ici présentes et les plus jeunes, je n'en dirais pas un mot. Il est inutile de chercher à en savoir plus : les personnes au courant ont juré le secret. Les gardes présents dans le château vont donc regagner leurs postes habituels. Et le couvre-feu n'a plus lieu d'être. Je vous souhaite une excellente journée.

 

Il a à peine le temps de terminer sa phrase qu'un incroyable brouhaha résonne dans la salle du trône. Refusant de répondre aux questions, il quitte les lieux pour regagner ses appartements et changer ses vêtements d'apparat pour d'autres, bien plus confortables. Ensuite, toujours accompagné de ses deux conseillers et de son garde du corps, il se rend dans les geôles.

 

 

 

 

Il ordonne aux surveillants de faire sortir Lanen et Jérémias de leur cellule et de les conduire à la salle d'interrogatoire. Une fois tous à l'intérieur, il ferme soigneusement la porte pour être certain que sa décision restera entre eux.

Lanen est immobilisé sur la chaise d'interrogatoire, le visage serein. Jérémias aussi a repris contenance. La nuit qu'ils ont passé ensemble lui a visiblement permis de mettre les choses à plat avec son amant. Il se tient tout contre la chaise, la main sur l'épaule de l'esclave. Calith tente de laisser les sentiments qu'ils lui inspirent de côté et déclare :

 

- Bien. Commençons. Lanen, tu as avoué avoir tué le baron de Beoan, le duc de Peliel, le prêtre Hélion ainsi que le Comte de Dascien. Ces meurtres, motivés par la vengeance, doivent être punis. Et en cas de crime, le châtiment est la mort.

 

Les yeux de Jérémias se remplissent de larmes. Dans ceux de l'esclave, une lueur étrange brille, comme si, soudain, il regrettait ces gestes car ils lui font perdre son amant. S'il avait rencontré le soldat plus tôt, aurait-il agit de la sorte ? Ne pas se laisser attendrir ! Calith poursuit donc d'une voix égale :

 

- Tu as fait justice toi-même, Lanen. Il y avait d'autres moyens, pour les châtier : le recours à la justice royale. Et toi, tu as estimé que tu pouvais t'en passer. Ce comportement te fait rentrer dans la même catégorie que tes bourreaux : tu es un criminel désormais. Et les faits sont graves, très graves. Cependant, je te crois quand tu nous dis que tu vas t'arrêter là. Sache que, en cas de délit dans le château, tu seras sans doute le premier suspecté.

 

Les regards du soldat et de l'esclave se vrillent dans ceux du roi, incrédules, interrogateurs. Calith lève une main, pour leur faire signe qu'il compte bien terminer avant qu'ils ne l'interrompent, et continue :

 

- Le cas est exceptionnel et ne se reproduira plus. Si tu déçois notre confiance, notre clémence n'aura plus lieu d'être : tu seras exécuté. Et ce, quel que soit le crime que tu puisses commettre, même un petit vol. Je te veux irréprochable, Lanen. J'ai arrangé la vérité, face à la cour. Le meurtrier est Jeus, qui s'est suicidé par remords. Ils ignorent tout des Soirées et n'en sauront jamais rien. Je suis donc libre d'appliquer la sentence que je souhaite, sans avoir à subir le jugement de la cour. C'est une sentence très clémente, Lanen, j'espère que tu en es conscient. Je comprends les raisons de tes actes, je comprends ton envie de vengeance. Et c'est pourquoi nous avons décidé que tu ne serais pas exécuté pour ça. Mais tu ne seras plus à mon service. Tu passeras l'année qui vient au service du fils du comte de Dascien. Tu lui as enlevé son père, même s'il l'ignore. Un père qu'il aimait, sans connaître ses vices. Je veux que tu l'assistes quotidiennement pendant une année. Et pour les cinq années suivantes, tu seras affecté à l'entretien de la caserne.

 

Une joie indicible brille dans les yeux de Jérémias. Lanen sourit, lui aussi. Il ne sera pas pendu. Mais se retrouver esclave à la caserne, c'est bien moins digne, et bien plus épuisant qu'être au service du roi. Et Calith le sait, c'est précisément pour cette raison qu'il a choisi cette punition. Il refusait de recourir aux châtiments corporels, estimant que Lanen avait déjà bien assez souffert. L'affecter à la caserne, c'est lui ôter le peu de fierté qu'il pouvait avoir. Tout en lui garantissant une certaine proximité avec son amant. Mais Calith, avant de leur laisser fêter leurs retrouvailles, veut marquer le coup :

 

- Tu es en sursis, Lanen. La peine est particulièrement clémente. Ne me le fais pas regretter.

- Je ne vous décevrai pas, Sire.

- Bien. La version officielle, c'est que le fils du comte a besoin d'un esclave et que, par compassion suite au meurtre de son père, je lui fais don de toi. Sers-le correctement, Lanen, il n'est pas son père. Je serais intransigeant. Mais si jamais tu as un problème, quel qu'il soit, je veux que tu en parles avec quelqu'un avant d'agir. Avec Jérémias ou avec Iezahel, comme tu le souhaites, mais ne crois pas que tu es seul. Tout problème à ses solutions légales, ne l'oublie jamais. Maintenant, va travailler.

- Merci Sire.

 

C'est tout ce qu'il peut dire, Lanen, maintenant que la sentence est tombée. Mais c'est suffisant, car son regard en dit si long...

Accompagné par Jérémias, qui l'a libéré, ils regagnent, la main dans la main, les étages supérieurs du château.

 

 

 

 

 

Restés à quatre dans la salle d'interrogatoire, ils demeurent silencieux un instant. Puis Calith reprend :

 

- Loundor, je veux qu'il soit surveillé. Elihus, trouve moi un autre esclave pour le bain et les repas dans mes appartements. Iezahel reste à mon service pour assurer ma protection. Et aujourd'hui, je ne suis pas là. Faites sans moi jusqu'à ce soir.

 

Les deux conseillers savent très bien que, maintenant que la menace du tueur est écartée, le roi n'a plus vraiment besoin de protection. Mais ils savent mieux encore l'attachement de Calith pour l'esclave. Alors ils opinent du chef. Et se gardent bien de faire le moindre commentaire quant à son envie de prendre une journée de repos. Alors ils le saluent et vont faire en sorte que les ordres royaux soient exécutés.

 

- Bien. Iezahel, je veux que tu ailles me chercher deux des plus chaudes couvertures que tu trouveras. Tu me rejoindras ensuite aux cuisine.

- A vos ordres Sire.

 

Le Chef de cuisine ne fait aucune remarque, ne pose aucune question quand le roi vient lui demander deux copieux repas chauds à emmener. Il glisse dans des timbales, normalement prévues pour les soldats, deux belles tourtes à la viande, un ragoût de légumes et poulet, deux beaux morceaux de fromage et une énorme miche de pain encore tiède. Iezahel arrive juste à temps pour récupérer les deux timbales, hermétiquement fermées pour tenir la nourriture au chaud. Et c'est avec les bras surchargés qu'il suit son souverain hors du château, jusqu'au bord de la falaise. Calith récupère les timbales et le met en garde : le sentier est particulièrement dangereux.

Finalement, c'est confortablement installés sur l'une des couvertures, dans la petite grotte, qu'ils attaquent le repas. Calith, le regard fixé sur l'horizon, murmure :

 

- De tout Pieveth, c'est l'endroit que je préfère. Je voulais te le montrer, même s'il donne directement sur Fargues.

- Bah, vous savez, Sire, plus rien ne me lie à Fargues. Ma famille est morte, ma meute aussi.

-Que s'est-il passé, après que tu aies été tatoué ?

 

Il pioche dans la nourriture, Calith, mangeant lentement. Iezahel réfléchit quelques secondes avant de poursuivre, picorant lui aussi dans sa timbale :

 

- Il a déjà fallu que je me rétablisse. Avec le loup, finalement, ça a été assez rapide. C'est un groupe de mercenaires qui m'a acheté, lors de la vente aux enchères. Ils sillonnent le continent à la recherche de missions ou de pillages. Ce sont eux qui m'ont appris à me battre. En réalité, hormis le fait que je n'avais pas choisi de les rejoindre, ils me traitaient comme leur égal. Ça a duré huit ans. Nous étions toujours sur les routes, toujours en action. J'ai été capturé à Brevont : l'armée de Lombeth faisait souvent des raids aux abords de la frontière, pillant, violant et terrorisant la population. Nous étions là au mauvais endroit, au mauvais moment. La plupart des mercenaires sont morts dans le combat. Les autres ont été emmenés ici-même. Certains ont été enrôlés de force dans l'armée, mais il me semble qu'ils sont tous morts à moi, ils ont tout de suite vue que j'étais esclave, à cause du collier. Le chef de la patrouille a ordonné qu'on me mette à part, il disait que je pourrais convenir. Quand nous sommes arrivés au château, il m'a emmené directement dans la salle du bourreau. Et visiblement, il avait raison, je convenais. Tathyn lui a donné une bourse rebondie et m'a attrapé par le bras pour me faire rentrer dans le cachot du placard. J'ai compris dès le lendemain, quand il m'a attaché à cette table en bois, ce qu'il comptait faire de moi.

 

Le silence retombe, dans la petite grotte coupée du monde. Chacun digère les implications des paroles de l'esclave. Et c'est la chaude voix de Iezahel qui rompt le silence :

 

- Non, je n'ai aucune nostalgie de Fargues. Je suis heureux d'être libéré de cette salle. Et je suis plus heureux encore d'être à votre service.

 

La gorge nouée, Calith termine sa bouchée et pousse à l'écart sa timbale. Il dévisage l'esclave, ses cheveux qu'il garde coupés très courts, sa mâchoire carrée. Les obsidiennes rencontrent les iris de ce vert si particulier et semblent s'y perdre.

 

Sans se concerter, sans un mot, comme une évidence, les deux corps se rapprochent. En douceur Calith fait basculer l'esclave sur le dos, veillant à ce qu'il ne se cogne pas le crâne sur la roche. Puis, lentement, ses doigts défont les boutons de la veste verte, caressant la peau dès qu'elle est visible. Il prend son temps, Calith, dévore du regard le visage devant lui, aux yeux mi-clos. Une bourrasque glaciale s'engouffre dans la grotte, faisant frissonner le torse nu, recouvert d'un duvet de poils noirs. Calith, à califourchon sur les cuisses de Iezahel, écarte tout de même les deux pans de la veste. Et il scrute chaque parcelle de son torse, résiste à l'envie de pincer les deux boutons roses qui émergent des poils. Puis ses yeux glissent le long du ventre sec et musclé. Il se fait violence pour ne pas le caresser immédiatement. Et il poursuit plus bas encore, jusqu'à la limite du pantalon. Il grogne, frustré de voir que le tissu empêche la poursuite de son exploration. Mais il redresse la tête pour s'assurer du plaisir de Iezahel. Et à voir le visage rayonnant de plaisir et d'impatience, il aime. Mais des grimaces de douleur parcourent parfois ses traits, déclenchant un froncement de sourcils royaux.

 

Les mains de Calith s'affairent déjà à dénouer les lacets qui maintiennent le pantalon en place, évitant soigneusement de frôler la peau. Iezahel soulève le bassin pour aider son souverain, et rapidement, le pantalon termine sur ses chevilles. Calith comprend rapidement la raison des grimaces de douleur : le membre de l'asservi gonfle de plaisir mais l'anneau qui le contraint est intraitable et réprime son érection. Il suffirait d'une petite incantation pour le libérer. Mais il ne la prononce pas. Il va ôter les bottes du soldat, enlève complètement son pantalon et l'envoie valser sur la timbale. Devant lui, l'esclave, à moitié nu, est offert à ses envies. Et son membre qui se raidit peu à peu, comprimé dans le pantalon, clame son envie.

Calith retire rapidement sa veste, frissonne sous le froid mordant. Prenant la seconde couverture, il la jette juste à côté de Iezahel. Puis il se rapproche, chevauche le corps offert, frotte son bassin encore vêtu contre celui, nu, de l'esclave, qui grimace de plus belle. Il imagine la douleur que ça doit lui causer, et s'en veut de la provoquer. Mais savoir que Iezahel le désire, qu'il a envie de lui, qu'il n'est pas forcé ni obligé de s'offrir à son roi, le fait frissonner d'extase. Il avance son bassin jusqu'au torse de Iezahel, qui s'empresse de défaire les liens du pantalon. Iezahel, qui redresse la tête, les yeux brûlant de désir et qui cherche à déposer des baisers sur le membre fièrement dressé. Mais la position ne lui permet pas d'atteindre l'objet de ses désirs et il gémit de frustration. Calith se redresse, fait glisser son pantalon sur ses chevilles. Puis il va se placer entre les jambes de l'esclave. Sans brusquerie, il lui attrape les mollets, écarte grand ses cuisses et s'allonge dessus. Le haut des mollets de Iezahel sur ses épaules, il couvre son corps du sien, enfouit son visage dans son cou. D'une main, il tire la couverture sur eux pour les protéger du froid saisissant. Au creux de son oreille, Iezahel le supplie de le libérer de l'anneau.

 

Il prend d'abord le temps de partir le torse offert, à grand renfort de baisers légers et de caresses plus appuyées, avant d'accéder à sa demande. Le membre de l'esclave se déploie alors dans toute sa grandeur, palpitant au rythme des battements du cœur. Et Calith fait encore durer, caressant, embrassant, léchant le cou, le torse, le ventre de son esclave. Et lorsque l'excitation devient trop forte, il le pénètre avec une douceur infinie, surveillant son visage, s'arrêtant à la moindre crispation, caressant encore et toujours la peau et ses poils si doux. Et quand Iezahel accepte l'intrusion et qu'il y prend visiblement du plaisir, Calith entame de lents va et vient, tout en douceur. Les yeux fermés, le front sur l'épaule de Iezahel, il savoure chaque sensation. Et quand le plaisir menace de l'emporter, il s'immobilise et reprend ses caresses et ses baisers. Puis son bassin reprend ses mouvements, lentement puis de plus en plus forts, faisant crier de plaisir Iezahel. Il se concentre, Calith, il se concentre de toutes ses forces pour faire durer le moment. Et pour faire atteindre l'extase à l'esclave. Lorsque, les mains cramponnées à ses épaules, Iezahel crie sa jouissance, alors seulement le roi se permet d'accéder, lui, à l'extase.

 

Il se retire, s'allonge aux côtés de cet homme qui le trouble tant. Blottis l'un contre l'autre, dans la douce chaleur des couvertures et de leurs corps, ils savourent cet instant magique, juste après la jouissance. Ils ne prononcent pas un mot, de peur de briser le charme : pour la première fois, ils ont fait l'amour.

 

 

 

 

 

C'est loin d'être la dernière fois de cet après-midi étrange, où coupés du monde, ils apprennent à connaître le corps de l'autre avec une délicatesse poignante. Ils admirent le coucher du soleil, ensemble, dans les bras l'un de l'autre.

 

Mais il va déjà falloir songer à rentrer, à reprendre le cours de leur vie. Elihus et ses dossiers qui semblent croître comme une nichée de rats. Loundor, ses airs bourrus et ses entraînements éreintants.

Mais avant de quitter leur nid d'amour, Calith revient sur un détail de l'histoire de Iezahel qui l'a dérangé, et demande :

 

- Tu connais le nom du chef de patrouille qui t'a livré à Tathyn ?

- Non. Mais ça n'a plus aucune importance. Il est mort dans un malencontreux accident.

 

 


 
 
posté le dimanche 14 juillet 2013 à 21:16

Pieveth, Chapitre 25

 

 

 

Un silence pesant s'abat sur la salle d'eau, le temps qu'ils digèrent ce qu'ils viennent d'apprendre. Puis Loundor reprend :

 

- Ainsi, c'est donc lui avait déposé ces objets. Je dois avouer que ça m'étonnait, que ce soit le tueur qui nous envoie ça.

- Mais en quoi c'étaient des indices ? Comment aurait-on pu comprendre qu'il voulait nous mettre sur la piste de l'assassin ?

- Je ne comprends pas non plus, Calith. Mais je crois que dans sa panique, il a pensé que ça serait évident. Et puis, comme il savait à quoi il faisait allusion, ça a dû lui paraître clair et logique.

- Qu'importe... Il est mort, maintenant, on n'en saura pas plus. Par contre, il devait également savoir qui était le tueur : l'un des deux esclaves du manuscrit.

 

Le regard intrigué de Calith parle pour lui. Iezahel, lui, gronde sourdement, sans doute sans même s'en rendre compte. Mais sa poitrine et sa gorge vibrent, produisant un grondement sourd particulièrement menaçant. Loundor s'explique alors, un sourire rassurant sur le visage :

 

- Je m'en doutais. Tu étais l'un d'eux, n'est-ce pas, Iezahel ? Alors c'est pour ça que Jeus a dit « prenez garde à votre ombre ». Il savait que Iezahel était à ton service, Calith, et il était convaincu qu'il était le tueur. Sauf que nous savons que tu n'y es pour rien, Iezahel.

- Nous le savons, Iezahel.

 

Cette conviction, répétée par Calith, apaise les grondements et l'esclave semble se détendre un peu. Un petit peu, seulement, car il devine le tour que va prendre la conversation. Et ça n'y manque pas.

 

- Le tueur est donc l'autre esclave.

 

La déclaration du Général plonge la pièce dans le silence. Il s'en doutait, Calith, sans pour autant vouloir partager ces doutes. Mais Loundor n'a pas cette délicatesse et assène :

 

- Dis-nous qui est le second esclave, Iezahel. Nous devons parler avec lui.

- Non.

 

Le refus catégorique laisse Loundor sans voix. Et le roi, lui, se rappelle un refus identique, quelques minutes plus tôt, pour un autre prétexte. La voix du Général devient grondement quand il répète :

 

- Dis-nous qui c'est Iezahel !

- Non. Et vous pouvez me torturer si ça vous chante, mais je ne le dénoncerai pas.

 

Ses propos, évidemment, calment immédiatement le loup-garou. Il sait qu'il a trop souffert pour subir encore ça. Et peut-être bien qu'il comprend les motivations de l'esclave.

 

- Depuis quand connais-tu son identité ?

- Depuis la lecture du manuscrit. Je ne connaissais pas le nom des morts, mais j'ai compris que tout était lié.

 

Mais Calith bondit hors de la baignoire et se précipite vers une serviette. Il vient d'avoir une intuition. Il se sèche rapidement, enfile ses vêtements sous le regard surpris du Général. Iezahel l'imite, évidemment, il n'a pas le droit de rester dans la baignoire royale si le roi n'y est plus. Et il le suit encore, quand le roi traverse ses appartements. Jusqu'à ce qu'il croise un Jérémias au nez rougit et aux yeux gonflés de larmes. Un peu sèchement, Calith lui demande :

 

- Qu'est ce qu'il t'arrive ?

- Je... je... ce n'est rien, Sire.

 

Calith laisse éclater l'un des jurons préféré de Loundor, avant de poursuivre sa route. Si le garde ne veut rien dire, qu'il se taise. Lui, il a plus important à faire qu'écouter les lamentations du petit personnel. Il s'engouffre dans son bureau, faisant sursauter Elihus. Le conseiller laisse tomber le dossier qu'il tenait entre ses mains et fixe son souverain, l'air incrédule.

 

- Trouve-moi toutes les archives personnelles de Lombeth. Tout ce qui pourrait se rapporter à sa vie. Vite.

 

Mais Elihus n'a pas le temps de s'exécuter. Loundor entre à son tour dans la bibliothèque, suivi par un Voinon tout fier, qui brandit une page noircie. Iezahel, un peu en retrait, blêmit. Arrachant le document des mains du responsable des esclave, il parcourt du regard la liste des noms. Et un léger sourire naît sur ses lèvres. Il suffit d'une seule question, très courte, pour que ce léger sourire devient un rictus.

 

- Va me le chercher, Voinon. Immédiatement.

 

Il tourne et vire dans son bureau, Calith, en attendant le retour de Voinon. Et personne n'ose l'interrompre, même s'ils ne saisissent pas ce qu'il se passe exactement. Ils ont compris que l'heure était grave et ça leur suffit pour patienter en silence. Et lorsque le responsable des esclaves revient dans la pièce, il n'est pas seulement suivi par l'esclave réclamé, mais également par Jérémias. Jérémias qui implore aussitôt son roi :

 

- Sire, dites-lui que je ne vous ai rien raconté !

- Serait-ce un ordre que tu me donnes, là, Jérémias ?

- Non, Sire, bien sûr que non. Mais je...

- Alors silence. Lanen, tu étais l'esclave personnel de Lombeth, n'est-ce pas ?

- Oui Sire.

- Et tu n'étais donc pas sous la responsabilité de Voinon ?

- Non Sire.

Dans le bureau, la tension est palpable. Jérémias, en larmes, dévisage son amant avec fascination. Iezahel et Lanen s'échangent des regards lourds de sens.

 

- Je suppose que tout à l'heure, quand vous prépariez mon bain, Iezahel t'a mis au courant de la mort de Jeus et de nos découvertes quant à ces Soirées particulières.

 

A nouveau, les deux esclaves entament du regard un long discours. Mais Calith les interrompt :

 

- Ça suffit. Dois-je te faire sortir d'ici, Iezahel ?

- Non Sire.

- Bien, alors arrête ça. Lanen, réponds-moi. Et nous avons les moyens de savoir si tu mens.

- Je suis au courant, oui, Sire.

- Et tu étais le second esclave, n'est-ce pas ?

- Oui Sire.

 

Les iris d'un marron lumineux ont viré au sombre. Et du défi irradie de tout son être. De la fierté, peut-être bien aussi. Mais Calith ne se laisse pas intimider.

 

- C'est toi qui les as tués, n'est-ce pas ?

- Oui Sire.

 

Il n'hésite pas une seconde, Lanen, avant d'avouer ses crimes. Jérémias sanglote, désormais, ce colosse au cœur tendre. Elihus et Voinon retiennent une exclamation étouffée. Iezahel, lui, bien droit, pince les lèvres. Et Calith, très calme, annonce :

 

- Nous allons nous rendre dans la salle d'interrogatoire. Sans faire d'histoires. Jérémias, si tu veux nous accompagner, tu peux le faire, mais j'exige que tu te comportes correctement. Et c'est valable pour toi aussi, Iezahel. Ne faites pas de vagues sinon vous allez au cachot avec Lanen. C'est bien compris ?

- Oui Sire.

- Lanen, mets les mains dans le dos.

 

Et l'esclave obéit immédiatement. Sans le brusquer, Calith lui place les avant-bras l'un contre l'autre, à l'horizontal, au milieu du dos. Et dans un murmure, il lance une invocation. Il explique alors à l'esclave, d'une voix rassurante :

 

- Je t'ai immobilisé des hanches au cou, pour te passer l'envie de t'enfuir. Ce n'est pas douloureux et ça ne le sera pas. Mais si tu t'avises, malgré tout, de nous fausser compagnie, j'aurais le temps de t'immobiliser complètement. C'est compris ?

- Oui Sire.

- Allons-y alors.

 

C'est une étrange procession, qui se dirige jusqu'aux cellules. Voinon ouvre la marche, pâle comme un linceul mais fier de participer à l'arrestation du meurtrier. Viens ensuite Iezahel, muré dans un silence lourd de reproches. Elihus, ensuite, la tête haute bien que remplie de questions. Puis c'est Lanen, à moitié paralysé, qui avance dignement, la tête haute, tandis qu'à ses côtes trottine un Jérémias éploré. Marchant de front, Calith et Loundor gardent le silence.

Ils avancent directement vers la salle d'interrogatoire du bourreau et Calith fait asseoir Lanen, lui immobilise les jambes autour des pieds de la chaise puis défait le sortilège. Il passe alors des sangles autour des poignets et des accoudoirs. Ils ont arrêté le meurtrier, il est hors de question qu'il leur fausse compagnie. Iezahel est blême, de retour dans la salle des supplices. Mais Calith n'a pas de pitié. Il lui a menti, il lui a caché des choses. Adossé à un mur, Jérémias pleure toujours en détournant le regard, comme s'il refusait de voir la séance de torture qui s'annonce. Qui ne s'annonce pas, en réalité, car le roi n'a aucunement l'intention de recourir à de tels procédés.

 

- Lanen, tu reconnais donc avoir mutilé et égorgé le baron de Beoan, le duc de Peliel, le prêtre Hélion et le comte de Dascien ?

- Oui Sire.

- Pourquoi ?

- Pour leur faire payer ce qu'ils nous ont fait, évidemment. Les Soirées se sont arrêtées, après votre arrivée au pouvoir. Ils continuaient leurs petites vies comme si de rien n'était. Je ne pouvais pas supporter qu'ils s'en sortent comme ça.

- Pourquoi ne pas les avoir dénoncés aux personnes compétentes ?

 

Lanen, le visage dur, ricane. Il a compris qu'il était découvert et qu'il ne servait à rien de nier. Conscient qu'il sera puni pour ses crimes, il sait qu'il n'a plus rien à perdre. Alors d'une voix froide comme la glace, les yeux brillants de colère et de défi, il parle. Il crache sa haine pour les coupables. Et son impuissance à se faire entendre :

 

- Et qui m'aurait cru ? Je savais que Iezahel n'était pas muet mais je n'avais aucun moyen de le rallier à ma cause. Et la parole d'un esclave face à un prêtre, quatre nobles et un archiviste ne vaut rien. Rien du tout. Nous ne sommes que des objets à votre disposition, à peine des hommes. Vous ne nous regardez pas, vous n'avez aucun intérêt pour nous. Sauf quand il s'agit de nous faire écarter les cuisses, évidemment. Alors qui ça aurait intéressé, hein ? Personne !

 

Et Calith prend ces accusations de plein fouet. Car il sait que l'esclave a raison. Sans les manuscrits trouvés chez Tathyn et chez Jeus, il n'aurait jamais cru les esclaves. Il n'aurait jamais pensé que de telles horreurs soient possible. Alors il accepte la tirade sans broncher et poursuit son interrogatoire :

 

- Comment as-tu pu les approcher de si près sans qu'ils se défendent ?

- Ça a été facile, pour Beoan. Il continuait à réclamer ma présence auprès de lui, même sans utiliser autant de jouets que d'habitude. Pour Peliel, je l'ai surpris juste après ses ébats avec Azhel. Il était encore à moitié dans les vapes. Hélion était en train de prier pour le salut de son âme, il n'a rien vu venir. Et Dascien...

 

La haine défigure le visage déjà sauvage de l'esclave. Il crache le nom du comte avec une haine si violente qu'elle fait sursauter Elihus. Calith reste silencieux. Il a bien compris que Lanen souhaite parler.

 

- Dascien, il s'est fait dessus quand il m'a vu rentrer dans ses appartements. La trouille l'a empêché de prononcer un mot. Il n'a pas fuit. Il était pétrifié. Je les ai tous bâillonnés et immobilisés. Je ne manquais pas d'exemples, après les Soirées. Et je me suis régalé de leur panique quand j'ai approché le rasoir de leurs précieuses parties. Comme eux se régalaient de ma panique quand ils nous torturaient. Et ces parties finissaient dans une auge à cochons. Je leur disais, bien sûr. Ils pleuraient et suppliaient du regard, mais ça ne m'a pas arrêté. Ça ne les a jamais arrêté, eux, alors je ne vois pas pourquoi moi, j'aurais dû le faire.

- Les cordes et les bourses, tu les trouvais où ?

- Une réserve en est pleine. Personne ne se soucie de ce que récupère un esclave.

- Qu'as-tu dit à Jérémias, pour le mettre dans un état pareil ?

 

Pour la première fois, Lanen regarde son amant et tout son visage s'adoucit. La haine a déserté sa voix quand il répond :

 

- Je voulais fuir. Et je lui ai proposé de venir avec moi. Mais il avait peur que je me fasse arrêter. Et il avait peur de déserter son poste. Il ne vous l'a pas dit ?

- Non, il n'a rien voulu me dire.

 

Le regard de l'amant revient sur le garde prostré contre le mur. La haine a fait place à un amour dévorant. Dans un murmure, l'esclave supplie Jérémias de le pardonner d'avoir douté.

 

- Tu vas être jugé, Lanen, et mis hors d'état de nuire. Mais si nous ne t'avions pas découvert, est-ce que tu aurais continué, après la mort de Jeus ?

- Non. Ils auraient tous été morts. Qui d'autre aurais-je pu tuer ? C'est ce que m'a dit Iezahel, tout à l'heure. Il avait compris que c'était moi, bien sûr. Et il m'a dit que je devais m'arrêter, désormais. Mais je comptais le faire, de toute façon.

 

La raideur de Iezahel, le regard fuyant de Lanen, tout incite Calith à croire que l'esclave omet certaines paroles de Iezahel. Comme les félicitations, sans doute. Le roi se tourne vers ses deux conseillers et leur demande :

 

- Vous avez d'autres questions ?

- Non.

- Emmenez-le en cellule, alors.

 

Deux surveillants s'approchent en entendant l'ordre du roi, eux qui étaient restés sur le seuil de la porte, n'osant pas avancer plus. Après un dernier regard à Jérémias, Lanen suit les geôliers, le visage fermé.

 

- Bien. On le jugera demain, Elihus.

 

Le conseiller, toujours pâle, hoche mécaniquement de la tête pour signifier son accord. Calith commence déjà à se détourner, l'esprit en ébullition, quand Jérémias l'interrompt :

 

- Sire ! Je vous en prie !

 

Très lentement, le roi se place face au garde. Et cette vision lui noue la gorge. Du fier soldat, solide comme un roc, il ne reste rien. Les joues inondées de larmes, la goutte au nez et l'air hagard, Jérémias n'est plus que l'ombre de lui-même. Car personne ne le dit, mais tous savent que les meurtriers sont condamnés à la peine capitale. Il sanglote de plus belle, le garde, quand il bégaie :

 

- Il va finir pendu ou roué, Sire, je vous en prie, épargnez-le ! Ne me l'enlevez pas !

- Il a tué quatre hommes, Jérémias.

 

Le regard éperdu de douleur devient deux saphirs étincelants de rage. Et si la voix est toujours vacillante, elle n'en demeure pas moins chargée de colère :

 

- Ah oui ! Et quels hommes ! Vous savez aussi bien que moi ce qu'ils ont fait ! On n'aurait jamais connu leurs actes si Lanen ne les avait pas tué ! Ils n'auraient eu aucun châtiment, eux ! Il les a tué, oui, mais je l'aurais fait, moi, si j'avais été au courant !

- Il n'avait pas à se substituer à la justice.

- Mais quelle justice ? Ils n'auraient rien eu du tout ! C'est ça, ce que vous appelez justice ? Laisser ces salauds en liberté ! Il n'a fait que leur rendre la monnaie de leur pièce ! Et c'était peu cher payé !

- Ça suffit, Jérémias, reprend toi !

- Je ne vous laisserai pas me l'enlever, Sire !

 

Le garde perd peu à peu contrôle sur lui-même. Il crie, désormais, menace Calith du poing. Le roi se retrouve rapidement protégé par Loundor et Iezahel, mais il ne reste pas insensible à la détresse du jeune homme. Les cris de Jérémias ont attiré les geôliers qui viennent d'emmener Lanen. Avisant leur présence, Calith ordonne :

 

- Mettez-le en cellule pour la nuit, ça le calmera. Mettez-le avec l'esclave que vous venez d'emmener.

 

Il se débat, le soldat, jusqu'à ce qu'il entende qu'il passera la nuit avec son amant. Alors, comme par magie, il se calme et se laisse entraîner docilement. La gorge nouée, Calith se frotte les paupières du bout des doigts avant de murmurer :

 

- On a besoin de repos. On en reparle demain.

- Très bien. Essaie de te reposer, Calith.

 

Loundor puis Elihus quittent la salle du bourreau sur quelques salutations. Iezahel, le regard à nouveau fuyant, reste immobile. Et demande dans un chuchotement :

 

- Il n'y a plus de tueur en liberté. Je regagne le dortoir des soldats ?

 

La question sous-entendue, Calith la comprend parfaitement. Souhaite-il encore la présence de l'esclave à ses côtés maintenant qu'il sait qu'il lui a menti ? Il hésite quelques secondes avant de marmonner :

 

- C'est quand même plus sûr si tu restes près de moi. On ne sait jamais.

 

Lorsqu'ils traversent les couloirs, côte à côte, Calith s'immobilise devant la cellule de Jérémias et Lanen. Il reste suffisamment en retrait pour qu'à l'intérieur, ils ne le voient pas et il chuchote à Iezahel :

 

- Demande à Lanen de s'approcher.

 

Le garde du corps obéit immédiatement et peu de temps après, le visage de Lanen apparaît derrière les barreaux. Et Iezahel murmure :

 

- Merci.

- Je l'ai fait pour nous deux. Et les autres avant.

- Et je ne peux t'offrir qu'un simple merci...

 

Calith ne prête pas vraiment attention à la conversation. Normalement, pour défaire un sort, il doit voir l'objet. Mais là, il se concentre et murmure l'incantation pour libérer Lanen de l'anneau qui le force à la chasteté. Iezahel porte soudain la main à son entrejambe, surpris et croise le regard, tout aussi surpris, de Lanen.

 

- Toi aussi ?

- Oui. La magie doit avoir un problème.

- Aucune importance. Je vais rejoindre Jérémias.

- Bien sûr. Profites-en bien.

 

Iezahel reste face à la porte, le temps de farfouiller dans son pantalon pour récupérer son anneau, lui aussi défait. Calith marmonne entre ses dents, priant pour ne pas avoir libéré tous les esclaves des lieux à la ronde. Il s'est peut-être un peu trop concentré, en fait. Iezahel, les joues roses, il s'avance vers Calith et murmure :

 

- Merci pour eux.

 

Calith ne répond rien, pas certain qu'il mérite vraiment ces remerciements. Les arguments de Jérémias ont fait mouche. Il s'apprête à condamner Lanen pour ces meurtres. Et les deux amants seront séparés à tout jamais. Alors leur permettre une toute dernière nuit ensemble ne mérite aucun « merci ».

 

 

 

 

 

Il n'y a pas d'esclave, dans la chambre, pour préparer son bain ce soir-là. Il l'a déjà pris, de toute façon, mais l'absence de Lanen se fait sentir. Épuisé par cette journée interminable et remplie d'informations, Calith se dirige lentement vers son lit.

 

C'est Iezahel qui, tout en douceur, l'aide à se déshabiller puis à se glisser sous l'édredon. Et il reste immobile à côté du lit, l'esclave, n'osant pas rejoindre son roi. Mais il suffit d'un mot pour qu'il enlève ses vêtements pour ne garder que le strict minimum et qu'il le rejoigne. Blotti tout contre son roi, il murmure :

 

- Je suis désolé, Sire, je ne pouvais rien vous dire.

- Pourquoi ?

- Je voulais qu'il ait le temps de les tuer tous. Et... j'aurais aimé qu'il ne soit jamais découvert.

- C'est un meurtrier.

- Je sais bien. Mais je rejoins l'avis de Jérémias. Ces hommes n'auraient jamais été inquiétés par la justice. Ne méritaient-ils pas la mort, pour ce qu'ils ont fait ? Je peux vous assurer, Sire, que pendant ces Soirées, je souhaitais qu'ils meurent tous de manière très lente et très douloureuse.

 

Calith, depuis le début de la conversation, essaie de tenir sa position. Mais le dernier argument de Iezahel lui broie la poitrine. Il s'imagine bien que c'est volontaire, une manière pour l'esclave de jouer de l'affection du roi pour exacerber sa colère. Mais volontaire ou non, ça fait mal. Ces hommes ont martyrisé l'homme qu'il aime. Il ne pleure pas leur mort, pas un seul instant, et se retrouve même content des circonstances de leur mort. Mais tout le château est au courant de la présence d'un assassin entre les murs. Il doit leur donner des résultats.

 

Iezahel est lové contre lui, le front reposant sur son pectoral. Et il se met à déposer des baisers légers comme des papillons sur la peau tout proche, tout en murmurant :

 

- Je suis sûr que vous pouvez trouver d'autres solutions, Sire. Ne le condamnez pas à mort, il y a d'autres alternatives.

 

Calith ferme les yeux et savoure la caresse. Le contact de ses lèvres sur son torse le fait frissonner de plaisir. Mais dans un chuchotement, il ordonne :

 

- Arrête ça, Iezahel. Ne profite pas de ta présence dans mon lit pour te servir de moi. Lanen sera jugé et condamné pour quatre meurtres.

 

Penaud, l'esclave souffle un « désolé » et se décale légèrement. Calith, à la recherche d'une position plus confortable, bouge lui aussi. Ce qui lui permet de sentir, juste contre la cuisse, une certaine partie de l'anatomie de l'esclave raidie par le désir. Et il s'en veut, soudain, de l'avoir suspecté d'utiliser les câlins pour l'amadouer. Il est libéré de son entrave et c'est normal, après tout, qu'il ait envie, non ?

Alors sa main se glisse tout doucement le long de son ventre, et saisit délicatement le membre raide. Iezahel gémit doucement, se rapproche un peu, glisse sa main sous l'édredon pour lui rendre la pareille. Et c'est sans un mot, sans un regard que, front contre front, ils se donnent mutuellement du plaisir.

 

 

 

 

 

Cette nuit-là, Calith ne dort pas beaucoup. Son esprit refuse de trouver le repos tant que sa décision concernant Lanen n'est pas prise. Iezahel, dos contre son ventre, dort roulé en boule. Plus d'une fois, il marmonne dans son sommeil, s'agite. Ses sourcils se froncent et son visage devient un masque de douleur. Alors plus d'une fois, Calith lui caresse la tête et la hanche, murmure des paroles rassurantes et dépose de légers baisers sur sa joue. Et il ne peut s'empêcher de s'interroger sur ces rêves qui hantent l'esclave. Une certitude s'impose rapidement à lui. Réelle ou imaginaire, pour lui, la cause de ses cauchemars est le souvenir de ces Soirées sordides.

 

Et c'est de voir cet homme qui a tant souffert se débattre dans des réminiscences douloureuses qui lui permet enfin de prendre une décision.

Il se réveille avec l'aube, frissonnant entre les draps. Il lui faut quelques minutes avant de comprendre la raison de cette sensation : il est seul dans le lit. Alors il enfouit son visage dans l'oreiller en grognant. Iezahel aurait-il commis un acte insensé ? Comme profiter de la nuit pour faire évader Lanen et Jérémias ?

Mais un léger bruit le fait redresser la tête. L'esclave est là, un lourd plateau dans les mains, un sourire hésitant sur le visage. Sans dire un mot, Calith lui ouvre l'édredon. Et toujours en silence, ils déjeunent au lit.

 

Il se rend compte qu'il est affamé, le roi, son dernier repas remontant à la veille à midi. Le dîner froid de la veille, demandé à Lanen, doit toujours être, intact, dans la salle d'eau. Lanen...

La simple pensée de cet esclave lui ôte toute bonne humeur. Comme s'il avait lu dans ses pensées, Iezahel murmure :

 

- J'ai foi en vous, Sire. Je sais que vous trouverez une solution qui conviendra à tout le monde.

 

Cette confiance, si elle lui fait plaisir, lui noue dans un même temps l'estomac. La mérite-t-il seulement ? Et s'en montrera-t-il digne ?

La toilette et l'habillage ne sont que des formalités qu'il accomplit rapidement. Puis d'un pas pressé, suivi par Iezahel, il se rend dans la bibliothèque.

Loundor est installé devant une impressionnante montagne de nourriture, mais ça ne lui fait pas peur, visiblement. A grands coups de fourchette efficaces, il attaque son petit-déjeuner. Elihus, lui, croquant dans une pomme, étudie des dossiers. Surprenant. Et s'il relève la tête et laisse tomber son travail à l'arrivée du roi et de son escorte, Loundor, lui, les salut d'un mouvement de la fourchette avant de poursuivre son festin.

Ils échangent des banalités en attendant que le Général ait terminé. Puis, quand tous sont opérationnels, Calith déclare :

 

- J'y ai réfléchi une partie de la nuit et je pense avoir trouvé une solution. Mais j'aimerais entendre vos opinions, d'abord. Loundor, ton avis ?

- Mon avis, c'est que cette affaire me fait chier.

 

Il s'interrompt un instant, le temps de sourire largement en voyant Elihus sursauter en entendant la grossièreté. Puis redevenant instantanément sérieux, il poursuit :

 

- Depuis le début de cette histoire, les choses sont claires : nous avons à faire à un tueur, sans doute pas très net dans sa tête, qui mutile et tue des innocents. Mission : arrêter et exécuter cet homme mauvais. Sauf que ces hommes qu'on pensait innocents sont bien loin de l'être. Et je suis content de savoir qu'ils sont morts dans ces conditions. Alors que fait-on du tueur ? Je vous avoue que l'idée de le pendre ne me remplit pas de joie. Ni même du sentiment du devoir accompli. Ça me fait chier.

 

Du défi brille dans son regard, au moment d'asséner sa dernière phrase. Mais Elihus est trop préoccupé pour le reprendre et Calith y est habitué. Voyant que le Général a terminé d'exposer son avis, il se tourne vers le conseiller et lui demande :

 

- Et toi Elihus ? Ton avis sur la question ?

- J'ai du mal à réaliser. Que Jeus soit coupable de tels actes m'a empêché de dormir. Je n'en reviens pas d'avoir côtoyé cet homme pendant des années sans me rendre compte de ses vices. Le fait est que nous devons annoncer à la cour que le meurtrier a été arrêté, suspendre le couvre-feu et faire rentrer les soldats dans leur caserne. Et j'aimerais autant que possible qu'on évite de trop en dire sur les motivations du tueur.

 

Elihus se lève, se passe une main dans la barbe et tourne en rond tout en expliquant :

 

- Il est évident que nous devons les rassurer, leur déclarer qu'ils ne risquent plus rien. Mais nous n'avons pas le droit d'exposer les personnes les plus sensibles à la folie de ces hommes. Ces actes sont loin d'être anodins et risquent de choquer. Et je ne voudrais pas donner des idées à certains. Nous devons également le faire par égard pour leurs familles et pour les victimes de leurs actes. Quant au jugement, je suis moi aussi embêté à l'idée de le pendre. Ses actes étaient guidés par la vengeance et même si ça n'excuse rien, on ne peut pas le châtier de la même manière qu'un homme qui aurait tué par plaisir. Sauf que ça, on ne pourra pas le dire à la cour. Et la cour va vouloir le voir mort.

 


Commentaires

 

1. Kriemhild  le 15-07-2013 à 08:11:56  (site)

Bonjour !

Félicitation pour la photo du jour et bonne continuation pour ton roman.

Bonne journée !

2. histoiresyaoi  le 15-07-2013 à 09:44:11  (site)

Merci beaucoup !

 
 
 
posté le jeudi 11 juillet 2013 à 17:09

Pieveth, Chapitre 24

 

 

 

 

 

Deux loups rentrent dans la pièce, à la suite de leur Alpha. Puis c'est Calith, suivi de peu par Iezahel qui s'avancent. Enfin, bon dernier, un Elihus blême chancèle en découvrant les lieux.

C'est une cave voûtée, toute en pierre apparente, particulièrement longue mais finalement assez étroite. Des braseros diffusent une lueur tamisée qui danse sur les murs. Calith pâlit, lui aussi, à mesure qu'il remarque les meubles et les instruments qui remplissent la pièce. Il y a quasiment autant d'objets que dans la salle du bourreau, mais beaucoup sont clairement d'ordre sexuel. Le roi s'est rapproché de son esclave et lui serre doucement la main, en soutien muet. Des chaînes et des cordes sont présentes le long des murs et descendent du plafond. Au bout de l'une des cordes, le corps sans vie de Jeus. Et une chaise renversée, à ses pieds, prouve qu'il s'est lui-même pendu.

 

Ils ignoraient l'existence d'une telle pièce, tous autant qu'ils sont. Et c'est avec une fascination morbide qu'ils observent les instruments qui servaient aux soirées de débauche.

Loundor jure. De toute sa rage, de toute sa spontanéité, il débite les pires insanités qu'il soit. Parce que le Général, s'il ne rechigne jamais devant une bonne bagarre et de la violence, il ne supporte pas qu'on moleste quelqu'un. Qu'on lui fasse du mal par plaisir. Et découvrir ce qu'il s'est déroulé, là, sous leurs pieds, ça lui retourne le ventre et le remplit de rage. Rage envers ces hommes qui ont pris du plaisir, ici-même. Alors il jure et blasphème avec fureur.

 

Et Elihus ne bronche pas. Il tourne autour du corps sans vie de Jeus, l'archiviste qu'il connait depuis des années. Il se souvient de leurs longues discussions passionnées sur l'état des archives, leur importance, la préservation de ce savoir. Il repense à leur unique réunion de décideurs de justice, quand ils ont jugé la poignée de voleurs arrêtés. Il se rappelle l'attitude si compatissante de Jeus, qui cherchait à tout prix à minimiser les peines. Il se souvient, et il ne peut croire que son ami soit lié à cette histoire sordide. Il refuse d'envisager la possibilité qu'il ne se soit pas contenté de recopier un texte insoutenable, mais qu'il ait été témoin de ces agissements. Qu'il y ait pris part, et avec plaisir encore. Non, il ne peut pas l'admettre.

 

Calith, lui, frissonne. Pas de froid, non, même si la température dans cette pièce n'est pas très élevée. Il frissonne en découvrant la croix, là-bas, au fond de la pièce. Quelqu'un semble murmurer les lignes qu'il a lu, sur les manuscrits, tout à l'heure. Son imagination fait le reste. Iezahel est soudain attaché tout contre la croix, pleurant, suppliant qu'on abrège son supplice. Et des hommes, autour, se caressent en riant de lui. La main de l'esclave, serrée dans la sienne, lui broie les doigts. Alors le roi secoue doucement la tête pour chasser cette sinistre vision. Et d'un ton autoritaire, il ordonne :

 

- Qu'on fasse enlever le corps. Et qu'on scelle cette pièce. Loundor, Elihus, poursuivez l'enquête et trouvez des preuves sur sa culpabilité.

 

 

 

 

Il entend à peine les réponses et se détourne vivement, entraînant Iezahel à sa suite. Il ne s'arrête pas, non plus, lorsqu'il traverse les couloirs et qu'on l'interpelle. La nuit est déjà tombée et pare le château de ses sombres atours. Lorsqu'il pénètre dans ses appartements, Lanen est sur le qui-vive, prêt à préparer le bain royal. D'une voix brusque, Calith lui dit :

 

- Prépare le bain, et fais monter deux repas froids. Ensuite, quand tu auras terminé, tu auras quartier libre avec Jérémias.

 

Il se dirige d'un pas vif vers la fenêtre. Si son regard se perd sur la forêt, sombre et inquiétante dans la nuit, ses pensées sont ailleurs. Dans une cave, si propre et si aérée d'apparence, si sordide quand on sait ce qu'il s'y est passé. Les deux esclaves s'affairent dans son dos, chuchotant d'une voix à peine audible, mais il n'y prête pas attention. Jeus a-t-il été pris de regrets, pour mettre ainsi fin à ses jours ? A-t-il réalisé l'horreur de ses actes ? Et pourquoi a-t-il tué toutes ces personnes ? Le faisaient-elles chanter ? Une vague de colère envahit le roi. Encore et toujours des questions ! Plus cette histoire avance, plus les interrogations sont nombreuses. Et d'ailleurs, ce ne sont peut-être que des évènements isolés, sans rapport l'un avec l'autre. Y-a-t-il réellement un rapport entre le tueur et Jeus ? Ne serait-ce pas trop pratique, qu'il soit le meurtrier ?

Un toussotement, dans son dos, le fait se retourner. Lanen, tout obséquieux, lui annonce que le bain est prêt et qu'un repas leur sera apporté d'ici une heure. Il le remercie chaudement pour cette soirée libre et quitte les appartements.

 

D'un pas lent, alourdi par les découvertes récentes, Calith s'avance dans la salle d'eau. Tout en douceur, Iezahel vient l'aider à se déshabiller. Puis il se glisse dans la large baignoire, laissant l'eau chaude détendre ses muscles. Mais ce n'est pas suffisant. Alors, d'une voix douce comme de la soie, il lui demande :

 

- Viens.

 

Iezahel marque un temps d'arrêt, scrute le visage de son roi. Ce qu'il y lit le rassure, visiblement, puisqu'il se déshabille lentement et se glisse dans l'eau. D'un geste doux, Calith le guide jusqu'entre ses jambes. Et sans le brusquer, il le penche légèrement en arrière, de manière à ce que le dos de l'esclave repose contre le torse du roi. Et délicatement, il passe ses bras sous ceux de Iezahel, pour le serrer contre lui. Ses mains caressent doucement son ventre et il cale son menton sur son épaule pour lui demander, dans un murmure :

 

- Réponds-moi sincèrement : tu es bien, comme ça ?

- Oui Sire.

- J'ai besoin de savoir, Iezahel. Je n'y reviendrais plus, ensuite, je te le promets.

 

Contre son torse, les muscles dorsaux se raidissent. Mais d'un léger hochement de tête, Iezahel donne son accord. Alors, choisissant avec soin ses mots, Calith l'interroge :

 

- Jeus, il était présent lors de ces soirées ?

- Oui. A chaque fois.

- Elles avaient lieu régulièrement ?

- Une fois par semaine, environ.

- Et le reste du temps ? Tu étais chez le bourreau ?

- Oui.

- Et il … s'occupait souvent de toi ?

- Trop souvent. Enfin, j'en ai l'impression. Le reste du temps, j'étais dans le cachot du placard. Et je n'avais pas vraiment la notion du temps.

 

Les aveux sont murmurés, à peine plus fort que le clapotis de l'eau contre les parois de bois. Un silence douloureux ponctue chacune de leurs paroles. Calith, la gorge nouée, accentue ses caresses et joue doucement avec les poils autour de son nombril.

 

- Le bourreau était présent, lors ces soirées ?

- Oui. Toujours. C'est lui qui s'occupait de... de l'aspect matériel. C'était son métier. Il savait comment contraindre le corps sans le briser.

- Et les autres ? Qui était-ce ? Tu connais leurs noms ?

- Non. Ils... ils ne prononçaient jamais de noms.

 

Calith accepte cette déclaration sans broncher. Il se doute bien, pourtant, qu'un ou deux noms avaient été lâchés. Mais quand le corps hurle de douleur, que l'esprit panique et que la seule obsession qui reste, c'est que ça s'arrête, peut-on réellement prêter attention à un nom ? Et de tout son cœur, de toutes ses forces, il souhaiterait arrêter là cette discussion pénible, le serrer dans ses bras et lui faire oublier tout ça. Sauf qu'il refuse de laisser ces hommes libres, vierges de tout soupçons. Ils doivent être arrêtés, jugés, condamnés. Et pas à des travaux d'utilité publique. Ils doivent être exécutés, de manière douloureuse, si possible. Alors il insiste encore, Calith, le cœur au bord des lèvres, répugnant à retourner le couteau dans la plaie :

 

- Tu peux me les décrire, alors ?

- Il y avait le roi. Et un vieux, mince, toujours bien habillé et plutôt bel homme.

- Péliel.

 

Calith dépose un baiser léger sous l'oreille de l'esclave, en guise de remerciement. Il ne montre rien de son trouble, poursuit ses caresses. Mais dans le silence qui s'éternise, son esprit travaille. Les lignes du manuscrit, qu'il n'a lu qu'une fois, sont comme gravés au fer rouge dans sa mémoire. Et les initiales, peu à peu, dévoilent les identités. « L. est passé dans leurs dos, et d'une incantation chuchotée, il resserre légèrement leurs colliers. » Lombeth, bien sûr, qui d'autre ? Un homme tyrannique, qui aime faire souffrir les autres, capable d'utiliser la magie. « T. s'est rapproché et note consciencieusement la hauteur à laquelle s'élèvent les mains. » Tathyn, évidemment. Qui d'autre pourrait garder un détachement professionnel face à des hommes qui étouffent ? « P. s'est glissé dans le dos de l'un des esclaves et lui murmure quelques mots à l'oreille, déclenchant des tremblements. ». Le duc de Péliel, si propre sur lui et si galant avec les femmes de la cour, s'amusait ainsi à tourmenter des asservis.

 

- Il y avait aussi un homme au crâne rasé.

- Le prêtre Hélion ?

- Je... je ne connais pas son nom. Mais il était prêtre, je crois, parce qu'ils faisaient souvent des blagues sur...

 

Le murmure s'éteint. Et le roi ne le relance pas. Il ne veut pas avoir plus de détails. Mais il comprend, petit à petit. Des initiales, restent B. et D. non identifiées. Et soudain, pour la première fois depuis la mort du baron de Beoan, tout s'éclaire. B. pour Beoan. D. pour le comte de Dascien. Deux courtes descriptions suffisent pour que Iezahel confirme ses soupçons. Les victimes étaient des bourreaux. Lombeth et Tathyn morts pendant la prise de pouvoir du prince héritier, il ne restait que cinq complices. Dont quatre ont été mutilés avant d'être tués. Et toute trace de compassion pour ce qu'ils ont subi avant de mourir disparaît. La justice royale n'aurait pu rendre un jugement aussi sévère mais ces hommes, capables de telles atrocités, n'ont eu que ce qu'ils méritaient.

 

- Ils sont tous morts, tu le sais ?

- Oui.

- Et tu sais qui les as tué ?

 

L'eau s'agite doucement contre les parois. Seul le silence lui répond. Un terrible pressentiment lui broie la poitrine. D'un murmure fébrile, il lui demande :

 

- Ce n'est pas toi, n'est-ce pas ?

- Non, Sire. Je le jure.

 

Les paroles de Loundor lui reviennent en tête : non, Iezahel n'est pas le meurtrier. Et il s'en veut un peu, Calith, d'avoir douté. Toujours dans un chuchotement, il poursuit :

 

- Qui était l'autre esclave ?

 

Cette fois encore, il n'obtient aucune réponse. Il laisse un peu de temps s'écouler avant de demander :

 

- Pourquoi tu ne veux pas le dire ?

- Parce que... c'est bien, que personne ne soit au courant. Il n'aura pas à subir le regard des gens qui sauront ce qu'il s'est passé. Il a le droit de mener une vie normale, d'accepter des gentillesses sans se demander si c'est dû au fait que la personne est au courant.

 

 

 

Le cœur de Calith s'emballe. Soudain, il a trop chaud, dans ce bain. Mais il doit savoir. Alors il se contorsionne jusqu'à se retrouver à califourchon sur les jambes de Iezahel. Et son étrange regard vert plonge dans les iris ébènes. D'une voix blanche, il lui demande :

 

- C'est ce que tu ressens, avec moi ?

- Oui Sire.

 

Il n'a eu qu'une légère hésitation avant de répondre. Ses yeux clament sa sincérité. Et c'est avec la même sincérité que Calith répond :

 

- Ce n'est pas lié, Iezahel. Bien sûr que ça me fait mal, de savoir ce que tu as vécu, et que j'aimerais pouvoir effacer ces évènements. Mais ma gentillesse avec toi n'est pas uniquement due au fait que je suis au courant. C'est... parce que tu me plais. Parce que tu es beau. Tu es fort, et pas seulement physiquement. Tu es intelligent et cultivé. Parce que là, et là, il y a de fabuleux trésors.

 

Au premier « là », Calith a posé, tout en douceur, son index sur la poitrine de l'esclave. Et au second « là », c'est sur sa tempe, que son doigt s'est posé. Et les yeux dans les yeux, il lui avoue :

 

- Ces horreurs ne peuvent pas me laisser indifférent, forcément. Mais j'ai envie d'être avec toi en permanence. J'ai envie de dormir dans ses bras et je veux partager des moments joyeux avec toi.

 

Le chuchotement royal prend fin, comme s'il n'osait pas poursuivre plus loin ces aveux. Les obsidiennes se voilent de buée et l'esclave entrouvre les lèvres pour murmurer :

 

- Ah ! Je t'y prends à dévergonder un de mes loups !

 

Ce n'est pas un chuchotement, mais un cri triomphal qui retentit dans la salle d'eau. Et ce n'est pas l'esclave qui a parlé, mais Loundor. Calith s'écarte vivement de Iezahel, comme pris en faute. Et ce dernier gronde. Les lèvres retroussées, des yeux assassin, il gronde furieusement contre son Général. Un Général qui lève les mains en signe de reddition et marmonne :

 

- Bon, il semblerait que loup en question soit partant pour être dévergondé.

 

Calith éclate de rire. C'est que cette mine penaude, là, sur le visage du redoutable guerrier, il ne la voit pas souvent. Et puis, surtout, il y a la réaction de Iezahel. Ce grognement à la fois possessif et protecteur, qui dit plus que tous les mots à quel point l'esclave tient à lui. Et ce n'est pas qu'uniquement une question de sécurité. Qu'on insinue que le roi le forcerait à lui donner du plaisir est comme une offense pour lui. Et un immense soulagement pour Calith. D'autant que, maintenant qu'il s'est éloigné légèrement de Iezahel, il a rompu tout contact avec lui. Mais l'asservi, sous l'eau rendue trouble par le savon, vient chercher sa main pour la serrer dans la sienne. Alors il rit, Calith, heureux, amusé et soulagé tout à la fois.

Loundor, qui a repris contenance, poursuit :

 

- Désolé de vous surprendre. Mais comme le soldat posté devant la porte, pour surveiller les allées et venues, est parti s'envoyer en l'air avec ton esclave, et avec ta bénédiction, j'ai pu rentrer sans problème. Et comme je te trouve avec ton garde du corps à batifoler dans l'eau...

- Voyons, Loundor, je pensais que c'était Elihus, le rabat-joie chargé de faire respecter la bienséance.

 

C'est au tour du Général, de gronder, sous l'insinuation. Il hausse ses épaules massives et marmonne :

 

- Bah, moi, c'que j'en dis. Tant que vous êtes heureux, ça me va...

 

Calith sourit toujours, heureux de sentir la main de Iezahel dans la sienne, heureux d'entendre ces mots dans la bouche du redoutable Général. Et même l'esclave a abandonné son air menaçant pour esquisser un semblant de sourire. Loundor fouille dans ses poches et en sort un papier soigneusement plié. Et, parfaitement sérieux désormais, il annonce :

 

- Les prêtres chargés de préparer le corps de Jeus ont trouvé ça dans ses poches.

- Des aveux ?

- J'aurais préféré. Je vous le lis ?

 

Deux hochements de tête simultanés lui répondent. C'est qu'ils sont bien, là, dans l'eau encore chaude, main dans la main. Loundor, nullement perturbé par la scène, entame sa lecture.

 

Sire,

Mes jours sont comptés. Je le sais depuis le décès du prêtre Hélion. J'ai compris, alors. Et j'ai su que j'étais sur la liste.

J'ai observé avec beaucoup d'attention votre enquête. Vous ne fournissiez que peu d'informations mais ça m'a suffit pour comprendre que vous échouiez.

Vous avez laissé le Comte de Dascien se faire tuer dans d'atroces conditions. Je suis le dernier. Mon tour arrive, ce n'est plus qu'une question de jours.

Vous devez savoir, désormais, ce qu'il se déroulait lors de ces Soirées. Je ne regrette rien, Sire. J'y ai pris un plaisir intense, que peu de personnes peuvent comprendre. Nous nous comprenions, tous les sept. Sept, à partager cette jouissance, à connaître ce secret. S'ils l'avaient su, les autres nous auraient regardé de travers, auraient condamné nos actes sans chercher à comprendre. Ils n'auraient pas vu plus loin que leur précieuse bienséance. Des moutons, incapables de comprendre qu'on puisse vivre différemment. Nous cachions alors soigneusement nos soirées, masquions notre amitié en public. Ce trésor était à nous, rien qu'à nous.

Je ne regrette rien, Sire. Que les semaines étaient longues, en attendant ces Soirées ! Que les journées paraissaient fades, en comparaison ! Me voici à la fin de ma vie, à l'heure du bilan. Et je crois pouvoir m'exprimer au nom de mes amis : de toute notre vie, ces moments étaient les plus précieux et les plus heureux.

Mais le tueur est après moi. J'avais l'espoir absurde que vous pourriez l'arrêter avant qu'il ne s'en prenne à moi. J'ai déposé la corde sur votre lit, Sire. Plus tard, j'ai déposé la bourse en cuir sur votre bureau. Je vous offrais des indices sur un plateau d'argent, et vous avez été incapable de les comprendre. Le manuscrit, envoyé par mes soins, aurait dû vous permettre de comprendre enfin. Mais vous n'avez rien fait. Vous n'avez pas voulu voir le tueur.

Je ne voulais pas vous parler face à face. Je ne voulais pas vous raconter, explicitement, ces Soirées et les meurtres qui ont suivi, vengeance de ce moins que rien. Je n'ai pas honte, Sire, et je ne regrette rien. Mais vous n'auriez pas compris. Vous auriez pris fait et cause pour le tueur, j'en suis convaincu. Votre silence, d'ailleurs, est peut-être lié à cette approbation muette.

Je ne veux pas mourir. Mais plus que tout, je refuse d'être l'objet de la vengeance de cet esclave. Je refuse de mourir dans de si atroces conditions. Alors je prends les devants. En me donnant la mort, je fais un ultime pied-de-nez à cet objet de plaisir qui a cru pouvoir agir de son propre chef.

Je ne regrette rien, Sire, et je ne regretterai pas plus au moment où l'air manquera cruellement. Je vais rejoindre mes compagnons et nous pourrons nous retrouver dans l'éternité.

Mais prenez garde, Sire. Prenez garde à votre ombre, car il a pris le goût du sang. Et il ne s'arrêtera pas là.

Votre dévoué, Jeus.

 

 


 
 
posté le mardi 09 juillet 2013 à 22:09

Pieveth, Chapitre 23

 

 

 

 

Le messager arrive avant qu'ils n'aient eu le temps de discuter de leur lecture. C'est un homme d'âge mûr, au corps musclé mais sec comme un bâton. L'inquiétude plisse son front et il s'incline très bas de crainte d'avoir commis une erreur. Calith, sans tergiverser, lui demande :

 

- Qui t'a donné ça ? Il n'y a pas de signature !

- Je l'ignore, Votre Majesté.

- Comment peux-tu l'ignorer ?

- C'est-à-dire, Sire, que je suis toujours sur les routes pour porter les messages, vous voyez. Alors si les gens veulent me donner quelque chose, ils me trouvent jamais. Dans l'entrée du château, j'ai mis une boîte. Comme ça, les gens y déposent leurs messages, le destinataire et l'argent. J'ai mis les tarifs sur la boîte, Votre Majesté, parce que ça ne coûte pas...

- Viens-en au fait !

- Veuillez m'excuser, Sire. J'ai trouvé ces rouleaux ce matin, avec une somme coquette et votre nom. Est-ce que je me suis trompé de destinataire ?

- Je dois connaître l'identité de celui qui m'a envoyé ça !

- Ben c'est que je ne la connais pas, Sire. Les gens signent, normalement, alors j'ai pas à savoir qui envoie le message. C'est une question de confidentialité, Sire, parce que, vous voyez...

- Suffit. Il n'y avait aucun message avec ? Les pièces étaient dans une bourse ?

- Non, Sire, aucun message. Et les pièces étaient glissées dans le ruban qui retenait les rouleaux, Sire. C'est quand même pratique, ces pièces percées, parce que les gens...

- Hors de ma vue.

- Mais...

- Si tu as quelque chose d'intéressant, et je dis bien intéressant, à nous raconter, fais-le tout de suite. Sinon, dehors !

 

L'homme affiche un air penaud et s'incline plus bas encore qu'à son entrée. Et, marchant doucement à reculons, il quitte le bureau. C'est Elihus, le premier, qui partage ses sentiments :

 

- Ces horreurs ont-elles réellement eu lieu dans notre château ?

- Il semblerait, oui. Reste à savoir si c'est quelque chose de récent ou non. Je refuse que ces agissements se déroulent sous mon règne.

- Évidemment, Calith.

 

Le conseiller se frotte pensivement la barbe, tandis que Loundor plie et déplie les rouleaux. D'un geste vif, Elihus lui arrache des mains et parcourt à nouveau les premières lignes. Et dans un murmure, il affirme :

 

- Je suis convaincu de connaître cette écriture. C'est quelqu'un d'instruit, qui écrit tous les jours sans doute.

- Alors si c'est un message du tueur, ça exclut définitivement tous les esclaves. Essaie de te souvenir, Elihus. On doit absolument mettre la main sur l'auteur de cette...

 

La voix grave du Général, vibrante de colère, suggère :

 

- Et si c'était Voinon ? Ces malades utilisaient des esclaves, ça implique forcément que Voinon était au courant, non ?

- Ce n'est pas l'écriture de Voinon. Il n'aime pas écrire, et ses lettres ressemblent à des pattes de mouches indéchiffrables. Mais tu as raison, Loundor, on doit l'interroger, il sait peut-être quelque chose. Iezahel, demande à Jérémias de faire venir Voinon.

 

L'ordre du conseiller est dit d'une voix ferme et l'esclave n'hésite pas un seul instant.

 

- Ces soirées étaient sans doute secrètes, j'ose espérer que bon nombre de personnes se seraient indignées si elles avaient eu connaissance de ce genre d'agissements. Les esclaves sont des outils, pas des souffre-douleur. L'auteur n'a pas écrit ça pour en faire un rapport, c'est évident. Il pourrait très bien l'avoir fait comme un journal intime, un carnet de bord qui lui permet de revivre ces moments et de s'en délecter.

- Et donc cacher le nom des participants au cas où quelqu'un tomberait sur ces notes.

- Exactement, Loundor.

- Reste à savoir si ces initiales sont les premières lettres des noms ou des prénoms.

- Des prénoms, sans doute. S'ils partageaient ce genre de vice, ils devaient avoir suffisamment d'intimité pour s'appeler par leurs prénoms.

- Il y a des centaines d'habitants, dans ce château ! On n'arrivera jamais à retrouver de quelles personnes il s'agit ! D'autant qu'on ne connaît pas à quelle période ces actes ont eu lieu...

 

Depuis que Iezahel est allé transmettre l'ordre à Jérémias, Elihus est resté silencieux, plongé dans ses réflexions. Il se lève soudainement et s'approche de la table basse où trainent des dizaines de dossiers, qu'il feuillette rapidement. Calith est sur le point de lui demander si cette fichue paperasse est plus importante que ce qu'ils viennent d'apprendre quand la porte s'ouvre sur Voinon. Et le roi n'est pas d'humeur à la politesse :

 

- Approche-toi, Voinon, et lis ça.

 

L'homme replet s'approche, l'air anxieux. Dès les premières lignes, son visage se défait et il devient si pâle que Loundor et Calith craignent qu'il ne s'évanouisse. Il se laisse lourdement tomber sur la chaise la plus proche. Ses doigts sont crispés autour du papier et il marmonne :

 

- Ce n'est pas possible. Mais qu'ont-ils osé faire ! Mes esclaves... Pourquoi ont-ils fait ça ? De quel droit les traitent-ils ainsi ? C'est n'est pas possible. Mes esclaves... Mes pauvres petits esclaves... Pourquoi ?

 

La litanie semble sans fin. Et le choc du responsable, bien réel et parfaitement sincère. Mais Calith ne compte pas en rester là :

 

- Tu étais au courant ?

- Certainement pas ! Je vous prie de me croire, Sire, j'ignorais tout de ces pratiques infamantes. Si j'avais su que des gibiers de potence faisaient de telles choses à mes esclaves, j'ai tout fait pour les arrêter. Et leur faire payer leurs crimes !

 

Il s'agite sur la chaise, le responsable, fait de grands gestes de ses mains. Et Calith le laisse continuer sur sa lancée :

 

- Je sais que vous devez croire que j'ai la badine facile, Votre Majesté. Mais je vous assure que c'est juste pour la discipline. Tant qu'ils travaillent bien, je les traite bien ! J'ai appris le sort pour les libérer une fois par semaine, parce que le mage qui s'en occupait été trop pris par les directives de Lombeth. Et je le fais régulièrement, Sire, je vous jure.

- Et quand je t'ai vu, avec Iezahel, devant la salle des plaisirs ? Tu le narguais ?

- Non Sire. C'était pour le rendre plus obéissant. S'ils pensent que vous êtes gentil, ils vous mangent tout cru. Mais je ne me sers jamais de cette punition, Sire. C'est trop cruel. Et puis, je connais tous mes esclaves, Sire, par leur nom. Je sais que certains sont en couple, ils ont une toute petite chambre, rien que pour eux. Et je défais toujours les anneaux le soir avant qu'ils aillent se coucher. J'ai même trouvé une chambre pour Jérémias et Lanen, Sire, vous pouvez leur demander.

- Tu n'as pas vu de traces de coups, sur tes esclaves ?

- Oh non, Sire. Sinon, j'aurais essayé de savoir d'où ça venait. Et personne ne frappe mes esclaves : s'ils ont un souci avec eux, ils viennent me voir. Je les connais tous, Sire, je l'aurais vu immédiatement !

- Mais dans le cas de Iezahel ?

- Je ne savais pas, Sire. Croyez-moi, je vous en prie. Il a été amené directement en geôles, je n'étais même pas courant de sa présence chez le bourreau. Je n'aurais jamais laissé faire une telle chose, Sire. Je vous en supplie, croyez-moi !

 

La sueur coule sur le front de Voinon, qui se tord les doigts de nervosité. Il a l'air sincèrement touché par les agissements sur les deux esclaves, dans le manuscrit . Et terrifié à l'idée qu'on le pense coupable de tels actes. Un léger hochement de tête, de la part de Loundor, lui assure, de manière certaine, que le responsable ne ment pas. Et Loundor poursuit l'interrogatoire :

 

- Mais si ce n'était pas tes esclaves, ils venaient d'où, alors ?

- Je l'ignore, Général. Je suis responsable des esclaves qui travaillent au château, mais il y en a qui sont la propriété d'un noble, par exemple, et là, je n'ai rien à voir avec eux. Il y a aussi des esclaves qui travaillent dans les écuries et dans les champs, mais ce n'est pas moi qui m'en occupe. Alors je sais pas à qui étaient ces esclaves, Général, mais je vous assure que ce n'étaient pas les miens. Je ne permettrais jamais qu'on les traite de la sorte.

- Tu connais un peu les esclaves des nobles ?

- De vue, oui, Général. Et je connais leur nom, pour la plupart.

- Très bien. Alors tu vas me dresser une liste de ces esclaves, leurs noms et toutes les informations que tu connais à leur sujet.

- Ce sera fait, Général.

- Bien. Tu peux te retirer.

 

Voinon, toujours blême, quitte le bureau d'un pas chancelant. Elihus, qui n'a pas quitté ses dossiers, marmonne dans sa barbe et leur annonce qu'il doit aller vérifier quelque chose. Loundor se lève également et déclare à son roi qu'il va aller parler à ses hommes pour essayer de trouver quelle salle voûtée pourrait correspondre, et qu'ils dressent une liste des personnes dont les prénoms commencent par les initiales citées.

 

 

 

 

Resté seul dans son bureau avec Iezahel, Calith réfléchit : les efforts du Général sont louables, mais ça prendra des semaines avant de réunir les informations. Voinon mettra également du temps pour sa liste. Et Calith n'en peut plus d'attendre. D'autant que ces informations, rien ne prouve qu'elles seront d'une quelconque utilité. Reste la piste d'Elihus, mais il n'est pas certain qu'il se souvienne de la personne qui écrit de la sorte.

 

- Iezahel, approche-toi.

 

L'asservi obéit immédiatement, l'air grave. Il n'a sans doute pas tout compris de leur conversation, mais il sait que ce message était important. Et dérangeant. S'il se doute de son contenu, il n'en laisse rien paraître. D'une voix douce, Calith lui demande :

 

- Tu sais lire, n'est-ce pas ?

- Oui Sire.

- J'aurais voulu … qu'il y ait un autre moyen. Mais je dois en avoir le cœur net. Lis ces manuscrits, s'il te plait.

 

Le roi dévisage chaque expression de l'esclave, alors qu'il entame sa lecture. Et il ne faut que quelques minutes pour qu'il s'arrête et dépose les rouleaux sur le bureau. Il reste immobile, à deux pas de Calith, silencieux, le regard vers le sol. Sur son visage, un masque impassible. Mille suppositions tourbillonnent dans l'esprit de Calith, alors qu'il attend une réaction. Mais rien ne vient.

 

- Alors ?

- Oui Sire ?

- Regarde-moi.

 

Lorsqu'il obéit, lorsqu'il plonge son regard ébène dans celui du roi, le cœur de Calith rate un battement. Le visage de Iezahel a beau être impassible, ses yeux reflètent une douleur indicible. Et le doute devient certitude. D'un bond, Calith se lève et serre de toutes ses forces son esclave dans ses bras. Et Iezahel s'agrippe furieusement à sa chemise. Ses doigts se plantent dans les épaules royales, comme un naufragé s'accrocherait à un débris de l'épave. Du bout des doigts, Calith lui caresse la base du crâne, où ses cheveux courts sont si doux. Dans un murmure au creux de son cou, il lui demande :

 

- Tu étais l'un des esclaves, n'est-ce pas ?

- Oui Sire. Le vainqueur.

 

La réponse n'est qu'un souffle, si ténu que Calith n'est pas sûr d'avoir entendu. Mais il resserre encore l'étreinte. « Désolé » est parfois tellement dérisoire.

Il lui faut de longues minutes, au roi, pour se reprendre et être quasiment certain de pouvoir parler d'une voix assurée :

 

- Dis-nous qui c'est. Ils se seront châtiés.

 

Mais Iezahel garde le silence. Et Calith n'a pas le cœur à insister pour le moment. Alors il se contente de lui caresser la nuque et de le serrer contre lui.

La porte s'ouvre violemment et va claquer contre le mur dans un fracas de tous les diables. Et c'est Elihus, frénétique, qui s'engouffre dans la pièce en criant :

 

- Jeus ! C'est Jeus ! Son écriture ! C'est la sienne, je savais que je la connaissais !

 

A la mention du nom de l'archiviste, Iezahel s'est raidi entre les bras de son roi. Il cherche à s'écarter, désormais, et Calith ne le retient pas. La situation est trop intime pour avoir des témoins, et l'heure trop grave pour rester dans la douce torpeur de cette accolade.

 

- Qu'il vienne ici, alors !

- J'ai demandé à deux gardes de m'accompagner et je suis allé dans sa chambre. Mais aucune trace de lui. Il n'était pas aux archives, non plus.

- Tu n'as rien trouvé, dans sa chambre, qui pourrait laisser penser qu'il est lié aux meurtres ?

- Non. Je le connais un peu, tu sais, et je ne pense pas qu'il soit capable de ce genre de choses. Il a sûrement été forcé d'écrire ça.

- Fais fouiller sa chambre de fond en comble. On doit en avoir la certitude. Je suppose que tu as demandé à ce qu'il soit retrouvé au plus vite ?

- Oui, bien sûr. Et j'ai fait appeler Loundor, également. Il devrait arriver d'une...

 

Le loup-garou, de toute sa stature, se tient sur le seuil de la porte et gronde. Un grondement de rage, puissant, sourd, qui hérisse les poils de Calith. Sa voix est à peine reconnaissable, tant elle est grave, quand il annonce :

 

- La meute est allée dans la chambre de ce dégénéré. Et elle cherche son odeur pour retrouver sa trace. Ce n'est qu'une question de minutes.

- Jeus est un homme droit, Loundor, chargé de rendre des jugements en cas de délit. Qui sait ce que Lombeth l'a forcé à faire, pendant son règne? Il n'a sans doute pas eu le choix.

- A d'autres, Elihus. Jeus a tout la latitude pour voler des cordes. Les archives regorgent de bourses pour payer les frais du château. Il connait le moindre recoin, tous les couloirs. Il a parfaitement la possibilité d'aller où il veut, quand il veut. Sans compter que sa présence n'éveille pas la méfiance des gardes ou des personnes qu'il croise. Tout le monde le connaît.

- Mais pourquoi les aurait-il tués ?

- Et bien ça, on va lui demander !

 

Car la question d'Elihus a été ponctuée d'un long hurlement. Un loup vient de retrouver Jeus. Aussitôt, Loundor, Elihus, Calith et Iezahel s'élancent dans les couloirs, suivant le rythme infernal du Général. Ils descendent dans les entrailles du château, dans ces caves humides qui filaient la trouille à Calith, plus jeune. Non loin du garde-manger et de la réserve de vin, la meute tourne en rond en jappant d'excitation devant une porte close. C'est Loundor qui ouvre la porte avec précaution, l'épée au clair, prêt à défendre chèrement sa vie. Mais il ne lui faut qu'une poignée de seconde pour l'abaisser et gronder :

 

- Il est là.

 

 


 
 
posté le dimanche 07 juillet 2013 à 21:35

Pieveth, Chapitre 22

 

 

Attention, ce chapitre comporte une partie écrite en blanc : il s'agit d'un passage difficile, qui pourrait choquer les âmes sensibles. Si vous souhaitez tout de même le lire, il suffit de sélectionner le passage pour qu'il apparaisse. Sinon, vous pouvez simplement ignorer ce passage : un court résumé, sans détails, est disponible à la suite.

 

Il gémit, dans ce moment magique où le sommeil brouille encore la réalité mais où il perd peu à peu du terrain. Il se blottit un peu plus contre la douce source de chaleur. Frotte doucement son front sur cette présence soyeuse. Jusqu'à ce que son front se cogne au métal. Le collier d'esclave. Iezahel.

Et il sourit, le roi, il sourit de cette nuit fantastique, peuplée de doux rêves apaisants. Il n'avait pas aussi bien dormi depuis...

 

Et bien, depuis ce jour fatidique où Loundor, plus jeune, s'était rué sur lui, caché dans la salle du trône, pour l'attraper à bras-le-corps et s'enfuir du château. Le jour où il regardait, paralysé, son père, sa mère, et sa sœur se faire occire par l'Imposteur. Lombeth savait que le prince héritier lui avait échappé. La course folle de Loundor, qui avait appris le drame qui se déroulait dans la salle du trône par miracle, ne s'était interrompue que le temps de rassembler une poignée de fidèles au roi. Il fallait éloigner le prince au plus vite, le mettre à l'abri. Mais Lombeth avait lancé ses hommes à leur poursuite. Et pendant des jours et des semaines, ils avaient fui. Ils s'étaient cachés comme des hors-la-loi, changeant de campement toutes les nuits, évitant soigneusement tout vie humaine. Et même ensuite, il avait fallu se déplacer, sans cesse, pour ne pas attirer l'attention. Calith était épuisé mais le sommeil, peuplé de visions de mort, toujours léger pour pouvoir partir à la moindre alerte, ne lui offrait guère de repos.

 

Et désormais, bien que la traque ait cessé, ce sont d'autres cauchemars qui hantent ses nuits. Des cauchemars remplis de chiffres, d'enfants mourant à petit feu de faim, de tueurs impitoyables.

Mais cette nuit, seule une douce torpeur a envahi ses rêves. Il est bien, là, blotti contre Iezahel. Il s'étire doucement pour mieux se pelotonner contre le corps assoupi.

 

- Bonjour Sire.

 

Un grognement étouffé par le sommeil répond à la salutation de l'esclave. Puis Calith marmonne, à peine compréhensible :

 

- Rendors-toi, il ne fait pas jour.

 

Silence. Le roi ouvre un oeil. Le dragon, ailes déployées, est tout proche. Du bout de l'index, tout doucement, il en suit les contours. La chair, brûlée, forme d'infimes reliefs. Et Iezahel s'est crispé, les muscles noués. Calith suspend directement son geste. Mais une certaine partie de son anatomie s'est réveillée et se redresse, intéressée. Et lui, il brûle d'envie de poser ses lèvres sur sa peau, de la caresser. Il convoite ce corps si désirable. Il veut l'amener, pas à pas, jusqu'à l'extase. Et ça, l'esclave l'a compris. C'est infime, bien sûr, il ne peut pas repousser les avances royales comme ça, mais il s'est légèrement écarté. Tout son corps, désormais, fait bloc contre l'attaque imminente. Calith l'a bien senti, car il s'éloigne légèrement et s'allonge sur le dos. Se frotte les yeux en demandant :

 

- Quelle heure est-il ?

- Près de onze heures, Sire.

- Hein ?

 

Calith se redresse dans le lit tel un ressort. Et invective l'esclave :

 

- Onze heures ? Mais pourquoi tu ne m'as pas réveillé ? Je n'ai pas que ça à faire, de rester au lit !

- J'obéis aux ordres, Sire.

- Ce ne sont certainement pas les miens !

- Non Sire. Loundor est venu, à l'aube. Quand il a vu que vous dormiez si bien, il m'a ordonné de rester couché avec vous jusqu'à ce que vous réveillez. Quelle que soit l'heure.

 

Une bordée de jurons salue cette explication. Traîner au lit, alors que l'assassin court toujours, que le royaume est à reconstruire. C'est bien indigne d'un roi, ça ! Repoussant rageusement l'édredon, il se lève vivement et se précipite dans la salle d'eau. Et pendant qu'il se rase, la psyché lui renvoie l'image d'un roi reposé, aux cernes atténués. Il se sent bien, ce matin. Il a l'esprit clair, des muscles en alerte. Après tout...

 

 

 

 

Lorsqu'il rejoint son bureau, quelques minutes plus tard, escorté par un Iezahel penaud, il trouve Loundor et Elihus en pleine conversation. Et les deux conseillers sourient, largement, heureux. Calith bougonne pour la forme, en allant s'installer derrière son bureau. Mais il remercie tout de même Loundor pour sa prévenance. Puis il passe aux choses sérieuses :

 

- Où en est l'enquête ?

- Nous avons arrêté les deux nobles que surveillaient les espions de Nala et nous les avons interrogés. Il s'avère qu'ils n'ont rien à voir avec les meurtres. Sauf que nous avions raison de les surveiller. Ils ont fini par avouer qu'ils projetaient de te faire assassiner. Bon, ils n'arrivaient pas à trouver le contact qui permet de se mettre en relation avec un assassin professionnel, et si tu veux mon avis, ils ne sont pas très doués. Mais on ne peut pas les laisser en liberté. Ils sont donc en geôles, en attendant que Elihus, Bunamel et Jeus décident de leur sort.

- Est-ce qu'ils avaient des complices ?

- Non. Ils n'étaient que tous les deux, réunis par leur ferveur envers Lombeth. Et leur haine envers toi, qui a osé tuer leur roi.

- Bon. Je suppose que les hommes de Nala savent qu'ils doivent continuer à surveiller ? Je ne veux pas que d'autres prennent exemple.

- Évidemment. Et je pense qu'on devrait déclarer une peine exemplaire, pour eux. Histoire de tuer dans l'oeuf tout idée d'imitation.

- Nous verrons ça au moment du jugement. Autre chose ?

- Oui. Mes hommes et moi avons passé une partie de la nuit à interroger des esclaves mâles. Mais ça ne donne strictement rien. Ils ne savent rien, ils ne sont au courant de rien. Bon, on a découvert deux trois broutilles, des coucheries et des vols mineurs. Mais rien sur le tueur. On va continuer, Calith, quitte à interroger les centaines d'esclaves qui grouillent dans ce foutu château. Mais je me demande si nous sommes sur la bonne voie.

 

La mine défaite du Général montre toute l'ampleur de sa frustration. Et c'est Elihus, très calme, qui partage leurs idées communes :

 

- On en discutait, en t'attendant. Nous sommes partis sur la théorie qu'un esclave serait l'assassin suite à un témoignage. Mais si nous sommes sûrs que la jeune fille n'a pas menti, rien ne nous assure que ses déclarations sont fiables. La fête avait déjà commencé, dans la cour, ce jour là. Elle avait peut-être bu et ses sens ont été trompés par l'alcool. Et puis, elle le dit elle-même : il faisait sombre dans les couloirs. Elle a pu se tromper du tout au tout. Enfin, nous savons que le tueur est intelligent. Et s'il s'était déguisé en esclave pour commettre ce meurtre ? Personne ne prête attention aux asservis, tant qu'ils font leur travail et qu'ils restent à leur place. Et Voinon se charge très bien de les dresser dans ce but. Cet état de fait n'est un secret pour personne. Le tueur, s'il veut passer inaperçu, a tout intérêt à se camoufler. A être visible tout en étant invisible. Il sait également qu'il va nous faire perdre du temps à interroger les nombreux esclaves du château. Et il est très facile de se procurer un pagne et un collier.

- Mais c'est peu flatteur.

- En effet. C'est humiliant, pour un noble, de se faire passer pour un esclave. Mais le tueur nous a montré qu'il est particulièrement déterminé. Il poursuit les meurtres malgré l'enquête, le couvre-feu et le climat de paranoïa qui s'installe. Un déguisement ne l'arrêtera pas.

- Alors Loundor, je te laisse faire travailler tes hommes sur cette hypothèse.

- Bien.

 

Le Général se lève, déployant sa silhouette massive. Et il les salue avant de quitter le bureau.

 

- Elihus ? Tu sais ce qu'il a ?

- Bah. Il enrage de ne pas avoir la plus petite information a se mettre sous les crocs. Il la l'impression que le tueur le défie personnellement. Et comme tu le connais, il n'aime pas ça.

- Et c'est peu de le dire.

 

Ils échangent un sourire complice. Calith remarque alors les cernes noirs, l'air épuisé, la lassitude des gestes quand le conseiller réuni quelques dossiers pour en faire une pile bien droite. Ils sont tous à bout. Mais Elihus ne lui laisse pas le temps de faire une réflexion. Il annonce :

 

- Je mange avec les archivistes, aujourd'hui. Je te laisse quelques dossiers à regarder, si tu le peux. Je reviens en début d'après-midi.

- D'accord. A tout à l'heure.

 

En pleine forme, Calith s'attaque donc aux nombreux dossiers en attente. Tout lui semble plus clair, aujourd'hui, comme si les chiffres prenaient soudain tout leur sens, comme si les rapports les plus complexes de diplomatie devenaient limpides. Et ce n'est que lorsqu'un esclave apporte le déjeuner qu'il relève la tête, la pile d'affaires en cours bien entamée. Iezahel est immobile dans un coin de la bibliothèque. Si sa présence s'estompe quand le roi discute avec ses conseillers, dès qu'ils se retrouvent tous les deux dans la pièce, il semble répandre son aura. Et Calith, devant le plateau, ne peut que l'inviter à manger avec lui. Ils commencent par le potage léger qui fait office d'entrée, sans échanger une seule parole. Ce n'est pas que Calith n'a rien à lui dire, loin de là, mais il n'ose pas se lancer, de peur que mettre des mots sur la nuit précédente la rende trop concrète et dissipe ce rêve.

Mais la curiosité est trop forte alors, quand ils entament la tourte à la viande, il demande :

 

- Ce n'était pas uniquement pour ma sécurité que tu m'as proposé de dormir dans ma chambre, hier, n'est-ce pas ?

 

Iezahel s'empourpre soudain et pique du nez dans son assiette. Et dans un murmure, il répond :

 

- Non Sire.

- Dès le début, tu voulais dormir avec moi ?

- Oui Sire.

- Pourquoi ?

- Les banquettes ne sont pas très confortables, Sire.

 

Calith plonge son regard sur le visage impassible, et toujours rougissant, de l'esclave. Serait-il en train de... plaisanter ? Et Iezahel se rend bien compte que sa réponse n'a pas plu. Alors il murmure :

 

- Je voulais dormir avec vous, Sire. Ça fait du bien.

- Mais...

 

Le roi, qui sait se montrer si bon orateur, se retrouve à court de mots. Il n'ose imaginer ce qu'impliquent ces aveux. Alors Iezahel poursuit, espérant éclaircir les choses :

 

- Je... je sais que je ne suis qu'un esclave. Et que c'était terriblement impertinent de m'inviter dans votre lit, Sire. Et si vous estimez que je mérite d'être corrigé, je l'accepterai. Mais vous avez été bon avec moi, Sire. Vous vous êtes intéressé à mon sort, vous m'avez libéré.

- Alors tu l'as fait par reconnaissance ?

- Non Sire ! Enfin, si. Enfin, bien sûr, je vous suis reconnaissant, infiniment même. Mais ce n'est pas pour cette raison. Je... je voulais juste être avec vous, Sire. J'en suis navré.

 

Il ne prononce plus un mot. Et sur son visage, Calith peut discerner son trouble intérieur. Mais que l'esclave se lève de table, s'éloigne et regagne sans un mot le coin de la pièce où il a passé une partie de la matinée, le surprend. Alors il réagit comme un roi :

 

- Iezahel, reviens.

 

Et c'est une voix royale, autoritaire, qu'il emploie. Sauf que l'esclave n'obéit pas. La colère s'en mêle, fatalement, et ça s'entend lorsqu'il répète :

 

- Iezahel, c'est un ordre. Reviens immédiatement.

 

Mais c'est le simplet qui s'approche, le regard rivé au sol, la démarche gauche, les doigts qui se tordent nerveusement. Et le silence, glacial, vibrant de colère le pousse à tomber à genoux devant son roi. Mais ce dernier, sans pitié, assène :

 

- Explique-toi.

 

Des larmes d'humiliation dévalent les joues de l'esclave. Mais l'ordre a été donné, et il ne peut s'y soustraire. Alors dans un murmure étouffé, il avoue :

 

- J'ai honte, Sire, tellement honte. J'en suis indigne, Sire. Je ne suis qu'un insignifiant esclave qui ne mérite pas votre attention. Et je sais que je n'aurais jamais dû oser m'inviter dans votre lit. Je ne sais pas ce qu'il m'a pris. Je n'aurais jamais dû. Mais ça me fait tellement de bien, quand vous me serrez dans vos bras. Je me sens bien, avec vous, en sécurité. Et... je...

 

La tentation d'ordonner qu'il poursuive est grande, pour Calith. Mais ces aveux l'ont ému. Et c'est d'une main douce qu'il caresse le crâne rasé à hauteur de ses hanches. Alors, à son tour, il admet :

 

- J'ai passé une excellente nuit, avec toi dans mes bras. Je désirais, moi aussi, dormir avec toi. Mais je ne voulais pas te le proposer. D'abord, parce que je savais que tu ne refuserais pas, même si tu n'en avais pas envie. Et parce que je ne pensais pas qu'un loup-garou pouvait aimer la tendresse d'un homme.

 

Le loup-garou en question lui jette un regard surpris, avant de se ressaisir et de baisser servilement la tête. Avec la tendresse d'une mère, Calith essuie les larmes sur ses joues avant de poursuivre.

 

- Je sais que les loups n'aiment pas les relations avec des personnes du même sexe qu'eux. Je ne voulais pas t'imposer ça.

- Et si certains aimaient ?

- Tu aimes, toi ?

 

C'est un hochement de tête, infime, à peine perceptible, qui lui répond par l'affirmative. Et qui, encore une fois, laisse le roi muet. Il les connaît, les loups-garous, pour côtoyer Loundor depuis sa plus tendre enfance. Et jamais, jamais, il n'avait entendu de telles choses. L'animal fait partie intégrante de l'homme. Et les animaux ne s'accouplent pas pour le plaisir mais pour la reproduction. Il se prend le doute, qui surgit soudainement, en plein fouet. Iezahel lui ment. Il lui ment pour s'attirer ses faveurs, pour prouver sa loyauté ou pour lui faire plaisir, mais il lui ment, c'est certain. Et si la douleur d'une telle certitude lui broie la poitrine, il souffre plus encore d'avoir espéré, l'espace de quelques minutes, qu'eux deux, c'était finalement possible. Il doit parler à Loundor. De toute urgence.

Il se lève brusquement, ouvre violemment la porte derrière laquelle Jérémias monte fidèlement la garde, et lui ordonne d'aller chercher le Général.

 

 

 

 

Mais lorsque la porte s'ouvre, quelques minutes plus tard, c'est Elihus qui rentre. Elihus, qui fronce les sourcils à la vue de Iezahel, toujours à genoux, et du roi, qui tourne comme un lion en cage dans son bureau. Et Calith n'a pas l'air spécialement content de voir arriver le conseiller. Mais Elihus ne s'en formalise pas. Il s'avance, comme si de rien n'était, devinant que son souverain n'aura pas envie d'en parler, et étudie les dossiers approuvés. Il règne un silence pesant, dans la pièce, uniquement rompu par le martèlement des pas royaux sur le sol.

 

Et Loundor arrive. Mais Calith refuse d'aborder le sujet avec Elihus dans la pièce. Alors, d'un ton un peu sec, il demande à Iezahel de reprendre sa place. Il s'assoit à son bureau et leur parle d'un dossier, concernant les évolutions de l'armée à prévoir. C'est un dossier qui doit être examiné depuis un moment, et qui requiert la présence des deux conseillers. C'est surtout un moyen pour ne pas perdre la face, mais ça, il ne l'avouerait pour rien au monde.

 

Ils n'ont pas le temps d'avancer beaucoup qu'ils ont interrompus par Jérémias, qui fait entrer un messager dans le bureau. Calith l'accueille avec le sourire : enfin des nouvelles de Nala ! Il récupère rapidement le rouleau de parchemins tendus par le messager et l'invite à aller boire un vin chaud en cuisine. Avec un demi-sourire, il déplie les manuscrits et s'apprête à lire à voix haute. Mais dès les premiers mots qu'il parcourt des yeux, son sourire disparaît. Ce n'est pas un message de Nala.

 

Les deux esclaves sont prêts. Ils sont assis sur deux chaises toutes simples. Leurs chevilles sont liées, serrées, aux pieds de la chaise par une corde qui remonte ensuite jusqu'aux genoux, s'enroulant autour de la chair et du bois comme un serpent. Leurs cuisses sont aussi contraintes par le chanvre, condamnées à ne faire qu'un avec l'assise. De l'aine jusqu'aux aisselles, une seconde corde les oblige à rester le dos bien droit contre le dossier. Leurs bras sont laissés libres, si ce n'est au niveau des mains. Les poignets sont entourés d'une cordelette, fine mais particulièrement résistante, et reliés ensemble. Mais tout le génie de cette contrainte, c'est que la cordelette est glissée sous une autre, celle qui serre fort les organes génitaux des deux asservis, avant de lier le second poignet. S'ils bougent les mains, cela ne se fera pas sans douleur.

H. est en retard, alors nous l'attendons, sans trop d'impatience. Les paris sont lancés et chacun négocie âprement ou augmente la mise. P. s'est glissé dans le dos de l'un des esclaves et lui murmure quelques mots à l'oreille, déclenchant des tremblements. Nous éclatons de rire. Il en rajoute alors, murmurant encore à l'oreille tout proche. Cette fois, ce sont des larmes qui remplissent les yeux de l'asservi. Il devrait pourtant le savoir : c'est inutile. Les larmes ne lui serviront à rien quand les jeux auront commencé.

Et justement, H. pénètre dans la Salle. Nous le saluons à grand renfort d'accolades et nous lui parlons des paris en cours. Nos voix résonnent sous la voûte, nos rires aussi : ce sera une excellente soirée. Nous lui proposons une coupe de vin avant de nous intéresser à nouveau aux esclaves. L. est passé dans leurs dos, et d'une incantation chuchotée, il resserre légèrement leurs colliers. La magie est un don formidable ! Et tellement précis ! Là, il serre juste assez pour qu'ils ressentent une gêne. Peu à peu, leurs visages virent au rouge, mais ils n'ont guère de difficulté à respirer. Mais c'est plaisant, de lire la peur dans leurs regards.

L. se lasse vite. T. installe, tout contre le ventre des asservis, un mètre de couturière. Partant de leur entrejambe, il remonte jusqu'au collier, bien plaqué contre la peau. Le moindre détail à son importance, lorsqu'il y a tant d'argent en jeu.

Une incantation plus tard, et le collier les empêche légèrement de respirer. Dans un geste stupide, ils ouvrent grand la bouche à la recherche d'air, comme si ça allait changer quoique ce soit. Leurs mains commencent à s'agiter un peu, mais la douleur provoquée à l'entrejambe les arrête rapidement. Pour le moment.

Car quand L. resserre une fois encore le collier, il déclenche cette délicieuse panique que nous aimons tant. Les cris fusent et les encouragements jaillissent de toute part. Aussi excité que nous, L. serre encore d'un cran les colliers. L'air n'arrive plus dans leurs poumons et ils paniquent. Les yeux exorbités, ils se débattent. Parce que tout être humain a le réflexe de porter ses mains au cou en cas d'étranglement, ils tirent comme des damnés sur les liens qui ligotent leurs sexes. Nous arrivons au moment délectable où ce n'est plus la tête qui commande et qui tente d'épargner ces parties si sensibles. C'est le corps, qui se débat vainement pour enlever ce qui le tue lentement, qu'importe les dégâts collatéraux, quitte à s'arracher le sexe. T. s'est rapproché et note consciencieusement la hauteur à laquelle s'élèvent les mains. Mon regard s'attarde sur les sexes devenus violets. Et sur la panique que je peux lire sur leurs visages. Mon membre est dur comme de la pierre et je rêve de pouvoir l'enfoncer dans ces bouches grandes ouvertes.

Puis L. relâche la pression. Les deux esclaves aspirent de grandes goulées d'air, s'étouffent un peu. T. déclare celui de gauche vainqueur de la première manche. Vainqueur, car ses mains se sont élevées plus haut que celles de l'autre. Je bois une gorgée, contrarié. C'est que j'ai parié sur l'autre, moi.

Puis L. serre à nouveau les colliers, pour la seconde session. Ils n'ont pas tout à fait eu le temps de reprendre leur souffle et ils se débattent davantage. L., pour pimenter le jeu, fait durer un peu plus longtemps la strangulation. Et c'est mon esclave qui gagne !

La dernière session est la manche décisive. Nous crions nos encouragements aux deux asservis, qui essaient vainement de se débarrasser du collier qui les étouffe. La cordelette, à force d'être soumise à tant de pression, entame la peau et décuple leur douleur. Mais ils tirent toujours aussi forts sur ces liens, dans l'espoir aberrant d'enlever le collier. Leurs mains s'élèvent plus haut que le nombril, étirant leurs sexes au maximum. Et l'esclave sur qui j'ai parié remporte cette manche !

L. desserre complètement leurs colliers tandis que nous fêtons notre victoire et empochons l'argent. Les perdants, eux, font grise mine. Mais tous les pantalons sont déformés par de belles bosses, preuve de l'excitation générale.

Les deux asservis ont un peu de mal à s'en remettre mais nous n'allons tout de même pas attendre pour eux. Les perdants s'approchent de l'esclave vaincu et défont ses liens. Puis, vexés et en colère, l'entraînent brusquement jusqu'à une table toute proche. B. D. et H. le prennent violemment, par la bouche ou pas derrière. Sans douceur, ils lui font comprendre leur mécontentement à grands coups de reins rageurs. L. P. et moi-même nous approchons de l'esclave vainqueur et l'emmenons sur une autre table. Mon membre est douloureux a force d'excitation et je ne me fais pas prier pour l'enfoncer brutalement dans la bouche ouverte de l'esclave.

 

La suite, Calith est incapable de la lire. Ces sept hommes, H., L., T., B., D., P. et le narrateur , non contents de parier et de s'exciter devant les tortures qu'ils infligeaient aux deux esclaves, avaient poursuivi leur soirée de débauche, empalant le vainqueur sur un instrument de torture et jouissant de le voir s'épuiser à tenter de retirer l'objet de son corps. L'horreur de la lecture lui fait jeter le manuscrit sur la table. Elihus s'en empare, l'air sombre, pressentant qu'il ne s'agit pas de bonnes nouvelles.

 

Calith va à la porte demander à Jérémias de faire venir immédiatement le messager. Elihus résiste moins longtemps que Calith et passe, le visage blême, les écrits au Général. Qui parcourt des yeux les feuillets en jurant entre ses dents.

 


 
 
posté le vendredi 05 juillet 2013 à 10:18

Pieveth, Chapitre 21

 

 

 

 

 

 

Jérémias passe la tête par l'embrasure de la porte, les faisant se séparer, et annonce :

 

- Elihus vous cherche, Sire.

- Bien. Dis-lui que je le rejoins à la bibliothèque.

- A vos ordres, Sire.

 

Une fois dans son bureau, Calith s'intéresse immédiatement aux dossiers en cours, laissant Iezahel se familiariser avec les lieux, comme si le moment qu'ils viennent d'échanger n'avait jamais existé. Elihus marque un temps d'arrêt, quand il entre, en voyant l'esclave présent. Et Calith, d'une voix sourde, lui martèle :

 

- Tes accusations étaient infondées et déplacées. Ne t'avise pas de refaire la même erreur. Iezahel est désormais à mon service, en tant que garde du corps, et ce, quoi que tu en penses. Ce n'est pas négociable ni sujet à discussion. Compris ?

- Oui. Et je m'excuse de l'avoir pensé coupable. Cette histoire me fait perdre mon bon sens.

- Assure-toi de le retrouver rapidement, j'ai besoin de toi.

- Bien sûr.

 

Elihus est embarrassé, c'est clairement visible. Mais Calith lui en veut trop pour le rassurer. Sans douceur, il lui demande :

 

- Tu voulais me voir ?

- Oui. On a pu établir une liste des esclaves correspondant au signalement. Mais ils sont nombreux et peu de personnes remarquent quand ils vont et viennent.

- Ça mérite d'être creusé. C'est l'une de nos seules pistes. Parles-en à Voinon, il pourra peut-être t'en apprendre davantage sur ceux qui sont suspects.

 

Calith se sent étrangement mal à l'aise, conscient de la présence de Iezahel dans son dos. Il évite d'employer certains mots, pour ne pas le blesser. Il se rend compte qu'il veut lui donner une bonne impression, en fait.

Mais très vite, Elihus l'entraîne dans les dossiers, et il en oublie la présence de son garde du corps. Submergé par une avalanche de chiffres, d'informations et de noms, Calith perd toute notion du temps et n'émerge qu'à l'heure du dîner.

 

 

 

 

Épuisé par la journée, il se rend dans ses appartements, escorté par ses deux gardes. Il prend un long bain brûlant qui décontracte ses muscles noués par des heures d'immobilité. Lorsqu'il en sort, le dîner est déjà monté, pour deux personnes comme il l'avait demandé. Il ordonne à Lanen et Jérémias d'aller dîner dans un réfectoire en espérant qu'ils trouvent un endroit un peu isolé pour passer un moment ensemble. Iezahel s'occupe spontanément du service, disposant les couverts sur la nappe, versant l'épais potage dans le bol de son souverain et lui servant du vin fortement coupé à l'eau. Calith constate avec plaisir que ses gestes sont plus sûr et bien moins maladroits. Puis l'esclave se sert et va s'asseoir en face de son roi. Enfin il lui souhaite un bon appétit avant de plonger sa cuillère dans son bol. Maintenant qu'il est nourri à sa faim, il prend son temps pour manger. Calith l'observe un moment, oubliant même son propre dîner. Et d'un coup, il lui demande :

 

- Tu n'as pas toujours été esclave, n'est-ce pas ? Ton langage et tes manières à table montrent que tu viens d'une famille aisée.

 

La cuillère s'est immobilisée à mi-chemin de la bouche de Iezahel, qui reste ouverte. Mais il se reprend vite et acquiesce :

 

- C'est vrai, je ne suis pas né esclave.

- Qu'est ce qu'il s'est passé alors ?

 

Iezahel plonge son regard dans celui du roi, une fraction de seconde, avant de s'intéresser à son bol de soupe. Le silence qui s'en suit fait douter Calith, à tel point qu'il lui dit d'une voix douce :

 

- Ce n'est pas un ordre. Rien ne t'oblige à en parler si tu le refuses.

- Je ne sais pas par où commencer.

 

Un sourire rassurant vient fleurir sur les lèvres du roi, qui lui murmure :

 

- Tu pourrais déjà me dire d'où tu viens.

- Du royaume de Fargues. Vous connaissez ?

- Bien sûr, nous avons des frontières communes. Même si la falaise nous empêche tout contact. Comment c'est, Fargues ?

- C'est très différent. Les deux royaumes sont côte à côte mais il fait bien plus chaud là-bas. La végétation est différente et les gens aussi. Ici, les loups-garous sont très bien acceptés, et même les autres créatures, même si elles se font bien plus discrètes.

 

Un silence pesant se dépose sur le salon. Iezahel fait lentement tourner sa cuillère dans le bol désormais vide, plongé dans ses souvenirs. Calith, lui, ne dit rien. Il veut le laisser s'exprimer, comme le souhaite. Et effectivement, d'une voix sourde, l'esclave poursuit :

 

- J'ai grandi dans une famille de la petite bourgeoisie, avec mes frères et sœurs. Mon père était un loup-garou et ma mère une humaine. Nous n'avons pas tous hérité de la lycanthropie paternelle, heureusement. Mais à Fargues, si les créatures surnaturelles sont relativement acceptées, certaines personnes n'acceptent pas qu'elles se mêlent aux humains. Et encore moins qu'elles fassent des enfants ensemble. Il paraît que ça souille la pureté du sang. Un soir, ils ont envahi notre petit manoir. Et...

 

Sa voix se brise, sous l'effet de l'émotion et un long frisson le parcourt. Calith se lève vivement et l'enjoint à faire de même. Ils s'installent alors devant la cheminée, assis sur deux fauteuils que Calith a rapproché l'un de l'autre. Et il lui assure :

 

- Si c'est trop difficile, n'en parle pas tout de suite.

- C'était il y a longtemps. J'avais pas quinze ans, à l'époque. Ils sont venus après la nuit tombée et ils ont mis à sac le manoir. Mon père a tenté de s'interposer. Ils s'y sont mis à cinq, mais ils ont réussi à le tuer. Après, ils s'en sont pris à ma mère et à mes soeurs. Et j'ai essayé de les protéger. J'ai tout fait pour les sauver. Mais ils étaient trop nombreux. Ils m'ont laissé pour mort au milieu des cadavres. Quand je suis revenu à moi, j'ai découvert mon petit frère mort dans son lit. Ils avaient pris soin de ne laisser aucun sang impur en vie. Sauf moi. Alors j'ai fui. J'ai erré dans les forêts et dans les campagnes. J'ai rencontré d'autres loups. On est devenu une meute et j'étais leur Alpha. Et la situation a dégénéré.

 

Il s'interrompt encore une fois, la gorge nouée. Calith passe un bras autour de ses épaules et lui répète qu'il peut s'arrêter à tout moment. Mais Iezahel est têtu. Il a commencé, il compte bien terminer :

 

- Nous étions de jeunes loups livrés à nous-même. Il y avait très souvent des combats dans la meute car tout le monde cherchait sa place. Mais nous ne nous mêlions pas aux humains. On avait tous eu des expériences plutôt difficiles et se ressourcer loin des hommes nous paraissait la meilleure solution. Mais la haine entre les peuples grandissait. Il y a eu des attaques, des deux côtés, et trop d'innocents tués. Tellement que certains humains ont monté des milices pour éradiquer la menace surnaturelle. Et nous, tout cachés que nous étions dans la forêt, nous étions leurs proies. La haine leur permettait toutes les audaces. Nos luttes intestines nous affaiblissaient. Quand ils nous ont attaqué, nous avons lutté. Et cette fois encore, ils étaient trop nombreux, trop bien préparés et nous, trop faibles. Ils en ont tué beaucoup. Les autres, ils les ont vendus à des esclavagistes. Nous n'étions pas humains, nous ne méritions pas de vivre comme eux. Ils nous ont marqué, comme du bétail, avec de l'argent, pour que notre corps ne puisse pas guérir cette brûlure et l'effacer. Un dragon qui prend son envol, nous désigne à vie comme la propriété de ce marchand d'hommes. Vous devez savoir que l'argent est mortel, pour les loups-garous ?

- Oui, bien sûr.

- L'argent des fers utilisés pour nous marquer a pénétré la peau et s'est infiltré dans notre sang. Du peu qu'il restait encore en vie, de ma meute, la plupart en sont morts.

 

Cette fois, le silence s'éternise. Alors Calith se lève, baille exagérément, et s'étire longuement. Et déclare, l'air de rien :

 

- Je suis épuisé. Tu me raconteras la suite plus tard, si tu le veux bien.

 

Un sourire triste effleure les lèvres de l'esclave, qui acquiesce d'un mouvement de la tête. Il se lève à son tour. Calith ne résiste pas longtemps et le serre dans ses bras, comme plus tôt dans la journée. Mais cette fois, l'esclave s'accroche de toutes ses forces et murmure, d'une voix à peine audible, un « merci » brûlant de reconnaissance.

Dans un dernier « merci », ils se séparent. Et Calith reprend, tant bien que mal, les choses en main :

 

- Tu dois dormir dans mes appartements, au cas où. Je te laisse choisir la banquette la plus appropriée. Je demanderai à Alima de la rendre plus confortable, demain matin. Bonne nuit.

- Merci Sire, bonne nuit à vous aussi.

 

Mais allongé dans son vaste lit, Calith ne dort pas. Les yeux grands ouverts fixés sur la tenture du baldaquin, il rumine la soirée. L'esclave n'aurait pas pu continuer son histoire, il aurait craqué avant la fin. Les larmes se seraient fatalement mises à couler. Autant lui épargner cette humiliation supplémentaire.

Dans l'obscurité totale de ses appartements, il perçoit le bruissement d'une couverture, le murmure d'un corps qui cherche vainement une position confortable. Pourvu que l'esclave n'ait pas remarqué ses efforts pour garder un air détaché au moment d'aller se coucher. Pourvu qu'il n'ait pas compris son envie violente de l'inviter dans son lit. Pas pour cabrioler avec lui, mais pour pouvoir le serrer encore dans ses bras, quelques heures de plus. Les soucis déserteraient-ils ses rêves, s'il dormait tout contre Iezahel ? Le silence est retombé, dans le salon. Immobile dans son lit, Calith cherche vainement le sommeil.

 

 

 

 

 

L'aube vient à peine de se lever qu'un terrible branle-bas de combat se déchaîne dans le salon royal. Encore peu réveillé, Calith quitte sa chambre pour voir Iezahel sur le pied de guerre, Elihus et Loundor faisant les cent pas autour de la table en s'invectivant à voix basse. Ils se figent en se rendant compte qu'ils ont réveillé leur roi. Puis Iezahel et Lanen s'empressent de lui préparer de l'eau pour ses ablutions, de disposer les vêtements de la journée sur le lit et de faire monter la collation matinale.

 

Vingt minutes plus tard, c'est un roi parfaitement réveillé et impeccablement habillé qui s'assoit en compagnie de ses conseillers devant le petit-déjeuner. Alors Loundor lui annonce :

 

- Comme tu peux t'en douter, nous avons un problème. Quand Elihus est rentré dans ton bureau, ce matin, pour s'avancer sur les dossiers à traiter, il a découvert ça.

 

Le général détache de sa ceinture et jette nonchalamment une bourse en cuir sur la table. Voyant que le roi reste perplexe, il poursuit :

 

- Il y a du sang séché à l'intérieur. Il ne s'agit pas de sang humain, mais animal. Évidemment, personne n'a vu d'intrus s'introduire dans la bibliothèque, les serviteurs et esclaves jurent qu'ils n'y sont pour rien et ils ne mentent pas.

- Tu penses que c'est à nouveau un message du tueur ?

- J'en suis convaincu.

- Mais pourquoi fait-il ça ?

 

Deux haussements d'épaules simultanés sont l'aveu de l'ignorance des conseillers. Elihus reprend :

 

- Il n'y avait aucun message, j'ai bien regardé de partout. Rien pour expliquer la présence de cet objet sur ton bureau. On en revient donc aux mêmes hypothèses que pour la corde : soit le tueur te menace, comme il a pu le faire avec ses autres victimes, soit il veut nous montrer que notre surveillance a des failles.

- Ce fils de chienne doit nous narguer ! « Vous surveillez les appartements ? Pas de problème, je m'introduis dans le bureau ! »

- La réplique sera la même : on l'arrête. L'enquête sur les esclaves avance ?

- La liste de Voinon, avec les esclaves correspondant à la description de la fille de Regargues, a été réduite à une vingtaine de personnes. Nous avons fait un tri, enlevant tous ceux qui avaient un alibi irréfutable. Suite aux évènements de ce matin, j'ai pris la liberté de les consigner dans leur dortoir. Je vais aller les interroger dès la fin du petit-déjeuner.

- Alors je t'accompagne Loundor. Je veux en avoir le cœur net.

 

La perspective de voir, peut-être, l'enquête aboutir enfin pousse Calith à terminer son repas rapidement. Et dans la foulée, il quitte ses appartements en compagnie du Général et de Iezahel.

 

 

 

 

 

La tension est palpable, dans l'immense salle jonchée de paillasses. Les suspects sont regroupés tous ensemble et assis en cercle, à même le sol. Les visage sont graves, les mines angoissées. Pas besoin d'être loup-garou pour savoir qu'ils sont terrorisés.

Iezahel reste en retrait mais ses yeux parcourent les lieux et les personnes présentes avec gravité. Loundor déplie la liste qu'il gardait dans une poche et appelle un premier asservi, qu'il entraîne dans un coin pour l'interroger en toute tranquillité.

 

Les interrogatoires sont longs : Loundor prend le temps de mettre les esclaves en confiance avant de rentrer dans le vif du sujet. Calith devine sans peine que le loup bouillonne intérieurement face à cette perte de temps. Mais il sait aussi que déceler un mensonge chez une personne terrorisée est loin d'être aisé. Et Loundor met toutes les chances de son côté.

 

L'après-midi est donc bien avancé quand ils quittent enfin les dortoirs pour aller prendre un repas dans les appartements royaux. Mais l'humeur n'est pas à la joie. Des vingt esclaves, que Calith connaît de vue pour les croiser parfois dans le château, aucun n'est coupable. Ils ont tous entendu parler des meurtres, évidemment, le contraire est impossible, mais ils ignorent tout du meurtrier, de ses motivations et de ses agissements. Loundor leur a également demandé si quelqu'un leur avait ordonné d'emmener une bourse hors du château. Ce serait un excellent moyen, pour l'assassin, de se débarrasser de ces parties sans se mouiller personnellement. Sauf que personne n'a jamais reçu un tel ordre. C'est à devenir fou.

 

En désespoir de cause, Loundor a demandé à ce que la liste soit corrigée et élargie : le coupable est passé entre les mailles du filet. Et surtout, il conseille à Calith :

 

- Va t'entraîner. Le tueur sait ce que nous faisons, connait nos décisions. Je refuse de lui laisser voir que nous nous acharnons à trouver des indices. Va t'entraîner comme si de rien n'était.

- Tu as raison. Je ne veux pas lui donner la moindre satisfaction.

 

C'est avec son esclave qu'il s'entraîne, Calith, un peu inquiet à l'idée que les soldats l'interrogent sur l'enquête en cours. Et puis, surtout, c'est pour le plaisir de passer du temps avec Iezahel. D'admirer ses muscles puissants qui roulent sous la peau. De deviner, petit à petit, la sueur perler sur son front. De s'émerveiller de la souplesse de son corps, de la vivacité de ses mouvements, de la puissance de ses frappes. Il est doué, c'est une certitude. Certes, il n'a pas passé sa jeunesse à apprendre le maniement des armes, mais il compense par la rapidité et la puissance de son loup.

 

La nuit tombe tôt, à cette période de l'année, aussi doivent-ils s'arrêter lorsque l'obscurité devient gênante. Mais ils sont en nage et largement essoufflés. Sans faire plus de façon, Calith va se laver avec l'esclave, dans la salle prévue pour les soldats.

 

Ce sont deux hommes affamés qui remontent en quatrième vitesse dans les appartements royaux pour dîner. L'ambiance n'est pas réellement aux confessions et Iezahel ne semble pas avoir envie de reparler de son passé. Et Calith, lui, ne veut surtout pas le forcer. Et puis, il a beaucoup d'autres choses à penser. Le repas se déroule donc dans un silence religieux, uniquement troublé par le bruit des couverts.

Lorsque vient l'heure d'aller se coucher, Calith se résigne à passer la nuit seul, à écouter Iezahel bouger dans son sommeil. Mais l'esclave le prend de court en disant, d'une voix qui se veut assurée :

 

- Sire. Je dois veiller sur vous et je pense que je serais plus efficace si je dormais dans votre chambre.

 

Calith était en train de se relever de table. Il s'immobilise à mi-chemin, la bouche entrouverte, les yeux écarquillés. Et aussitôt, Iezahel se recule, les mains en l'air. Il a perdu toute l'assurance qu'il affichait. Il balbutie :

 

- C'est … c'est pour votre protection, Sire... Je.. Je ne veux pas que vous soyez tué quand je dors dans la pièce d'à côté.

- Mais il n'y a que mon lit, pour dormir, dans la chambre.

- Je peux dormir par terre, Sire.

 

Calith se redresse, quittant sa posture, les fesses en arrière, fort peu royale, et sonde le regard de Iezahel. A-t-il seulement conscience de ce qu'il propose ? Ce « peux » implique-t-il qu'il souhaite dormir dans son lit ?

C'est le simplet, qui est de retour. Tassé sur lui-même, la tête basse et le regard rivé au sol, il passe d'un pied sur l'autre. Et Calith réalise qu'il serait incapable de fermer l'oeil de la nuit avec son esclave roulé en boule au pied du lit, comme un chien. Mais il se souvient parfaitement des paroles de Loundor, il sait que Iezahel prend sa mission très au sérieux. S'il lui refuse cette demande, ce serait alors l'esclave qui ne dormirait pas de la nuit. Il prend une grande inspiration et laisse échapper dans un souffle :

 

- D'accord. Et tu peux amener une banquette dans la chambre, si tu le souhaites.

 

Voyant l'asservi se diriger vers une banquette sans rien ajouter, Calith regagne sa chambre. C'est sans doute le meilleur compromis qu'il était possible de trouver. Il se glisse dans les draps et rabat l'épais édredon sur lui quand Iezahel revient, les mains vides. Et murmure, d'une voix à peine audible :

 

- Je vous dégoûte, Sire ?

- Pardon ?

 

La perplexité du roi n'est pas feinte : il ne comprend pas pourquoi il lui demande ça. Mais sa question déclenche une vague de nervosité. Et pourtant, Iezahel répète :

 

- Je vous dégoûte, maintenant que vous savez ce que Tathyn m'a fait ?

- Mais non voyons ! Certainement pas !

 

Mais si l'esclave semble légèrement soulagé par ce cri du cœur, il n'en garde pas moins sa nervosité. Et Calith, lui, a peur des faux espoirs et d'un malentendu. Il demande pourtant d'une voix rauque :

 

- Tu veux dormir avec moi ?

 

Il ne répond rien, le guerrier timoré qui se dandine sur le seuil de la porte. Mais il s'avance, contourne le lit, et se glisse sous l'édredon. Et alors que le roi essaie de garder le plus de distance entre eux deux, fort de sa résolution de ne plus toucher cet esclave qui a tant souffert et qui ne conçoit pas de relations entre hommes, Iezahel se rapproche. Comme un papillon de nuit attiré par une chandelle, il se rapproche jusqu'à venir se lover tout contre son roi. Et le roi, la gorge nouée, le serre dans ses bras, l'entoure de son corps, se repaît de sa chaleur. Il respire à plein poumons le doux parfum, subtil mélange de savon et de forêt, qui envahit peu à peu le lit. Et il comprend que sa sécurité n'était que prétexte pour une nuit de tendresse et d'affection. Mais il n'en dit rien, bien sûr. Il se tait et savoure.

 

 


 
 
posté le mercredi 03 juillet 2013 à 09:48

Pieveth, Chapitre 20

 

 

 

 

- C'est un de tes protégés, Loundor ! Comment peux-tu approuver ces calomnies ?

- Je ne les approuve pas, Calith. Mais je ne laisse pas mes sentiments me voiler la face. Cependant, il me semble que ton esclave n'était pas là, pour l'un des meurtres. Et nous avons un très bon moyen de nous assurer de son innocence.

- L'interroger ?

- Oui. Je lui poserai les questions. S'il me ment, je le saurai.

- Fais-le venir, alors. Maintenant.

- Non, Calith. Je vais aller l'interroger, seul. Et toi, tu restes là. Tu es bien trop en colère pour m'être d'une quelconque utilité. Et ta présence ne l'aidera pas à se livrer. Fais-moi confiance, Calith. Assieds-toi et attends quelques minutes.

 

La voix du Général, tout comme son air déterminé, incitent Calith à obéir. Mais impossible d'attendre sagement assis. Sitôt Loundor hors de son bureau, il fait les cent pas, tournant et virant, jurant et pestant, plaidant à la fois pour et contre l'innocence du simplet. Et alors qu'il menaçait de perdre toute retenue, la porte s'ouvre sur un Général souriant.

Comme un soufflé resté trop longtemps dans le four, la colère de Calith retombe immédiatement. Et disparaît complètement quand le Général lui annonce :

 

- Il m'a juré qu'il n'était pas coupable, et il ne me mentait pas. Il ne sait rien de ces meurtres, pas même ce qu'il se raconte parmi les esclaves : tu sais qu'il ne s'est jamais mêlé à eux. Il se doutait qu'il se passait quelque chose au château, à cause du nombre de gardes qui rôdent dans les couloirs, mais sans savoir pourquoi.

- Alors il est vraiment innocent ?

- Définitivement.

 

Une vague de soulagement balaie toute trace de colère chez Calith. Loundor, connaissant bien son ami, lui offre une bière, le temps de discuter avec lui de tout et de rien, comme pour s'assurer que la colère n'explosera pas à nouveau dans quelques minutes. C'est qu'il a d'autres nouvelles à lui annoncer, et pas forcément des bonnes...

 

C'est avec grand plaisir que Calith partage une chope de bière avec son ami. S'ils discutent des accusations d'Elihus, ce n'est que brièvement. Très vite, ils parlent du retour de la femme de Loundor, de ses trois enfants et des appartements privés qu'elle est en train de redécorer. Et Calith demande enfin ce qui le hante depuis des jours :

 

- Et comment ça se passe avec le simplet ?

- Il s'appelle Iezahel. La mission a Rocnoir lui a fait du bien. Il a pris ses marques, se mêle un peu plus aux soldats, maintenant. Il parle avec eux, même s'il ne s'agit que de banalités. Mais ça s'arrête là. Et sans surprise, il s'avère qu'il est un très bon combattant. Il est doué, quelle que soit l'arme qu'il emploie.

- Ce sont d'excellentes nouvelles, Loundor !

 

Mais le Général ne répond pas. La tension montre brusquement dans la pièce. Là, dans le silence sépulcral, il change soudainement de comportement. Refuse de croiser le regard de Calith. Un pli soucieux barre son front. Après quelques secondes d'hésitation, il murmure :

 

- Pas vraiment. Il n'y a rien de flagrant. Il combat très bien, se montre attentif à tout ce que nous lui apprenons. Mais … il reste des problèmes. Les hommes le craignent. Il met une distance entre eux qui les rend mal à l'aise. Ils font toujours le premier pas pour lui parler et n'obtiennent pas forcément de réponse.

 

Calith reste silencieux. Son affectation dans les rangs de l'armée est encore très récente. Il lui faut sans doute plus de temps pour s'y faire. Et puis, il n'apprécie peut-être pas l'humour parfois vulgaire des soldats. Enfin, sachant ce qu'il a vécu dans la salle du bourreau, comment lui en vouloir d'être méfiant ? Face au silence du roi, Loundor reprend :

 

- C'est la cohésion qui fait la force d'une armée, Majesté. S'il est exclus, ça pourrait poser des problèmes lors des batailles à venir. Et puis... il rechigne à m'obéir.

- Comment ça ?

 

Le roi est sincèrement surpris. Loundor est un homme juste, que tous respectent. Et il n'a jamais eu aucun mal à se faire obéir, même si, il faut bien le reconnaître, les soldats ne sont pas toujours des enfants de chœur. Le garou marmonne :

 

- C'est difficile à expliquer. Pas vraiment palpable. Il nous obéit, à mon bêta ou à moi, c'est pas le soucis, mais avec un temps de retard infime. Quelques secondes, même pas. Pas assez pour que je puisse lui reprocher. Mais... ça va poser un problème.

- Sais-tu pourquoi il se comporte de la sorte ?

- Son loup. C'est son loup. Il est dominant. Très dominant.

- Mais pas autant que le tien, si ?

 

Le Général hésite encore, soupire. Calith comprend sa réticence. Les lycanthropes sont régis par la dominance de leur part animale. Elle se traduit par la force physique pure, d'une part, mais aussi par leur force mentale. Et c'est cet ensemble qui détermine qui des deux loups, lors d'un combat, remportera la victoire et assurera sa supériorité face à l'autre. Ils n'ont pas besoin de se battre pour sentir si l'autre est puissant ou non, heureusement. Mais ils le sentent, et ça rend leurs rapports bien plus compliqués.

 

Et si le loup de l'esclave est réellement presque aussi fort que celui de Loundor, et peut-être plus que celui du bêta, c'est normal qu'il rechigne à exécuter un ordre de la part de celui qu'il considère comme son égal. S'ils venaient à se battre, et que l'esclave gagnait, alors le Général n'aurait plus aucune légitimité.

Et ces quelques écarts de conduite, qui semblent anodins aux yeux humains, sont autant d'affronts qui mettent en péril la position de chef du Général.

 

- Si. Peut-être même plus.

 

L'aveu de Loundor le laisse coi. Pour qu'il en vienne à admettre cet état de fait, c'est qu'il redoute réellement pour la cohésion de sa troupe. Et il y a de quoi. L'esclave risque de mettre le feu aux poudres par sa simple présence.

 

- Tu proposes quoi ?

- De le placer sous une autorité qu'il ne peut pas remettre en cause.

- Laquelle ?

- La tienne.

- La mienne ? Mais je ne suis même pas garou !

- Justement. Il ne peut pas se mesurer à toi à ce niveau. Et puis, tu as toute sa loyauté.

- Parce que je suis roi ?

- Je crois qu'il s'en moque pas mal, de ça. C'est toi qui a libéré son loup. Et c'est un animal particulièrement loyal. Il t'en est reconnaissant à vie. Et il respecte énormément la force qui t'a permis de le libérer alors qu'il était impuissant. Pourquoi crois-tu qu'il s'est empressé de reprendre forme humaine, quand tu lui as demandé, l'autre jour dans la forêt ? Pour le plaisir de redevenir esclave ?

 

Calith est tellement surpris qu'il ne parvient pas à répondre. Loundor enchaîne :

 

- Je voulais t'en parler avant que tu ne me fasses part des accusations d'Elihus. Je pense l'affecter à ton service, comme garde personnel. Jérémias est un brave type, mais Iezahel sera redoutable. Si quiconque cherche à te faire du mal, le loup te défendra, au péril de sa propre vie.

- Mais l'homme ? Que j'ai acquis le loup à ma cause, bien malgré moi, je peux le comprendre. Mais l'esclave, me sera-t-il loyal ?

- Tu ne peux pas dissocier les deux. Il a retrouvé son équilibre. Si le loup t'es loyal, l'homme le sera aussi.

- Malgré ce qu'il s'est passé entre nous ?

- Oui. Parles-lui en si tu le souhaites, je pense d'ailleurs que ce serait une excellente chose à faire pour vous deux. Remettre les choses à plat, lui parler des rouleaux qu'on a trouvé dans la salle du bourreau, lui dire que tu ignorais tout ça. Dis-lui ce que tu veux, débrouille-toi, mais maintenant qu'il a retrouvé la parole, vous devez parler.

 

Les pensées de Calith s'emballent. Bien sûr, la cohésion de l'armée est fondamentale et il ne peut pas se permettre de laisser un tel danger auprès de Loundor. Et oui, il serait plus qu'heureux de pouvoir côtoyer le sim... Iezahel tous les jours. Mais c'est justement là que le bât blesse. Il ne mérite pas une telle loyauté, pas après ce qu'il s'est passé entre eux. Et savoir Iezahel tout proche, sans la possibilité ne serait-ce qu'effleurer sa peau, sera un véritable calvaire... Un calvaire ? De quel droit emploie-t-il ce mot, sachant ce que l'esclave a vécu ? Mais Loundor, impitoyable, poursuit son idée :

 

- Je sais que ça ne sera pas simple pour toi, Calith. Et je n'ignore pas que beaucoup, dans l'armée, vont être jaloux de cette promotion. Mais je n'ai pas le choix. Il ne peut pas rester sous mes ordres et je refuse de le faire retomber sous l'autorité de Voinon. Ce responsable de mes deux, incapable de comprendre ce qu'il passait, battant un homme alors qu'il souffre le martyre. Iezahel vaut trop pour reprendre le balayage des couloirs.

- Je t'ai entendu, Loundor. Mais je voudrais d'abord en parler avec Jérémias et le sim... Iezahel, pardon.

- D'accord.

 

Calith se lève souplement de son fauteuil et ouvre la porte. Jérémias est toujours là, sur le seuil, à monter la garde avec une concentration intense. Il s'empresse d'entrer quand son roi le lui ordonne et reste immobile, droit comme un i, en attendant les ordres. Et c'est Calith qui se charge de lui expliquer la situation :

 

- Il va y avoir des petits changements. Mais je voudrais que tu saches que je suis très content de ton travail. Tu es un excellent garde et la décision que nous venons de prendre n'est en rien liée à tes capacités. Un autre garde va m'escorter désormais et vous travaillerez ensemble. Quand tu seras de repos, il prendra la relève. Quand il sera indisponible, tu t'occuperas de ma sécurité. Mais la plupart du temps, il restera près de moi et toi, tu t'assureras que personne ne cherche à entrer dans les pièces où je suis.

 

Bien sûr, Calith n'attend pas un accord de Jérémias. Ces décisions ont valeur d'ordre, et ce n'est pas un garde qui osera remettre ça en question. Mais il s'est pris d'affection pour ce grand bonhomme et il veut être sûr qu'il ne sera pas blessé par ce changement. Mais à la surprise de Calith, Jérémias sourit. Il sourit même de toutes ses dents et s'exclame :

 

- J'suis très content, Sire ! Parce qu'avec cette histoire de corde, que je sois tout seul pour veiller sur vous, ça m'fichait des noeuds dans le ventre. C'est que c'est une sacrée responsabilité, pour un simple garde ! J'le connais, celui qui va venir ?

- Oui. Il s'agit de Iezahel, l'esclave qu'on appelait ''le simplet''.

- Ah !

- Quoi « ah » ?

- Ben c'est que les soldats, ils disent qu'il est bizarre. Pas très net dans sa tête, en fait. Mais ils disent aussi qu'il sait bien se battre. C'est le plus important, non ?

- Précisément.

- Alors j'suis content, Sire. Merci !

 

Calith et Loundor échangent un regard amusé, tandis que le garde quitte le bureau, ayant pour mission d'aller chercher Iezahel et de reprendre sa garde devant la porte. Si seulement tout le monde pouvait réagir comme lui aux décisions royales ! Quelques minutes passent, pendant lesquelles ils échangent quelques commentaires attendris sur Jérémias.

 

 

 

 

Puis la porte s'ouvre sur Iezahel, qui rentre d'un pas sûr dans le bureau. Il salue très poliment le roi et le Général. Et comme Jérémias, il attend patiemment la raison de sa présence ici. Mais Calith n'est pas en mesure de la lui expliquer. Il détaille l'esclave, maintenant qu'il est proche de lui. Il n'a fait que l'entr'apercevoir, depuis son retour de Rocnoir. Maintenant, il est là, à quelques mètres à peine, et le cœur du roi s'affole. La bouche soudain sèche, il scrute le visage fatigué. Ses cheveux sont un peu plus longs, maintenant. Ses joues, moins creuses. Le collier, toujours plus large que la moyenne, est bien visible, malgré sa tenue de soldat : un pantalon de laine, couleur terre, et une chemise épaisse, d'un vert sombre très naturel. Il semble avoir repris du poids, même si ce n'est pas évident à affirmer, avec tous ces vêtements.

 

Mais ce qui fait définitivement chavirer le roi, ce sont les yeux de Iezahel. Deux billes noires, qui fixent le Général. Il y a presque une lueur de défi, dans ces iris. Oublié, le regard fuyant et apeuré. Oubliés, les éclairs de terreur. Loundor avait raison : l'homme, privé de son loup, n'était plus que l'ombre de lui-même. Et le supplice qu'il a vécu, l'autorité de Voinon et de Calith, tous ces éléments contribuaient à le maintenir dans cette soumission forcée à grand renfort de sévices. Le loup lui a rendu sa dignité et sa force. Ce n'est plus un oisillon blessé qui se tient devant lui, mais un homme, équilibré et sûr de lui.

 

- Calith ? Je te laisse lui annoncer.

- Hum ? Ah ! Bien. A partir d'aujourd'hui, tu es affecté à ma protection personnelle. Tu dois me suivre partout, ne jamais me quitter du regard, et empêcher quiconque d'attenter à ma vie.

 

Le silence retombe dans le bureau, l'espace de quelques secondes. Puis une voix grave, douce musique aux oreilles royales, répond, vibrante de sincérité :

 

- J'en suis honoré, Votre Majesté.

 

D'un clignement de paupière un peu appuyé et d'une légère inclinaison de la tête, Loundor rassure son roi : l'esclave ne ment pas. Calith aurait mille autre choses à lui dire et à lui demander, mais la présence de Loundor l'en empêche. Alors, dans un sourire de remerciement, il lui dit :

 

- Je dois aller voir Elihus. On se verra plus tard.

- Sans faute.

 

Calith regagne alors ses appartements d'un pas vif, passant par les couloirs secrets, suivi comme son ombre par les deux gardes. Arrivé dans son salon, il s'adresse à Jérémias :

 

- Fais-nous monter deux repas. Et ensuite, je te laisse surveiller la porte principale.

- A vos ordres, Sire !

 

Un salut militaire et un regard rempli de soulagement puis Jérémias disparaît, laissant Calith et Iezahel seuls. Le roi va s'asseoir dans un fauteuil, soudain gêné. Ils n'ont jamais eu de réelle conversation, tous les deux. Par où commencer ? L'esclave reste immobile, les mains dans le dos. Son regard se fait fuyant, à nouveau, et refuse de croiser celui de son roi. Que redoute-t-il ? Prenant une profonde inspiration, Calith se lance :

 

- On m'a dit que tu t'appelais Iezahel.

- Oui Sire.

- C'est un …

 

Le roi se pince violemment les lèvres. De nouveaux rapports doivent s'établir entre eux, et lui dire qu'il a un très joli nom n'est certainement pas approprié. Les deux obsidiennes plongent dans le regard royal, dans l'attente de la suite de la phrase, avant de se détourner. Alors Calith reprend :

 

- C'est une bonne chose que tu puisses communiquer, désormais.

- Je vous suis redevable, Sire.

- J'aurais aimé me rendre compte plus tôt des sorts qui t'entravaient. Pourquoi ne pas avoir essayé de le faire comprendre à quelqu'un ?

- J'ai essayé, Sire. Mais Voinon n'a pas compris et il s'est impatienté. Il m'a dit qu'il n'avait pas que ça à faire, de déchiffrer les gesticulations d'un simplet. A qui d'autre aurais-je pu essayer de le faire comprendre ?

- A moi.

- Sire, vous êtes roi et je suis esclave. Je n'allais pas vous importuner avec ça. Et je...

 

L'esclave passe d'un pied sur l'autre, soudain gêné. Calith, bien que révolté par le comportement de Voinon, garde une voix douce pour lui dire :

 

- Assieds-toi. Et finis ta phrase.

- Merci Votre Majesté. Je … je pensais que vous étiez au courant. On m'a dit que ces sorts étaient obligatoires pour tous les loups-garous esclaves. Alors j'ai pensé que j'étais le seul et que c'était normal.

- Qui t'a dit ça ?

- Tathyn.

- Tathyn ?

 

En le prononçant, Calith réalise qu'il connaît ce prénom. Il voit le visage de l'esclave pâlir, se décomposer et ça lui revient :

 

- Le bourreau ?

- Oui Sire.

- Écoute-moi bien, Iezahel. Ce n'était pas normal, de te faire subir ces sorts. Et ce qu'il t'a fait, quand tu étais avec lui, n'était pas normal non plus.

 

L'esclave se recroqueville sur lui-même, comme s'il voulait se fondre dans le bois du fauteuil. Et sa voix grave devient filet quand il demande :

 

- Alors vous êtes au courant ?

- Oui. Nous avons retrouvé des manuscrits, dans la salle du bourreau. Il y a une partie de ce qu'il t'a fait subir. Et je sais que ça ne changera rien, mais je veux que tu saches que j'en suis désolé. Ces agissements me révoltent et m'horrifient. Je ne tolèrerai pas qu'ils se reproduisent, maintenant que je suis au pouvoir. Et plus jamais je ne te demanderai ce que je t'ai ordonné de faire quand tu étais à mon service.

 

Iezahel n'a pas besoin de plus détails, il sait parfaitement à quoi fait allusion Calith. L'arrivée de deux esclaves, apportant le déjeuner, ne dissipe pas sa gêne. Ils font pourtant honneur aux épaisses tranches de jambon cuit à l'os et aux quartiers de pomme de terre qui remplissent leurs écuelles, dans un silence complet. Sans vraiment réfléchir à ses paroles, Calith laisse échapper :

 

- Je m'en veux de t'avoir fait corriger par Voinon, quand je t'ai surpris à manger dans mon assiette.

- Je savais quels risques je prenais, Sire. Je pensais même que ma punition serait plus sévère. Mais j'avais faim. Les rations qu'on me donnait ne faisait qu'exciter mon appétit sans jamais me rassasier. Vous n'étiez pas là. C'était trop tentant.

- Je ne veux plus que ce genre de choses se reproduisent, Iezahel. Si tu as quelques à me dire, quoique ce soit, je veux que tu le fasses.

- Alors je veux vous remercier, Sire. Comme vous, je sais qu'un « merci » ou un « désolé » sont dérisoires par rapport à ce qu'il s'est passé. Mais je veux vous remercier de m'avoir libéré de la salle du bourreau. Et je veux vous remercier d'avoir libéré mon loup.

 

Calith garde le silence. Un « désolé » était dérisoire tout à l'heure, un « de rien » l'est plus encore maintenant. Il a fini de manger, alors il se lève, très vite imité par Iezahel. Sans brusquerie, le roi fait le tour de la table et se tient face à lui. Et sans se soucier plus en avant de la bienséance, il écarte les bras et serre l'esclave contre lui. Il ne met aucune force superflue, ce n'est pas un geste de possession ou de domination. C'est juste une accolade entre deux hommes que les mots n'arrivent plus à apaiser.

Iezahel l'étreint à son tour et pose son front sur l'épaule solide. Le cauchemar est terminé. Les tortures, les humiliations, la faim : tout est fini.

 

La chaleur de deux corps enlacés, la résonance du cœur de l'autre contre la poitrine, ce ne sont pas ses sensations qu'ils ressentent souvent. D'aussi loin qu'ils s'en souviennent, l'un comme l'autre, jamais ils n'avaient connu une telle étreinte. Les mots sont devenus inutiles, gênants même. Dans le silence du salon royal, sous l'œil crépitant de l'âtre, ils découvrent tout le réconfort qu'apporte une étreinte. Et ils restent ainsi, figés, noyés dans cette vague de bien-être, sans plus avoir conscience que la vie continue autour d'eux. Jusqu'à ce que des coups, frappés vigoureusement contre la porte, les ramènent à la réalité.

 

 


 
 
posté le lundi 01 juillet 2013 à 09:43

Pieveth, Chapitre 19

 

 

La matinée du lendemain est, bien évidemment, consacrée à l'enquête. Le médecin est formel : les organes retrouvés par le paysan appartiennent bien au Comte de Dascien. D'après la quantité de sang retrouvé près du corps, il pense que la victime a été attaquée deux heures plus tôt, soit quasiment au moment de l'arrivée des hommes de Loundor dans la cour d'entraînement. Mais si ces informations les aident à y voir plus clair, elles ne permettent pas de réduire la liste des suspects : tout le monde était au courant de ce retour. Le nombre d'allées et venues, à ce moment de la journée, est si important que les recherches prennent énormément de temps.

 

Le seul point positif, c'est que les hommes de Nala affirment ne pas avoir pu suivre deux personnes, considérées comme des traîtres plus que potentiels. Mais ne pas savoir ce qu'elles ont fabriqué pendant ce temps ne fait pas d'elles des coupables.

Ils sont en plein débat à ce sujet lorsque des coups vigoureux sont assenés à la porte. Qui s'ouvre sur un Lanen dans tous ses états. Il rentre dans le bureau, où se tient la cellule de crise depuis l'aube, et s'incline très bas. Et d'une voix blanche, il leur annonce :

 

- Quelqu'un est venu déposer un objet sur votre lit, Votre Majesté.

 

Les trois amis se jettent un regard inquiet, bien conscients que l'esclave ne les aurait pas dérangés pour un panier de linge oublié par un asservi. C'est Loundor qui demande :

 

- Quel objet, esclave ?

- Un rouleau de corde, Général. Mais je n'ai pas pu voir qui l'a déposé, j'étais allé chercher des draps.

 

Aussitôt, les trois amis quittent le bureau pour se rendre dans les appartements royaux. Bien en évidence pour la courtepointe de soie bordeaux, un rouleau de chanvre est enroulé sur lui-même, tel un serpent.

Elihus, d'une voix au bord de la panique, résume la pensée de tous :

 

- C'est un message du tueur.

 

Loundor tourne autour du lit, comme pour cerner une proie inerte. Calith, lui, regarde un peu bêtement autour de lui, des fois que l'assassin serait resté caché derrière une tapisserie. Elihus poursuit sur sa lancée :

 

- Peut-être que les autres victimes ont reçu cet avertissement, aussi.

- Mais ils n'auraient pas appelé la garde ?

- Se croire menacé de mort parce qu'on trouve une corde sur son lit pourrait paraître idiot, et ils n'auront pas voulu prendre ce risque.

- Même après plusieurs meurtres ?

- Nous n'avons pas révélé grand-chose des meurtres. Ils n'ont peut-être pas fait le rapprochement.

 

Loundor et sa voix de basse interrompent les vaines spéculations :

 

- Pour moi, c'est clairement une menace. Jérémias te suivra de partout, désormais. Je vais mettre des gardes devant tes appartements également. Et plus question d'aller te promener seul, Calith.

- D'accord Loundor.

 

L'obéissance de Calith, lui qui aime tant sa liberté et son indépendance, surprend le loup-garou. Et il comprend, soudain, à quel point son protégé est ébranlé. Alors, d'un haussement d'épaule, il essaie de relativiser :

 

- Mais ça me semble étrange, tout de même. Le tueur sait qu'on va réagir, suite à cette menace. Il paraît très prudent, pourtant. Pourquoi tout faire pour qu'on renforce la sécurité autour de toi s'il compte réellement te tuer ?

- Et si c'était juste un moyen pour lui de nous narguer ? De nous montrer qu'on ne pourra jamais l'attraper car il peut aller où il veut, quand il veut ?

- Si ça l'amuse. En attendant, je renforce la garde autour du roi.

 

Un silence de plomb retombe sur la chambre. Ils restent tous les trois, le regard rivé sur la corde, s'attendant presque à ce qu'elle leur saute aux yeux. Les battements du cœur de Calith s'emballent. Si le meurtrier en a réellement après lui, il doit à tout prix éviter des situations comme la veille, où il se retrouve isolé dans une cour glauque. Il doit toujours rester entouré. Et ça va vite l'agacer. Mais il ne peut pas se faire tuer maintenant. Tout est encore à reconstruire et Pieveth n'a pas d'héritier.

 

 

 

 

Lanen brasse dans la chambre, les draps propres soigneusement pliés dans les bras. Calith déclare alors :

 

- Loundor, prends la corde et essaie de voir avec les artisans si elle présente une marque particulière qui nous permettrait de l'identifier.

- Bonne idée.

- Lanen, poursuis ton travail. Et si tu vois quelqu'un rôder dans les parages, parles-en à Jérémias.

- A vos ordres, Sire.

- Bien. Retournons dans le bureau.

 

Laissant l'esclave à ses tâches et le Général à son enquête, Calith rejoint son bureau, accompagné par Elihus. Jérémias arrive assez vite et s'installe sur une chaise, juste à côté de la porte. Il a sorti une dague, qu'il tient sur ses genoux, et arbore un air menaçant. De toutes ses forces, Calith se retient de rire face à cette mine qui se veut patibulaire mais qui ne colle pas avec le visage poupon du garde. Lorsqu'Elihus les laisse, obligé d'aller déjeuner avec les archivistes et les autres conseillers, Calith invite Jérémias à partager son repas.

 

- Je voulais vous remercier pour hier, Sire. Enfin... si ça ne vous dérange pas qu'on parle pendant qu'on mange. Et si ça ne vous dérange pas qu'on discute de ça.

- Mais non, voyons, ça ne me dérange pas du tout.

- C'était vraiment chouette de votre part de nous arranger ce petit moment.

- Bah. Tu l'aimes beaucoup, n'est-ce pas ?

 

Les joues rondes du garde s'embrasent tandis qu'il acquiesce, effarouché comme une jeune fille vierge. Et d'une toute petite voix, si incongrue venant de cette grande carcasse, il murmure :

 

- Il est beau. Et il est affectueux.

 

Calith opine, même s'il n'a jamais vraiment pris le temps de détailler son esclave. Il sait qu'il a une beauté sauvage. C'est plus du charme que de la beauté, d'ailleurs, à cause de son visage aux traits épais. Mais il a de beaux d'un marron lumineux, et ses cheveux courts semblent soyeux. Il est grand, Lanen, et vraiment pas épais, ce qui lui donne une allure un peu dégingandée.

 

- Ça n'a pas dû être facile de trouver un endroit pour vous, entre toi dans la chambrée des soldats et lui dans le dortoir des esclaves.

- Je connais bien le château, et lui aussi. Y'a plusieurs chambres qui ne sont plus occupées depuis des années. Enfin, on n'a pas choisi une chambre pour … euh... enfin... bon, on l'a fait mais …

 

Jérémias s'interrompt, incapable de poursuivre sa phrase, bien conscient qu'il s'enfonce à chaque seconde qui passe. Calith rit doucement et le rassure :

 

- Vous êtes deux adultes consentants, ce sont des choses qui arrivent. Et qu'importe les raisons pour lesquelles vous vous êtes retrouvés là-bas, l'essentiel, c'est que vous ayez passé un bon moment.

- Pour ça, oui, on a passé un bon moment ! Il est très gentil. Et très câlin.

 

Jérémias n'ose pas poursuivre, les oreilles en feu. Et bien malgré lui, Calith ressent la pointe douloureuse de la jalousie dans son coeur. Alors ils restent silencieux un moment, absorbés par la nourriture. Puis ils reprennent une conversation moins intime le reste du repas, parlant comme s'ils étaient tout deux soldats, oubliant leurs rangs respectifs.

 

Puis vient l'heure de reprendre le travail. Jérémias retrouve sa place, près de la porte, dague sur les genoux, et manque d'égorger le pauvre Elihus qui venait soumettre des décisions à valider. Calith apaise les esprits avant de passer une bonne partie de l'après-midi à étudier lesdits dossiers. Puis, plus tard, c'est Loundor qui vient les rejoindre, épargné par Jérémias, pour parler de l'enquête. Du moins, parler de l'absence de résultats. Les hommes du général ont interrogé énormément de personnes, les gardes à l'entrée du château, les artisans spécialisés dans les cordes, mais n'ont pu en trouver aucune capable de leur fournir le moindre renseignement.

 

Calith en vient même à douter de l'humanité du tueur. Et s'il était capable de se rendre invisible ? Ou d'effacer de la mémoire des témoins tout souvenir le concernant ? Mais un argument de taille invalide cette thèse : le flair de Loundor. Il aurait reconnu immédiatement la présence d'un être surnaturel dans les parages. Ça ne fait aucun doute.

 

 

 

 

 

C'est l'esprit morose qu'il regagne ses appartements, dans la soirée. Il commande trois repas, sachant que cette originalité n'amènera aucune question indiscrète. Il prend un bain rapide avant de dîner devant la cheminée de sa chambre, plongé dans un rapport important concernant l'état actuel des troupes, leurs atouts et leurs faiblesses.

Dans salon des appartements, l'esclave et le garde partagent un dîner en amoureux, avec la bénédiction de leur roi. Cette nuit encore, ils seront réunis.

 

 

 

 

 

Le lendemain matin est marqué par une nouvelle d'importance : un témoin a vu le tueur. Du moins, c'est ce qu'ils en déduisent. Dans la bibliothèque, Elihus et Calith dressent un état des lieux de la trésorerie et des ressources du royaume. Jérémias fait alors rentrer un officier de Loundor, un homme jeune mais doté d'un visage sévère qui le vieillit. Il salut solennellement son roi et le conseiller, puis, sans tergiverser, il expose :

 

- J'ai recueilli un témoignage intéressant, de la plus jeune fille du baron de Regargues. Elle était dans la cour, avec sa famille, quand elle a dû remonter dans ses appartements. Elle avait trop froid et un besoin pressant, d'après elle. Dans les couloirs de l'aile Ouest, ceux qui mènent à la chambre du Comte de Dascien, elle a aperçu une silhouette suspecte. L'homme lui tournait le dos et s'éloignait, elle n'a donc pas pu le décrire précisément. Mais elle a très bien vu qu'il tenait à la main une bourse en cuir. Un détail qui l'a étonné, étant donné qu'il portait le pagne et le collier des esclaves.

 

Elihus laisse échapper une exclamation étouffée. Calith, lui, reste silencieux, en pleine réflexion. Un esclave n'a rien à faire avec une bourse à la main. Bouse qui aurait pu contenir ce qui allait finir dans l'auge à cochons. La jeune fille a sans doute vu le meurtrier. Alors il demande :

 

- Qu'a-t-elle pu dire à son sujet ?

- Qu'il était grand, Sire, et fin. Et qu'il avait des cheveux sombres et très courts.

- Rien d'autre ?

- Non Sire. Elle m'a dit que les couloirs étaient obscurs et qu'elle n'a pas bien vu les détails. Je l'ai prévenue que son témoignage vous intéresserait: elle est à votre disposition si vous avez d'autres questions.

- Bien. Nous lui demanderons davantage de précision si besoin.

 

Après un salut, le soldat quitte le bureau. Les deux amis s'installent dans le fauteuil et réfléchissent aux informations qu'ils viennent d'entendre, quand Elihus s'exclame :

 

- Le simplet !

 

Aussitôt, Calith bondit sur son siège et lance un regard noir au conseiller.

 

- Qu'est ce qu'il a, le simplet ?

 

Conseiller qui ne se formalise pas de cette réaction et poursuit :

 

- Il correspond à la description. Comme beaucoup d'autres esclaves, c'est vrai. Mais regarde les dates. Le premier meurtre a eu lieu peu de temps après sa libération de la salle du bourreau. Voilà pourquoi le tueur ne s'en est pris à ses victimes qu'après ton arrivée, Calith. Et comme par hasard, aucun meurtre pendant son absence ! Mais à peine revenu de Rocnoir, nouveau meurtre ! C'est bien trop gros pour être une simple coïncidence !

- NON !

- Ne crie pas, Calith. Et pourquoi pas ? On ne sait rien de lui, on ignore comment il s'est retrouvé au château. Qui sait s'il n'avait pas une mission, ou ce projet depuis des mois, et que sa libération a été l'occasion pour lui de le réaliser ?

 

Calith fulmine. Son esclave ne peut pas être le meurtrier. C'est tout bonnement impossible. Mais il ne parvient pas à trouver les arguments pour en convaincre Elihus. Alors il l'affuble d'une liste de noms d'oiseaux fort peu convenables avant de quitter le bureau en claquant la porte, la faisant trembler sur ses gonds.

Il progresse rapidement dans les couloirs, hors de lui, furieux à l'idée qu'Elihus ait pu formuler une telle idée. Il entend bien des pas résonner derrière lui, mais il imagine qu'il s'agit de Jérémias, qui tente de suivre à la lettre les ordres de son général.

 

 

 

 

 

La cour, au pied du château, résonne de bruits de bâtons de bois qui s'entrechoquent, de cris, de conversations animées. Le soleil d'hiver brille fort, aujourd'hui, et à l'abri du vent, les hommes transpirent.

Calith s'avance dans la cour pour rejoindre le Général, adossé au mur, qui surveille l'entraînement. La vision de cette routine bien huilée le calme un peu, comme si les insinuations d'Elihus perdaient de la consistance à mesure qu'il s'éloigne du bureau. Les soldats se sont interrompus dans leurs exercices, regardant passer leur souverain.

Loundor fait signe à ses hommes de reprendre les échanges. Puis il salue Calith d'un simple :

 

- Ah ! Toi, tu m'as l'air bien énervé. Qu'est ce qu'il t'a fait encore, Elihus ?

 

Un grondement, ressemblant étrangement à ceux des loups-garous, jaillit de la gorge du roi. Le Général n'a pas besoin d'en savoir plus et l'entraîne dans son bureau, devant lequel se poste un Jérémias à bout de souffle. Dans l'intimité de la pièce, Calith, à grand renfort de jurons furieux, évoque les accusations d'Elihus. Et la réaction de Loundor n'a rien pour le calmer :

 

- Il n'a pas entièrement tort. Nous en sommes à un stade où nous devons suspecter tout le monde, surtout maintenant que tu es directement concerné. Et il rassemble beaucoup d'éléments en sa défaveur.

 

 


 
 
posté le dimanche 30 juin 2013 à 12:00

Pieveth, Chapitre 18

 

 

 

Jérémias est rassuré de voir que son roi, cet homme puissant, plein de sagesse, prend la situation en main. Oui, le roi va gérer l'évènement, en tirer les bonnes conclusions et prendre la meilleure décision. Alors le garde lui sourit, soulagé, heureux de ne plus être responsable de cette terrible nouvelle. C'est presque serein qu'il conduit Calith à travers le dédale de couloirs, jusqu'à sortir du château. Là, dans le regroupement de maisons qui vivent dans l'ombre de la forteresse, un homme attend, fourche à la main. Ses vêtements en laine grossière, maculés de terre et de tâches, indiquent sans risque de se tromper qu'il vit du travail de la terre. Son visage, mangé par les rides, est buriné par le soleil. Et c'est une voix rocailleuse qu'il commente l'arrivé de Jérémias et de Calith :

 

- Ah ben c'pas trop tôt ! C'est qu'j'ai pas qu'ça à faire, moé.

- Il suffit, manant, ne t'adresse pas ainsi à ….

 

D'une main douce, Calith interrompt la démonstration d'autorité de Jérémias. Son rang n'a pas d'importance, pas plus que la manière dont lui parle ce paysan. D'un haussement d'épaule, ce dernier montre bien ce qu'il en à faire, des remontrances du garde. Et leur dit :

 

- C'par ici. V'nez don' voir.

 

Il entraîne Jérémias et Calith entre les maisons, dont les murs sont si rapprochés qu'un homme bien charpenté ne passerait pas. Le soleil hivernal n'éclaire pas ce passage. Mais, sentant sous ses pas des matières spongieuses, Calith préfère ne pas voir, en fait. Ils débouchent enfin dans une minuscule cour, où la boue a gelé, laissant un sol bien inégal. Des grognements bestiaux résonnent entre les murs hauts et Calith regrette soudain de ne pas avoir plus que sa dague sur lui. Et s'il a de l'affection pour Jérémias, il n'est pas persuadé que le garde sera en mesure de le protéger.

 

- Regardez-t-y un peu c'que j'viens d'trouver, par ici.

 

Le paysan, le visage marqué par l'indignation, leur montre du bout de fourche une mangeoire, creusée dans un mur. Coincé dans un recoin de l'auge, une masse sanguinolente. Les couinements sourds s'amplifient, provenant de l'espace, noir, derrière l'auge. La porcherie. Et le paysan d'expliquer :

 

- C'est qu'c'est l'heure d'la bouffetance pour les cochons. Mais quand j'suis arrivé, z'étaient tout excités. Pace qu'y avait ça, dans l'auge. Et qu'y pouvaient pas y attraper.

 

Calith, le ventre noué par un terrible pressentiment, demande :

 

- Vous ne nous avez pas fait venir pour un peu de nourriture coincée, si ?

- Pardi qu'non ! Pensez ben qu'j'sais reconnaître un service trois pièces quand j'en vois un !

- Humain ?

- Ça pour sûr !

 

Jérémias a pâli et s'écarte précipitamment pour rendre son déjeuner contre un mur. Calith ne se sent guère mieux mais tente de rester stoïque :

 

- Vous venez de trouver des organes génitaux masculins dans l'auge de votre porcherie, c'est bien ça ?

- Ben oui ! Z'êtes long à la comprenette, hein, dans la haute !

- Bien. Ramassez … ça, et mettez-le dans une toile cirée. On vous la rendra.

 

L'homme grimace mais obtempère. Calith se sait incapable de récupérer la masse sanguinolente. Et Jérémias semble décidé à redécorer toute la cour. Détournant le regard, Calith patiente le temps que le paysan termine son ignoble besogne. Et c'est du bout du bras qu'il ramène le paquet, escortant un Jérémias au bord du malaise. Calith ne s'arrête pas, essaie d'oublier ce qu'il transporte et se rend directement dans l'office du médecin. Il fait s'allonger Jérémias sur le lit d'auscultation, dépose la macabre découverte sur une table. Puis, il demande à un esclave d'aller chercher le médecin en toute urgence.

Moins de cinq minutes plus tard, l'homme arrive. Il semble avoir copieusement arrosé le retour des troupes et titube un peu. Il examine d'un regard le garde, concluant que ça lui passera. C'est de toute façon la présence du roi dans son humble office qui le perturbe. Un roi qui annonce d'une voix blanche :

 

- Nous venons de découvrir ceci. Pouvez-nous nous confirmer l'origine de... ça. Et nous dire si le... euh... prélèvement est récent ou non.

 

Le médecin garde un sang-froid tout professionnel en découvrant le contenu du paquet de toile cirée. Et annonce, sans hésiter, qu'il s'agit bien d'un organe sexuel humain, masculin. Prélevé tout récemment, il y a quelques heures à peine. Calith comprend aussitôt. Laissant Jérémias aux bons soins du médecin, il quitte précipitamment les lieux et se dirige d'un pas vif vers la cour. Son visage fermé et sa démarche dissuadent les gens de l'approcher.

 

Loundor est en pleine conversation avec ses hommes. Mais ça n'arrête pas le roi, qui fend brusquement le petit groupe et attrape son Général par le bras pour l'entraîner dans son bureau.

La porte est encore en train de se refermer quand il annonce :

 

- On a une nouvelle victime. J'ignore si elle est encore vivante ou non. On doit absolument la retrouver. C'est peut-être encore temps de la sauver.

 

En quelques phrases concises, il lui parle de la macabre découverte. Loundor saisit immédiatement l'urgence de la situation. L'assassin a l'habitude de laisser souffrir ses victimes. Ce qu'ils viennent de découvrir étant tout récent, ils pourront peut-être retrouvé la victime encore en vie. Ou du moins, son corps encore chaud. Avec un laps de temps si court, ils pourront peut-être trouver plus facilement des indices. Le visage de Loundor reflète toute la gravité de la situation. Ouvrant la porte, il ordonne à sa meute de se rassembler. Sa voix, forte et autoritaire, attire l'attention de la foule massée dans la cour. Une poignée de minutes plus tard, le bureau de Loundor grouille de loups-garous qui se transforment. Et sous le regard ébahi de la foule, des dizaines de loups se ruent dans le château.

 

Les loups sont bien plus rapides que les humains, et leur odorat, bien plus développé. Une demie-heure s'écoule avant qu'un hurlement lugubre résonne entre les murs du château : ils ont trouvé la victime. Calith se précipite vers l'origine du cri, rapidement rejoint par Loundor, qui avait gardé forme humaine pour coordonner loups et hommes.

 

 

 

 

La meute s'est regroupée devant les appartements du Comte de Dascien. D'une main fébrile, Calith ouvre la porte pendant que Loundor félicite ses loups et les renvoie à la fête.

Le comte de Dascien est debout, au pied du lit. Les poignets et les chevilles sont écartelés par de solides cordes de chanvre, nouées à l'armature du lit à baldaquin. Un sous-vêtement profondément enfoncé dans sa bouche l'empêche de crier. Son ventre est parsemé de balafres. Son entrejambe, vide, laisse s'écouler des flots de sang.

 

- Il est encore vivant !

 

L'exclamation de Loundor tire Calith de son sinistre examen. La poitrine du comte se soulève effectivement de manière infime. Mais l'homme est inconscient. A ses pieds, une mare de sang macule le tapis fatigué. Calith refuse de le laisser mourir sans qu'il leur en apprenne un peu sur son agresseur. Mais il a beau lancer des sorts de guérison, il n'obtient que des gémissements. Le Comte de Dascien ne reprend pas conscience.

 

- Tu prolonges son calvaire, Calith. Il a perdu trop de sang.

 

Le Général n'est pas du genre à baisser les bras. S'il dit ça, d'une voix si douce, à son roi, c'est qu'il a compris qu'ils arrivaient trop tard. Calith s'entête pourtant, s'épuisant à lancer les sorts les plus puissants qu'il connaisse. Mais les plaies sont trop nombreuses, trop graves. Alors Loundor attrape son roi à bras le corps et l'éloigne. Et d'un grondement sourd, il répète, encore et encore, qu'il est trop tard, que Calith ne fait qu'allonger l'agonie du noble.

 

La vie déserte le corps du Comte de Dascien une poignée de minutes plus tard. Loundor cherche aussitôt des indices, quoi que ce soit qui pourrait leur permettre d'en apprendre enfin un peu plus sur ce meurtrier qui se joue d'eux. Le rasoir du comte, gravé à ses initiales, repose sur le lit, couvert de vermeil. Les lieux n'ont pas été fouillés. Le tueur en voulait au comte, pas à ses richesses.

Les ordres du Général ont un goût de déjà-vu, lorsqu'il demande à ce que le corps soit enlevé et préparé pour l'enterrement.

 

Calith ne décolère pas. Dans la bibliothèque où il a conduit Loundor, il fait les cent pas, jurant et pestant à qui mieux-mieux. Loundor reste calme et réfléchit à voix haute :

 

- L'assassin a dû être gêné par le couvre-feu. C'est la première fois qu'il tue en plein jour. Il a profité du retour de mes hommes, qui a attiré la moitié des habitants du château dans la cour, pour continuer sa besogne. Sans se faire repérer. Et il a peut-être été dérangé, ou il a parié sur le fait qu'on retrouverait le comte trop tard, en tout cas, il ne l'a pas achevé.

- Quelqu'un l'a peut-être vu ! Les gens allaient et venaient dans les couloirs.

- Mes hommes vont s'en occuper. Ils commencent à savoir ce qu'ils ont à faire …

 

Les deux hommes gardent un silence désespéré pendant quelques minutes, avant que Calith ne murmure :

- Mais quand va-t-il s'arrêter ? Nous en sommes déjà à quatre victimes... Que vient faire ce prêtre au milieu des nobles ? Quel est leur lien ?

- Les espions de Nala nous en apprendront probablement plus. Les traîtres potentiels qu'ils surveillent se sont peut-être esquivés quand nous étions dans la cour.

- On ne peut pas se contenter de ça. Il y a un dîner, ce soir, pour les retrouvailles. La cour va me harceler de questions.

- Dis-leur que l'étau se resserre autour du meurtrier. Que nous avons une liste de suspects et que ce n'est qu'une question de jours avant qu'on l'arrête. Notre assassin semble avoir un but très précis: tuer certaines personnes. Je ne peux pas croire qu'il les choisisse au hasard. Et il veut à tout prix terminer sa mission.

- Qu'est ce qui te fait dire ça ?

- Le délai entre les meurtres. Il ne s'est écoulé que trois jours entre la mort du Baron de Beoan et celle du Duc de Peliel. A ce moment là, nous avons augmenté le nombre de gardes dans les couloirs et les contrôles. Du coup, il a mis cinq jours pour trouver le moyen de tuer le prêtre sans se faire remarquer. Nous répliquons par un couvre-feu : là, l'assassin a besoin de sept jours, et de prendre des risques considérables, pour tuer le Comte de Dascien. En maintenant le couvre-feu, en renforçant encore les gardes et en annonçant qu'on surveille de près une liste de coupable, il va devoir faire preuve d'encore plus de prudence s'il veut continuer. Et ça va nous faire gagner du temps.

- Et s'il n'a pas de liste ? S'il ne compte s'arrêter qu'au moment où nous le mettrons hors d'état de nuire ?

- On l'arrêtera, Calith.

 

Le roi lance un nouveau regard désespéré à Loundor. Mais avant qu'il n'ait pu dire quoi que ce soit, Alima frappe doucement à la porte. Très révérencieuse, elle annonce que le dîner est dans moins d'une heure et que Calith doit se préparer. Poussant un long soupir, Calith se lève. Il n'a pas envie d'aller manger avec la cour, encore moins depuis la sordide découverte. Mais il ne peut pas y échapper et rester ici, avec Loundor, à essayer de découvrir les intentions du tueur lui semble bien vain. Autant attendre d'avoir d'éventuels témoignages.

 

 

 

 

Une heure lui semblait bien long, pour se préparer. Mais il doit se laver, puis Alima le rase avant d'user force patience et subterfuges pour discipliner ses cheveux. Enfin, l'habillage prend un temps fou, avec ces vêtements richement brodés, aux coupes originales. Le laçage du pantalon en lin noir se fait sur les hanches. Quant à la veste, noire elle-aussi, elle présente un laçage sur le torse, en transversal. Ce sont de fins lacets couleur argentée, et les mettre en place met à mal la patience de Calith. Finalement, c'est à peine à l'heure qu'il arrive dans la salle du trône, où tout le monde est déjà réuni. Le silence se fait, à son arrivée. Tous les regards sont braqués sur lui, dans l'attente d'une déclaration. Prenant sa voix la plus ferme, il proclame :

 

- Soyez tous les bienvenus dans la salle du trône. Ce soir, nous fêtons le retour de nos amis, de nos familles. Ils ont œuvré, eux aussi, à la chute de l'Imposteur. Chacun à leur manière, chacun apportant ses compétences pour mener à bien notre mission ! Merci à eux !

 

Levant sa chope, qu'un esclave vient de remplir, il les remercie encore une fois. Ils sont tous installés à une table, avec leurs proches. Il boit une longue gorgée d'hypocras, imité par l'ensemble des personnes présentes. A une autre table, les soldats de l'escorte. Lorsque le silence revient, il lève sa chope dans leur direction et déclare :

 

- Et merci aux soldats qui nous les ont ramené sains et saufs !

 

Des exclamations fusent de toutes parts. L'alcool coule à nouveau, jusqu'à ce qu'un noble se lève et porte son verre à la longue vie du roi.

Mais Calith n'en a pas terminé. Restant debout, il leur fait signe de s'asseoir. Et annonce :

 

- J'ai le regret de vous informer de la mort du Comte de Dascien, plus tôt dans l'après-midi. D'après nos premières constatations, il s'agit du même meurtrier que pour les précédentes victimes. Mais il sera la dernière victime. Nous avons une liste de suspects, sous étroite surveillance. Nous ne sommes plus sous le règne de Lombeth, aussi refuse-je que des innocents soient envoyés en prison. Seuls les coupables, reconnus grâces à de vraies preuves infaillibles, sont engeôlés. Ce n'est plus qu'une question de jours avant qu'il ne vous soit présenté, ce tueur qui croit pouvoir nous défier. Et il sera châtié.

 

Calith s'assoit, l'air impassible. Pourtant, il scrute les visages, à la recherche de leurs réactions. Et par un miracle qu'il ne s'explique pas, la plupart approuvent ses paroles. Ils ne protestent pas, ne s'indignent pas. Ils ont confiance en lui. Cette foi en sa capacité de neutraliser le tueur le met mal à l'aise. Mais un rapide geste de la tête, de la part d'Elihus, le rassure. Il a su se montrer convaincant.

 

Elihus, assis à la droite de son roi, tandis que Loundor est assis à sa gauche. La table royale est également composée des fidèles conseillers et des responsables. Sur le plateau recouvert des plus belles nappes, d'innombrables plats sont disposés : ici des salades composés, là des viandes en sauce, là-bas des poissons. Les viandes rôties n'arriveront que plus tard. Et cet étalage de nourriture, devant lui, ne fait que couper l'appétit de Calith. Le simplet, les meurtres, la demande en mariage. Non, il n'est décidément pas d'humeur à festoyer.

 

Les deux tables réservées à la cour bruissent des murmures suscités par l'annonce du roi. Calith détourne rapidement la tête, écœuré par leur curiosité. A la table des soldats, les colonels de Loundor côtoient les hommes partis à Rocnoir. Mais là, il ne détourne pas le regard. Il ne lui faut qu'une poignée de secondes pour trouver son esclave. Il est assis tout au bout de la longue table de bois, à côté d'un autre asservi. Les deux seuls du détachement parti à Rocnoir. Il est en train de manger, sans s'empiffrer comme il le faisait avant. Il prête également attention à ce qu'il se passe autour de lui, écoutant la conversation tenue par les soldats les plus proches de lui. A ce moment précis, d'ailleurs, l'un des hommes se tourne vers lui et lui parle. Calith est bien trop loin, et la salle bien trop bruyante, pour qu'il entende ce qu'il se dit, mais il voit distinctement les lèvres du simplet remuer. Et le soldat éclater de rire.

 

Une colère aussi soudaine que puissante se répand dans les veines royales. Il déteste ce soldat, si proche de son esclave, qui lui fait la conversation comme si de rien n'était, qui entend sa voix sans réaliser la chance qu'il a. Il déteste l'amitié qui se noue entre eux alors que, il est condamné à garder ses distances.

Une claque sur l'épaule, suivie d'un éclat de rire tonitruant, le ramène à la réalité. Loundor s'esclaffe. Et Calith réalise qu'il doit faire un effort, encore une fois, pour faire bonne figure. Ne pas s'attarder sur l'esclave mais reprendre sa vie et ses devoirs de roi.

Mais malgré tous ses efforts, malgré toute la bonne volonté qu'il met à essayer de s'intéresser aux conversations, la soirée lui semble interminable.

 

 

 

 

La nuit est déjà bien avancée quand Calith quitte la salle du trône. Jérémias, surgi de nulle part, l'escorte jusqu'à ses appartements. Et tandis que le roi se fait aider de Lanen pour enlever ses riches vêtements, le garde reste devant la cheminée, feignant d'inspecter les lieux, remettant des bûches dans l'âtre, réarrangeant la disposition des bibelots sur la table. Pris d'une soudaine inspiration, Calith ordonne :

 

- Jérémias, va trouver Voinon et dis-lui que je passe la nuit avec Lanen. Qu'il ne l'attende pas avant le service du petit-déjeuner.

 

Le garde fixe un moment son roi, tentant de garder un air impassible, sans grand succès. Il quitte la pièce a grands pas rageurs. Lanen, lui, a suspendu son labeur. Il jette un regard surpris à Calith, peut-être car il ne se doutait pas qu'il connaissait son nom, peut-être car il s'imagine déjà passer la nuit dans le lit royal. Mais dans cette surprise, Calith décèle une pointe de ressentiment. L'esclave lui en veut-il d'avoir éloigné Jérémias ? Ou de projeter de coucher avec lui ? Calith est trop fatigué pour se préoccuper de la réelle signification de ce regard. D'une voix brusque, il lui ordonne de poursuivre. Puis, une fois déshabillé, il procède à une rapide toilette avant de passer son habit pour la nuit. Et alors qu'il se glisse sous l'édredon, Jérémias revient, essoufflé.

 

- Oh ! Je... je suis navré, Sire, j'arrive pas au bon moment.

- Au contraire. Rentre.

 

Rassemblant sa dignité, alors qu'il est au lit et vêtu pour, Calith fixe tour à tour Lanen et Jérémias. Et leur annonce :

 

- Jérémias, si on te demande, tu diras que tu as passé la nuit dans mes appartements. Maintenant, allez profiter de cette nuit ensemble. Essayez de vous trouver un endroit discret, histoire que ces petits arrangements avec la vérité passent inaperçus.

 

Jérémias et Lanen se regardent un instant, n'osant croire à ce qu'ils ont entendu. Alors Calith, souriant, leur dit :

 

- Vous croyiez que je n'avais pas remarqué vos regards ? Vous avez quartier libre, tous les deux. Mais ne faites rien qui pourrait me faire regretter cette décision.

 

D'une même voix, le garde et l'esclave le remercient, un sourire radieux sur le visage. Leurs mains s'effleurent, le temps d'un battement de paupières, puis ils se dépêchent de quitter les lieux pour se trouver leur nid d'amour.

Resté seul, Calith sourit tristement. Puis souffle la chandelle.

 

 


 
 
 

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